Le nouveau « rêve de Compostelle » (*) : conjurer la menace islamique en Europe en convertissant les musulmans au christianisme !
Il est des livres que l’on recommande par adhésion, y reconnaissant l’expression enrichie de sa propre pensée, d’autres que l’on invite à lire, malgré ses désaccords, pour les questionnements qu’ils soulèvent. Le livre que Pierre Jova consacre à la question des “chrétiens face aux migrants“ (1) appartient, d’évidence, à la seconde catégorie. Soyons clair : j’ai pour l’auteur estime et affection. Mais si son enquête possède d’incontestables qualités, elle pèche, à mes yeux, par manque de recul face à certaines pratiques prosélytes dont on peut contester et l’opportunité et le bilan, au regard de ce qu’est vraiment l’Evangélisation.
Le premier mérite de l’auteur est d’avoir renoncé à écrire un nouvel opus sur la pensée de l’Eglise en la matière. Les références bibliographiques abondent. Pour avoir moi-même écrit sur le sujet, je me souviens douloureusement que l’ouvrage fut rapidement mis au pilon par l’éditeur, faute d’avoir trouvé son public. (2) C’est dire que les réticences du monde catholique sur cette question ne datent pas d’hier. Et qu’il est de bonne pédagogie de faire rencontrer la réalité, à travers les personnes accueillantes ou accueillies, voire même réfractaires à tout accueil… plutôt que de théoriser. Car c’est bien connu : « les migrants font peur, comme les pauvres » (témoignage recueilli par l’auteur), alors que selon un responsable local du Secours catholique également cité : « quand il y a rencontre de personne à personne, cela se passe bien » ajoutant : « je connais même des électeurs du Front National qui ont accueilli des migrants ».
Choses vues et entendues, à travers l’hexagone
Pendant deux ans, l’auteur-journaliste a donc arpenté l’hexagone à la rencontre de chrétiens de toutes confessions, engagés ou tout du moins concernés par la question migratoire. De chapitre en chapitre, on le suit donc dans les cols alpins du côté de Montgenèvre, à Gap où Mgr Malle a pris des positions sans équivoque pour l’accueil des migrants, à Conques auprès des Prémontrés, dans les réseaux ignatiens Welcome, à Lille mais aussi à Dunkerque auprès de l’Eglise évangélique DKlive, à Paris rue Médéric siège de l’Eglise luthérienne suédoise et au Dorothy café chrétien qui vient en aide aux prostituées nigérianes du bois de Vincennes… enfin à la rencontre de policiers ou gendarmes présents sur le terrain de l’immigration, de chrétiens d’Orient résidant en France, de communautés catholiques fortement métissées ou encore d’Eglises pentecôtistes noires…
De ce périple, l’auteur a ramené une extrême diversité d’expériences, de sensibilités et d’engagements que l’on pouvait, certes, soupçonner mais qui fournissent nombre de constats et de questionnements susceptibles de nourrir échanges et débats. C’est la montée d’une sorte de ras-le-bol, d’hostilité contre des migrants perçus comme privilégiés par rapport aux classes populaires en galère faisant surgir, ici et là, des accusations d’abandon des « petits blancs » non seulement par la société mais également par l’Eglise comme si les uns et les autres n’étaient pas également victimes des mêmes logiques d’exclusion. Ce sont les réserves d’un jeune clergé catholique à l’égard du pape François, oubliant que sur la question migratoire il se situe dans le droit fil de Jean-Paul II et Benoît XVI. C’est le sentiment d’une impuissance coupable des autorités qui fait parfois fermer les yeux sur « l’inhumanité de l’accueil » (Mgr Benoist de Sinety) au nom du droit des Etats à réguler les flux migratoires. C’est l’affirmation de bon sens que pour nombre de migrants africains « le futur est en Afrique, pas en Europe » en oubliant de se demander pourquoi ils ne se résignent pas à « mourir au pays » faute de pouvoir y vivre et, quelle part de responsabilité pourrait bien incomber à nos sociétés développées – encore en partie chrétiennes – comme ne cesse de nous en alerter la doctrine sociale de l’Eglise !
