L’affaire du Vatileaks sonne déjà comme l’ultime signal d’alarme d’un disfonctionnement de l’administration vaticane qui rend urgente une réforme de la Curie, trop longtemps différée.
Allons à l’essentiel ! Inutile de nous étendre ici sur des faits récents que chacun garde en mémoire : renvoi par son conseil (et non par le pape ou la Curie) du Président de la «banque du pape» auquel on reproche finalement d’avoir pris trop à cœur sa mission d’assainissement et de transparence des finances du Saint-Siège ; publication en Italie, d’un ouvrage intitulé «Sa Sainteté, les papiers secrets de Benoît XVI» nourri de correspondances privées authentiques fournies par une ou plusieurs «taupes» à l’auteur de l’ouvrage ; arrestation du majordome personnel du pape chez qui ont été trouvés des documents confidentiels…
Voilà qui vient couronner la lente montée, depuis des années, d’un climat exécrable dans ce plus petit Etat du monde qu’est le Vatican. Faut-il parler de complot contre le pape comme aiment à l’imaginer certains médias dont la culture vaticane s’est forgée à la lecture de Dan Brown ? Les meilleurs observateurs n’y croient guère. Ils évoquent plutôt la convergence de manifestations d’exaspération visant les disfonctionnements de la Curie romaine, le gouvernement de l’Eglise, et l’incapacité du cardinal Tarcisio Bertone, placé à sa tête par le pape Benoît XVI, à tenir la maison.
Le vrai est que le mode de fonctionnement de la Curie romaine est aujourd’hui en échec. Ce qui s’apparente à une crise de gouvernance majeure. Parce que la faiblesse des moyens humains dont disposent les services du Vatican, ajoutée au cloisonnement des dicastères et à la culture maison, fortement marquée par le contexte italien, en font un outil totalement inadapté à la gestion moderne d’une Eglise catholique forte de 1,3 milliards de fidèles à travers le monde.
Une réforme de la Curie sans cesse différée.
On se souvient que «la réforme de la curie», déjà d’actualité, fut soustraite volontairement par Paul VI des débats du Concile Vatican II, tout comme le célibat sacerdotal, la limitation des naissances et d’une certaine manière la collégialité. «Domaines réservés» dont le bilan, un demi siècle plus tard, est pour le moins contrasté, tant il apparaît qu’aucune de ces questions n’a été vraiment réglée sur le fond. Jean-Paul II, pasteur et pèlerin infatigable, ne s’intéressa jamais vraiment à la réforme de la Curie mais disposait en la personne du cardinal Angelo Sodano d’un homme à poigne. Benoît XVI devenu pape à 78 ans préfère, d’évidence, consacrer ses forces à la réduction du schisme intégriste et à la promotion de la Nouvelle Evangélisation, qu’à la «gestion administrative» du Vatican, sauf qu’il a fait un mauvais casting.
Aujourd’hui, l’affaire qui défraie la chronique est d’une extrême gravité. En «une» du quotidien la Croix du mardi 29 mai, le rédacteur en chef religieux du titre, le Père Dominique Greiner n’hésitait pas à écrire : «C’est mal connaître les institutions romaines que de croire que la situation actuelle serait le fait de quelques intrigants, ambitieux ou déçus qui y travaillent. Si ce n’était que cela… mais malheureusement la crise est plus profonde.»
Faut-il aller parler d’autisme ?
Osons ici une analyse qui n’engage que moi. Au manque de moyens de l’administration vaticane, déjà évoqué, il faut ajouter une autre considération. Les diocèses rechignent de plus en plus à «envoyer à Rome» leurs meilleurs éléments dont ils ont, chez eux, un cruel besoin. Par contraste, on voit de nouveaux mouvements, rarement progressistes mais financièrement soutenus par de riches familles, offrir leurs services aux différents dicastère. Sans porter de jugement sur les personnes et leur attachement à l’Eglise, il est évident que ces évolutions conjuguées ne sont pas sans conséquence sur la vision de l’Eglise portée par l’administration vaticane. La mauvaise gestion des affaires de pédophilie jusqu’à ce que Benoît XVI s’en saisisse, le silence coupable entretenu sur les agissements du fondateur des Légionnaires du Christ, le durcissement dogmatique enregistré dans nombre de services comme l’Académie pontificale pour la vie (1), illustrent, parmi d’autres faits, la permanence d’une culture du secret et de l’intransigeance que l’on croyait dépassée.
