A travers l’histoire de Coexister, Samuel Grzybowski brosse le portrait attachant d’une jeune génération fière de sa diversité.
Sans doute est-ce un effet d’âge ! Le titre du livre de Samuel Grzyboswki, co-fondateur et premier président de Coexister : Fraternité radicale (1) m’a d’abord dérouté, me paraissant droit sorti d’un vocabulaire très Troisième République, mi rad-soc mi frères-trois-points. Et pourtant, il résume à merveille le propos du livre ou tout du moins la philosophie qui le sous-tend. Chacun reste libre du choix de ses amitiés. Mais la fraternité, troisième pilier de notre devise républicaine, s’impose à nous et de manière aujourd’hui plus radicale qu’hier, comme exigence éthique et citoyenne. « J’avais un rêve, un rêve de fraternité, écrit l’auteur. Ce rêve était spirituellement transmissible, alors, à seize ans ans, nous avons créé Coexister, un mouvement de jeunesse pour aider les nouvelles générations à faire de leurs différences, surtout de religions et de convictions, un moteur de leur engagement au service des autres. »
Moins de dix ans plus tard, Coexister rassemble plus de 3 000 jeunes militants dans une cinquantaine de villes de France, appartenant à diverses traditions religieuses essentiellement monothéistes : chrétiens, juifs et musulmans, mais également convictionnelles : agnostiques ou athées. Des militants mobilisés sur une triple exigence de meilleure connaissance réciproque, d’engagement solidaire au service des autres, de sensibilisation des jeunes générations au fait que le “vivre ensemble“ est possible dès lors qu’on le désire vraiment. Un message que, bon an mal an, les Coexistants portent déjà auprès de quelque 25 000 collégiens et lycéens, à travers plus de 500 interventions.
Une année de césure… pour comprendre ce qui lui arrive
Le livre de Samuel Grzybowski aurait pu basculer dans la simple autobiographie, tant son histoire personnelle est inextricablement liée à celle du mouvement. Mais peut-on écrire, sans quelque immodestie, l’histoire de sa vie à 25 ans ? Il se trouve que son engagement, qu’il dit avoir toujours conçu comme « un don total » l’a conduit au burn-out et à la crise intérieure. Au point de devoir tout arrêter… pour un temps. Au moment d’engager l’écriture du livre il confie : « J’ai aujourd’hui 24 ans, un tour du monde, trois associations, une entreprise… J’ai rencontré de très belles personnes dont certaines sont devenues des amis. Pourtant, j’ai perdu l’essentiel. Je ne sais plus distinguer ce que je fais de ce que je suis. » D’où sa décision de prendre du recul au cours d’une année de césure à cheval sur 2016-2017.
Le livre est ainsi construit au rythme des différentes étapes de ces douze mois de « retrait » : de Paris à Taizé qui reste pour lui un lieu source ; d’Essaouira à Beyrouth, Amman et Jérusalem ; de la Sorbonne où il vit en direct l’élection d’Emmanuel Macron à la Bretagne, puis Espelette auprès de son ami le cardinal Roger Etchegaray, les Pyrénées pour une rando et retour à Paris « son village ». Chaque étape étant l’occasion, sous forme de retour sur le passé, d’évoquer telle ou telle étape fondatrices ou déterminante de sa vie personnelle, tel moment clé de l’histoire de Coexister.
Retour sur presque dix années d’engagement collectif
Etapes fondatrices : l’école arc-en-ciel de son enfance, la mise au ban des années collège, sa passion compensatrice et dévorante pour le foot et la musique, l’éducation ouverte reçue de ses parents, le pèlerinage à Auschwitz, son Jamboree scout parmi 50 000 jeunes de toutes couleurs, religions et convictions venus du monde entier… et au retour son engagement au samu social, sa découverte des lieux de culte juifs et musulmans du quartier où il habite.
