Poissons roses : sortir du bocal 

Poissons roses : sortir du bocal 

L’heure est-elle, pour les chrétiens qui ont le cœur à gauche, à «cicatriser les vieilles blessures» où à s’interroger radicalement sur ce qui, demain, pourra fonder leur action ? 

Ce billet a été repris sur le site Aleteia et sur celui des Chrétiens de gauche, que je remercie. 

Le site internet de la Vie, publiait ce mardi 17 janvier une tribune intitulée «La gauche que nous aimons», signée de plusieurs personnalités (1). A quelques jours du premier tour de la “primaire citoyenne » du 22 janvier, ce texte entend réaffirmer un certain nombre de valeurs et de convictions qui marquent l’engagement de bien des chrétiens, à gauche ou au centre gauche. J’ai contribué à son élaboration mais ne le signerai pas.

J’adhère sans réserve à l’idée que la gauche s’est égarée à privilégier les réformes sociétales au détriment d’un projet de transformation sociale bénéfique au plus grand nombre ; j’adhère à la nécessaire définition d’une croissance écologique plus sobre en rupture avec l’individualisme consumériste ; j’adhère à l’urgence de passer de l’utopie du plein emploi à un projet de pleine activité ; j’adhère à l’acte de foi en une Europe nouvelle qui reste notre seul avenir dans la mondialisation ; j’adhère à la dénonciation d’un laïcisme qui renforce les communautarismes dont il prétend nous protéger.

Pour autant, je ne puis valider, dans sa forme, le premier paragraphe de cette tribune : «La gauche vit dans la crise la fin d’un long cycle qui a pris naissance dans les espérances des Lumières et le mythe fondateur de la Révolution. Un cycle marqué par le ralliement de citoyens chrétiens, très investis dans l’action sociale, constituant ainsi un héritage original, parfois source de conflits. Sans doute est-ce le moment de cicatriser les vieilles blessures pour refonder l’avenir ?»

Il y a là une euphémisation du divorce entre la gauche et ces «citoyens chrétiens» qui l’ont rejointe qui n’aide pas à la clarification nécessaire. Le refus d’accepter la présence d’un candidat des Poissons Roses, Régis Passérieux (2), à la primaire socialiste, illustre une forme de mépris sans appel pour un humanisme chrétien dont la faute impardonnable est de contester la double orientation libérale-libertaire du socialisme Français contemporain.

Une seconde raison de ne pas signer ce texte est que je le crois inutile aussi bien avant la primaire, que pendant la campagne pour la présidentielle, ou après le scrutin, quelle qu’en soit l’issue. A quoi peut bien servir un message que personne n’entendra parce que momentanément l’enjeu semble être ailleurs, de l’ordre de l’élimination plus que du choix ? Et que les idées qu’il expose, déjà développées dans un ouvrage en 2016, n’ont guère fait bouger les lignes. (3) Vox clamans in desertum politicum ?

Je sais gré aux Poissons Roses comme à Esprit Civique d’avoir tenté d’incarner, au sein du PS, une autre ligne politique, orientée sur les droits de la personne et le service du Bien commun. Mais je constate leur échec. Face à cette évidence, parler aujourd’hui de «cicatriser les vieilles blessures» me semble tout simplement sans objet. L’urgence n’est pas aux fausses réconciliations au sein d’une gauche atomisée et sans repères, mais à un approfondissement exigeant de nos propres convictions, dans la perspective d’une recomposition du paysage politique inévitable et nécessaire.

Nombre de nos concitoyens qui ont le cœur à gauche et l’âme sociale, aujourd’hui en déshérence politique, sont en attente de cette réflexion, de ce réveil. Je sais que sur ce chantier, nous nous retrouverons.

 

PS. Le titre de ce billet, en forme de clin d’œil, est forcément polysémique donc d’interprétation totalement libre.

