Coup de projecteur sur sept livres dont la lecture m’a marqué au cours de ces dernières semaines.
Sans nous plonger dans la pensée des autres, comment renouveler notre propre réflexion sur les réalités complexes du monde où nous vivons ? A quelques jours des fêtes où le livre – Dieu merci – reste encore un cadeau de choix, je vous propose : un regard sur cette Amérique qui veut en finir avec le pape François (Nicolas Senèze) ; une méditation poétique sur la beauté du monde aujourd’hui menacée (Jean-Claude Guillebaud) ; une relecture de Vatican II par les prêtres « aînés » qui en ont été les contemporains (Nicolas de Brémond d’Ars) ; un décryptage des coulisses et des enjeux du débat sur la PMA (Loup Besmond de Senneville et Martin Steffens) ; une approche psychanalytique des abus spirituels dans l’Eglise (Laurent Lemoine) ; une immersion dans le discours Biblique sur la sexualité (Jean-Pierre Rosa) ; enfin une série de propositions pour renouveler le visage de l’Eglise (Laurent Grzybowski et Anne Guillard).
1 – Comment l’Amérique veut changer de pape (Nicolas Senèze)
L’ouvrage de Nicolas Senèze (*), envoyé spécial permanent de La Croix à Rome, a fait le buzz. Ne serait-ce que du fait de la promotion apportée à l’ouvrage par le pape François lui-même qui l’a qualifié de « bombe » devant les journalistes qui l’accompagnaient au Mozambique, début septembre. Et de fait, l’enquête de mon confrère est sans concession. Depuis toujours l’Eglise US est marquée par les valeurs propres du peuple américain : un certain puritanisme, l’acceptation de la peine de mort, l’adhésion au libéralisme économique, l’anti-communisme… C’est assez dire que l’élection du pape François et ses prises de positions favorables à l’accueil des migrants et au dialogue avec l’islam, ouvertes sur les questions de morale sexuelle et familiale, ou prônant une écologie intégrale contre les dérives de la mondialisation libérale, ont cristallisé les oppositions.
L’épiscopat américain, traditionnellement partagé, est d’autant plus sensible aux oppositions venues de la droite catholique conservatrice que c’est elle qui a renfloué, financièrement, la plupart des diocèses menacés de faillite suite aux indemnités versées aux victimes de crimes pédophiles. Les tentatives de pressions – y compris financières – sur le Vatican s’étant avérées infructueuses, les adversaires de François ont donc choisi de passer la surmultipliée. Nicolas Senèze écrit : « Comme il est désormais clair qu’ils n’arriveront plus à faire changer le pape d’avis, ils décident donc de changer de pape. » D’abord en tentant de le pousser à la démission. Cela s’est traduit, dans un premier temps, par l’attaque frontale de Mgr Vigano, ancien nonce apostolique à Washington, contre le pape François dont il demande la démission, l’accusant d’avoir couvert les agissements criminels de Mgr McCarrick. C’est désormais, cette tentative ayant échoué, la mobilisation de l’aile conservatrice américaine pour faire obstacle, lors du prochain conclave, à l’élection d’un pape qui poursuivrait l’œuvre réformatrice du pape François.
Nicolas Senèze, par moment très bienveillant sur quelques aspects plus discutés de l’action du pape François (je pense à sa politique vis-à-vis de la Chine) signe là un ouvrage passionnant qui se lit comme un roman.
