Faute d’une lecture dédramatisée de la sécularisation, il est à craindre que le synode pour la nouvelle évangélisation qui vient de s’ouvrir à Rome, ne nous propose pour une période post-moderne, les clés de l’évangélisation du XIXe siècle.
J’avoue attendre avec une certaine impatience les premiers échos du synode sur la «Nouvelle évangélisation» qui réunit à Rome, jusqu’au 28 octobre, des évêques venus du monde entier. Comment rester insensible à la question de Luc : «Mais le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?» (1) Avec, en écho, le cri de Saint-Paul : «Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ! » (2) Je ne connais aucun vrai chrétien qui ne soit tourmenté par cette pensée. Car, c’est là l’un des acquis majeurs de Vatican II que d’affirmer la responsabilité missionnaire de tous les baptisés : clercs ou laïcs.
Discerner les causes profondes de «l’apostasie silencieuse»
Inutile de revenir ici sur le recul de la pratique, comme de la foi chrétienne, en nos pays de vieille chrétienté, comme sur la montée de l’indifférentisme ou la crise des vocations ! Un constat qui ne date pas d’hier. Or le propos du synode romain, faut-il le rappeler, n’est pas d’abord de repenser l’évangélisation «ad gentes»(3), c’est-à-dire à destination de celles et ceux qui n’ont jamais entendu parler du Christ. Il est de définir les contours d’une «nouvelle évangélisation» visant les nombreux catholiques qui «bien qu’étant baptisés, se sont éloignés de l’Eglise et de la pratique chrétienne» (4). Car on ne peut imaginer un renouveau de l’évangélisation dans le monde, sans le prélable d’un renouveau de la foi au sein même des communautés chrétiennes.
Et c’est bien là que commencent les difficultés : dans le nécessaire discernement des causes profondes de ce que le document préparatoire au synode n’hésite pas à appeler «l’apostasie silencieuse», c’est-à-dire ce courant de fond des sociétés occidentales qui a conduit, en un demi-siècle, des millions d’hommes et de femmes, élevés dans la foi chrétienne, à un reniement de fait.
Trancher entre deux «pessimismes»
Les participants au synode vont devoir clarifier ce débat, entre deux pessimismes ! Le pessimisme radical de ceux qui croient pouvoir analyser une dérive sans retour du monde moderne loin des valeurs du christianisme, dénonçant tour à tour : hédonisme, individualisme, consumérisme, matérialisme, sécularisme, relativisme… Et le pessimisme de ceux qui mettent l’accent sur la difficulté, pour l’Eglise catholique, à prendre acte des formidables bouleversements de la modernité qui ne vont pas tous, loin s’en faut, dans le sens d’un recul de l’éthique ou d’une montée des égoïsmes, même s’ils se traduisent par une profonde remise en question des religions, de toutes les religions, chez nous comme partout à travers le monde.
Or, on le voit bien, de la lecture qui sera faite des raisons profondes de la crise, va dépendre la mise en perspective des réponses à lui apporter au travers d’une «nouvelle évangélisation». La Croix du 8 octobre ne s’y trompe pas lorsqu’elle écrit : «Pour certains des participants, il suffit d’adapter les outils pastoraux aux normes modernes, d’investir les réseaux sociaux, de multiplier les déclinaisons du catéchisme, voire de «marketer» l’Evangile, d’affirmer le rôle central de la paroisse et du prêtre. Pour d’autres, les évolutions jusqu’alors impensables des façons d’aimer, de vivre, de travailler, de penser, de fonder une famille, commandent une réflexion de fond.» (5) Aura-t-elle lieu ? Là est bien la question ! Mais il ne semble pas que l’on en prenne vraiment le chemin !
