A cinq ans d’intervalle je découvre un climat d’espérance là où j’avais perçu angoisse et pessimisme.
Il y a cinq ans, à quelques mois près, je publiais sur ce blogue un long billet titré «Retour de Rome». J’y rendais compte d’un bref séjour de 72 heures dans la Ville Eternelle, qui m’avait permis de prendre la température romaine, à la faveur de quelques rencontres et de visites dans tel ou tel dicastère. Je garde le souvenir d’un climat plombé par les affaires et d’une ambiance de fin de règne qui allait se conclure, un an plus tard, par la démission du pape Benoît XVI. J’écrivais : «En ce mois d’avril 2012, le Vatican ressemble à ce «Palais-de-Dieu au bois dormant» dont parlait Joseph Delteil dans son Jésus II.» Derrière cet attentisme j’avais surtout été frappé par le pessimisme ambiant, la référence constante et angoissée à la sécularisation perçue ici comme annonciatrice d’apostasie généralisée dans les pays de vieille chrétienté.
Début septembre, je suis retourné à Rome dans des conditions proches de celles de 2012. (1) Même pèlerinage sur les tombes de Pierre et Paul, mêmes étapes à Sainte-Marie du Trastevere mon église de cœur et à Saint-Louis des Français pour revoir les Caravage… Mêmes rencontres avec des résidents, bien au fait des réalités vaticanes, mêmes visites de courtoisie, toujours passionnantes, dans quelques dicastères romains. Sauf qu’aujourd’hui, si c’est toujours la pensée du pape qui imprégne les propos de nos hôtes, cette pensée s’est faite confiance en l’avenir. Nos interlocuteurs, responsables de «l’administration centrale» de l’Eglise universelle, paraissent avoir intégré cette réflexion du pape François, dans son livre d’entretiens avec Dominique Wolton, sorti la semaine même et que j’ai fait suivre dans mes bagages : «La réalité se comprend mieux depuis les périphéries que depuis le centre.» Et cela change bien des choses.
Evangéliser n’est pas seulement annoncer mais témoigner.
Via della Conciliazione où il nous reçoit, Mgr Rino Fisichella, responsable de la «Nouvelle évangélisation» chère à Jean-Paul II et Benoît XVI, relativise d’emblée le concept de «nouvelle» lui préférant celui de dynamique renouvelée. Une évolution manifeste depuis l’automne 2013 où je l’avais entendu lors des journées Essentiel’ Mans, à quelques semaines de la publication de l’exhortation apostolique du nouveau pape François Evangelii Gaudium. L’urgence n’est plus uniquement à raviver la foi des baptisés mais à annoncer et «partager à tous la joie de l’Evangile» comme y invite précisément le diocèse de Créteil. (2) D’ailleurs, nous livre-t-il en confidence, il n’est pas exclu qu’à la faveur de la réforme de la curie, le dicastère change d’appellation.
«L’évangélisation, rappelle-t-il, c’est la vie même de l’Eglise. C’est être à côté de nos contemporains, regarder chacun dans les yeux, comprendre la vie des personnes… Ce n’est pas seulement annoncer mais témoigner, à travers notre style de vie, comment nous vivons l’Evangile. En n’oubliant pas que la miséricorde est l’essence même de l’Evangile.» Ce qui soulève, à ses yeux, le défi de la formation des croyants et celui de l’inculturation – comme l’Eglise l’a toujours fait depuis deux millénaires – dans l’ère du numérique.
Ensemble, prier… n’est pas prier ensemble
Le même immeuble abrite, parmi d’autres ministères du Saint-Siège, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux que préside le cardinal français Jean-Louis Tauran. En cette fin d’été, il est encore dans son Bordelais natal et c’est son bras droit, Mgr Miguel Ayuso qui nous reçoit. «Dialoguer nous pose en ami de voyage de chaque être humain, sur le chemin vers la vérité. L’idée n’est pas de se mettre autour d’une table pour «négocier» une vérité théologique commune.» D’ailleurs, illustre-t-il, lors de rassemblements comme celui d’Assise, «il est faux de dire qu’on prie ensemble. La vérité c’est qu’ensemble on prie». Ce qui est très différent. J’entends, en résonnance, cette phrase du pape François dans ses entretiens avec Dominique Wolton : «La synthèse n’est pas vraiment vitale. La tension, elle, est vitale.»
