Monsieur, j’ai pris connaissance de l’interview que vous avez accordée à Bernadette Sauvaget et que Libération (1) a publiée à l’occasion de la tenue à Lourdes de l’Assemblée plénière de printemps des évêques de France.
Et malgré la sympathie que je vous porte, j’y trouve tous les ingrédients de la langue de bois qu’ll vous arrive, comme co-directeur de Témoignage Chrétien, de reprocher à nos évêques.
Je m’accorde avec vous pour dénoncer cette «minorité», représentative d’un catholicisme intransigeant, adversaire du pluralisme, qui, avec le soutien de certains évêques a récemment obtenu l’annulation de l’intervention que la philosophe Fabienne Brugère devait faire devant les délégués diocésains à la pastorale familiale sur le thème «la dimension sociale du prendre soin». Comme vous, je m’inquiète de la montée d’une extrême-droite catholique, qui a trouvé un terreau favorable dans certains mouvements d’opposition à la loi Taubira.
Je vous rejoins également pour opposer à ces «ultras», une majorité de «catholiques d’ouverture». Sauf que vous les dépeignez selon un schéma réducteur qui ne correspond pas à la réalité. Revenant sur le vote de la Loi Taubira, dont Témoignage Chrétien s’est fait le chantre inconditionnel, vous affirmez que 54% des catholiques Français seraient désormais acquis à cette loi de progrès.
Ce que ne disent pas les sondages…
C’est en effet ce que l’on pourrait conclure d’une lecture, superficielle, du sondage récent réalisé par BVA pour le Parisien Aujourd’hui en France. Sauf que ce chiffre ne veut rien dire. On ne peut pas à la fois, comme le font certains, ironiser sur le fait que les catholiques, réacs par nature, ne représenteraient plus désormais – Dieu merci – qu’une infime minorité dans ce pays et dans le même temps se réjouir du fait que 54% d’entre eux ratifieraient une loi dont on sait à quel point elle reste controversée.
Le chiffre de 54% se rapporte aux deux Français sur trois qui continuent à se dire catholiques donc à ce qu’il est convenu d’appeler le catholicisme sociologique. Il n’est en rien représentatif des catholiques pratiquants (réguliers et occasionnels) qui forment un quart de la population. Si l’on se réfère à ces pratiquants on trouve, cela est vrai, une forte minorité de 46% qui se déclare favorable au mariage gay, mais seulement 31% pour se dire d’accord avec l’adoption par les couples homosexuels, pourtant inscrite dans la loi et 20% pour approuver l’accès à la PMA réclamée à cors et à cris par la gauche.
Ajoutez à cela que, selon le même sondage, 50% seulement des Français, toutes catégories confondues, se disent favorables à l’adoption et 39% à un élargissement de la PMA aux couples de même sexe. C’est assez dire que si les citoyens de ce pays adhèrent à la dimension «conjugale» de la loi Taubira, ils restent réservés, voire hostiles, à l’ouverture à la filiation… pourtant constitutive du mariage. Or le mariage sans la filiation, cela porte un nom : le contrat d’union civile.
Il n’y a pas de consensus sur la «filiation» portée par la loi Taubira.
S’il existe un consensus – ou pour le moins une forte adhésion – ce n’est pas à la loi Taubira mais bien au contrat d’union civile, proposé dès 2012 par l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et que le gouvernement n’a jamais voulu prendre en considération. Au motif que le mariage pour tous figurait parmi les engagements de François Hollande et qu’en l’élisant, les Français avaient du même coup avalisé cette «évolution de société». Ce qui est tout simplement absurde. Combien d’électeurs de François Hollande étaient-ils d’accord avec la totalité de son programme ?
Légiférer sur le contrat d’union civile nous aurait évité une «guerre civile idéologique» épuisante pour les nerfs, dont nous ne sommes pas encore sortis… Mais sans doute le gouvernement, prisonnier de ses promesses, avait-il intérêt à radicaliser les oppositions sur ce débat de société pour mieux se trouver un adversaire : le camp des «réactionnaires», ce qui lui a permis, du même coup, de faire diversion sur ses échecs en matière de politique économique et sociale ou sur ses reculades écologiques.