«Qui veut sauver sa vie la perdra…»
Le hasard a voulu que me parviennent, cette semaine, deux ouvrages publiés chez mon propre éditeur : Desclée de Brouwer. «Rêver l’Eglise catholique» de Michel Quesnel, bibliste, recteur émérite de l’Université catholique de Lyon et «Faire bouger l’Eglise catholique» de Joseph Moingt, jésuite et théologien. L’un et l’autre s’inscrivent de manière déterminée, dans un appel à un nouvel aggiornamento de l’Eglise catholique rendu nécessaire par les bouleversements du dernier demi-siècle et l’éclairage nouveau, parfois impitoyable, que les sciences viennent jeter sur l’enseignement de l’Eglise, jusqu’en ses dogmes, parfois, comme il le montre à propos du «péché originel» (6). Pour Michel Quesnel, l’Eglise, si prompte à rappeler aux fidèles qu’aucune aventure spirituelle ne peut faire l’économie de l’expérience de «la croix», se trouve elle-aussi renvoyée à cette parole de Jésus : «Qui veut sauver sa vie la perdra… » (7) Une parole qui «exige de tout sujet, individuel et collectif, qu’il accepte le mystère pascal. Chercher à se préserver est une sorte de trahison, et pour les personnes et pour l’Eglise. Abandonner ses sécurités et son pouvoir fait partie du programme évangélique, et Jésus lui-même en a donné l’exemple.» (8)
On retrouve chez Joseph Moingt la même citation de Marc, ici complétée : «… qui la perd à cause de moi, la recouvrera.» D’où il tire cette conviction qu’ «Il s’agit pour l‘Eglise de se convertir, à savoir de se retourner vers le monde, non certes pour s’y conformer (…) mais pour communiquer avec lui, lui parler d’Evangile.» (9) L’urgence serait donc davantage de porter l’Evangile aux hommes et aux femmes de ce temps, que de vouloir à tout crin les ramener dans des églises où de toute façon, demain, les prêtres seront insuffisants à les accueillir. Une manière de dessiner pour les laïcs, l’ardente obligation de se constituer en «communautés de partage de la parole évangélique, ce partage incluant le partage du pain, comme cela se faisait au début de l’Eglise.» (10)
Une jeunesse «docile à l’Esprit saint»
Oh, je sais, voilà des propos iconoclastes qui seront mis rapidement sur le compte du «grand âge» de leurs auteurs, de leur appartenance à une génération contestataire et rebelle, désormais devenue hors-jeu, même s’ils peuvent témoigner de leur fidélité à l’Eglise. On m’objectera, une nouvelle fois, que ce sont là des discours « d’un autre âge », des obsessions séniles, qui confirmeraient – si besoin était – l’urgence de faire enfin place aux jeunes, plus «dociles à l’Esprit saint» comme me l’écrit une «star» de la blogosphère… assimilant, peut-être un peu hâtivement, docilité à l’Esprit et sujétion à l’autorité ecclésiastique.
Si la question est vraiment de ré-évangéliser celles et ceux qui ont quitté l’Eglise, depuis des décennies, il est illusoire de penser faire l’économie de l’examen des raisons pour lesquelles ils se sont éloignés d’elle. Qui a pris le soin de seulement les interroger, dans la perspective de ce synode ? Mais interroge-ton des brebis égarées ?
Poser comme axiome que cet éloignement viendrait d’une simple carrence de catéchisation, propre aux décennies 1970-1990, comme le suggérait en ouverture du Synode, le cardinal archevêque de Washington, relève de la méthode Coué. Il est illusoire d’imaginer ré-évangéliser l’Europe en renvoyant chacun à la lecture du catéchisme de l’Eglise catholique. Qu’une jeune génération, trop tôt sevrée de culture chrétienne et déroutée par le relativisme ambiant, puisse recevoir cet enseignement avec gratitude et anthousiasme, est une chose – et de quels jeunes parle-t-on ? Mais penser que ce puisse être là la réponse pertinente pour l’immense majorité de leurs contemporains est une vue de l’esprit.
Pour une évangélisation de plein vent
Le synode n’en est qu’à son troisième jour. Il n’est pas dit que le souffle de l’Esprit ne vienne pas, comme à l’ouverture de Vatican II, voici tout juste cinquante ans, bousculer quelques pieuses certitudes. Et si rien ne devait se passer d’autre que l’invitation à la sainteté, à la lecture du catéchisme ou à quelque neuvaine de prière pour les vocations… eh bien, nous irions voir nos évêques pour leur dire notre désir d’engager avec eux, avec nos frères prêtres pour qui nous avons estime et affection, avec les jeunes et les moins jeunes de nos communautés – respectueux du charisme de chacune et de chacun – l’évangélisation de plein vent que requiert notre siècle.
Au fond, mes amis religieux assomptionnistes sont sans doute dans le vrai lorsqu’ils proclament : «Toujours avec Rome, jamais contre et PARFOIS SANS.»
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- Luc, 18, 8.
- 1 Corinthiens, 9, 16
- ad gentes signifie littéralement «aux gentils», c’est-à-dire aux non-croyants. C’est là le titre du décret sur l’action missionnaire de l’Eglise, élaboré par le concile Vatican II, et promulgué par Paul VI le 7 décembre 1965.
- Mgr Eterovic, Secrétaire général du synode, dans l’avant propos de l’Instrumentum Laboris, qui représente le document de travail des pères synodaux.
- Bruno Bouvet et Frédéric Mounier, la Croix du 8 octobre 2012, p.16.
- Il écrit à ce propos : «On s’étonne qu’un catéchisme officiel, datant des dernières années du XXe siècle, énonce des affirmations héritées d’époques où l’on croyait à l’existence historique d’Adam et Eve, affirmations pour lesquelles il est impossible pour l’honnête l’homme moderne d’adhérer.» p.97.
