Le manifeste des poissons roses marque le retour d’une pensée politique des chrétiens de gauche, avec un horizon qui dépasse largement 2017.
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Cet article est également publié sur le blogue A la table des chrétiens de gauche et sur Causeur.fr que je remercie.
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Le cadavre des chrétiens de gauche bougerait donc encore. Ce frémissement, réjouissant en soi, prend la forme d’un petit volume stimulant, publié par les Poissons Roses et fort justement titré A contre-courant. (1) Les auteurs se définissent eux-mêmes en ces termes «Ni parti politique classique, ni think tank ou laboratoire d’idées, les Poissons Roses tentent depuis 2010 d’être un mouvement de personnes engagées sur tout le territoire, pour faire bouger les lignes politiques, au cœur d’une gauche française sans boussole.» (2)
Et si la gauche est «sans boussole», voire même «épuisée», c’est au sein d’une «démocratie représentative qui ne représente plus rien». Et d’une classe politique qui, dans son ensemble, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, a perdu le souci voire même le sens du Bien commun, se contentant de répondre, dans la précipitation, aux revendications les plus disparates nées de l’illusoire prétention de l’individu contemporain à s’émanciper de toute contrainte.
Plaidoyer pour une écologie intégrale
«La modernité occidentale, analysent les Poissons Roses, se fracasse désormais sur quatre impasses : l’hyper individualisme, le dérèglement climatique, la domination des technosciences et la toute puissance de l’économie financiarisée.» (3) Leur combat vise donc à faire prévaloir la personne sur l’individu, dans la fidélité à la pensée de Mounier, Ellul, Lévinas et Ricœur. Ils plaident de même pour cette «écologie intégrale» chère au pape François. Ce qui les conduit à formuler sept propositions phares dans la perspective de la présidentielle de 2017 : l’instauration d’un revenu de libre activité versé à tous, la réhabilitation de la famille durable, la revitalisation démocratique, la construction d’une Europe fédérale, le développement d’écoles innovantes et la réorientation de notre économie vers une croissance – ou non-croissance – compatible avec des finalités écologiques et impliquant un changement de nos modes de consommation.
Dépasser et corriger la loi Taubira… sans la renier
Au sein de la gauche, les Poissons Roses s’épuisent à plaider leur attachement à «l’Etat laïc comme garant d’une société plurielle» et à rappeler qu’au travers de leurs prises de position ils parlent «bien de politique, pas de religion, contrairement à ce que voudraient faire croire certains de (leurs) adversaires » Allusion directe à la loi Taubira qui n’a jamais été leur tasse de thé. Ils écrivent à ce propos, avec quelque euphémisme : «Il nous semble contre productif de prétendre aujourd’hui revenir sur l’intégralité du texte de la loi, notamment en ce qui concerne l’union pour les personnes de même sexe.» (4) Formule prudente pour signifier que l’on pourrait revenir au moins sur une partie de la loi : celle qui ouvre à la filiation. C’est très exactement la position qu’avec d’autres «chrétiens de gauche» je défends depuis l’automne 2012 : oui à une conjugalité homosexuelle mais qui respecte le droit des enfants à une double filiation père et mère. Mais attention : danger ! Cette critique implicite de la loi Taubira équivaut à contester à une gauche bien mal en point, le bénéfice de sa réforme emblématique du quinquennat.
Les premiers jalons d’une future recomposition politique
Avec ce manifeste, les Poissons Roses tentent avec un courage qu’il convient de saluer, de maintenir et d’actualiser, au sein du PS, la présence d’une «deuxième gauche» d’origine chrétienne qui depuis toujours insupporte parmi les socialistes les tenants, majoritaires, d’une laïcité pure et dure. (5) Et c’est bien là la limite de l’exercice que constitue la rédaction de cette «plateforme politique». Il est probable qu’elle séduira davantage, à l’extérieur du parti, un électorat progressiste de tradition chrétienne que les militants du PS proprement dits. Un électorat progressiste chrétien qui, pour une part, a fait l’élection de François Hollande – notamment dans l’Ouest – et dont, au lendemain du vote de la loi Taubira, le démographe Hervé le Bras, pronostiquait le «reflux» comme conséquence de ce qu’il appelait «une erreur électorale énorme».