Faut-il aller jusqu’à parler d’autisme ? Le fait est que le fossé semble aujourd’hui se creuser entre les Eglises locales, les épiscopats nationaux et l’administration vaticane plus que jamais persuadée d’être – et elle seule – garante de la doctrine et de la continuité de la mission de l’Eglise. Certains observateurs, historiens de grande culture et «bons catholiques» au demeurant, n’hésitent pas, à l’occasion, à confier leur inquiétude de voir l’appareil du pouvoir, au sein de l’Eglise catholique, adopter des pratiques qui signèrent en son temps la chute du parti communiste de l’URSS. Je sais, le parallèle choquera plus d’un lecteur. Mais l’analyse vaut au moins d’être écoutée : excès de centralisation, cloisonnement, suspicion, interdiction faite «à la base» de faire remonter des questions jugées définitivement tranchées par «le sommet», complaisance vis à vis de la délation (l’ancien directeur d’un hebdomadaire catholique pourrait ici en témoigner)… Bien évidemment, même considérée sous son angle purement humain et organisationnel, l’Eglise ne peut être réduite à cette caricature. Mais l’actualité de ces dernières semaines nous invite à oser un regard lucide. Non pour accabler mais pour appeler au sursaut.
D’où peut venir la réforme ?
Alors, l’Eglise peut-elle être réformée, non seulement sans «trahir» sa mission mais au contraire pour mieux l’y adapter ? Sans doute ! Et sans doute cela sera-t-il l’un des enjeux du prochain pontificat et donc du prochain conclave. Et il faudrait être bien naïf pour ne pas voir, en filigrane des affaires récentes, le jeu d’influence des diverses sensibilités qui traversent légitimement le collège des cardinaux. Alors oui, d’où peut venir la réforme ? Osons ce paradoxe : de même qu’aucune réforme de l’Eglise ne lui sera imposée de l’extérieur, il est probable que les mieux à même de la mener à bien sont… les conservateurs. Parce que, plus que d’autres, ils restent attachés à l’aspect formel de ce pouvoir central et qu’ils sont suffisamment lucides sur la gravité de la situation pour faire leur cette pensée de Giuseppe Tomasidi Lampeduso dans le Guépard : «Il faut que tout change, pour que rien ne change.» Là est le secret de l’Eglise : tous les changements y sont possibles et imaginables , pour peu que l’on sache déployer à leur propos une herméneutique de la continuité.
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(1) Rappelons ici à titre d’illustration, l’éviction à la suite d’une cabale, de Mgr Rino Fisichella de la présidence de l’Académie pontificale pour la vie, pour avoir publié à la demande de la Secrétairerie d’Etat, à la une de l’Osservatore Romano du 15 mars 2009, un article où il désavouait l’excommunication prononcée par l’archevêque de Récife dans une affaire d’avortement concernant une petite brésilienne enceinte de jumeaux après un viol commis par son beau père. Les «durs» de l’Académie pontificale s’étaient étonnés qu’il ait pu dire sa compassion pour la fillette mais pas pour «les deux petites victimes innocentes de l’avortement» et avaient fait valoir que le prélat brésilien s’en était tenu à appliquer le code de droit canonique. Pour calmer le jeu Mgr Fisichella donna sa démission avant d’être promu, quelques mois plus tard, par Benoît XVI, Responsable du dicastère pour la Nouvelle Evangélisation.
J’apprécie assez ton propos à l’exception d’une allusion que je trouve dommage à « de nouveaux mouvements, rarement progressistes mais financièrement soutenus par de riches familles ». Ce serait donc la faute aux courants réactionnaires… Pourquoi réintroduire ce clivage dans le débat actuel ? Si l’on part sur cette division, faudra-t-il se demander si les actes de pédophilie ne se sont pas numériquement davantage produits à une époque plutôt marqués par le progressisme ? Et si la mauvaise gestion de ces cas date vraiment d’une montée en puissance de courants plus traditionnels ? Si, au demeurant, ce serait le progressisme du pape qui l’amènerait à être si rigoureux ?
Je peux entendre que certains, plutôt conservateurs, aient tendance à maintenir une culture du secret forte, de façon quasi-militaire, mais je ne crois pas bienvenu de régler ces comptes-là aujourd’hui, sauf à ouvrir la boîte de Pandore.
Mon cher Koz il faut appeler un chat un chat. Si nos évêques n’ont plus les moyens d’envoyer au Vatican leurs meilleurs éléments, parce qu’ils en ont besoin – ce que je puis comprendre – dans leur diocèse, il faut se résigner à ce que les services du Vatican, qui ne peuvent recruter leurs collaborateurs qu’à l’extérieur, se résignent à offrir des postes à des ecclésiastiques issus de mouvements effectivement situés et financés par de généreux donateurs. Est-il encore besoin de dessiner les contours des Légionnaires du Christ ? Penser que cette présence, renforcée, au sein des services du Vatican serait totalement neutre est, je le crains, une vue de l’esprit. Et je n’aurai pas le mauvais goût d’imaginer que l’indulgence coupable dont a été l’objet le fondateur des Légionnaires durant tant d’années soit lié à « tout ce qu’il a apporté » par ailleurs à l’Eglise. Quand à Benoit XVI chacun sait bien – et je le dis dans mon papier – que c’est à lui que l’on doit le réveil de l’Eglise sur les affaires de pédophilie.