Un boycott total de l’idée d’union civile.
J’observe d’ailleurs que ce projet de contrat d’union civile, aujourd’hui porté par l’Avenir pour tous de Frigide Barjot, comme alternative à la loi Taubira dans la perspective d’une constitutionnalisation du mariage homme-femme, fait l’objet d’une sorte de boycott. Boycott du côté de la gauche qui ne veut imaginer aucune forme de retour en arrière pour une loi « qui finira bien par s’imposer dans l’opinion » ; boycott à droite où certains préfèrent s’illusionner d’une possible «abolition» pure et simple pour mieux galvaniser les électeurs ; boycott du côté du monde catholique – y compris de ses médias – obsédé à l’idée de pouvoir «désespérer» les fidèles, qui constituent désormais le gros des troupes LMPT.
Des «catholiques d’ouverture» à droite comme à gauche
Concernant les catholiques de ce pays, votre analyse est donc réductrice qui tend à nous faire croire que, dans ce débat, il n’y aurait au fond, qu’une forte minorité intransigeante, manipulée par une extrême-droite haineuse, et une majorité silencieuse de catholiques finalement acquis à la loi… et aux évolutions de société à venir. Non : il existe aussi, entre les deux, une quantité non-négligeable de catholiques, souvent engagés dans la vie sociale, associative et ecclésiale, qui ont pu être sensibles au symbole égalitaire du mariage pour tous, tout en restant réfractaires à une remise en cause de la filiation ; des catholiques laïques et républicains, ouverts au dialogue avec la société dans l’esprit de Vatican II et du pape François, mais «objecteurs» tant du libéralisme économique que du libertarisme sociétal. J’en suis, modestement, et nombre d’amis avec moi qui avons ou non voté pour François Hollande tout en signifiant dès le départ notre opposition résolue à certains de ses projets sur le mariage gay ou la fin de vie.
Faisons-nous partie, à vos yeux, de ces «catholiques d’ouverture» évoqués dans votre interview et auxquels vous tendez la main pour «qu’ils se rencontrent et s’unissent» ? Ce n’est pas, pour le lecteur attentif que je suis, l’impression que m’a donné Témoignage Chrétien depuis deux ans, alors qu’il aurait pu naturellement s’imposer, sur cette question, comme lieu naturel de dialogue «pluriel» et de débat. Je le regrette mais je veux croire, à vous lire, que l’avenir reste ouvert !
Dans un article récent, je citais le cardinal Danneels à propos des universités catholiques : «Si les universités catholiques ne sont là que pour prouver que le magistère a raison, elles ne seront plus des universités catholiques, mais des universités pontificales.» Permettez-moi de paraphraser : «Si un hebdomadaire catholique n’est là que pour prouver que la gauche au pouvoir a raison, alors, il ne sera plus un hebdomadaire catholique, mais un hebdomadaire idéologique de complaisance»
Cordialement
René Poujol
(1) Libération du 9 avril 2014, p. 4 et 5
J’approuve entièrement le point de vue que vous exprimez avec talent !
C’est une question de bon sens !
Eh bien moi, je n’approuve pas. Et je me demande, tout simplement, si vous savez ce que signifie le mot « consensus ». Car le consensus, c’est l’accord de tous. Or, s’il y a une proposition qui ne ferait (et qui, d’ailleurs, ne FAIT) certainement pas consensus, c’est bien l’union civile.
D’une part parce que, et vous le savez très bien, l’union civile entre couples du même sexe ne serait jamais acceptée par une bonne partie de la population (catholiques ultras mais aussi toute une frange des musulmans, et d’autres encore).
Mais d’autre part parce que, et c’est ce que vous semblez ignorer, une autre frange de la population (et j’en suis) ne s’en contenteraient absolument pas ! Moi qui suis catholique pratiquant (pratiquant régulier, je vais à la messe chaque semaine, parfois plusieurs fois par semaine), je ne me contenterais absolument pas d’une union civile, même (j’insiste !) si elle ouvrait à la filiation ! Pour moi, l’essentiel réside justement dans l’emploi du terme « mariage », car c’est lui qui fixe réellement l’égalité entre couples homo- ou hétérosexuels ; c’est donc qui lui contribuera réellement à banaliser l’homosexualité (ce qui est mon objectif principal en la matière) et à faire entrer dans les têtes qu’homosexualité et hétérosexualité sont moralement parfaitement équivalentes. Je vous le dis en toute franchise : si la droite devait (ce que je ne crois pas du tout) revenir sur la filiation pour les couples homos ou même sur le seul terme de « mariage », je suis prêt à mener la même bataille que LMPT et ses héritiers ont mené et mènent encore aujourd’hui.