Il est donc peu probable que la plateforme politique des Poissons Roses ait une quelconque influence, dans la perspective de la présidentielle de 2017, au sein d’un PS moribond tenté de se radicaliser sur ce qu’il pense être son ADN fédérateur : une laïcité de combat. Les auteurs du «manifeste» ne s’y trompent pas qui écrivent : «Nous n’avons pas la prétention de “gagner les prochaines élections“. Aussi, par programme politique, nous entendons tenir une parole différente, plus profonde.» (6) Notamment une parole sur «l’écologie intégrale» qui, pour être désormais centrale au combat politique, n’est ni de gauche ni de droite et augure sans doute d’une «évolution de notre paysage politique, voire d’une recomposition qui pourrait advenir plus rapidement qu’on peut le penser.» (7)
Une famille de pensée incapable de rassembler
Réflexion sans doute commune à d’autres groupes cités dans le texte des Poissons Roses comme Esprit Civique, Nouvelle Donne, le Pacte civique, les Semaines sociales de France ou le Mouvement convivialiste, tous situés à gauche ou au centre gauche, mais également Sens Commun, émanation des Veilleurs et de la Manif pour tous, aujourd’hui encartés au sein des Républicains… Et ce n’est sans doute pas un hasard si le texte évoque à plusieurs reprises la notion de «limites», même si c’est sans référence explicite à la «Revue d’écologie intégrale» du même nom, lancée par de jeunes intellectuels militants, majoritairement de droite, mais engagés dans une démarche volontairement trans-courants politiques.
Tout cela ne fait pas – encore – un mouvement cohérent. Les Poissons roses en sont bien conscients qui écrivent : «Ces mouvements, souvent construits autour de fortes personnalités, peinent en France à structurer le chemin d’un travail collectif (…) chacun étant prêt à fédérer les autres autour de soi plutôt que de se fondre dans une construction plus large.» (8) Mais le simple fait d’oser publiquement cette analyse et ce projet politique sera reçu par beaucoup comme le signe avant-coureur de la possible renaissance d’une pensée chrétienne en rupture avec le libéralo-libertarisme aujourd’hui triomphant.
Ceux qui se reconnaissent dans cette tentative – et j’en suis – se réjouiront pareillement de la rencontre récente, à Rome, avec le pape François, d’une délégation des Poissons Roses et d’Esprit Civique, à laquelle s’étaient joints d’autres responsables de mouvements (les SSF) ou de journaux (Ouest-France, la Vie) se revendiquant du christianisme social.
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- Les Poissons roses, A contre-courant, Ed. du Cerf, 144 p, 10 €
- p.49
- p.32
- p.80
- On sait la méfiance qui a toujours été celle de François Mitterrand vis-à-vis du protestant Michel Rocard comme du catholique Jacques Delors.
- p.18
- p.47
- p.45-46
Sur le fond politique, tout cela est très intéressant et pourrait recentrer les débats sur ce que les élus ne devraient jamais oublier: l’humain comme finalité sans créer de divisions et avant les questions économiques ou partisanes.
Historiquement, la gauche est anti chrétienne. Elle se veut un système de pensée concurrentiel sur le terrain des plus fragiles de la société et vouloir y travailler de l’intérieur en tant que chrétien me semble paradoxal, tellement le gene anticlérical y est enraciné.
Même si la société et la gauche ont évolué, on ne se débarrasse pas de son ADN originel.
Les différents combats menés pour les progrès sociaux avaient un certain sens à diverses époques. Aujourd’hui, on ne peut resservir les mêmes recettes qu’au 19 ème siècle. Il faut réinventer la politique, la recontextualiser historiquement, faire un bilan objectif et proposer du neuf sans spécialement afficher une identité chrétienne qui ne représente plus grand chose aux yeux des citoyens. Le faire au sein d’un parti lourd d’un héritage non résolu ne peut que conduire à l’isolement au sein du groupe et aucune visibilité médiatique.
Cela dit, je leur souhaite bonne chance
Dans l’Histoire, toute la gauche n’a jamais été anti-chrétienne, même si ce courant issu de la Révolution française est très fort : dès le XIXe siècle il y a eu des patrons chrétiens (à l’époque on était souvent très paternaliste…).
Ceci dit, je pense qu’effectivement on assiste à un éveil de ceux dont Jean-Louis Schlegel disait qu’ils étaient « à la gauche du Christ » (il va falloir qu’il rajoute un ou deux chapitres).
Pour ma part j’encourage ce mouvement !
Pour avoir assisté à cette rencontre entre le pape François et des membres des Poissons roses et d’Esprit civique, je peux témoigner de l’intérêt de cette démarche.
J’ai été frappé par la qualité et le niveau de réflexion qui émanent de ces mouvements. Ce courant, ce « frémissement » comme l’écrit René, témoigne de la diversité du christianisme.
C’est, effectivement, « réjouissant » et « stimulant ».
A suivre donc…
Il me semble que ces « Poissons Roses » n’ont en fait qu’assez peu de rapports avec le « rose » du PS. J’aurais pour ma part tendance à les considérer simplement chrétiens.
Je suis d’accord avec vous Dominique!