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  1. Parmi les premiers signataires : Philippe de Roux fondateur des Poissons roses, Jo Spiegel maire de Kingersheim démissionnaire du PS, Samuel Grzybowski fondateur de Cœxister, Jérôme Vignon, ancien Président des Semaines sociales de France, Bruno Jauffret initiateur du magazine La Boussole.
  2.  Il publie aux éditions de Paris un livre manifeste : Une France à reconstruire.
  3. Les Poissons roses, A contre-courant, Ed. du Cerf, 144 p, 10 €
illustration © tiloligo/depositphoto

 

24 comments

    • L’expression est peut-être un peu rapide. Elle rejoint en tout cas l’idée qu’il y aura sans doute de moins en moins de travail salarié du fait de la robotisation, du numérique etc. mais que les besoins restent considérables (travaux d’entreiens, assistance à la personne par exemple…) et donc qu’il existe sans doute un champ insuffisamment exploré, sans doute proche de ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire, où des personnes pourraient trouver une forme d’utilité sociale (et donc de reconnaissance) à travers une « activité » dont, de fait, les modalités de rémunération restent à imaginer. L’idée de revenu universel est dans l’air… Il a un côté séduisant mais il pose bien des questions. Je crois que nous sommes là dans l’intuition d’une recherche à creuser plus que de solutions à mettre en œuvre. Pour faire bref !

      • Oui, la question du sentiment d’utilité sociale est importante. Une des orientation pourrait consister à tempérer la densification humaine des villes au profit d’une urbanisation équilibrée qui rapproche les mode de vie « ruraux » et « urbains ». L’espace ne manque pas et s’étaler ouvre plus aux relations apaisées que s’empiler. Rendre accessible à tous la responsabilité d’un bout de jardin, rendre accessible à tous une bibliothèque, une école de musique, … La « gauche » a été médiocre sur l’urbanité.

  • Le problème n’est hélas même plus de savoir comment trouver un nouveau « cycle de ralliement de citoyens chrétiens, très investis dans l’action sociale, à une gauche qui a foi en l’homme, capable de se battre pour le Bien commun » (pour reprendre les termes de l’appel cité) ; il est juste de limiter l’hémorragie des chrétiens vers le « mauvais génie » identitaire que dénonce Erwan Le Morhedec. Une hémorragie à laquelle a largement contribué la présidence Hollande, en terminant par le refus d’un candidat des Poissons Roses à la primaire socialiste, après avoir commencé par la réaction à la Manif pour tous, comme l’analyse le même Le Morhedec dans sa récente interview à Marianne : « Une digue s’est rompue au moment de la Manif pour tous, à la fois en raison de l’intervention délibérée de groupes identitaires qui s’y sont invités, mais aussi du traitement politico-médiatique assez lamentable, qui a consisté à mettre tous les manifestants dans le même sac. A ce moment-là, des catholiques qui se sont sentis diabolisés ont commencé à regarder d’une autre manière une extrême droite elle aussi diabolisée. »

    • L’un ne me semble pas exclusif de l’autre. Reconstruire un projet politique « à gauche » autre que libéral-libertaire, est également une manière de donner un autre horizon que l’impasse identitariste. Erwan le Morhedec le reconnaît d’ailleurs lui même d’une certaine manière dans le même entretien lorsqu’il déclare : «Leur grande perte de visibilité (aux cathos de gauche) ne fait que renforcer cette démarche identitaire, sur le thème : « Ils ont disparu, c’est bien la preuve que nous avions raison ! »

      J’aurais simplement aimé qu’il s’arrête également sur la responsabilité propre, dans cette radicalisation, de la direction de LMPT et de ses mots d’ordres postérieurs à l’adoption de la loi : «On ne lâchera rien». L’éviction de Frigide Barjot du mouvement (même si je sais qu’E le M en fait une analyse différente) et le durcissement du positionnement de LMPT ne sont pas étrangers à ce glissement que nous constatons et condamnons aujourd’hui.

      Sur cette «période» que j’ai personnellement vécue en «témoin engagé» voici mon propre témoignage.

      https://www.renepoujol.fr/conferences/leglise-et-les-medias-entre-fascination-et-reprobation/entretients/ma-manif-a-moi-25-un-petit-tour-et-puis-sen-va/

  • En tant que catholique pratiquante et me situant politiquement, à gauche, j’ai rejoint Les Poissons roses, mais en j’en suis sortie rapidement. Leur démarche ne correspondait pas à ce que j’attendais d’un mouvement catholique de gauche. Pour moi, il était important justement de rendre visisbles les catholiques engagés à gauche et qui n’adhéraient pas forcément aux thèses de la LMPT et non de se rallier à ceux-ci. Dire:  » que les Poissons Roses ont tenté d’incarner, au sein du PS, une autre ligne politique, orientée sur les droits de la personne et le service du Bien commun » ne signifie pas grand-chose. Tout parti politique dira qu’il travaille pour les droits et le Bien de tous. Tout dépend de ce que l’on entend par droits et Bien. Cela ne m’étonne pas que les Poissons Roses aient échoué.
    Ceci dit, il me semble pourtant que le temps soit à la réconciliation…