Enfin, je voudrais revenir sur une petite malhonnêteté (pardon) de votre article. 46% des catholiques pratiquants qui se déclarent pour le mariage pour tous, ce n’est pas « une forte minorité », c’est une quasi-majorité. De même, quand vous dîtes qu’il y a « seulement » 31% des pratiquants à être pour l’adoption par les couples homos, c’est vraiment plus fort que du roquefort. 31% ! Mais c’est un tiers ! Ça veut dire que quand vous êtes assis à la messe, un de vos voisins est pour l’adoption !
Je crois que l’Église ne gagnera rien à occulter cette évolution majeure. Elle ferait bien, au contraire, de reconnaître qu’en son propre sein, le débat existe, et que, parmi les pratiquants réguliers, les adversaires de la position du Magistère gagnent du terrain.
Vous avez parfaitement le droit de développer une pensée autre que la mienne sur le sujet… y compris sur ma page qui est faite pour cela. Lorsque je parlais de « consensus » je voulais simplement signifier non une unanimité de l’opinion, pour les raisons que vous soulignez, mais que ce pouvait être là un compromis mieux acceptable pour une majorité de Français. Et que cela pose d’ailleurs la question de savoir si des réformes de société ne devraient pas s’en tenir à ce qui, à un moment donné, est précisément perçu comme « acceptable » par une majorité de citoyens… sauf à prendre le risque de ce que nous avons connu. Pour le reste (les chiffres) c’est l’éternel dilemme de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Qu’un voisin de messe sur trois soit favorable à l’adoption par les mariés de même sexe ne me gêne aucunement. Simplement le discours de Jean-Pierre Mignard consistant à dire et répéter, sur la foi des sondages, qu’il n’y a aucun problème ou qu’il ne devrait pas y en avoir me semble tout simplement « hors du réel ». Bonne fête de Pâques ! Avec ou sans mariage pour tous Christ est tout de même ressuscité !
PS. Deux mots encore : si quelqu’un insiste depuis des mois et des mois… pour souligner la diversité des postions au sein de l’Eglise, je crois que c’est bien moi.
Ça, je vous le reconnais : vous n’avez pas nié la diversité de l’Église sur le sujet, et je vous en remercie une nouvelle fois (d’autant plus que c’est rare).
Sur le reste, j’insiste, même en prenant « consensus » au sens de « proposition la mieux acceptable par le plus grand nombre », je ne suis pas du tout certain que l’union civile fasse consensus. Je pense que LMPT ou le Printemps français, sans même parler de Civitas et consort, ne l’accepteront jamais. Et de mon côté, pour être franc, je préfère qu’il n’y ait rien du tout plutôt qu’une union civile, parce que l’union civile fermerait pour longtemps la porte au mariage que je promeus, tandis qu’un vide juridique appelle le mariage.
Bref, je crains que seule une petite minorité puisse se retrouver sur cette option. Option médiane, certes, mais pas consensuelle pour autant, je pense.
Merci de ce billet très clair.
Le Mariage-pour-tous est devenu un moyen pour réduire l’homophobie (on le voit encore avec la réaction ci-dessus). L’objectif est tout à fait louable, bien sûr. Mais était-il légitime, pour atteindre cet objectif, d’instrumentaliser une institution, de la tordre au point de lui faire perdre sa destinée initiale ? Je ne le crois pas. Il y a d’autres moyens pour réduire l’homophobie.
Mais cela est révélateur du fond libéral de la démarche : dans le libéralisme, il y a les individus et le marché. Les institutions intermédiaires n’ont pas de valeur – seules les conventions entre individus ont une valeur.