Je comprends le principe évangélique de « sel de la terre et lumière du monde » qui se cache derrière et c’est noble en soi. Je m’interroge tout de même sur l’impact et l’influence auprès des socialistes purs et durs, qui, ne nous voilons pas la face, détestent l’idée même du christianisme sous des aspects d’ouverture cachant à peine leur mépris. Je suis peut être radical ou manque d’imagination mais je conçois cela comme célébrer une messe dans un temple satanique en exagérant un peu…
Les poissons roses m’inspirent d’autant que leur marqueur politique se situe hors de la classification désuète droite gauche mais dans une nouvelle fédération politique, hors marxistes et nationalistes, s’inspirant de la pensée sociale et de l’éthique chrétiennes en rupture avec le matérialisme et l’esprit libertaire triomphants. Les oppositions politiques actuelles sont elles entre droite et gauche ? ou entre le pragmatisme et l‘idéologie, entre le conservatisme et le progressisme qui se battent à front renversé, entre des valeurs sociétales libertaires et celles du décalogue,entre les souverainistes et les européens des nations ou fédéraux… ? Il semblerait que les poissons roses aient trouvé partie de leur inspiration dans la déclaration des évêques de la Comece « Une déclaration européenne de solidarité et de responsabilité » synthèse germano-européenne de la pensée sociale de l’Eglise ?
Cette récente rencontre des poissons roses avec le pape François, bien plus longue que prévue, est un fort encouragement à poursuivre sur cette voie semée d’embûches.
C’est toujours réducteur de parler de chrétiens de gauche. Car les chrétiens sont UN et disposent un livre référent La Bible dans laquelle se trouve un message biblique universel sur les conduites pour la Vie.
L’Eglise a fait connaître sa pensée sociale, Notre Bien Commun qui éclaire et envisage la responsabilité humaine.
La Gauche a fait la démonstration violente de son rejet du Christianisme et des politiques leur haine du Christianisme. Il suffit déjà dans le gouvernement actuel de prendre pour exemple l’attitude de Vincent Peillon et de Christiane Taubira.
Que le peuple chrétien réfléchisse à son devenir et au contexte politique semble une très bonne chose. Les propositions avancées dans ce billet sont d’ailleurs frappées de bon sens et de sens commun. Mais comment renverser des comportements, des attitudes malveillantes d’hommes et de femmes politiques. Comment mettre sur la touche de tels personnages, cela est la question ? Car ils ne servent pas la pensée chrétienne et ne mettent pas en actes ce message biblique alors qu’ils sont prêts à s’adosser sur des électeurs quitte à les trahir le lendemain. Et pourquoi les citoyens ne lisent pas à livre ouvert dans le discours de ces personnages malveillants ? Les mots et les actions sont suffisamment édifiantes pour savoir les mettre sur la touche !
Je persiste à dire qu’il n’est pas malvenu de parler de chrétiens et même de catholiques de gauche. Certes l’Église a fait paraître sa pensée sociale mais celle-ci n’est pas tombée du ciel, Jésus n’a jamais parlé de Comité d’entreprise, de convention collective ou de Sécurité sociale. Elle s’est formée petit à petit suite à la réflexion d’hommes et de femmes qui ont réfléchi à la lueur de l’Évangile sans y trouver des recettes. Ce n’est pas le but de l’Evangile. En tout cas, ce ne sont pas les personnes les plus conservatrices qui ont posé cette réflexion !
Il y a effectivement une gauche laïcarde qui se croit encore au temps d’Emile Combe, mais il y en a une autre, je pense à des gens comme Jacques Delors par exemple ou ces Poissons roses, les gens des Semaines Sociales, une partie de la CFDT, etc
Et il n’est pas immoral, ni non-chrétien, de ne pas se reconnaître dans les outrances verbales d’une droite qui se dit souvent catho mais n’agit souvent pas comme telle.
Jésus a été peu aimable pour les pouvoirs en place. Ses rares colères ont été dirigées vers le Clergé, l’élitisme saducéen, les marchands. Il fut proche des pharisiens, ces modérés qui dérivèrent vers la pureté intégrale après la chute du temple. Cette erreur temporelle des évangiles est un indice sérieux du temps ou ils furent pensés, et dans le même ordre d’idée la mise au 2d plan du mot Messie, au profit du grec Christ -qui renvoie phonétiquement à croix dans toutes les langues latines (si je ne me trompe)- est un curieux glissement! Jésus obéissant à sa conscience a été mis à mort pour cela, il a obéit a César sans se rebeller, contrairement à Pierre, il a « aidé » les clercs à contraindre César par son obstination d’homme debout à ne pas se dire fils de Dieu plus qu’un autre. Jésus invite chacun à vivre la condition de sa naissance, esclave, riche, païen, samaritain, … en être libre grandissant en soi, obéissant à César sans lui appartenir. C’est ce que disent les paradoxes fous des sermons sur la montagne et dans la plaine. Jésus a été le germe de la liberté de conscience qu’aucun pouvoir temporel n’a pu accepter avant l’époque des Lumières. Les pouvoirs cléricaux sont aussi empêtrés dans le temporels aujourd’hui qu’au temps de Jésus ou avant et dans quelque culture qu’on se situe. Obéir à une loi qui n’impose rien à personne, comme celle sur le mariage, va de soi à la lumière des évangiles, et plus encore avec ce qu’on on sait sur la genèse de la sexuation et du genre? Cette loi laisse chacun libre d’agir dans l’arène publique comme le font entre autre ces poissons roses.