Nous savons au moins une chose : les élections qui se profilent ne résoudront aucun des vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés.
A la veille d’échéances électorales décisives pour le pays, il n’est pas inconvenant pour un catholique, d’aller chercher un éclairage du côté de la pensée de son Eglise. Parmi ses principes, la doctrine sociale catholique liste : le bien commun, la dignité de la personne humaine, la destination universelle des biens, la justice, la solidarité, la charité, la subsidiarité et l’option préférentielle pour les plus pauvres. On retrouve bien là ce qui structure les «éléments de réflexion» du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France publiés dans la perspective de la présidentielle et des législatives de 2017. (1) Ce document volontairement contextualisé, met l’accent sur le défi que les violences représentent pour nos démocraties, sur l’urgence à définir un vrai projet de société de portée européenne, répondant au défi de l’écologie.
Mais face aux choix électoraux qui se présentent, c’est sans doute l’encyclique du pape François Laudato si’ qu’il faut avoir à l’esprit dans sa radicalité prophétique. Un texte salué par les uns comme «Le document le plus important du magistère catholique depuis le Concile Vatican II» (2) par d’autres comme «L’acte 1 d’un appel pour une nouvelle civilisation» (3). Que dit le pape François ? Que notre «maison commune» est sous la menace, hélas bien réelle, d’une catastrophe écologique mondiale qui frappera d’abord et plus lourdement les plus pauvres, provoquant des vagues migratoires sans précédent, lourdes de menaces pour la paix. Qu’il y a urgence à penser un nouveau type de développement accessible à tous, rompant avec la croissance consumériste libérale qui épuise la planète. Que ce défi est tout à la fois environnemental, social, éthique et culturel. Que la réponse se situe au niveau d’une «écologie humaine intégrale».
Renoncer à la facilité du juste milieu.
Pour être à la hauteur de l’enjeu nous dit encore le pape François il ne suffira pas de saupoudrer nos politiques de quelques «considérations écologiques superficielles» car : «Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement.» Et comme il est peu probable que les responsables politiques aient spontanément le courage de telles remises en cause, il appartient aux opinions publiques et à la société civile de les y contraindre, au nom du bien commun.
Voilà donc bien le débat qui devrait nous occuper et qui, de toute évidence n’aura pas lieu. Le citoyen, en moi, se rebelle contre l’autisme politique de Marine le Pen nourrissant le rêve suicidaire d’une France isolée qui, à l’intérieur de ses frontières et d’une identité figée, tiendrait tête aux superpuissances. Il se révolte au projet de François Fillon de mettre en œuvre une rigueur qui, chez nos voisins, n’a fait reculer le chômage qu’en transformant des millions de demandeurs d’emploi en travailleurs pauvres. Il frémit à la proposition de Benoît Hamon, d’un revenu universel de résignation «sociale» à la mort du travail dans une vision ultralibérale de l’économie. Il s’insurge contre les rodomontades d’un Jean-Luc Mélenchon soucieux de se cantonner à un statut d’opposant. Il s’interroge sur la séduction opérée par Emmanuel Macron, pour un programme finalement très libéral-libertaire «chic», aux antipodes des exigences définies par Laudato si’ pour surmonter la crise qui menace. (5)
«Nous sommes fatigués de systèmes qui produisent des pauvres pour qu’ensuite l’Eglise les prenne en charge.»
Comprenons-nous bien, je ne rêve pas d’un candidat qui porterait les couleurs de la doctrine sociale de l’Eglise. Je considère simplement que si Laudato si’ dit vrai, la présidentielle de 2017, telle qu’elle se dessine, ne résoudra aucun des problèmes cruciaux auxquels nous sommes confrontés. Même si, à la faveur d’une grande peur doublée d’une dynamique inimaginable il y a seulement quelques mois, le leader d’En marche devait l’emporter. Sans doute au soulagement de beaucoup !
Quant nous interrogerons-nous vraiment sur cette extravagance qui voit les pauvres voter massivement pour l’extrême droite tandis que les plus aisés portent leur suffrage sur des partis ou candidats qui, fussent-ils de gauche, semblent se résigner au diktat de la finance mondialisée et au désordre économique et social ? Il faut entendre le pape François : «La tradition de l’Eglise reconnaît l’oppression du pauvre et la fraude sur le salaire des ouvriers comme deux péchés qui crient vengeance auprès de Dieu et nous sommes fatigués de systèmes qui produisent des pauvres pour qu’ensuite l’Eglise les prenne en charge.» (6) Ce qui vaut pour les pays du Sud comme pour notre propre quart monde.