Dès lors, il n’y pas d’obstacle à mettre les institutions au service des projets individuels. Quitte à modifier les institutions, même quand celles-ci sont le produit d’une maturation lente, ancienne et subtile de la société. Dans le cas présent, avec le Mariage-pour-tous, on voit que la dimension « institutionnelle » du mariage perd de sa substance au profit de sa dimension « contractuelle » – le contrat étant la seule figure du lien dans la vision libérale de la société.
C’est donc bien une évolution libérale qui est à l’œuvre. Il reste étonnant que peu de voix de gauche se soient inquiétées à ce sujet. Les menaces et les intimidations dans les médias expliquent sûrement en partie ce silence.
Mais le mariage pour tous n’est pas seulement un moyen de réduire l’homophobie. C’est aussi une question de principe : homosexualité et hétérosexualité étant moralement équivalentes (de mon point de vue du moins), il n’y a aucune justification à les traiter différemment. C’est aussi un moyen de banaliser l’homosexualité et, par là, de lutter contre l’homophobie, mais ce n’est pas que cela.
Sur le libéralisme, vous prenez les gens de gauche pour plus dogmatiques qu’ils ne sont. Être de gauche, ça ne veut pas dire être automatiquement contre toutes évolution de type libérale, quel que soit le libéralisme en question. La fin du monopole d’État sur l’audiovisuel, c’était une réforme libérale, et ce n’était pas être de droite que de la soutenir, que je sache.
Meneldil, j’entends vos arguments mais ne m’y range pas. Je persiste à penser (c’est mon côté vieux c… sans doute) que le mariage n’est pas affaire de préférence sexuelle mais de différenciation sexuelle parce qu’il ouvre sur la filiation qui nécessite cette différenciation. Qu’au nom d’une égalité des droits on en arrive à reconnaître au couple homosexuel un « droit à l’enfant » qui n’existe dans aucune déclaration des droits de l’homme, même pour ls couples hétérosexuels, me gêne profondément. Parce que c’est la porte ouverte, via la PMA et la GPA à une « marchandisation du vivant » que je ne souhaite pas, en tant que citoyen de ce pays. Voilà ! Pour le reste je persiste à considérer – et les sondages ne disent pas autre chose – qu’il existait un compromis possible sur l’idée d’union civile puisque c’est l’ouverture à la filiation qui continue malgré tout à faire problème. Mais je connais avec vous que le mariage étant acquis, au moins au plan légal, plus personne (sauf une petite minorité) ne veut entendre parler d’UC.
La difficulté vient du fait que chacun (je parle ici des catholiques) est persuadé d’être – et lui seul – dans la vérité. Et que je ne vois pas sur quelle bases on va pouvoir recommencer à se parler. C’est déjà quasi impossible avec les durs de LMPT. Mais le sens de ma lettre ouverte à Jean Pierre Mignard était de regretter que cela ne soit pas davantage possible entre « catholiques d’ouverture ». Il m’a répondu sur le site de TC. J’envisage de reprendre sa réponse sur ce blogue mais en l’accompagnant d’un nouveau commentaire que je n’ai pas eu le temps de rédiger…
René,
Je vous rejoins sur le constat, douloureux, que se reparler va être difficile. J’en ai parlé à plusieurs reprises sur mon blog, en particulier ici :
http://meneldil-palantir-talmayar.blogspot.fr/2013/05/mariage-pour-tous-blessure-et-guerison.html
Mais comme je l’ai dit et redit, pour se reparler, il faudrait déjà que les opposants à la loi Taubira reconnaissent notre existence ! Or, s’ils sont en général prêt à parler avec les partisans de l’union civile, comme Frigide Barjot, ils continuent à faire obstinément comme si les partisans du mariage et, plus encore, de l’adoption, n’existaient pas. Moi je veux bien parler, je trouve même ça éminemment nécessaire, mais je ne peux pas parler avec quelqu’un qui fait comme s’il ne me voyait ni ne m’entendais. Ça ne dépend pas de moi, ça dépend de lui.