Excellent, « comme d’hab ». Je pense effectivement que certaines tendances très portées sur une « tradition » plutôt préconciliaire (et bourrées de fric) essayent de se faire une place au soleil dans les hautes sphères de l’Église (contrairement à ce que pense Koz que j’avais apprécié à la CEF lors d’une réunion de tisserands il y a peu). Ce qui me fait dire cela c’est qu’on n’en entend jamais parler à ce niveau hiérarchique de l’Église la tendance inverse, appelée autrefois progressiste mais que j’appelle pour ma part « de bon sens ». Est-ce qu’il faut un conservateur pour faire évoluer le système ? Plutôt un Gorbatchez catho ou alors un nouveau Grégoire VII. Mais à mon sens, sans doute pas un italien trop « combinazione », du genre : « Je lui ai fais une proposition qu’il n’a pas pu refuser »…
Pas d accord, trop de mélanges
L Eglise / la curie
La gouvernance / la doctrine
« On se souvient que «la réforme de la curie», déjà d’actualité, fut soustraite volontairement par Paul VI des débats du Concile Vatican II, tout comme le célibat sacerdotal, la limitation des naissances et d’une certaine manière la collégialité. «Domaines réservés» dont le bilan, un demi siècle plus tard, est pour le moins contrasté, tant il apparaît qu’aucune de ces questions n’a été vraiment réglée sur le fond. »
Je ne vous pas Le rapport
Celibat des prêtre = reglé et Carré
Limitation des naissances = idem
@Damienta
Ben non, c’est ni réglé ni carré ! La preuve c’est que ça revient régulièrement et pour le célibat des prêtres depuis le Concile de Latran IV (de tête) : un problème qui n’existe plus on n’en parle plus, justement parce qu’il n’y a plus de polémique dessus et la solution est adoptée par tout le monde : par exemple les couleur du drapeau français, le code de la route, la date de Noël dans l’Église latine… Ce n’est pas le cas des deux « problèmes » que vous soulevez. Comme ce n’est pas le ,sujet je ne me lance pas là-dessus ce serait totalement hors sujet. Mais ils existent et l’argument d’autorité (même papal) ne suffit pas pour les résoudre.
@Damienta. Je reconnais volontiers que ces allusions au célibat sacerdotal et à la contraception ne sont que périphériques par rapport à mon propos. Je voulais simplement renforcer la démonstration qu’à vouloir interdire de débat certaines questions en les enlevant à l’autorité d’un concile, on pouvant prendre le risque de se retrouver, cinquante ans plus tard, avec les mêmes dossiers sur les bras. Et je souscris totalement au commentaire de Philippe : contrairement à votre lecture ni la question du célibat des prêtres, ni celle de l’accès des catholiques aux méthodes de contraception artificielles ne sont réglées puisqu’elle continuent de surgir, avec une belle constance, dans tous les synodes diocésains.
Nous nous rejoignons, encore, René; l’exigence est aussi grande dans ton billet que dans celui que j’ai commis sur mon blog. On ne peut faire comme si de rien était, toute la vérité doit être faite et les conséquences tirées.
Je ne vois pas de porte de sortie à court terme, et tout peu arriver : Benoît XVI n’a jamais été formé à la résolution de conflit (et forme-t-on les ecclésiastiques à ça, même les cardinaux ?) et partant de là, comme il s’est sans doute volontairement isolé, on peut se demander quelles décisions il pourra prendre et sur quelles bases ! Ça « grenouille » de trop au Vatican pour qu’une solution simple apparaisse rapidement et on voit pas bien qui la proposerait… et la mettrait en œuvre. Un des « avantages » de cette crise c’est qu’elle met à bas l’image d’un pape omniscient et omnipotent qui traînait encore dans les têtes de certains : le pape est avant tout le successeur de Pierre et ça ne lui confère pas de pouvoirs magiques, l’histoire nous l’enseignait déjà. Église catholique en a vu certes d’autres, mais on avait oublié que le catholicisme ce n’est pas que le Vatican et ses problèmes de gouvernance. Bon, moi, ce que j’en dis…
Désolé pour les fautes dans le message précédent… 🙁
Philippe, un peu de sagesse inviterait sans doute à se reposer la question de « patriarches » catholiques par continent parmi lesquels le pape qui serait à la fois patriarche pour l’Europe et présiderait à la communion entre toutes le Eglises, d’Orient comme d’Occident. Théologiquement tu le sais aussi bien que moi rien ne s’y oppose. Culturellement ce serait un tsunami. Mais comment assumer aujourd’hui la direction de plus d’un milliard de fidèles à travers le monde ? La tâche est surhumaine. Le pape a convoqué pour l’automne un synode sur la Nouvelle Evangélisation. Fort bien ! Mais quoi de commun entre les conditions de la Nouvelle évangélisation en Asie du Sud Est et sur le vieux continent européen marqué par la sécularisation ? Des synodes (conciles) régionaux ne seraient-ils pas plus pertinents et efficaces ? Cessons de penser que la centralisation du pouvoir pontifical est la condition nécessaire de la fidélité à la mission reçue du Christ !