  • Les chrétiens de gauche relèvent de la définition des petits bourgeois par Bourdieu : « des prolétaires qui se font petits pour être admis comme bourgeois ». Eux se sont faits tout petits comme chrétiens, avalant toutes les couleuvres, pour être admis , ô suprême bonheur, comme enfin « de gauche » , sans mesurer une seconde le ridicule marché de dupes auquel il participait dans leur orgueilleuse naïveté, donneuse de leçons « urbi et orbi » .

    J’ai souvenir d’un débat sur RCF « Face aux chrétiens » où paradait M.Moscovici alors chargé par Mme Aubry d’essayer de rénover un peu ce qui reste de pensée socialiste, après l’effondrement du marxisme. Ce dernier avoua sans problèmes, qu’il n’avait pas lu la très belle encyclique récente de Benoit XVI « Caritas in veritate », et qu’il en ignorait même quasiment l’existence…. Et c’est pourtant d’un autre niveau, profondeur, que ce qui reste de pensée au P.S. un jour de primaire citoyenne !

    Sur la base de la pensée d’E.Mounier et quelques autres avant lui , dans le prolongement des luttes idéologiques du XIX° et XX° siècle, des chrétiens ont eu le légitime souci d’arracher l’Eglise à des tentations réactionnaires, devenues sectaires et mortelles. Mais en France, ils sont vite devenus dominant « en Eglise », parfaitement sectaires, et nouveaux pharisiens n’ayant que le dialogue à la bouche, mais rejetant dans l’infâmie tous les réacs, tradis, intégristes, c’est à dire tous ceux qui osent, aujourd’hui encore, ne pas avoir leurs opinions !

    Ce fut mortel pour l’Eglise de France, et les étincelles d’un fragile renouveau sont nées ailleurs que dans leurs chapelles, fussent elles épiscopales ! Combien d’évêques et clercs ont voté pour Hollande, complices de son gauchisme sociétal, qui n’ a fait que décomposer un peu plus le lien social ? Et les mêmes de nous adresser leur dissertation de sociologie 2° année, pour repenser le politique , tout en s’imaginant qu’ils sont chrétiens et « de gauche » parce qu’ils poursuivent leur petite guéguerre contre le Front National….

    Le mal est trop profond …il est plus que temps de sortir du bocal, de partir faire retraite et silence en quelque monastère où souffle l’Esprit, et enfin d’aborder le XXI° siècle en catholique cohérent, dans la ligne des grands Papes qui ne craignent pas de marcher pour la Vie, avec autant d’ardeur que d’ouvrir nos portes aux réfugiés , sans se soucier de ce que pensent Libé, Le Monde, la Vie ou Télérama !

    • C’est une lecture… Et vous avez le droit de la formuler, même si je pense qu’elle est en partie injuste. Ajouterai-je simplement que marcher pour la vie c’est aussi faire en sorte que cette vie soit possible dans la dignité, non seulement en ses prémisses et à son terme, mais aussi durant toute une existence. Cela passe par la reconnaissance effective de droits comme nous l’enseigne la pensée sociale de l’Eglise. Railler des chrétiens qui ont tout simplement essayé – peut-être en se trompant – de la mettre en œuvre me semble bien peu charitable !

  • Je suis bien d’accord avec vous que le combat pour la Vie commence avec l’accueil et le respect du don merveilleux de la Vie, se poursuit par le travail , l’effort, le combat s’il le faut d’une Vie dans la dignité, et s’achève dans l’acceptation d’une mort que nous n’avons pas à décider et provoquer, mais à accueillir comme passage et grand mystère dans l’espérance. Nous sommes très au delà d’un humanisme laïc pour lequel j’ai grand respect lorsque je le rencontre chez des agnostiques ou athées, mais de Lubac parle fort justement du drame de l’humanisme athée. Et l’un de mes grands reproches à beaucoup de « chrétiens de gauche » est justement d’avoir réduit la Bonne Nouvelle à un humanisme de justice, pour être admis comme « de gauche », dans une fausse fraternité de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas, comme si c’était sans importance ….. pourvu qu’on lutte !