Pour une démocratie post-électorale
Sans doute les membres du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France avaient-ils en tête le fond de décor prévisible du psychodrame actuel, en publiant à l’automne 2016 un document appelant à «retrouver le sens du politique», document salué, étonnamment, aussi bien par le Monde que par Libération titrant l’une de ses chroniques : «Messieurs les évêques, la République vous remercie.» Dans leur texte, lucide et courageux, les évêques analysent : «La crise de la politique est d’abord une crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général.» avant d’inviter à engager «un travail de refondation » pour lequel ils proposent des pistes de réflexion. (8)
On retrouve la même inquiétude, chez l’historien Pierre Rosanvallon lorsqu’il déclare dans un entretien au Monde de ce 3 mars 2017 : «Il ne faut jamais oublier que la majorité électorale ne représente pas toute la société.» D’où le «besoin essentiel de définir aujourd’hui les termes d’une démocratie post-électorale qui superpose aux élections d’autres instances citoyennes.» (…) Or, observe-t-il encore : «Redéfinir la démocratie, l’Europe et le contrat social est une tâche immense qu’aucun candidat ne porte au sein d’une vision globale.»
C’est assez dire l’urgence, au lendemain des scrutins de ce printemps et quels qu’en soient les résultats, d’un ressaisissement collectif qui soit, humblement, à la hauteur des enjeux. Les citoyens de ce pays, engagés sur tous les fronts de la vie économique, sociale, associative, municipale… sont en droit d’attendre tant de la classe politique que des médias, l’analyse lucide de leurs aveuglements et de leurs manquements au service du Bien commun. Comme ils ont l’obligation morale de se mobiliser autour de la définition d’un vrai projet pour notre société, et de lui trouver une traduction au niveau politique.
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- Ce texte de juin 2016 est publié en annexe du document du Conseil permanent de la Cef : Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique. Bayard-Cerf-Mame, 2016, 100 p.
- Gaël Giraud dans «François le pape vert», Ed. du Temps Présent, 2015 p. 61
- Edgar Morin, sociologue et philosophe, La Croix 26 juin 2015.
- Laudato si’ n°194
- J’assume le côté réducteur et caricatural de cette présentation qui ne contredit pas l’écart abyssal entre ces différents programmes et Laudato si’.
- Interview à Trenta Giorni cité par Jean-Louis de la Vayssière, De Benoît à François, une révolution tranquille, Ed. Le Passeur, 2013, p.236
- Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique. Bayard-Cerf-Mame, 2016, 100 p.
- ibid. p. 19
© René Poujol
Comment ne pas émettre un avis favorable à votre billet, si consensuel… !
Mais ensuite ?
Quelles propositions concrètes formulez-vous ?
Car la question est bien là ! : Quels moyens ? Quelles actions ?
Vous dites : « il appartient aux opinions publiques et à la société civile de les y contraindre, au nom du bien commun. »
Contraindre comment ? Par le bulletin de vote ? Mais aucun des candidats ne vous semble crédible. Force est de constater l’actualisation du slogan de 1968 : « élections, piège à cons ! »
Contraindre par l’insurrection ? : On connaît parfaitement les pièges de cette méthode.
Alors quoi ?
Si « l’homme de bonne volonté » peut souscrire globalement aux propos des évêques; il reste que ce ne sont eux pas qui mettront cela en œuvre sauf à revenir à une religion d’État et un gouvernement des évêques… et encore…
La véritable question est celle qui est soulignée avec justesse : la perte de confiance du citoyen dans ses dirigeants, quels qu’ils soient… sauf hélas… Marine Le Pen !
Nous sommes donc dans une situation particulièrement difficile. Car la confiance, pour la regagner, cela se compte en dizaines d’années… dans le meilleur des cas…
Alors le principe du « chacun pour soi » a encore de beaux jours devant lui.
À moins que vous n’ayez des propositions concrètes à formuler…
je lui lirai volontiers…
Pour ma part, et faute de mieux, seul Emmanuel Macron actuellement tient un discours de rassemblement, et c’est ce qui semble peu à peu se faire… Ne nous plaignons pas trop… !
Faute de grives, on mange des merles…
Vous mettez le mot « libéral » à toutes les sauces, même les plus amères. En réalité le libéralisme a pour objectif de conserver à chacun sa liberté individuelle, et donc sa responsabilité personnelle. Chacun à sa place : le citoyen agit, l’Etat édicte les règles et les contrôle… Et le pape montre la direction.
