L’annulation de l’intervention de Fabienne Brugère lors d’une session nationale de la pastorale familiale cache rien moins, que la remise en cause, par certains milieux, de l’ouverture du Conseil famille et société de la Conférence des évêques de France.
(Article repris, dès ce samedi, par les sites Aleteia et rue89, que je remercie et mis en lien sur celui de Confrontations.)
Difficile de ne pas réagir à la décision prise, à regret, par Mgr Jean-Luc Brunin, Président du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France, d’annuler la venue, le 19 mars, devant les délégués diocésains à la pastorale familiale réunis en session annuelle, de la philosophe Fabienne Brugère. Spécialiste du «care», elle devait intervenir sur le thème «la dimension sociale du soin de l’autre», dans une journée ayant précisément pour thème : «Le soin de l’autre».
Une supplique à Mgr Pontier
Sauf que l’universitaire bordelaise est également connue pour l’estime qu’elle porte aux travaux de la philosophe américaine Judith Butler, pionnière des études sur le genre, et pour son soutien à la législation française sur l’avortement et le mariage pour tous. Sitôt le programme connu, une pétition (1) orchestrée par le blogue «Le salon beige», proche de l’extrême droite, demandait, sous forme de «supplique» au Président de la Conférence des évêques de France de renoncer à ce «coup de poignard dans le dos» de tous les laïcs qui, depuis deux ans, se sont mobilisés «pour défendre les enfants et l’altérité sexuelle voulue par le Créateur». On connaît la suite.
Une décision vécue douloureusement par une partie du monde catholique, et qui a suscité, à la «Une» de la Croix, la réaction d’une rare fermeté du père Dominique Greiner, rédacteur en chef religieux du quotidien catholique : «L’épiscopat a perdu ici une belle occasion de manifester qu’envers et contre tout l’Eglise est conversation. Dialoguer avec les représentants de la pensée contemporaine fait partie de sa nature et de sa mission.»
Un désaveu… qui n’existe pas
Dans une tribune à l’hebdomadaire Famille Chrétienne, le père Denis Metzinger, délégué diocésain à la pastorale familiale du diocèse de Paris remercie, lui, les évêques pour leur décision. Non parce qu’elle était de nature à «calmer le jeu» dans un climat de polémique, mais parce qu’il veut y voir le désaveu du choix de l’intervenante, dans le cadre d’une «Journée de formation (dont) on est en droit d’attendre autre chose.» Désaveu qui ne figure aucunement dans le communiqué de l’épiscopat, ni dans aucune déclaration.
Voilà donc une prise de position qui semble suggérer qu’une «formation» officielle organisée par une instance de la Cef se doit d’écarter non seulement toute expression contraire au Magistère de l’Eglise catholique, mais également, sur un thème qui a priori ne suggère pas de désaccord, toute personne étrangère à l’Eglise. Ce n’est donc pas le thème de l’intervention de la philosophe – et donc le contenu possible de son propos – qui est ici mis en cause, mais sa présence même, du simple fait des divergences qu’elle peut avoir par ailleurs avec l’enseignement officiel de l’Eglise catholique. On en reste confondu !
Formation ou formatage de la pensée
Chacun conserve encore en mémoire la dynamique engagée par le pape Benoît XVI sous le titre du «Parvis des Gentils» appelant au dialogue entre l’Eglise et le monde de la culture. Et dans son entretien avec le Père Spadaro pour les revues jésuites, le pape François n’hésite pas à affirmer : «Les exégètes et les théologiens aident l’Église à faire mûrir son propre jugement. Les autres sciences et leur évolution aident l’Église dans cette croissance en compréhension.» (2) Voilà les Gentils devenus des méchants !
Dans le même numéro de Famille Chrétienne qui publie les propos du père Metzinger, la journaliste Clotilde Hamon croit devoir distinguer le Conseil famille et société comme «lieu de formation pour ceux qui sont chargés de la pastorale familiale» d’un lieu «comme le collège des Bernardins, dédié au dialogue entre la foi et la culture.»