(*) Comment l’Amérique veut changer de pape, Nicolas Senèze, Bayard 2019, 228 p. 18,90 €
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2 – Sauver la beauté du monde (Jean-Claude Guillebaud)
Ma première lecture de Jean-Claude Guillebaud est son Voyage vers l’Asie (1980) qui reprenait le grand reportage que j’avais dévoré, jour après jour, dans les pages du Monde. Quarante livres plus loin, pour l’auteur qu’il est et une bonne quinzaine d’entre eux pour le lecteur que je suis, je viens de refermer son dernier ouvrage. Avec gratitude et amitié. J’ai connu le baroudeur, correspondant de guerre, témoin des atrocités du monde ; l’éditeur essayiste, soucieux de nous rendre accessible la pensée des esprits les plus vifs de notre temps ; le moraliste en quête de sens à partager avec ses contemporains… puis le sage revenant sur son itinéraire spirituel personnel et nous faisant aujourd’hui confidence de son déchirement intérieur devant la beauté du monde. (*)
Des paysages de Bunzac où il réside depuis toujours dans sa Charente natale, à l’observation des parades amoureuses du monde animal et à l’émerveillement devant l’art pariétal ou la magnificence des cathédrales ; des « belles personnes » qui nous éveillent avec humilité à la complexité du monde, à la passion qui nous fait nous sentir vivants… Jean-Claude Guillebaud sait nous dépeindre avec richesse et tendresse ces beautés qui nous font vivre.
Si Dostoiewski prophétisait que « la beauté sauvera le monde » Jean-Claude Guillebaud, lui, ramène d’une vie de voyages incessants, la conviction que cette beauté est aujourd’hui menacée et qu’il nous appartient de la sauver sauf à renoncer à nous sauver nous-mêmes. « Où que nous portions notre attention nous constatons partout ce que j’appelle enlaidissement/destruction du monde. (…) Le nouveau monde se caractérise d’abord par la possibilité nouvelle d’un effondrement. » Dès lors, il en appelle à la sagesse antique qui considérait « qu’une société n’est civilisée que si elle est capable de s’autolimiter. » Et il nous invite à réapprendre que le renoncement est constitutif du désir qui humanise, sans quoi nous sombrons dans l’esclavage du besoin. Un livre de sagesse.
(*) Sauver la beauté du monde, Jean-Claude Guillebaud, L’iconoclaste 2019, 320 p. 17 €.
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3 – Catholiques, rouvrez la fenêtre ! (Nicolas de Brémond d’Ars)
C’était un livre nécessaire dont l’intérêt s’impose au lecteur comme une évidence. (*) Ces « mémoires de prêtres qui ont vécu Vatican II » pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage, sont en fait la synthèse, réalisée par le prêtre et sociologue Nicolas de Brémond d’Ars, de la série de soixante témoignages recueillis par la CCBF (Conférence catholique des baptisé.e.s francophones) auprès de prêtres et de trois évêques, observateurs et acteurs privilégiés de la période 1945-1975. L’ouvrage publie par ailleurs, en Annexe, la liste des interviewés.
Sur l’origine de leur vocation, les conditions de leur formation, leur vision du sacerdoce, leur perception et leur réception du Concile, leur rapport à l’institution, leur vision de l’avenir de l’Eglise… ils s’expriment d’autant plus librement qu’étant désormais déchargés de toute charge pastorale officielle, ils peuvent « parler en liberté ». Et les longues citations dont l’auteur illustre son analyse enrichit, en l’incarnant, le propos de l’ouvrage.
Qui dit Vatican II… suggère une proximité, au moins chronologique, avec Mai 68. On a tant épilogué sur les effets délétères de ces « événements » sur le catholicisme en France. Or l’une des observations les plus passionnantes de cette étude pointe le peu d’importance accordée par ces prêtres aux événements de Mai. Pour la simple raison qu’ils leurs sont apparus comme l’expression sécularisée des changements déjà initiés par l’Eglise à Vatican II. L’auteur écrit à ce propos : « L’évocation de Mai 68, bien tenue et comme passée sous silence par plus de la moitié de notre groupe, donne l’impression que finalement le Concile a été précurseur de l’aggiornamento auquel aspirait toute la société occidentale. Avec l’inconvénient que les sorties du catholicisme, la cessation de la pratique et les défections du personnel clérical n’ont pas remis en cause une façon de fonctionner des cadres intermédiaires que constituent prêtres et évêques . »
D’où cette idée, nourrie par nombre de témoignages et développée par l’auteur, que finalement Vatican II n’a rien réglé et que, depuis lors, le monde a tellement changé, qu’il est aujourd’hui nécessaire de reprendre la réforme de l’Eglise à frais nouveaux. Voilà un livre essentiel à la compréhension des enjeux des débats actuels sur le devenir du catholicisme en France.