Notre hôte poursuit : «Le cardinal Tauran aime insister sur le fait qu’au-delà de nos diversités, nous sommes tous des citoyens et des croyants. Nous partageons une même responsabilité au service de la communauté humaine, de la cohésion sociale, du bien commun. Mais chacun ne peut dialoguer avec l’autre qu’à partir de son identité réelle.» Ce qui, ici encore, suppose de permettre à tout baptisé de se réapproprier les fondamentaux de sa foi. (3)
Associer l’ensemble des laïcs à la Mission
A quelques pas de Santa Maria in Trastevere, un immeuble d’allure mussolinienne abrite d’autres services de la Curie. C’est là que nous accueille le cardinal Kevin Farrell, en charge d’un tout nouveau dicastère qui rassemble des services jadis séparés : Les laïcs, la famille, la vie. «Laïcs et famille n’avaient pas de liens entre eux, reconnait-il, or les laïcs vivent majoritairement leur foi dans le mariage et la famille, lieu de vie, née de la relation homme-femme.» Sur les laïcs, le ton a changé, à l’unisson de l’enseignement du pape François : «Les laïcs sont, en nombre, la composante la plus importante de l’Eglise, même si, ajoute-t-il en riant, les Evêques et les prêtres pensent parfois que l‘Eglise leur appartient. La théologie nous dit que les laïcs, de par leur baptême, sont co-responsables de la vie de l’Eglise. C’est pourquoi le pape François a souhaité restituer l’importance de leur mission en créant ce nouveau dicastère qui ne s’adresse pas majoritairement, comme par le passé, aux mouvements et associations de laïcs, mais aux laïcs de la base, à tous les baptisés.» (4)
S’agissant du dicastère qui a la famille en charge, difficile de ne pas évoquer la «réception» de l’exhortation apostolique post-synodale La joie de l’amour. «L’accueil est généralement enthousiaste, commente le cardinal. Fruit de l’expérience et du partage des deux synodes, il n’est pas un document théologique, théorique, mais pratique, pastoral.» Et de regretter la focalisation des journalistes sur le chapitre huit (5) et la question de l’accès aux sacrements des divorcés remariés. Occasion, pour le représentant de la profession que je suis de souligner, avec la courtoisie requise en un tel lieu, que ce ne sont tout de même pas les journalistes qui ont rédigé les «Dubias» qui nourrissent désormais l’hostilité de certains à l’enseignement du pape François, mais bien quatre cardinaux frondeurs. Chacun convenant néanmoins, avec le cardinal Farrel, que le buzz fait autour de la question tient plus à l’audience de quelques sites internet ouvertement hostiles au pape François qu’à la réalité de ce qui se vit réellement dans les communautés.
Servir Dieu… ou l’argent
Trois rencontres… trois regards convergents, en harmonie avec la douceur automnale qui baigne la capitale italienne et la petite Cité du Vatican. A l’heure du repas partagé, Mgr Santier confirme le réchauffement climatique : «Autrefois, lorsque nous venions pour les visites ad limina, nous avions le sentiment d’être là pour rendre des comptes. Aujourd’hui on nous fait comprendre que les services du Vatican sont là pour nous aider dans notre tâche pastorale.» Certes, à entendre tel ou tel, prêtre ou laïc, qui travaille au Vatican, les choses ne sont pas si simples. Si la moindre des choses est que les collaborateurs immédiats du pape qui nous ont reçu, sachent relayer fidèlement sa pensée et les orientations de son pontificat, autant de changements ne vont pas, dans les services de la Curie, sans résistance.
Restait, avant de regagner Paris, à partager la messe dominicale avec la communauté française de Saint-Louis des Français, à deux pas du Panthéon et de la Piazza Navona. Mais aussi à revisiter le triptyque du Caravage consacré à la vie de Saint-Matthieu qui attire là des centaines de milliers de visiteurs du monde entier. (6) Mgr François Bousquet, recteur des lieux, nous en fait un commentaire érudit et gourmand. Le cardinal Bergoglio nous dit-il aimait particulièrement venir se recueillir devant La vocation de Saint-Matthieu. Devenu le pape François, il s’en souvient. Dans ses entretiens avec Dominique Wolton il explique que sa propre vocation est née… le jour de la Saint-Matthieu. Mais on peut imaginer que cet appel de Jésus, le doigt tendu à la manière de l’Adam de la Sixtine, appelant Matthieu à abandonner là ses pièces d’or et à le suivre, va pour lui bien au-delà d’un simple goût artistique.