    • J’hésite à vous répondre devinant que notre échange pourrait être aussi long qu’une partie de tennis. Relisez mon billet sur l’abbé Pierre en ce dixième anniversaire de sa dispairiton et vous verrez un homme qui articulait parfaitement Matthieu 25 qui ouvre les portes du paradis à celui qui a vétu l’homme nu, nourri l’affamé, visité le prisonnier, accueilli l’étranger… sans autre considération de convictions ou pratiques religieuses, et l’hymne à l’amour de Saint-Paul : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. » Justice et amour de charité ne sont pas incompatibles.

      Vous soulevez une vraie question mais qui ne peut se solder par une lecture idéologique. Oui, il m’est arrivé dans ma vie de me trouver plus « fraternel » vis-à-vis d’hommes et de femmes qui ne partageaient pas ma foi mais dont l’engagement humain au service des autres était total et me bouleversait, qu’avec quelques belles âmes dévotes qui ne s’intéressaient qu’à leur petite personne. Alors oui, cela fait un choc lorsqu’on en prend conscience. On aurait tellement voulu qu’il en soit différemment. De grâce, pas de faux procès, pas de ces simplismes qui excluent et empêchent tout dialogue. Si tous les hommes sont fils de Dieu alors oui ceux qui ne partagent pas notre foi sont aussi nos frères d’une autre manière mais tout autant que nos frères baptisés.

      Evitons si vous le voulez bien de nous envoyer sempiternellement au visage « le sel de la terre » versus « la lumière du monde ». C’est sans issue ! Si chacun acceptait de vivre le charisme qui est le sien avant que de s’empailler avec son voisin sur ses prétendues lâchetés et trahisons, l’annonce de l’Evangile s’en porterait mieux.

      • Bien sûr que tous les hommes sont nos frères athées ou non, mais quand bien même nous arriverions à faire une société « parfaite » au plan social ce n’est pas pour autant que le message du CHRIST SERA

  • Qu’une vraie et profonde fraternité puisse exister et existe entre croyants chrétiens et autres croyants non chrétiens, y compris athées, me semble évident et pour moi comme pour vous, une très riche expérience vécue….mais à quelles conditions parler de VRAIE fraternité ? Le problème ici est toujours celui de la vérité et du mensonge : hors la vérité, il n’y a ni fraternité, ni liberté, ni charité….et il ne s’agit pas de remplacer des chrétiens de gauche par des chrétiens de droite, mais de travailler à la vérité d’une vraie présence des catholiques à la réalité politique, économique, et sociale, dans un Monde dont le Prince est justement le mensonge , n’en déplaise aux chrétiens qui dans leur orgueilleuse naïveté se sont donné comme projet de « se reconcilier » avec le Monde.!

  • La fraternité ? où puis-je la trouver, où puis-je la vivre ? une expérience douloureuse lors de la soirée organisée à l’occasion de la semaine pour l’unité des chrétiens me laisse un gout amer, il s’agissait pourtant de lire ensemble 2 Co 5.
    D’autre part, quelle est l’actualité de la Doctrine Sociale de l’Eglise ? il me semble que nombre de prélats français sont bien discrets sur ce texte du Magistère.

    • Sur la doctrine sociale de l’Eglise je vous trouve bien sévère. Prenez le texte du Conseil permanent de la Cef : Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique (Bayard-Cerf-Mame) qui contient en annexe sa lettre du 20 juin 2016 « 2017 année électorale, quelques éléments de réflexion », et vous verrez que le tout est pétri de la doctrine sociale de l’Eglise. Encore faut-il lire ces textes.

      • Je vous semble dure, certes je ne prenais pas en compte le texte auquel vous faites référence, je l’ai lu et pour cet oubli je plaide coupable, c’est effectivement une prise de position avec laquelle je suis en plein accord. Je me référais plutôt à la grande discrétion des actes (actions et actes en paroles) des évêques lorsqu’il s’agit de défendre l’emploi ou d’accueillir les réfugiés en comparaison avec leur implication visible sur d’autres sujets dont je ne méconnais pas l’importance.
        Bon dimanche.