Est-ce à dire que la formation doive se réduire à un formatage de la pensée ? L’université – lieu de formation par excellence – exclue-t-elle le débat et la diversité des apports ? Le cardinal Godfried Danneels confiait en 2007 : «Si les universités catholiques ne sont là que pour prouver que le magistère a raison, elles ne seront plus des universités catholiques, mais des universités pontificales.» (3) Un lieu de formation placé sous l’égide de la Conférence des évêques de France a-t-il vocation à devenir l’annexe d’une université pontificale ?
Un procès en illégitimité
Plus grave, lorsque la journaliste souligne une «ambiguité dans la mission des instances comme Famille et société au sein de la Cef» on croit discerner un procès en illégitimité contre une instance à laquelle certains ne pardonnent pas son «ouverture» dans des documents récents relatifs à la pastorale des homosexuels. Et au-delà même, la remise en cause du fait qu’une Conférence épiscopale puisse se doter de telles structures autonomes. Réaction quelque peu décalée à l’heure où le pape François appelle de ses vœux «un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique.» (4)
Et lorsque le père Denis Metzinger regrette ouvertement de n’avoir point reçu « des excuses, avouant une erreur de casting », on voudrait être assuré que cette réaction courroucée n’est pas à déchiffrer au prisme de relations, que l’on croyait d’un autre âge, entre un clerc et… des femmes en situation de responsabilités ecclésiales. Ce qui, pour le coup, ferait mauvais «genre».
On connaît l’épilogue de l’affaire. Le 19 mars, l’intervention de la philosophe a été remplacée, dans le programme de la session, par une réflexion sur «le dialogue dans l’Eglise». Compte tenu des circonstances, c’était là le plus bel hommage que les organisateurs puissent rendre à l’intelligence des participants.
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- Pétition qui, le jour de son lancement, le 3 mars, aurait recueilli 1 160 signatures.
- Pape François, L’Eglise que j’espère, Flammarion/Etudes, p.132
- Cardinal Godfried Danneels, N’éteignez pas le souffle, entretiens avec Dennis Gira, Bayard, p. 185
- Pape François, Evangelii Gaudium (La joie de l’évangile) n°32.
Bravo et merci pour ta réaction mais quand dors-tu?
Je dors entre deux blogues.
Blogue à part, merci pour ta réaction René. Elle me touche autant comme chrétien que comme formateur !
De deux choses l’une,ou Madame Bruggère venait pour faire connaitre son point de vue sur le « gender » ce que j’ignore totalement ou elle était là pour débiter les banalités qu’elle et son compagnon ont débité dans une interview dont on peut connaître la teneur sur le site de votre ami François Vercelletto et dont les références sont communiquées par une certaine Mathilde.
Si la première hypothèse est la bonne,selon moi madame Bruggère n’avait pas sa place dans cette formation,si c’est la seconde il n’était vraiment pas indispensable d’avoir recours à elle, car du « care » c’est à peu près la prose de Monsieur Jourdain et ça n’a rien d’une nouveauté absolument rien, mais tout de même je suis très très content de savoir que je pratique le « care » à l’égard de ma femme lorsque je sors la poubelle…
Dans les deux cas les Evêques ont fait ce qu’il fallait pour se faire battre par les ultra-tradis.Beau résultat!
@Dominique, ce qui est reposant avec vous c’est qu’on n’est jamais surpris de vos commentaires !
Pour ma part il m’arrive rarement d’être surpris par les vôtres sauf entre autres sur votre opinion sur Frigide Barjot opinion avec laquelle je suis pleinement d’accord
@Dominique. Pour oser cette pirouette désobligeante sur le « care », il faut croire que vous n’avez jamais réfléchi à la question. Quoi de plus urgent aujourd’hui que de savoir « prendre soin » de toutes les souffrances qui nous entourent. Je ne prendrai qu’un seul exemple que je crois assez bien connaître : l’univers de la gériatrie hospitalière. Ce dont ont besoin aujourd’hui les personnes âgées ce n’est pas de soins, au sens médical du terme. Sur ce point l’hôpital fait son boulot. Mais cela prend quelques dizaines de minutes par jour. Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel : les personnes âgées ont besoin qu’on prenne soin d’elles. Inutile demain de dénoncer le retour de la barbarie lorsque le législateur sera tenté d’introduire une « exception d’euthanasie » si l’on n’est pas capable aujourd’hui de comprendre que la seule alternative est précisément dans le « care ».