Sur le fond, je crois que nous avons déjà eu la discussion. Je trouve que le raccourci que vous faites entre « droit d’adopter des enfants » et « droit à l’enfant » n’a pas le moindre fondement réel ; c’est un pur fantasme. Il n’y a aucun « droit à l’enfant », que ce soit pour les couples homo- ou hétérosexuels, et la loi Taubira ne change strictement rien à cela.
On peut discuter des questions de PMA et de GPA, bien sûr. Pour ma part, je suis contre. Mais je suis contre pour tout le monde, c’est-à-dire aussi bien pour les couples homo- qu’hétérosexuels ! En toute logique, je pense que c’est ce principe d’égalité qui doit prévaloir. Si on autorise quelque chose pour les hétéros, on l’autorise pour les homos. Ça me semble être du bon sens.
Enfin, vous faites un autre raccourci en affirmant que la filiation nécessite la différenciation sexuelle. Déjà, il s’agit de la filiation biologique, pas forcément de la filiation sociale : si j’adopte un enfant en adoption plénière, il devient mon fils, même si je ne l’ai pas biologiquement engendré.
Mais passons, l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est que la filiation ne nécessite pas QUE la différence des sexes. Elle nécessite aussi deux individus en condition physique d’avoir des enfants. Un couple de personnes de 70 ans est tout aussi incapable d’avoir des enfants qu’un couple de femmes de 30 ans. Si donc vous déniez le mariage aux dernières au motif qu’elles ne pourront jamais engendrer biologiquement des enfants, je ne vois pas le moindre commencement de justification à l’idée que vous accordiez le mariage aux premiers. Voulez-vous interdire le mariage des femmes ménopausées ? Si non, je ne vois pas la pertinence, la logique ou la cohérence de votre argument.
Bon, il y a quand même un point positif à tout cela, c’est que notre échange montre justement qu’entre catholiques d’ouverture, on peut se parler, parfois. ^^
Meneldil, moi aussi j’ai l’impression d’avoir maintes fois évoqué ces questions avec vous et de me redire. Je ne prétends pas que la loi Taubira aille, pour l’heure, au-delà de l’adoption. Je dis simplement qu’à partir du moment où il y a mariage pour tous ( et non UC) il n’y aura demain aucun motif juridique pour refuser la PMA et la GPA… même si je m’interroge, comme vous, sur ces questions même pour les couples hétérosexuels.
Pour le reste, je puis témoigner que ceux que vous appelez les opposants à la loi Taubira ne sont pas plus enclins à parler avec Frigide Barjot qu’avec vous. Rassurez-vous ! Mais les « catholiques d’ouverture » pas davantage qui la boycottent au motif qu’elle aurait déclenché l’homophobie (avec d’autres) du simple fait de son opposition à la loi Taubira. Là encore on pourrait débattre « froidement » sur qui a provoqué un rejet homophobe dans le pays. Je fais partie de ceux qui considèrent que le gouvernement en porte une large responsabilité en ayant prétendu aller, sur cette question, du simple fait qu’il avait la majorité au Parlement, au-delà de ce que le pays était, de fait, prêt à accepter. Mais je sais bien que sur cette question-là encore nous divergeons. Alors, divergeons au moins sans nous excommunier… ce qui est déjà le cas et je m’en réjouis. Vraiment !
Je ne suis pas juriste, mais je ne vois pas les choses comme vous. Prenons les choses dans l’ordre :
– la PMA. OK, en toute logique, avec la loi Taubira, elle devrait être ouverte aux couples de femmes si elle l’est aux couples hétéros (et d’ailleurs, elle le sera forcément prochainement, dès qu’il y aura une plainte devant la CEDH). Mais pour moi, il n’y a aucun rapport, au fond, avec la loi Taubira : soit on est contre pour tout le monde (comme moi), soit on est pour l’ouvrir aux hétéros, mais alors je ne vois pas le problème à l’ouvrir à des couples de femmes.
– et les couples d’hommes, me direz-vous ? Eh bien on leur ouvre aussi, bien sûr. Aucune discrimination ! Seulement voilà, faire avoir un enfant à un homme, on ne sait pas faire. Ce n’est donc pas la loi qui empêchera les couples d’hommes d’accéder à la PMA, c’est la technique.