- Marc 8, 35.
- ibid p. 69.
- Faire bouger l’Eglise catholique, p.17.
- ibid, p.123
René, je retiens dans l’ordre:
-les trois premières lignes de l’avant-dernier paragraphe
-puis la fin
L’esprit souffle souvent là où on ne s’y attend pas
Un prêtre disait récemment dans un sermon :
« Dieu ne fait jamais rien sans nous, mais il lui arrive de faire malgré nous ! »
L’Eglise ne doit pas avant tout penser stratégie ou marketing, elle doit prier.
Et partant de là Dieu agira… souvent de manière imprévue.
Nous ne sommes que des vagabonds ici bas…
oui la question n’est pas de vouloir évangéliser mais de se poser la question : pourquoi cela ne passe pas ?
et ce n’est pas une question de connaissances d’un catéchisme : questions réponses
c’est le souffle de l’Evangile : c’est à dire le chemin d’une vie , de l’ECCE HOMO….qui plus est rapportée par quatre courants …..
c’est cela qu’il faut annoncer :
une Eglise humble, universelle, au service, à l’écoute , qui ne juge pas , mais accompagne ,
qui n’a pas toutes les réponses mais prie avec tous les hommes de bonne volonté , qui ne sépare pas …..n’exclue pas.
on en est loin quand sur les écrans apparaît une photo d’un synode ou simplement d’une rencontre du Pape avec des évêques……………………………
il est question d’amour et de partage et non de pouvoir
quand l’Eglise montrera cela alors notre monde écoutera
un abbé Pierre,une soeur emmanuelle, une mère Térésa n’ont pas besoin d’explications
leurs vies est témoignage!
@ Claudine Onfray
La foi chrétienne ce n’est pas tant un chemin de vie, une écoute, du partage que l’annonce de Quelqu’un.
Être chrétien, c’est croire que Dieu s’est fait homme pour nous sauver et nous révéler sa face, et croire qu’on peut rencontrer ce Dieu qui nous aime. Le reste n’est que conséquence.
D’ailleurs tous les saints qui se sont impliqués dans la solidarité le disent, c’est le Christ qu’ils adorent à travers le pauvre qu’ils servent.
Le christianisme, c’est l’histoire d’une relation entre Dieu et l’homme : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ta force, et ton prochain comme toi-même ».
Tout découle de l’amour de Dieu et de l’amour pour Dieu, et c’est la relation avec Dieu qui conduit nécessairement à se tourner vers son frère.
» Et si rien ne devait se passer d’autre que l’invitation à la sainteté, à la lecture du catéchisme ou à quelque neuvaine de prière pour les vocations… »
Peut-être que c’est justement cela !
Juste un temps, mais quel temps !
Un temps pour se demander chacun :
Que faisons-nous des grâces de notre baptême ?
A suivre …
Et peut-être que c’est largement insuffisant ! A suivre…
Pas de souci à se faire pour l’avenir…. On a suffisamment d’argent pour institutuer une nouvelle Académie pontificale pour la langue latine, sous prétexte qu’un homme – le pape – admire la liturgie en latin. Un projet ambititieux qui espère réussir là où bien des états, France y compris, n’arrive pas à développer l’étude de cette langue.
Un côté pyramide du Louvre du président, avec des moyens financiers plus restreints.
Est-ce la bonne méthode pour réinvestir le domaine de la culture?
PS Ce n’est pas l’importance ou la beauté du latin que je mets d’ailleurs en cause.
Bonjour,
Merci pour votre blog !
Je voudrais juste signaler qu’en tant que jeune catholique, je témoigne de ma foi autant que je peux. Ce qui est étonnant chez mes amis athées ou agnostiques, et même catholiques, c’est l’uniformité des réponses, consistant en somme à dire que ce n’est pas le message des évangiles ou le Christ qui les éloigne de la foi catholique (au contraire même, ils connaissent souvent les « phrases chocs », les grands commandements, ils parlent de l’Amour etc. avec enthousiasme) mais l’institution qu’est l’Eglise catholique et ce qu’elle leur dit (en gros, sa seule publicité, avec des affiches partout était pour ses deniers, c’et-à-dire pour lui faire des dons financiers, et dès qu’elle prend la parole dans l’espace public c’est pour parler de morale sexuelle, de mariage homosexuel etc., et rabaisser des franges de la population, alors même que 80% des jeunes sont favorables à la réforme du mariage…
Alors je leur réponds qu’il y a une différence entre l’Eglise et le christianisme… mais je trouve que c’est tout de même un comble que l’Eglise du Christ ne ressemble pas au christianisme, il y a une contradiction assez grave, qu’ils remarquent aussi. A moins que ce soit ça, le christianisme, et cette pensée me hante …
A bientôt !
Sujet intéressant mais trop souvent sensible.