(*) Catholiques, rouvrez la fenêtre !, Nicolas de Brémond d’Ars, L’Atelier 2019, 272 p. 18 €
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4 – Et si c’était la fin d’un monde (Loup Besmond de Senneville et Martin Steffens)
Loup Besmond de Senneville qui signe cet ouvrage (*), couvre pour le quotidien La Croix l’actualité liée aux questions de bioéthique. Il a donc suivi, en observateur privilégié, tous les travaux préparatoires et les débats relatifs à la révision des lois de bioéthique en cours de discussion au Parlement, notamment l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Débats difficiles de par la complexité des sujets abordés et la portée éthique des enjeux. Aussi le lecteur lui sait gré de lui remettre en mémoire une chronologie des événements qui finit par lui échapper, et plus encore d’éclairer l’arrière fond idéologique de ces évolutions sociétales.
Plongée dans les travaux de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, soucieuse de « progressisme » sociétal, bien au-delà des convictions assumées par le candidat lui-même ; plongée dans les stratégies opposées des adversaires de la PMA élargie (La Manif pour tous, Alliance Vita) et de ses partisans LGBT ; plongée dans les méandres des commissions et missions parlementaires où se négocient dans l’ombre des « compromis acceptables » susceptibles de donner l’illusion d’un débat apaisé. A la lecture, on s’interroge avec l’auteur, sur l’exclusion des rangs du parti présidentiel de la députée Agnès Thill pour avoir, notamment, souligné le paradoxe d’un gouvernement qui présente un plan pauvreté dans le même temps où il multiplie la possibilité de femmes seules avec enfant…
Mais surtout on frémit de lire, sous la plume de Jean-Louis Touraine, « monsieur bioéthique » d’EM, membre de l’ADMD et franc-maçon revendiqué, rapporteur de la mission de l’Assemblée nationale, l’urgence à « Dépasser les limites biologiques de la procréation de demain (et à) égaliser les conditions d’accès et légitimer une procréation sans sexe pour tous. »
La seconde partie du livre propose un dialogue passionnant entre le journaliste et le philosophe Martin Steffens. Il nous donne à comprendre la profondeur des bouleversements en cours lorsqu’on prétend, à la faveur de réformes sociétales, faire triompher les désirs de chacun là où « Tout à toujours commencé par la famille, le village, la tribu. Jamais par un individu seul » ; lorsqu’on prétend pouvoir nier la nature au nom de la culture et s’autoriser toutes les transgressions au nom de la technoscience et de la souveraineté populaire. « L’actuel CCNE (Comité consultatif national d’éthique), en suggérant fortement qu’il n’y a pas de limites fondatrices données et donc partageables par tous, risque de déplacer ces limites sur le terrain de l’opinion, donc de l’idéologie, ce qui est délétère ».
Face aux évolutions en cours qui semblent recueillir l’assentiment des opinions publiques occidentales, le philosophe s’interroge sur l’attitude des chrétiens. Contre le renoncement, il plaide pour la « renonciation » comme refus de s’enfermer dans une attitude de donneur de leçons et de faiseur de morale qui ne conduit à rien. Il propose une éthique qui, n’en doutons pas, fera débat : « Plus ce monde va avancer vers sa catastrophe, plus le christianisme va lui proposer la charité, cette présence d’autant plus offerte qu’elle se sait parfaitement inefficace. » Parce qu’à la fin des fins… « La vertu ultime, c’est la charité ». Un livre riche et stimulant, à lire et faire lire au moment où va reprendre le débat parlementaire sur la PMA.