– et par conséquent, ils ne pourront aucunement se prévaloir d’une discrimination pour demander la GPA comme « contrepartie ». Donc la GPA restera interdite en France (à moins bien sûr qu’on l’ouvre aux couples hétéros, ce à quoi je m’oppose, personnellement).
Pour le reste, moi je suis tout à fait prêt à discuter avec Frigide Barjot ! Si on m’invite sur un plateau télé pour ça, je signe tout de suite. 😉
Meneldil, je ne suis pas sûr qu’un blogue soit le lieu idéal pour entrer vraiment dans un dialogue approfondi. Je reste sur mon analyse qui diverge de la vôtre. Vous estimez que la loi Taubira instituant le mariage pour tous est sans conséquence sur la PMA/GPA pour les couples de même sexe, (auxquelles vous vous dites personnellement opposé) ce que je ne crois pas. Et c’est bien parce que je ne le crois pas (au nom de l’égalité des droits on finira par nous l’imposer) et que je suis moi aussi opposé à la PMA/GPA que je n’étais pas favorable à l’idée de mariage pour tous. Assumons cette différence d’analyse !
Certes. Une précision cependant : je ne suis pas opposé à la PMA/GPA pour les couples de même sexe. J’y suis opposé tout court. Et je ne vois toujours pas au nom de quoi y être opposés pour les uns si on y est favorable pour les autres.
Voici le texte de la « réponse ouverte » de Jean-Pierre Mignard, postée le 18 avril sur le site de TC.
Cher Monsieur, Cher René Poujol,
Je vous remercie de votre lettre ouverte et, au nom de la sympathie que je vous porte, je ne vois que des avantages à vous répondre.
Je prends acte d’abord que nous sommes d’accord vous et moi devant la montée d’une extrême droite catholique qui trouve en effet un terreau favorable dans certains mouvement d’opposition à la loi Taubira et qui trouve une grâce suspecte auprès de quelques évêques ….
Vous vous déclarez catholique d’ouverture, moi aussi, et tant mieux car plus nous serons nombreux et moins l’extrémisme aura de quoi se nourrir. Vous êtes un homme de dialogue et êtes invité à écrire régulièrement dans Témoignage Chrétien, ce dont nous nous félicitons.
Nos désaccords ensuite : il est exact que 54 % de français « catholiques » approuvent la loi Taubira.
Vous évoquez un catholicisme sociologique, formule bien vague, pour en diminuer l’effet, ce qui dresse un rempart entre les catholiques pratiquants, réguliers et occasionnels d’une part et les autres. Faisons attention. Cette distinction ne fait-elle pas le jeu des intransigeants ?
Il y aurait donc des degrés d’adhésion au catholicisme ? Si nous raisonnons ainsi, seul le noyau des pratiquants peut s’en réclamer, et encore, les pratiquants du dimanche moins que ceux de tous les jours ? Les pratiquants occasionnels, ceux de quelques dimanches et des grandes fêtes, appartiennent-ils à un second ou à un troisième cercle ? Quant au troisième cercle qui finit de faire les 54 % des français, qui sont-ils ?
Ne sommes-nous pas là dans les périphéries qu’évoque le Pape François, de ces catholiques éloignés de l’Eglise et, quelque fois, non pas par défaut de foi mais par incompréhension du magistère. L’influence de l’Eglise catholique ce sont les 54 % ou alors le risque de la secte est bien là. Les catholiques, soyons simples, ce sont les baptisés.
Enfin, 46 % de pratiquants favorables au mariage gay c’est considérable car il n’y eut aucun débat organisé dans leur église permettant à cette vaste opinion de se confronter avec la doxa officiel.
Je précise que Témoignage Chrétien n’a pas pris position sur la question de la PMA ou de la GPA puisque ce n’était pas inscrit dans le projet de loi. J’ignore à ce stade qu’elle aurait été la position de la rédaction sur ce point.
Nous avons soutenu le projet de la loi Taubira car il fallait que les personnes homosexuelles se voient offrir le lien juridique qui leur permet de vivre ensemble avec des droits.