Voilà, me dira-t-on, un commentaire bien subjectif et partisan des constats de l’enquête… Non, c’est la simple mise en perspective des contradictions dans lesquelles nous baignons depuis des décennies et que cette enquête nous remet utilement en mémoire sans apporter – et c’est peut-être là une faiblesse – d’esquisse de solutions. En revanche, il nous faut entendre sans faux-fuyant ce dont il témoigne de l’impact de certaines communautés évangéliques ou pentecôtistes qui savent parler aux plus humbles, se montrer accueillantes et fraternelles là où bien des paroisses catholiques restent sur la réserve et le quant-à-soi. Il faut s’interroger sur les conséquences du « conservatisme religieux » (Olivier Roy) qui accompagne l’africanisation de nombre de nos communautés paroissiales urbaines. Il faut entendre cette alerte du philosophe protestant Olivier Abel : « Les Français n’imaginent pas la bombe démographique néo-protestante qui leur arrive »
L’arrivée des migrants comme « opportunité historique d’évangélisation »
Et cela nous rapproche de ce qui, dans le livre, est le plus gênant à mes yeux. D’évidence, l’auteur a été séduit par le dynamisme « missionnaire » des communautés protestantes évangéliques, notamment à l’égard des migrants de confession musulmane. Pour certains chrétiens européens, nous dit-il, l’arrivée des migrants est une opportunité historique d’évangélisation, sur un continent sécularisé. Et de rapporter ces propos d’un prédicateur itinérant : « Ces migrants qui imposent leur mode de vie chez nous sont une malédiction divine. Mais il existe une manière de transformer cette malédiction en bénédiction. C’est de leur annoncer Jésus-Christ et rebâtir l’Europe avec eux. »
A Dunkerque, Pierre Jova a entendu une fidèle évangélique évoquer un rêve où elle a vu Jésus lui remettre une liste de personnes à convertir. Déjà, un pasteur avait un jour prophétisé sur elle : « Tu arrêteras l’Islam aux portes de ton pays ».
Des accusations qui restent sans réponse
Je ne fais pas grief à l’auteur de rapporter ces analyses ou propos. Mais de le faire sans véritable recul critique, en donnant le sentiment d’y adhérer personnellement. Dans ces pages on le voit : opposer les conversions opérées par les évangéliques à « la timidité des Eglises chrétiennes » vis-à-vis des musulmans ; soupçonner le dialogue inter religieux d’être la cause d’une vision « équivalente » des religions dissuadant les musulmans de se convertir ; se faire l’écho de propos selon lesquels le peu d’ardeur missionnaire d’une certaine génération de prêtres tiendrait à leur passé tiers-mondiste et à un « complexe colonial » vis-à-vis de l’Algérie, de même que l’engagement de retraités « post-soixante huitards » en faveur des migrants aurait pour unique motivation de « tuer l’ennui » et d’avoir « leurs pauvres »… Comment – dans une enquête – publier de tels propos sans aucune réserve, sans solliciter le moindre éclairage contradictoire ?
On peut – on doit – entendre l’appel du Christ dans les Evangiles : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. » (Mt. 28,19) Mais la vérité de l’évangélisation se mesurerait-elle à l’aune des statistiques de conversions et de baptêmes ? Les génocidaires Rwandais n‘étaient-ils pas majoritairement baptisés ? Et si l’Eglise catholique ne reconnaît plus la réalité de la mission au travers d’une simple approche statistique est-ce par lâcheté ou mûrissement de sa réflexion sur l’évangélisation ?
« Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme »
Le 31 mars, à la cathédrale de Rabat, le pape François déclarait dans son homélie : « Chers amis (…) notre mission de baptisés, de prêtres, de consacrés, n’est pas déterminée particulièrement par le nombre ou par l’espace que nous occupons, mais par la capacité que l’on a de produire et de susciter changement, étonnement et compassion ; par la manière dont nous vivons comme disciples de Jésus, au milieu de celles et ceux dont nous partageons le quotidien, les joies, les peines, les souffrances et les espoirs. Autrement dit, les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme. S’il vous plaît, ils ne passent pas par le prosélytisme ! Rappelons-nous Benoît XVI : “L’Église ne s’accroît pas par prosélytisme, mais par attraction, par le témoignage”.
J’ai peine pour mon ami Yann Vagneux, prêtre des Missions étrangères de Paris sur les bords du Gange lorsqu’il se dit « témoin que des hindous s’ouvrent à Jésus et s’en trouvent transformés tout en restant hindous. » (3) ; j’ai peine pour Mgr Claverie : « On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. » (4) ; j’ai peine pour mon ami Serge de Beaurecueil prêtre en Afghanistan : « Toutes les prières accomplies aujourd’hui, dans les maisons, dans les moquées, je les transforme en « Notre Père » (…) Et à travers mes lèvres que je lui prête, c’est l’Afghanistan tout entier qui clame vers le Père cet “abba“ que lui souffle l’Esprit » (5) ; j’ai peine pour mon ami Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran qui le 17 mars dernier à Lyon, puis le lendemain dans la cathédrale de Créteil, en présence de Mgr Santier et du Cheik Ilyes Imam de la mosquée de cette ville, soulignait cette phrase de la récente Déclaration commune à Abu Dhabi, du pape François et du grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb : « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. »
Les musulmans, païens à convertir ou enfants du Dieu d’Abraham ?