(*) Et si c’était la fin d’un monde, Loup Besmond de Senneville et Martin Steffens, Bayard 2019, 240 p. 16,90 €
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5 – Désabuser, se libérer des abus spirituels (Laurent Lemoine)
C’est peu dire que nous n’en avons pas fini, dans l’Eglise catholique, des scandales de pédocriminalité et d’abus de tous ordres : sexuels, spirituels et/ou de pouvoir sur des personnes fragiles. Ce qui suppose d’en identifier les mécanismes profonds pour mieux s’en prémunir à l’avenir. Est-il exagéré de dire qu’il y va de la survie d’une certaine institution ecclésiale ? Dans ce long processus de conversion, l’apport de la psychanalyse peut être d’un grand secours. C’est ce que propose, efficacement, le livre de Laurent Lemoine, prêtre, théologien et psychanalyste. (*)
Au cœur de son interrogation, le statut du prêtre « alter christus » (autre Christ) qui conduit celui-ci à s’auto-investir – bien souvent avec la complicité passive des fidèles eux-mêmes – d’une forme de pouvoir spirituel quasi absolu où peut régner la confusion entre autorité et pouvoir. Confusion souvent entretenue par la structure cléricale elle-même dans un souci d’auto protection. Si bien qu’une personnalité perverse peut avoir l’intuition d’y trouver une structure qui va le défendre, quels que soient ses égarements, pour se protéger elle-même. Et qui, plutôt que de s’engager dans des réformes, pourtant nécessaires mais susceptibles de remettre en cause son propre pouvoir, préfère plaider que le problème est ailleurs, que l’urgence n’est pas tant à réformer les structures que les vies individuelles. On connaît le refrain « on a besoin de nouveaux saints, pas de réformateurs. »
S’agissant des scandales de pédocriminalité, l’auteur montre bien comment s’est déployé, dans l’Eglise, un système de défense cléricale, aujourd’hui dénoncé par le pape François, qui a eu pour effet principal d’aggraver le drame des victimes elles-mêmes. L’enchaînement est d’une logique absolue : « Le prêtre ne peut pas avoir de sexualité puisqu’il est devenu eunuque pour le Royaume ». Dès lors « tout se vaut en termes de comportements “inappropriés“ » Et la pédophilie a longtemps été perçue comme un « simple » péché, là où elle était un crime. Avec pour conséquences ce refus d’entendre les victimes : « Vous demandez justice ? On vous répond miséricorde, parce que, comme chrétiens, vous devez faire miséricorde. »
Si bien que désabuser, pour reprendre le titre de l’ouvrage, consiste à sortir de la logique qui voudrait que la charité doive l’emporter et qu’à sa souffrance de victime, la personne abusée doive ajouter celle de devoir renoncer à réclamer justice. « Désabuser, c’est introduire la loi de la République là où seule la loi religieuse régnait, vers une articulation nécessaire ».
Et cette exigence nouvelle pour l’Eglise d’accepter un regard extérieur possiblement sanctionnant sur tout comportement criminel ou abusif, se double, ad intra, d’une autre sanction nécessaire au rétablissement de la confiance, visant, elle, les responsables : « Vous ne pouvez pas être celui qui a été responsable d’un système disfonctionnant et celui qui le réforme : un autre devra le faire à votre place. Sinon, vous serez toujours soupçonné de ne pas avoir tout nettoyé. » Une grille de lecture potentiellement applicable à quelques affaires en cours ! Mais qui, au-delà, suppose une vraie conversion collective, au sein de l’Eglise.