La question de la filiation n’est pas seulement liée au mariage et vous savez bien que beaucoup d’enfants naissent hors mariage, celui-ci ne faisant que réputer légitimes les enfants nés dans le mariage. Il y a des enfants adultérins et des enfants naturels et le droit civil issu de la Révolution française, issu des Lumières et du grand courant humaniste qui a suivi la seconde guerre mondiale protège dorénavant tous les enfants, quel que soit le statut matrimonial des parents.
On peut discuter sur la filiation mais, à ce jour, des enfants élevés dans un cadre homoparental présentent un équilibre psychologique et affectif tout à fait satisfaisant. Les juges des enfants n’ont jamais relevé d’anomalie, les médecins et les éducateurs non plus.
Il y a suffisamment de vraies alarmes dans le monde pour que nous n’en créions pas d’inutiles. Tout cela se discutera si un jour un parlement se saisissait de la PMA.
Vous avez remarquez comme moi que de nombreux Etats y compris de grands traditions catholiques adoptent une loi similaire à celle de la France et quelque fois avec moins de problème. L’Espagne a abandonné toute intention de revenir dessus. Récemment la justice italienne qui s’est mise en marche dans ce sens.
Je comprends fort bien que pour certains catholiques il est exclu de concevoir un tel mariage pour eux mais les autres ? Soit on décrète qu’il s’agit d’une barbarie anthropologique et il faut combattre la loi civile, soit on estime qu’il s’agit d’un choix de personnes n’affectant pas le sens profond de l’humain et on reste dans un espace de liberté individuelle.
Je termine en évoquant l’union civile. Vous avez raison, c’eût pu être une piste consensuelle. Mais, souvenez-vous : le pacs a été violemment combattu par l’Eglise.
J’avais écrit en son temps dans La Croix un article intitulé « Le diable n’est pas dans le pacs ».
C’était il y a 15 ans. Mais le Cardinal Billet m’avait dit tout son désaccord sur ma position.
Je crois bien que certains feignent de découvrir dans le pacs des vertus qu’ils n’y trouvaient pas alors. Trop tard. Les temps changent, les sociétés changent, les mœurs changent et il n’y a pas forcément de démon derrière tout changement.
Essayons tout simplement de voir comment des hommes, des femmes s’aimeront mieux avec des droits et pourront construire leur vie comme ils le veulent, comme c’est le cas pour nous tous, comme ils le peuvent.
Enfin, lorsque vous suspectez Témoignage Chrétien d’être un hebdomadaire complaisant vis- à-vis du pouvoir, il s’agit là d’une petite polémique superflue. La loi Taubira a été votée par toute la gauche, son rapporteur à l’Assemblée Nationale était un catholique pratiquant et plusieurs personnalités du centre ou de la droite au Sénat comme à l’Assemblée Nationale l’on aussi approuvée. Vous avez bien cher René Poujol, que la droite ne reviendra pas sur cette loi.
Enfin au même titre que je ne vous range certainement pas dans le clan des ultras, je vous demanderai de ne pas nous ranger dans celui des godillots.
Très cordialement à vous,
Jean-Pierre MIGNARD
Et voici le texte de ma réponse à cette « réponse ouverte ».
Cher Jean-Pierre Mignard,
J’ai tardé à donner suite à votre «réponse ouverte» à ma lettre du 16 avril dernier et vous prie de m’en excuser. La courtoisie de vos propos ne suffit pas, hélas, à en faire une réponse, si notre projet est bien de tenter une forme, à mes yeux urgente, de dialogue entre «catholiques d’ouverture», par-delà des mois de fraternelles et cruelles dissensions sur cette question du mariage pour tous.
Je dis urgente car il suffit de se rapporter à un article récent du Figaro (1) pour constater l’escalade idéologique : une mise en cause globale des évêques de France coupables de ne pas avoir plus ouvertement soutenu ces «jeunes catholiques» descendus dans la rue pour défendre, à en croire l’auteur, rien moins que la fidélité de la foi, la vérité de l’Evangile et l’avenir de notre Eglise.
Or, plutôt que d’entrer dans une franche explication pour discerner ensemble sur quelles bases et avec quels «catholiques d’ouverture» nous allons pouvoir faire exister une autre vision du catholicisme, vous bottez en touche au travers d’arguments, cent fois servis, qui ne me convainquent pas plus aujourd’hui qu’hier.