Tout à fait d’accord avec toi, René. Le cardinal Martini ne proposait-il déjà pas cela ? Mais qui proposera cela et qui mettre en œuvre ? « That is the question »…
Oui aux reformes d’organisation, d’administration et non aux reformes théologique. Il faut continuer et persister dans la ligne théologique qu’ont tracée Jean Paul II et Benoit XVI, tout en terminant le travail qu’ils ont commencé. Avec tous les encyclique, catechismes, écrits et discours d’inspiration VII , Jean Paul II a tracé la ligne théologique que l’Eglise du 3e millénaire devra suivre , Benoit XVI l’a intériorisé et l’a purifié en s’attaquant à certains sujet difficile comme la pédophilie , la liturgie , la question d’intégristes … Le prochain pape reformera l’organisation de la curie.
Réformes théologiques ? Déjà appliquons Vatican II ! On n’est pas au bout…
La question à se poser est celle-ci : que vient faire un Etat du Vatican dans l’Eglise ?
Rien sur ce « royaume de ce monde » dans les textes du dernier concile, rien dans le Droit Canon de 1983.
Il est temps que l’Evêque de Rome réoccupe son « saint siège » en la cathédrale Saint-Jean-de-Latran et rentre dans son diocèse de Rome au lieu de vivre à l’étranger dans un reliquat des Etats pontificaux.
Le Christ a refusé de se déclarer roi et Judas l’a livré pour cela : son Maître trahissait ses espérances à lui.
Le Pape est le successeur de Pierre en tant qu’évêque de Rome et non en tant que chef d’un Etat qui aurait son siège à l’O.N.U.
Le Vatican n’a aucun sens pour l’avènement du Royaume de Dieu et nuît même à l’action évangélique de l’Eglise.
Il ne faut pas réformer mais supprimer ce royaume de ce monde qui (re)devient obstacle en se mettant en travers du Chemin qu’est le Christ.
je vous sens bien optimistes sur certains points…
en effet si Benoît XVI s’est attaqué à la pédophilie c’est qu’il était devant le mur!
il ne pouvait faire autrement
mais comment croire à une innocence devant la réintégration d’un négationniste?
dans mon domaine le début de la vie , il a depuis longtemps joué un rôle bloqueur…
par non connaissance des réalités , certes,mais aussi par peur, désir de pouvoir …
tant que Rome montrera cela au monde , comment Rome peut espérer évangéliser??
pourquoi appeler des prêtres immatures au sacerdoce?
pourquoi remettre en valeur un sacré profane?
cela peut faire plaisir aux très anciens et à une franche minoritaire et très particulière!!
mais en ce moment une fuite importante de fidèles continue…
les évêques sont sous surveillance, les synodes aussi…
quel nom la société des droits de l’homme donnerait à une telle structure?
Rome s’en moque , elle est au-dessus de tout!
aujourd’hui, heureusement , il ne suffit plus d’ordonner dans le sens de commander!
mais où est l’Annonce de la Bonne Nouvelle???
bon dimanche malgré tout dans l’espérance….
à force de crier vers le ciel ! le passage nous sera montré!
Je rebondis sur l’observation de Philippe pour qui l’absence de formation de B16 à la résolution des conflits serait en cause. Et il ajoute parlant du haut clergé en général « sont-ils formés à cela ».
La vraie vie apporte en général cette formation, quelque soit le domaine (politique, science, commerce, …) . A l’âge qu’il faut en général pour être élu à la fonction, si l’élu et les électeurs sont sans expérience pratique des conflits, c’est qu’ils ont vécu ailleurs que dans la vraie vie. Il est assez normal, dans ce conditions, d’aller droit dans le mur, et de refuser trop souvent des mises en garde qui, en l’occurrence n’ont pas manqué (exemples: général des Jésuites la famille Danoise et l’archevêque d’Utrecht, courrier d’Henri Boulad à JP2, Sant’Egidio, …).