René,excusez-moi mais je ne conteste pas une seconde la nécessité de s’occuper plus qu’on ne le fait des personnes agées,mais pour cela nul n’est besoin de recourir au « CARE » je trouve cela parfaitement grotesque Lorsque je visitais des personnes agées dans une maison de retraite je suis absolument émerveillé de savoir ENFIN que je faisais du « CARE » Ca me fait une belle jambe assurément!
Comment garder son self-control ? Donc c’est bien une frange extrémiste de droite qui gouverne l’Eglise catholique française ! Et après on nous demande au sein des paroisses de réfléchir sur la façon d’attirer les non-croyants et d’aller dans les périphéries … Réponse évoquée: dialoguez, débattez, imaginez….
@Caron. Je ne crois qu’on puisse dire ça. Mais de fait elle fait un chantage permanent sur les décisions des instances officielles de la Cef.
Cher René,
tout cela était en quelque sorte écrit d’avance l’année dernière, lorsque Mgr André Vingt-Trois et Mgr Barbarin ont engagé l’Église dans la Manif pour tous, en croyant tirer avantage de la mobilisation d’une partie des catholiques contre le mariage des homosexuels. Une partie de ceux qui se présentaient comme de « gentils » manifestants descendus dans la rue pour défendre la famille prétendument menacée, ne l’était pas du tout, et n’avaient aucune envie de dialoguer avec ceux qui pensaient différemment. Ils en ont profité pour faire une OPA sur l’opinion publique catholique, avec le consentement naïf de beaucoup de ceux qui croyaient sincèrement promouvoir les valeurs de l’évangile. Ils montrent aujourd’hui les dents, et voilà que l’épiscopat se laisse intimider. Ce n’est pas une surprise non plus, car le même épiscopat qui aurait dû être le promoteur d’un vrai débat et d’un vrai dialogue, dans l’Église et dans la société sur les questions la famille, n’avait pas jugé bon d’en courir le risque. Il a préféré arguer de « la loi naturelle » et clore le débat avant de l’ouvrir. Quand on veut faire de la politique – ce qu’ont fait Barbarin et Vingt-Trois – il faut savoir s’y prendre, sinon on est doublé sur sa droite ou sur sa gauche (ici sur sa droite) par des plus malins et des plus cyniques. Qui sème le vent récolte la tempête. On voit bien aujourd’hui que l’Église de France a pas mal de retard sur le Pape. Elle court loin derrière, et il n’est pas sûr qu’elle ait bien vu quelle est la bonne direction. On la sent bien hésitante, au niveau de l’épiscopat et du clergé. En fait, contrairement à l’illusion d’optique que constituait la manif pour tous, le paysage ecclésial français n’est pas sans ressembler, à certains égards, à un champ de ruines. Triste bilan pour ceux qui s’en était vu confier la charge.
Post Scriptum. Il faut tout autant s’indigner contre les décisions de déprogrammer la projection du film de Céline Sciamma « Tomboy » dans une certain nombre d’écoles catholiques. C’est un film remarquable, intelligent, délicat, et absolument pas tendancieux, alors qu’on voudrait en faire un cheval de Troie de la déconstruction des identités homme-femme. Il n’en est rien, évidemment. En réalité, la campagne contre ce film n’est qu’un instrument de prise de pouvoir par la frange la plus réactionnaire dans les milieux catholiques. En cédant à ces pressions, on se prépare un avenir douloureux en matière d’aptitude à dialoguer et à accepter la pluralité d’opinion dans l’Eglise de France.
oui messieurs nos pasteurs un peu de courage !!
allez en périphérie
vous n’avez pour la plupart même pas eu le courage de dire ce que vous avez envoyé à Rome pour le synode sur la famille , ni avec qui vous avez répondu……….
vous voulez des brebis dociles
vous avez peur des conflits
qui voulez vous évangéliser? sûrement pas le monde !!
Notre Pape vous dit non pas d’être à la tête du troupeau
mais avec .