Ce qui vaut pour les terres de mission ne vaudra-il pas pour la France redevenue pays de mission ? Chacun peut et doit se réjouir de conversions spontanées au christianisme qu’il faut savoir accueillir et accompagner. Mais comment ne pas entendre que les musulmans qui vivent parmi nous ne sont pas des “païens à convertir“ mais des croyants au même Dieu unique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, même si notre manière d’appréhender ce Dieu commun diffère ?
Il faut lire ou écouter la méditation de l’évêque d’Oran sur l’expression : « nous le demandons par notre foi commune en Dieu » prononcée par le pape François et le grand Imam de la mosquée d’Al-Azhar. Il commente : « Cette affirmation d’une foi commune ne signifie pas que théologiquement l’Islam et le Christianisme disent à peu près la même chose, (elle) atteste qu’entre chrétiens et musulmans il est parfois possible de faire l’expérience de l’évidence d’une foi commune même si elle ne se laisse pas enfermer par des mots communs. » Et de poursuivre : « Les conséquences de cette affirmation sont énormes en termes de compréhension de l’annonce évangélique qui ne perd en rien son urgence et sa nécessité mais qui fait place à la valeur de la foi de l’autre, sans avoir à porter un jugement sur le contenu de la foi. (…) Ce n’est pas la place du Christ dans le plan de Salut qui est à remettre en cause, mais la compréhension que nous pouvons en avoir. »
Engager un dialogue nécessaire et respectueux
Voilà la réflexion de l’Eglise catholique, qu’une enquête ne peut ignorer, même si dans quelques presbytères de l’Ouest parisien ou quelque évêché du Sud de la France on continue de nourrir des stratégies missionnaires capables de rivaliser avec les scores de communautés protestantes certes en plein essor. Des stratégies ouvertement prosélytes qui, dans certains pays de mission, notamment musulmans, représentent une menace réelle de représailles pour les chrétiens qui essaient de vivre leur foi dans un esprit d’ouverture et d’amitié, sans rien en renier. Pour le reste, les phénomènes migratoires posent de fait, aux chrétiens comme aux non-chrétiens, bien des questions qu’il faut avoir le courage d’affronter… mais qui ne trouveront pas leur solution dans une conversion des musulmans qui n’appartient qu’à Dieu.
J’aurais pu, sur le livre de Pierre Jova, n’écrire qu’une brève notice bienveillante. Ou gratuitement assassine, pour dissuader de le lire. Cette recension, malgré – ou de par – sa longueur, est une manière de respecter son travail, de le prendre au sérieux, d’inviter à le lire, de lui dire mon estime et déjà d’engager, sur ces questions, un dialogue nécessaire et respectueux.
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(*) Le terme, Rêve de Compostelle, fait référence au titre de l’ouvrage collectif publié sous la direction de René Luneau (Centurion 1989, 360 p.) par référence à la stratégie de Jean-Paul II d’une nouvelle évangélisation de l’Europe.
(1) Pierre Jova, Les chrétiens face aux migrants, Ed. Tallandier 2019, 320 p. , 21,90 €.
(2) Jacques Delaporte, entretiens avec René Poujol, Immigration, le cœur et la raison, DDB 1990, 192 p.
(3) Yann Vagneux, Prêtre à Bénarès, Lessius 2018, 250 p.
(4) Adrien Candiard, Pierre et Mohamed, Ed.Tallandier-Cerf, 2018, p.24
(5) Serge de Beaurecueil, Un chrétien en Afghanistan, Ed. du Cerf, 1985, 2001.
La photo illustre le baptême de 3 000 musulmans
revendiqué par Bibles for Meadest
Sur ce blogue, au sujet de l’immigration
Immigration le cœur et la raison
Les uns croient à la théorie du grand remplacement et dans 10 ans toute la France sera islamisée. Les autres considèrent la venue des musulmans comme une chance, car cela fait de nombreuses personnes à convertir au christianisme. Les Eglise évangéliques affichent ouvertement leur prosélytisme. Mais ceux qui sont convaincus que l’Eglise catholique est la seule et unique voulue par le Christ, et il y en a toujours encore, notamment ceux motivés par leur crispation identitaire, mais aussi en haut lieu quand on écrit Dominus Jesus, ont le même état d’esprit. L’Eglise catholique, combien de divisions? L’autre différent a toujours été source de peur et même d’angoisse fantasmée. Sans tomber dans le relativisme, il est grand temps d’approfondir le dialogue inter-religieux.