  • Bravo mon cher René pour ce papier courageux. Je suis particulièrement d’accord avec la phrase suivante: « L’urgence n’est pas aux fausses réconciliations au sein d’une gauche atomisée et sans repères, mais à un approfondissement exigeant de nos propres convictions, dans la perspective d’une recomposition du paysage politique inévitable et nécessaire. » Le dernier livre de Michéa peut permettre à beaucoup de nos compatriotes de redécouvrir le socialisme authentique.

    • Cher Thibaud je suis particulièrement sensible à ce commmentaire, sachant qu’il nous est arrivé de nous affronter – toujours courtoisement – sur quelques sujets essentiels. Je pense que Michéa, en effet, est aujourd’hui devenu une passerelle entre des sensibilités différentes, au sein de notre Eglise comme de la société Française.

  • La tribune que Philippe de Roux, co-fondateur des Poissons Roses publie dans Famille Chrétienne, m’apparaît comme une réponse – heureuse – à mon article.

    Extraits :

    « Au-delà des chiffres, l’échec de la primaire de la gauche est d’abord l’échec d’une réconciliation. Une réconciliation rendue impossible par l’aveuglement d’une direction du Parti socialiste qui a rejeté le chaînon devenu manquant que représentait un projet personnaliste.

    Aujourd’hui, le problème est bien sûr d’une autre ampleur que le seul destin de l’appareil. Dans les effondrements en cours, tout le monde peut être entraîné. Il faut donc poser des fondements pour reconstruire, discerner collectivement un cap et surtout manifester une grande cohérence de vie. Courir d’une personnalité à l’autre ne résoudra rien. »

    http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/politique/jeune-republique-un-nouveau-courant-a-gauche

  • Qu’en pensent les poissons roses et les de gauche dits « chrétiens » ?

    Réponse de Jean Luc Melenchon à la question de l’avortement. (interview de Famille chrétienne)

    « C’est une faillite de la société de ne pas aider les jeunes gens à éviter des grossesses non désirées. Mais nos points de vue divergent : vous considérez que le fœtus est une personne, je considère qu’il ne devient une personne que lorsque l’enfant est désiré. »

    Je crois cette réponse importante, car on touche ici au coeur du problème, et l’on va plus loin que les habituelles sottises sur la femme propriétaire de son corps, alors qu’il s’agit du corps d’un autre et non d’une vague tumeur à extirper.
    D’où la question à JL Melenchon, « faut-il être désiré…pour devenir une personne ? » Question qui va loin et qui porte de redoutables conséquences. D’une part si l’on est en droit de tuer le foetus non désire….pourquoi s’arrêter à la 10° ou 12° semaine ? Et si l’on généralise ce principe… ce sont tous les « indésirés-indésirables » que l’on serait alors en droit de tuer.. Les juifs indésirés-indésirables pour les nazis et c’est Auschwitz, les opposants à la révolution et ce sont les 100 millions de morts du communisme ?
    Certes, la réponse est claire pour un catholique, car même non désiré ou difficilement accepté par ses parents, ce foetus, c’est à dire cet enfant aux premiers stades de son développement est désire par Dieu, le seul et unique dont nous avons l’absolue certitude dans la foi, d’être désiré.. Je dis « catholique » parce que malheureusement , cela est loin d’être compris et accepté par les chrétiens dans leur « unité », et que si la position des Papes est très claire, combien d’ évêques français refusent de Marcher pour la Vie, au gré de divers prétextes incohérents et inacceptables, comme si le foetus n’était pas lui aussi un réfugié !

    Pour un athée, la réponse est inévitablement plus délicate, l’avortement est un fait…mais pour en faire un droit, il faut plus qu’un vote « démocratique », il y faut une argumentation morale, rationnelle et raisonnable. C’est toute la distance entre légalité et légitimité. C’est l’incontournable problème des morales athées. Et l’on mesure ici les contradictions dans lesquelles s’empêtre JL Melenchon. En se donnant le droit de décider « qui est un être humain ? » une société sans transcendance ouvre la boite de Pandore qui nous conduit inévitablement aux pires violences. On touche ici au fondement même du projet « moderne » , c’est Auguste dans Cinna de Corneille : « Je suis maître de moi comme de l’Univers…je le suis…je veux l’être « , en quoi cette question reste cruciale.
    Qu’est ce qu’une fraternité sans Père, où seul je décide de « qui est mon frère… » ?