« Au lieu d’être seulement une Église qui accueille et
qui reçoit en tenant les portes ouvertes, efforçons-nous
d’être une Église qui trouve de nouvelles routes, qui est
capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la
fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Parfois
celui qui s’en est allé l’a fait pour des raisons qui, bien comprises
et évaluées, peuvent le conduire à revenir. Mais il y
faut de l’audace, du courage. »
et bien chers pasteurs le chemin à faire va être long si vous reculez à la première intimidation!
et nous, nous vous attendons …….
Bien d’accord avec ton billet mon cher René. J’ai résumé cette triste « affaire Brugère » en deux mots sur mon blog : « Désespérant et affligeant ». http://religions.blogs.ouest-france.fr/archive/2014/03/15/desesperant-et-ridicule-11401.html
J’ai été surpris par le grand nombre de visites et de commentaires que ce billet a suscité. Cela n’a pas valeur de sondage, mais cela montre la grande sensibilité d’une partie des catholiques sur ces questions.
Je rejoins complètement le commentaire de Jean-François Bouthors sur la Manif pour tous.
Tu connais, René, la divergence d’appréciation que j’ai eue avec toi sur cette question. Il n’était pas question, pour moi, de me mêler à ces manifestations, à la fois pour des questions de forme, et, surtout, pour des questions de fond.
J’en suis arrivé à me prononcer pour le mariage gay, alors que je n’y étais pas a priori favorable au départ, quand j’ai vu la tournure des événements. Je ne regrette pas du tout mon choix. Et « l’affaire Brugère » me conforte, s’il en était mon besoin, dans ma position.
Je suis, et je reste, beaucoup plus sensible à la situation des personnes homosexuelles, et préoccupé de leur accueil que l’Eglise peut leur faire. Le message de l’Evangile n’a rien à voir – Dieu merci – avec les défilés « d’ayatollahs » et les oukases d’intégristes. Bien amicalement. François.
Les manifs pour tous « défilés d’ayatollahs » eh bien vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère… et l’amalgame ne vous fait pas peur non plus,et tout çà sans doute parfaitement en accord avec le Christianisme…
Alors bien sûr qu’il y avait effectivement présent des ayatollahs comme vous dîtes mais un peu plus d’objectivité ne vous ferait pas de mal je pense.
Je vous en prie , Dominique, en matière d’objectivité, vous êtes mal placé pour donner des leçons si j’en crois vos nombreux commentaires péremptoires sur le blog de François Vercelletto…comme sur bien d’autres!
Mon ton est péremptoire dans mes propos selon vous? Dans la mesure où je suis si souvent en désaccord avec les vôtres, votre appréciation ne me surprend en rien !
Bon les amis, je vous propose amicalement de changer de registre… si vous pensez pouvoir dialoguer vraiment !
Merci d’accueillir avec bienveillance la proposition de ce chercheur en sociologie.
Chers amis internautes,
Sociologue des religions, j’étudie les sites Web institutionnels catholiques et j’ai un réel besoin de connaître les personnes « cibles » de ces sites. Accepteriez-vous de répondre à l’une des deux enquêtes qui suivent que vous soyez ou non usager de ces sites, que vous soyez ou non catholique. Elles sont uniquement constituées de questions fermées, vous n’aurez rien à rédiger. Il ne s’agit pas d’un simple sondage d’opinion mais d’une enquête approfondie sur vos pratiques en ligne, c’est pourquoi y répondre requiert d’y consacrer un peu de temps. Merci d’avance pour votre contribution à cette étude scientifique.
Renaud Laby
Si vous êtes catholique pratiquant ou non-pratiquant, cliquez ici :
https://fr.surveymonkey.com/s/internautescathos
Temps pour répondre à l’enquête estimé à 20 minutes.
N’oubliez pas de cliquer sur l’icône « J’enregistre mes réponses » à la fin du questionnaire.
Si vous êtes non-croyant et/ou en recherche, cliquez ici :
https://fr.surveymonkey.com/s/internautesnoncroyants
Temps pour répondre à l’enquête estimé à 10 minutes.
N’oubliez pas de cliquer sur l’icône « J’enregistre mes réponses » à la fin du questionnaire.
Ne vous inquiétez pas René, je n’ai nullement l’intention de poursuivre, nullement…
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