A l’heure de franchir (avec quatre heures de retard) la passerelle qui conduit à l’avion du retour, je repense au message de l’ami qui, il y a cinq ans, m’avait salué à mon dépat, dans les mêmes circonstances : «Et surtout reste catholique». La nouvelle météo vaticane a désormais – pour moi – rendu cette injonction sans objet.
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En 2012 c’était dans le cadre d’une visite à Rome de quelques responsables de la Fédération Française de la Presse Catholique ; en 2017 au sein d’une délégation du diocèse de Créteil conduite par son évêque Mgr Michel Santier, venue présenter dans différents dicastères, les conclusions du synode diocésain.
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Le diocèse de Créteil a tenu en 2014-2016 un synode dont le thème était, précisément, «Avec Lui, prendre soin les uns des autres et partager à tous la joie de l’Evangile.»
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Le premier cahier synodal du diocèse de Créteil, soumis à la délibération des délégués, explicitait au deuxième point de l’orientation 2 sur le dialogue avec les croyants d’autres religions : «Parce qu’on ne peut dialoguer, comprendre et recevoir l’autre dans sa différence, qu’à la condition d’être soi-même assuré de ses propres convictions, la sensibilisation au dialogue interreligieux, notamment pour les jeunes générations, ira toujours de pair avec une appropriation des fondamentaux de la foi catholique.» p.15
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Comment ne pas entendre, en écho, la lettre du pape François au cardinal Ouellet (Salvator 2016) : «Plusieurs fois, nous avons été tentés de penser que le laïc engagé est celui qui travaille dans les œuvres de l’Eglise et/ou dans les activités de la paroisse ou du diocèse et, peu souvent, nous avons réfléchi à comment accompagner un baptisé dans sa vie de tous les jours ; comment, lui, dans son travail quotidien, avec ses responsabilités, il s’engage en tant que chrétien dans la vie publique. Sans le savoir, nous avons oublié et négligé le fait que le croyant consume souvent son espérance dans la lutte quotidienne pour vivre sa foi.» p.21
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C’est le chapitre consacré à la gestion pastorale des questions délicates : homosexuels, divorcés remariés…
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Le Caravage avait remporté le marché de la décoration de la chapelle dédiée au saint patron du cardinal Français Matthieu Cointrel (en italien Cantarelli) qui, à sa mort, avait laissé quelques milliers d’écus, par testament, à cette fin.
Photo © Béatrice Brie
Alléluia pour ce bulletin météo si favorable !
Une belle visite, de bonnes rencontres, Merci de nous en partager l’ambiance, et un merci spécial pour cette citation de la lettre du Pape François au Cl Ouellet qui s’appliquerait bien au delà de l’Amérique Latine, en particulier la partie sur la « pastorale populaire ».
Merci pour ce beau partage et cette espérance d’Eglise. Prions pour que les différents responsables s’ouvrent à cette dimension écclésiale……..car le travail est immense.
Un témoignage qui ravive l’Espérance. Puisse François tenir encore quelques années pour que ce qu’il initie puisse s’enraciner et perdurer…
Je partage volontiers le commentaire et la prière!
Il paraît que «la France a peur le syndrome du grand méchant monde », nous révèle un vidéo-clip sur You Tube…Il est vrai que nous ne sommes jamais contents. Je suis content de lire qu’il existe une « embellie » météorologique vaticane. Mais il se peut qu’il y ait des rechutes. Je partage, bien sûr le post de Mr Jean-Pierre Gosset sur la lettre au Cardinal Ouellet, mais la lecture de l’interview du pape François nous promet de futures longues « disputatio », ou effet de manche.
Par exemple sur le problème du diaconat pour les femmes: » …ça, c’est un ministère, on peut y réfléchir, mais à moi il me plait davantage que la fonction et le rôle de la femme dans la société évoluée…le machisme, c’est une brutalité et une chose négative. Le « machisme en jupe », c’est la même chose… » (Politique et Société p 137). Ce que j’ai entendu des échanges sur ce sujet jusqu’à présent, relève très souvent plus de réactions viscérales que de réflexions raisonnées. Je leur préfère le témoignage de ce pasteure, en activité, mariée à un catholique pratiquant et participant à une réunion œcuménique enceinte de plus de 6 mois.
Cela me semble assez éloigné de querelles byzantines