Moments clés dans l’histoire de Coexister : bien évidemment l’événement fondateur qu’est ce don du sang organisé à la hâte en 2009 en réponse à l’opération « plomb durci » dans la bande de Gaza et aux menaces de divisions que ce conflit armé engendre dans la société française ; avec déjà, l’intuition de ce qui deviendra la devise de Coexister : « Diversité de convictions, unité dans l’action ». Moments clés : la rencontre de chacune, chacun, des autres co-fondateurs Chloé, Benjamin, Farah et Victor, le démarrage de l’association, le premier tour du monde de 2013 avec Ilan, Ismaël, Victor et Josselin, (Un catholique, un juif, un musulman, un athée et un agnostique…) afin de repérer les meilleurs initiatives interreligieuses et interconvictionnelles dans une quarantaine de pays. Où chacun reviendra avec, gravé au cœur, ce témoignage d’Hasan, musulman bosniaque de Sarajevo qui a vu mourir son père et son frère : « Moi, je suis musulman, je suis croyant et il n’y a pas de place dans mon cœur pour aimer Dieu et haïr les autres. »
Moments clés encore : le rapide développement de l’association, sa notoriété grandissante, ses premiers succès, sa reconnaissance par les pouvoirs publics, ses revers aussi lorsque la campagne “Nous sommes unis“ lancée au lendemain de l’attentat du Bataclan, campagne signée par quatre-vingt personnalités de sensibilités différentes, se retourne deux mois plus tard contre ses initiateurs violemment accusés de complaisance et de collusion avec l’islamisme.
Le laïcisme est le dogmatisme de la laïcité
Nous sommes là au cœur du livre et de l’intuition de Coexister. Samuel Grzybowski s’en explique longuement. « Aujourd’hui, cette injonction à laisser ses convictions religieuses ou spirituelles à la maison ou sur le portemanteau tend à créer des êtres, frustrés, inachevés, incomplets. (…) Il faut renoncer au laïcisme pour choisir et rechoisir la laïcité. La laïcité qui n’est pas une opinion, mais le cadre qui les permet toutes. La laïcité c’est la neutralité de l’État, pas la neutralisation des individus. » C’est là, non seulement la conviction des fondateurs, mais la raison profonde de l’adhésion massive et enthousiaste des jeunes militants de Coexister que l’auteur n’hésite pas à définir comme « ligne de crête entre dynamiques identitaires et syncrétisme confus. »
Il faut réentendre sa déclaration à la presse, à son retour de l’Interfaithtour de 2013 avec ses quatre amis : « Tous les pays ont été très inspirants, mais ils m’invitent aujourd’hui à rendre la France encore meilleure grâce à sa diversité. Notre laïcité est malade alors qu’elle pourrait brandir le flambeau de la liberté et montrer un véritable exemple à toute l’humanité. Nous pouvons faire de la laïcité un vrai modèle unique, alternatif, qui ne tombe pas dans le piège de sélectionner l’acceptable et l’inacceptable. Car tout est acceptable tant qu’il y a le respect de la loi, n’est-ce pas ? » Aujourd’hui, revenant sur une cabale injuste qui visait le mouvement mais l’a atteint de plein fouet au prix d’un burn out il dénonce : « Le laïcisme est le dogmatisme de la laïcité comme l’islamisme est le dogmatisme de l’islam. »
« A force d’être militant… je vous avais oubliés »
Je l’ai dit, le livre aurait pu basculer dans la simple autobiographie. De par le choix de l’auteur il restitue l’histoire d’un mouvement, d’une aventure collective faite, certes, d’amitiés et de rencontres interpersonnelles qu’il évoque abondamment, mais aussi d’engagement commun au-delà de sa seule personne. Mais parce que Coexister, c’est aussi Samuel Grzybowski, on est heureux qu’il ait su, dans son récit, se livrer simplement, sans exhibitionnisme ni fausse pudeur. On lui sait gré de n’avoir rien occulté de ses blessures : de la séparation de ses parents au départ de sa fiancée ; rien des reproches qu’a pu lui faire l’un de ses amis, Josselin, l’interrogeant un jour sur la sincérité de ses sentiments à son égard ; rien de son effondrement physique et psychologique pour n’avoir pas su maîtriser la radicalité d’un engagement qu’il avoue avoir vécu sans réel plaisir mais plutôt comme une « peine heureuse »… « A force d’être militant, je vous avais oubliés… »
Catho engagé au service du bien commun
On lui est reconnaissant, plus encore, de ne rien occulter de sa foi chrétienne, au travers du récit bouleversant de sa conversion, à l’âge de 14 ans ou de ses confidences à son ami Victor, l’athée de la première heure : « Je prie tous les matins, je lis l’Evangile tous les jours, mais je veux dire : je ne suis pas un militant ni un prosélyte. Je le vis d’abord comme un impératif pour moi-même. Mon militantisme c’est le bien commun, la justice sociale, la République, la politique, le vivre ensemble, tu vois ? »