    • Je ne peux répondre ici qu’à titre personnel. Laissant aux Poissons roses et aux Chrétiens de gauche, dans leur diversité, la liberté de leur propre argumentation. Je partage l’essentiel de votre argumentation, à une réserve près. Il y a à mes yeux, autant de « subjectivité » dans la croyance chrétienne que tout embryon est déjà une personne, que dans l’affirmation de Jean-Luc Mélechon que c’est le projet parental qui détermine cette humanité. Je dis subjectivité concernant les chrétiens, au regard des sociétés sécularisées dans les quelles nous vivons. Car, comme je le développe dans un article précédent de ce blogue sur l’avortement – https://www.renepoujol.fr/avortement-non-a-lobscurantisme/
      si la singularité biologique de l’embryon est « opposable » à tous, comme évidence biologique, la « personnalité » de l’embryon, elle, reste en débat. De cette impossibilité philosophique à trancher je tire, pour ma part, deux conséquences : la première est la légitilmité pour une société laïque à légiférer pour encadrer avec sagesse et prudence la pratique de l’avortement (comme le faisait la loi Veil), la seconde est l’impossibilité d’inscrire dans la loi que l’avortement puisse être un droit objectif.

      • Merci de votre réponse. Mais lorsqu’une femme découvre qu’elle est enceinte, elle n’a pas besoin d’être docteur en médecine, en philosophie ou en théologie progressiste, pour dire très simplement et avec une infinie sagesse : « j’attends un bébé », elle ne dit pas : j’ai un tas de cellules, et j’attends de clarifier notre projet parental, pour leurs reconnaître un peu d’humanté ». On touche ici la question cruciale de la reconnaissance d’autrui, d’un alter ego, qui précède la connaissance d’autrui.Réponse subjective certes….dans l’évangile, c’est la parabole du bon samaritain., après qu’ait été posée à Cain la question cruciale : « qu’as tu fait de ton frère ? » Et on touche ici aux limites d’une société laïque, car la laïcité ne peut pas répondre à cette question, et c’est pourquoi on ne peut pas FONDER une société sur la laïcité, tout en l’estimant absolument nécessaire pour, si elle est bien comprise, assurer le vivre ensemble d’une société pluraliste.

        La loi Veil mesure cette impossibilité d’une réponse laïque, et , sous la pression des forces de progrès auto-proclamées, et d’un Giscard fasciné par la modernité culturelle, renvoie la décision à la conscience de chacun et chacune. Mais ce faisant…. elle refuse de défendre les droits de l’embryon à la vie, ne serrait ce qu’au titre d’un principe de précaution ! Et depuis, sous la pression du laïcisme et matérialisme athée, la religion laïque, on a beaucoup évolué, avec la complicité passive de nombreux chrétiens « de gauche » et bureaucratie de l’Eglise , les pharisiens d’aujourd’hui ! Et pour faire un peu savant, ramener la reconnaissance de l’humanité de l’ autre au « désir », au projet parental, c’est comme l’a si bien vu Hegel ouvrir la dialectique du Maître et de l’esclave, qui est la lutte à mort…..

  • suite…. il faut bien comprendre que, qu’il s’agisse d’un embryon de quelques millimètres, dune femme pour un homme, d’un Indien pour les Espagnols de jafis…aucune science ,aucun savoir ne pourra jamais démontrer et prouver que c’est mon semblable. Certes, un regard, un visage et surtout le langage peuvent nous y aider, mais l’on saiit aussi qu’ils sont de peu de poids face à la violence des pulsions. La reconnaissance d’autrui, pour le croyant comme pour l’athée est toujours un acte de foi, au fondement même de toute morale : : pour le croyant, ce tas de cellules est habité par une âme que par défintion personne n’a jamais vue et ne verra jamais, sinon ce serait un corps ! lisez François CHENG, c’est une personne, même s’il ne parle pas encore, ou ne parle plus. La loi Veil et plus encore ce que vient d’en faire ce triste quinquennat, nous enfonce dans une société du mensonge qui fait des JO pour les handicapés et tue l’embryon gênant. Marcher pour la Vie, ce n’est pas condamner les femmes qui avortent, c’est leur dire la Vérité qui seule libère . Après….que celui qui n’a jamais péché….

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