(*) Désabuser, se libérer des abus spirituels, Laurent Lemoine, Salvator, 176 p. 17,80 €
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6 – La Bible, le sexe et nous (Jean-Pierre Rosa)
Le sexe, voilà bien l’affaire. On sait qu’il constitue depuis longtemps la pomme de discorde entre l’Eglise catholique et la société. Et ce ne sont pas les scandales pédocriminels de l’heure qui vont arranger les choses. D’où l’intérêt qu’il peut y avoir, pour des croyants, à se replonger dans leurs textes fondateurs, en l’occurence la Bible. C’est cette plongée, à vrai dire passionnante, que nous propose Jean-Pierre Rosa. (*)
De sa lecture attentive, l’auteur tire ce constat, indéniable, que dans le récit biblique « La sexualité est au service de la survie du clan » et donc de la descendance. Ce qui explique à la fois certains interdits comme l’onanisme (au sens de retrait) et, de facto, toutes les pratiques qui vont de la polygamie, à l’usage sexuel des servantes et au lévirat (il autorise une veuve à épouser le frère de son mari défunt), sans exclure l’inceste ou le recours à la prostitution. Description de vaut pas approbation. Le même récit biblique illustre à merveille combien la violence du désir sexuel met la vie en péril et peut pousser au meurtre. Ce qui, au final, justifie un certain nombre d’interdits au premier rang desquels l’adultère. Jean-Pierre Rosa écrit : « Les récits de l’Ancien Testament fonctionnent comme des récits cathartiques, un peu comme des tragédies grecques qui mettent en scène des situations effrayantes pour inviter le peuple spectateur à les éviter. »
Ce patriarcat où la prédominance du plaisir masculin fait de la femme un « objet second » s’est trouvé renforcé, dans la tradition chrétienne, par une lecture partielle du récit de la Genèse. La prédominance a été donnée au récit des origines où la femme est « tirée de l ‘homme » ce qui suggère une forme de dépendance légitime à son égard. Or il est un second récit où Dieu ne crée pas l’homme mais l’humain sexué, homme et femme, mâle et femelle, qui reçoit pour tâche de prolonger la Création. De sorte que la domination masculine, prégnante dans certains textes de Paul, « repose en fait sur la distinction sociale des genres ». Jésus ressuscité, rappelle l’auteur, apparait en premier à Marie-Madeleine. « C’est donc elle qui est apôtre face aux Douze qui ne sont encore que disciples. Et c’est elle, justement, qui les fait apôtres. C’est en ce sens qu’elle est « apôtre des apôtres ». Même si, on le sait, les femmes ont par la suite été écartées de la succession apostolique… parce que femmes !
Passionnante lecture donc qui bouscule bien des idées reçues sans épuiser pour autant tous les questionnements. Un seul exemple : « La différenciation sexuelle homme-femme constitue en nous la « ressemblance » de l’humain avec Dieu même. » Ce qui interroge donc sur la question de l’homosexualité dont l’auteur réfute par ailleurs qu’elle soit réellement condamnée dans le récit biblique. Faut-il alors chercher une lecture élargie de l’altérité au-delà de la seule différenciation sexuelle ?
Pour Jean-Pierre Rosa : « pas de morale sexuelle dans la Bible mais de grands interdits structurants » qui ne sont pas de l’ordre de la condamnation. Revenant à l’aujourd’hui de la vie de l’Eglise il pose ce constat : « Les injonctions magistérielles ne peuvent plus être entendues et suivies pour la simple et seule raison qu’elles viennent du magistère. » D’où son invitation à ce qu’au sein de nos communautés, ces questions puissent être abordées et débattues librement !
(*) La bible, le sexe et nous. Libérer la Parole. Ed. Salvator 2019, 192 p. 18,5 €
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7 – Une autre Eglise est possible (Laurent Grzybowski et Anne Guillard)
Voilà un livre ouvertement militant, rédigé avec le désir d’apporter une réponse à l’invitation du pape François dans sa Lettre au Peuple de Dieu de l’été 2018. (*) Un livre qui, face à la crise profonde que traverse l’Eglise, se veut « constructif » puisqu’il est articulé autour de vingt propositions. « Mieux vaut allumer une lampe que maudire l’obscurité » écrivent ses auteurs : Laurent Grzybowski, 58 ans, journaliste à l’hebdomadaire La Vie et Anne Guillard de trente ans sa cadette, doctorante en philosophie et théologie. Elle était déjà co-auteure d’un ouvrage à trois voix : Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien qui avait été perçu à sa sortie, en 2017, comme l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes cathos « de gauche » là où tous les observateurs considéraient que ce type de militantisme chrétien appartenait au passé.