M’expliquer par exemple qu’il n’y avait pas lieu de se mobiliser – et créer un psycho-sociodrame – sur la question de la filiation puisque la PMA et la GPA n’étaient pas inscrites dans la loi, et que vous ne savez pas, si la question avait été posée, quelle eût été la position de TC, me laisse pantois ! Le juriste que vous êtes peut-il ignorer qu’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe finira, un jour ou l’autre, par nous valoir, de la part d’une instance judiciaire européenne, la mise en demeure d’octroyer à tous les mariés les mêmes droits de filiation ? Et donc que l’on était légitime, pour peu que l’on ne se satisfasse pas de cette perspective, à soulever la question, dès le débat sur la loi Taubira ?
Prendre acte, comme je l’entends requérir depuis des lustres et y consent, de la diversité des types de famille et des filiations dans la société française, au terme d’histoires personnelles complexes, nous oblige-t-il vraiment à ouvrir les vannes en grand en considérant que tout se vaut, qu’il y aurait là autant de «modèles» familiaux ?
A propos de la portée réelle de loi Taubira vous m’écrivez : «Soit on décrète qu’il s’agit d’une barbarie anthropologique et il faut combattre la loi civile, soit on estime qu’il s’agit d’un choix de personnes n’affectant pas le sens profond de l’humain et on reste dans un espace de liberté individuelle.» Pardonnez-moi mais nous n’avons rien «décrété». C’est le gouvernement socialiste qui lui, a décrété, de sa propre autorité, qu’il ne s’agissait pas là d’une barbarie anthropologique…
Voilà bien le gendre de débat qu’il eut fallu engager et qui ne l’a pas été. Réduire le rôle des Assemblées à aligner la loi sur les pratiques sociétales est déjà discutable en soi mais s’autoriser à aller au-delà de ce qui fait consensus parmi les citoyens pour imposer sa vision de l’Histoire, au motif qu’on en a les moyens parlementaires, continue, un an après, à être perçu par beaucoup, même à gauche, comme irrecevable. Or ce débat-là aussi est esquivé. Pour le passé comme sans doute pour l’avenir, alors même que d’autres projets pointent à un horizon plus ou moins lointain mais non moins certain.
Entendre le Président de la République (2), à l’occasion du deuxième anniversaire de son élection, concéder comme seule «faute» concernant la réforme du mariage pour tous : «nous aurions dû la faire dans des délais plus courts» donne l’idée de l’aveuglement qui perdure au sommet de l’Etat. Et nous invite à ne rien croire des propos rassurants sur la non-actualité de débats sur la PMA, la GPA ou la fin de vie. Tout restant question de rapports de force, de calendrier et d’opportunité politicienne.
Lorsque je lis dans la dernière livraison de TC, sous la plume de mon ami Philippe Clanché, à propos du dernier livre du jésuite Paul Valadier, dont il dit par ailleurs le plus grand bien : «Ses thèses sont parfois déstabilisantes pour le lecteur de Témoignage chrétien et peuvent manquer de nuances à l’instar de la «leçon de démocratie infligée à des gouvernements opportunistes et coupés du peuple» par des manifestants contre le mariage homosexuel.» on peut se demander qui a manqué le plus de nuance, en cette affaire, et qui est le plus déstabilisé par l’analyse de Paul Valadier, des lecteurs de TC ou de son équipe de rédaction…
J’en termine, cher Jean-Pierre Mignard, en revenant au propos de ma première «lettre ouverte» : face à la menace d’une certaine droitisation catholique doublée ici ou là d’un regain de cléricalisme, TC entend-il réellement fédérer les «catholiques d’ouverture» en prenant le risque de leur donner la parole dans un débat réellement pluraliste ou préfère-t-il s’en tenir à l’expression de sa seule différence ? C’est une question qu’un certain nombre d’entre nous, à gauche, continuons de nous poser. Pour combien de temps encore ?
Très cordialement
René Poujol
(1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/04/18/01016-20140418ARTFIG00074-cathos-et-rebelles.php
(2) http://www.la-croix.com/Actualite/France/Francois-Hollande-promet-une-acceleration-des-reformes-2014-05-06-1146281