Et puis, au-delà de la chronologie, il y a par moment le pur plaisir de la phrase qui ouvre sur la poésie, l’intériorité ou le rêve. Comme dans le récit de sa conversion : « Et quelque chose se produit, quelque chose de vaste. Un grand drap blanc m’enveloppe, je le sens partout, dans ma chair et dans mon cœur. Comme si le présent se dilatait, comme s’il était l’éternité. L’espace n’existe plus, l’intensité de cette douceur lumineuse l’a éclipsé. Je suis inondé d’infini (…) S’opère en moi une conversion, une immense confiance m’a envahi, une relation individuelle et nécessaire vient de naître, un chemin de foi large mais rassurant vient de s’ouvrir. Je ne suis plus seul. »
Nous prendrons le temps de vivre …
Ou encore cette “non-déclaration d’amour“ à la ville de Beyrouth, publiée au terme de son séjour d’année de césure sur le site du quotidien francophone l’Orient le Jour : « Orientale, méditerranéenne, occidentale, maritime, montagneuse, large ou étroite, anisée, amandée, poivrée, épicée, bronzée, ensoleillée, illuminée, enjaillée, piquante, troublante, édifiante, bouleversante, émouvante, enivrante : elle est un peu tout ça à la fois et ma foi mon foie n’a pas tenu son rythme tant elle sait boire à la santé de ceux qu’elle aime. Avec ou sans alcool, c’est tout comme. Beyrouth, je t’aime ! »
Peut-être ce travail d’écriture a-t-il permis à Samuel Grzybowski de faire le point sur son existence d’homme jeune de 25 ans dont on se dit, par moment, qu’il a déjà vécu cent vies. « Si je me suis arrêté pour recommencer, tout comme avant, pour être totalement le même et refaire tout pareil, que l’orage me foudroie debout ou que la pluie me noie dans la nuit. » On le sent converti à l’urgence de prendre le temps de la rencontre et de l’échange gratuits, le temps de l’amitié dont son ami Josselin lui rappelait « qu’elle ne sert à rien », ce qui la rend plus précieuse que tout. Mais déjà, nous dit-il, toutes résolutions prises, le revoilà, dans d’autres fonctions moins chronophage il est vrai, à Coexister, engagé dans d’autres combats qui, après une décennie tournée vers la paix, pourrait être une décennie investie sur la justice car il ne peut y avoir de paix durable sans justice. Qui a dit que la jeunesse de France manquait d’ardeur ?
-
Samuel Grzybowski, Fraternité radicale, Ed. Les arènes, 256 p., 18€, en librairie le 17 octobre.
La présentation que vous faites de ce livre donne envie d’en savoir plus. C’est réjouissant. J’aimerai demander ce que pense et dit l’auteur du Synode pour et avec les jeunes à Rome . Merci. A bientôt
Difficile de répondre à sa place. Mais je crois le connaître suffisamment pour imaginer que, sans aucun mépris, ce synode n’est pas vraiment son problème. Il a vécu une expérience assez douloureuse lors des JMJ de Madrid auxquelles il a participé, accompagné de quelques amis de Coexister appartenant à d’autres religions. Il a le souvenir d’avoir été mal accueilli… et en a conclu qu’il y avait sans doute plus et mieux à faire en dehors des structures ecclésiales qu’au sein de l’Eglise elle-même.
merci pour cette réponse. Ceci est aussi à noter. Il faut se laisser interroger par de telles informations.
Samuel GRZYBOWSKI, fils de Laurent Grzybowski :
« Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées,
La valeur n’attend pas le nombre des années. »
« Jamais ne manquent les témoins
De cette joie au long des siècles,
Et quand l’Église se souvient
À l’horizon, d’autres se lèvent. »
Merci René pour la recension de ce livre.
Merci René pour ce partage de l’enthousiasme d’un jeune qui trace un sentier difficile: mettre à mal les « tours de Babel » et les « murs » que certaines élites inoculent avec persévérance -et succès!- en ce premier quart de ce siècle. Et cela, si j’ai bien compris, avec au cœur une blessure du genre dont on ne se remet jamais totalement et qui peut nourrir cette volonté d’être au monde dont il témoigne.
Merci à René pour la recension de ce livre . A travers l’itinéraire personnel et spécifique de son auteur il dessine les contours de ce que peut être aujourd’hui l’engagement des chrétiens : ni identitaire , ni dilué dans un humanisme syncrétique J’y vois un exemple de ce que Joseph Moingt définit comme ce que pourraient être les communautés d’Eglise pour les temps qui sont les nôtres . Enfin une brèche dans le vieux champ clos des clivages traditionnels qui nous servent encore trop souvent de référence .