A cette aune, les programmes de Hamon ou autres Le Pen ou même Fillon, sont très loin du libéralisme.
Macron s’en approche un peu plus. Il propose tout de même un grand espoir : essayer de se libérer de cette classe de vieux politiques qui devraient s’en tenir au rôle réservé aux anciens : le conseil et la réflexion.
Je partage totalement votre questionnement. Mais comme vous j’assiste totalement désabusé à l’absence de débat et de propositions audacieuses pour un meilleur vivre ensemble. A qui la faute ? Les partis, un suffrage universel qui n’est plus pertinent, au cumul des mandats dans le temps et dans l’espace ? Sans doute un peu de tout cela et sans doute la séduction d’un Macron relève-t-elle notamment du côté hors moule, en dehors des parcours convenus de la plupart des autres candidats.
De ce que j’ai lu ses propositions sur la laïcité et les religions me semblent assez pertinente même si il ne semble pas avoir une très bonne maîtrise du sujet.
René, vous proposez la boussole laudato si’ en précisant qu’aucun candidat n’y correspond.
La difficulté est que la boussole de 192 pages est illisible par des gens normaux, même ayant bénéficié dune formation longue et après une vie humaine d’engagement chrétien dans la vie professionnelle, associative et familiale, du niveau local à l’international. D’expérience -d’autres existent- vivre pleinement son temps éveille mieux à la spiritualité que des écrits et des dogmes anciens pensés par une élite et formulés dans des formes qui peuvent d’autant moins parler à notre temps qu’ils relèvent, sauf exceptions, de la pensée unique d’alors … celle de ceux qui détenaient les pouvoirs et enseignaient du prêt à croire. Le respect des temps révolues suppose de connaître ces époques et de les comprendre, sans pour autant s’en considérer otage.
Concrètement nous sommes nombreux à être soucieux de l’état de notre pays et de l’UE dans un monde qui s’émiette et se tend … alors que les dépenses militaires montent dans le monde! Nous lisons des « encycliques profanes » écrites hier et aujourd’hui par des personnes souvent sécularisées mais qui n’en sont pas moins profondément religieuses. Ces encycliques s’adressent à des chrétiens, qui ne se cachent ni ne s’exposent, et pour lesquels « Il faut apprendre à douter avant d’apprendre à croire »! A titre d’exemple, quelques unes de « mes » encycliques: Jean de Kervadoué « ils ont perdu la raison », Serge Galam « les scientifiques ont perdu le nord », … G. Giraud et C. Renouard » le facteur 12″, écrits de journaliste et conférencier de G. Bernanos, Bertha von Sutner « A bas les armes » (Nobel de la paix 1905), Romain Rolland « Au-dessus de la mêlée » (Nobel de littérature 1915 contre les officiels des empires français et germaniques). Chacun choisit la boussole qu’il fonde sur ses encycliques. La mienne est que sauver la planète passe par remettre l’idéal humaniste européen sorti de la crise 1914/45 au centre, … Merci à nos parents d’avoir fait du bon boulot … et de nous en avoir laissé! A notre tour de préserver la paix pour un monde socialement viable qui a encore besoin, un peu, des Lumières chrétiennes du XVIIIème siècle (pour Bernanos notre révolution a été chrétienne) et de n’avoir pas la prétention de tout régler! Il y faut des valeurs spirituelles à l’instar de celle d’un Jean Mohamed Ben Abdeljlil qui au siècle dernier consacra sa vie de prêtre franciscain à faire comprendre l’islam aux chrétiens.
Un candidat répond à peu près à cette nécessité pour la génération née au XXIème siècle, car avant de sauver la planète d’un probable péril climatique, la société doit réapprendre à vivre sa diversité en évitant des « révolutions », à préserver le respect et la confiance que beaucoup s’ingénient à détruire. E. Macron s’engage, s’il est élu, sur un contrat * dont l’essentiel est qu’il présidera en faisant en sorte d’apaiser au lieu de tendre. La réalisation du projet* qu’il propose (12 chantiers) sera confié au gouvernement qui, en lien avec l’assemblée nationale sera chargé de veiller au débat apaisé avec la société civile. Ce programme suppose un mandat spirituellement positif -pas un vote contre le FN!-, il est indispensable aussi pour renouer, entre pays de l’UE, un dialogue constructif sur des bases pas strictement libérales.