Il y a eu un glissement sémantique du mot « prosélytisme ».
Étymologiquement, les prosélytes sont des nouveaux convertis, et même plus précisément à l’origine des païens convertis au judaïsme.
Le terme a pris aujourd’hui le sens d’une conversion plus ou moins forcée, ou au minimum suscitée sans grand respect des personnes et de leur liberté de conscience.
Soyons donc prudents avec les termes employés, ce qui n’empêche pas de se réjouir quand une personne rencontre le Christ et demande le baptême.
Il est bien clair que l’évangélisation passe d’abord par un dialogue respectueux des personnes, par une ouverture à l’autre, par le témoignage de notre foi et de notre espérance aussi bien par la parole que par la vie, dans la cohérence des deux.
L’évangélisation passe d’abord par notre propre conversion.
Oui René, il faut dénoncer de tels amalgames, et le même catholicisme prosélyte voudrait convertir leurs frères à leur foi en la fin de la culture européenne chrétienne, en la nécessité d’un petit nombre de courageux élus chargés de préserver les traditions, de ne pas s’endormir après la crucifixion. Ces prosélytes sont des dévots, par analogie avec le courant dévot -cultes du saint sacrement et du sacré cœur- qui a accompagné, en France, la révocation de l’édit de Nantes, puis été repris pour s’opposer à la loi de 1905, comme récemment pour s’opposer à la loi sur le mariage. Ce courant est porté à Rome, sur les migrants, par R. Sarah dont l’argumentaire est relayé par le Figaro et par la foultitude des médias d’extrême droite (dont ceux de Guillaume de Thieulloy, proche de LR) et qui se réclament d’un catholicisme intégral. ce même courant voudrait convertir les homosexuels à la continence (association courage *) en vertu de textes romains absurde mais toujours en vigueur. Quelles misères!
Si j’en crois le sondage IFOP sur ktos et migrants ** il y a en France 22% des catholiques qui se sentent en insécurité culturelle plus 18 % qui se disent catholiques et nationalistes. Cela n’a rien d’effarant, hélas, quand on sait quels réseaux se réclamant du catholicisme ont poussés depuis des décennies la chrétienté à se renier ainsi, avec la caution de cardinaux (il n’y a pas que R. Sarah) et l’inattention (j’espère que ce ne fut pas de l’adresse!) de papes .
On finit par se dire que mieux vaut avoir honte d’être catholique que de s’en glorifier.
Dans le concret des fats, il arrive pourtant de belles choses, comme celle-ci. Cette chargée de mission « règlementation générale » auprès d’un Préfet, contactée en amont dune démarche consistant à sortir de la pétaudière irakienne (en 2016) une famille, pose d’entrée la question « sont-ils chrétiens? », il lui est répondu du tac au tac « mais qu’est-ce que ça peut faire! ». A partir de ce début s’est nouée une relation confiante qui a contribué a débloquer la délivrance des visas par un consulat en Irak, suite à enquête conjoint des ministères de l’intérieur et des affaires étrangères et donc à intervention politique accompagnée par l’administration préfectorale.
* http://anthony.favier.over-blog.com/2017/08/genese-et-ideologie-de-courage.html
** https://www.ifop.com/publication/perceptions-et-attitudes-des-catholiques-de-france-vis-a-vis-des-migrants/
Oui, Jean-Pierre Gosset, il faut dénoncer les amalgames tels que celui que vous faites entre le Cardinal Sarah et ce qui est relayé par le Figaro et exploité par la foultitude des médias d’extrême droite.
« L’Europe veut s’ouvrir à toutes les cultures – ce qui peut être source de richesse – et à toutes les religions du monde, mais elle ne s’aime plus » (Cardinal Sarah)
« L’Europe s’est faite d’immigrations et c’est sa richesse » (Pape François)
Michel,
Qu’apportent vos citations?
Qu’est-ce qui justifie que ce cardinal soit si péremptoire si ce n’est sa proximité avec les idéologies -à la Zemour, Soral, Bannon …- dont se nourrissent les droites et extrêmes droite européennes.
Voir un amalgame dans un secret de polichinelle, fallait le faire. Vous l’avez fait!
Les citations apportaient juste un démenti aux caricatures voulant opposer le Cardinal Sarah au Pape François.
Quant à prétendre qu’il y a une proximité idéologique entre le Cardinal Sarah et les Zemmour, Soral, Bannon, fallait le faire !
Vous l’avez fait, c’est tout simplement ridicule et même grotesque.