* https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme
Je suis surpris de votre appréciation, Jean-Pierre, concernant Laudato si’. Je me demande si vous avez vraiment essayé de lire ce document. S’il est une encyclique qui échappe au langage ecclésiastique traditionnel, c’est bien celle-ci. Son langage est plus proche de celui de Cécile Renouard et Gaël Giraud (que vous appréciez) que de celui des papes précédents et des documents du Vatican.
J’apprécie chez G. Giraud et C. Renouard la prise en compte de la morale dans la manière d’aborder le vivre ensemble matériel régit forcément par l’argent, véhicule incontournable des échanges. Ils le font de manière simple sans fleurs rhétoriques contrairement au style encyclique alourdit de pieuses références et de sirop moral imbuvable.
Une vie d’ingénieur consacrée aux déchets, à l’énergie et à l’évolution urbaine donc à l’évolution du climat (niveaux local, national, européen, international parfois, tiers monde compris) m’a obligé, en conscience à prendre du recul sur les postures imposées -aux politiques, aux diplomates et autres technocrates comme aux cadres des grandes entreprises- par la science dévoyée qu’est l’écologie dogmatique, reprise en boucle par les médias de la planète et dont les lobbies savent très bien se servir quand ils ne sont pas à la source de ces dévoiements.
A parcourir Laudati si’, j’ai trouvé un catalogue de poncifs écologiques, des exemples pris sur le vif et une défiance envers le dur -science, technique, matière- qui est de la même veine que l’incapacité à regarder la sécularisation comme une chance pour le message de Jésus. Conservatrice par conception, l’institution se défie des évolutions de toute nature. Comment ne se sentirait-elle pas proche des dogmes de l’écologie?
La sobriété est centrale, oui si elle est choisie. Or elle est imposée à 99.9% de la population. Cette sobriété est alors une servitude de plus, source de convoitises et de jalousies! Et qui s’efforce de l’imposer, la caste sociale des trop possédants, celle des grands gaspilleurs, à plusieurs milliers de fois le revenus de survie (voir le facteur 12). C’est ce fait là qui menace la paix du monde (avec l’eau … et la démographie croissante) bien plus que l’évolution du climat et le caractère limité des ressources de la nature sur terre. Or de cette société duale il n’est guère question de manière directe, incontournable; ce sujet central n’est pas absent, il est caché, occulté, en filigrane! Quant au style, il y a trop de sirop propre aux clercs (partie Joie et Paix, …, et de figures imposées qui alourdissent le propos.
On lira les écrits d’aujourd’hui sur l’alarmisme climatique comme on peut relire « Nous allons à la famine » de René Dumont et B. Rosier (Seuil 1966). Si leur prédiction ne s’est pas réalisée, alors que l’explosion démographique a dépassé les prévisions d’alors, c’est parce qu’ils n’avaient pas pris en compte la conservation de la production agricole qu’ont permis les plastiques, le transport international et la chaine du froid.
Je suis toujours frappé par vos articles dans lesquels l’idéologie s’y répand. On conçoit bien qu’il faille avoir des idéaux pour donner du sens à nos vie. Cependant, il est nécessaire de raccorder cet idéal au concret. En regard des propositions des candidats, on observe bien de grandes différences de point de vue qui mènent sur des chemins variés. L’un une société encadrée, l’autre une société permissive, encore un autre un repli sur soi, et enfin un candidat qui souhaite redonner un cadre économique pour garantir le social.
Ce sont ceux qui font les sourds qui ne veulent pas entendre…
Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que veut dire à propos de mes papiers « l’idéologie se répand ». Si ne pas faire de l’idéologie c’est voter pour « un candidat qui souhaite redonner un cadre économique pour garantir le social » je pourrais vous dire qu’ils en sont tous là, même si – ne soyons pas naïfs – vous entendez me « vendre » Françoi Fillon. Qui ne représente jamais qu’une forme d’idéologie parmi d’autres.
J’avais compris que vous aviez des regrets à propos d’une campagne qui n’apporte rien de neuf. Alors que je constate que chacun des candidats propose une réponse qui donne un type de société différent.
Les médias véhiculent l’absence de confrontation d’idées alors que tous les programmes sont connus. La vraie question, c’est : qu’ont fait les médias des informations disponibles alors qu’ils sont les caisses de résonnance!
Le café du commerce qu’il entretiennent est indigne de leur mission d’élévation du débat. Mais je les soupçonne de paresse et surtout de répondre à des besoins financiers de leurs éditions. Donc, ils font tous du « Gala »!