On retrouve dans ce livre un désir d’autonomisation par rapport au « pouvoir clérical », ne serait-ce que du fait de sa mise en cause, par le pape François lui-même, dans les scandales qui frappent l’Eglise. Or si le cléricalisme est en cause, « L’institution, à la fois juge et partie, ne peut le combattre seule. D’autant que le système clérical apparaît difficilement réformable. » Il appartient donc aux baptisés de s’exprimer en liberté sur les réformes qu’ils souhaitent voir mises en œuvre.
Les vingt propositions, recouvrent bien des thèmes aujourd’hui débattus et qui, pour l’essentiel, font consensus parmi les « catholiques d’ouverture ». Qu’il s’agisse de l’égalité hommes femmes dans l’Eglise, du combat contre les abus de pouvoir, de la promotion du sacerdoce commun des baptisés et de la coresponsabilité, de la redéfinition du rôle du prêtre et de sa formation, de la décentralisation du pouvoir dans l’Eglise, du refus de se laisser enfermer dans un discours moral centré sur la bioéthique, de la nécessité de repenser l’enseignement du magistère sur la sexualité, de la transformation de nos églises en des lieux d’accueil, de dialogue interconvictionnel, de célébrations liturgiques réellement intergénérationnelles… Avec des options parfois réalistes mais aussi, ici ou là, des suggestions qui, pour l’heure peuvent paraître relever de l’utopie comme l’accès des femmes aux ministères ordonnés ou le plaidoyer pour un célibat ecclésiastique optionnel…
Les auteurs, reprenant ce qu’ils retiennent de la dynamique de Vatican II, entendent inviter les catholiques à « quitter leurs certitudes » pour se mettre loyalement à l’écoute du monde, de notre société pluraliste, en quête de bonheur et d’autonomie personnelle. Ils écrivent : « Plutôt que de se préoccuper de ce qui fait l’identité d’un chrétien par des « comportement » ou des valeurs morales, il est préférable de remettre cette décision à un mystère d’existence qui nous dépasse, et de chercher plutôt à articuler les exigences d’autonomie de l’humain à l’exigence évangélique. » C’est en effet un enjeu essentiel. Sur lequel il n’est pas sûr que l’accord soit facile.
(*) Une autre Eglise est possible, Laurent Grzybowski et Anne Guillard, Ed Temps Présent 2019, 160 p. 10 €
Le livre de René se termine sur une phrase de Congar: « La seule façon de dire la même chose dans un contexte qui a changé , c’est de le dire autrement .C’est le point commun de ces 7 livres que d’envisager les modalités de la fidélité au message chretien qui ne peut pas être la répétition sous la même forme d’un contenu qu’on se refuse de continuer à interpréter .
« La transmission comporte une part d’intransmissible qui ne se transmet que par le « avec l’autre » ( Traversée du Christianisme de Elian Cuvilier et Jean Daniel)
Peut-être aussi nous faut il méditer Amos(7,10-17) ou Dieu a préféré parler par la voix d’Amos que par celle du prêtre officiel du sanctuaire de Bethel Amamias qui parlait au nom de sa fonction .. Ce que le théologien Klaus Westermann commente ainsi :La parole de Dieu ne se laisse jamais enchaîner à une institution religieuse aussi légitime soit elle . Le texte dit d’ailleurs qu’Amamias lui même a incité Amos à continuer à prophétiser.
La Tradition n’est pas la foi morte des vivants , mais la foi toujours vivante des morts.
En refusant de contextualiser son expression de la foi , en refusant de l’inscrire dans la dynamique de l’histoire des hommes , le magistère catholique détourne la notion de Tradition et se rend lui-même incapable d’en assurer la transmission .
C’est 7 livres s’inscrivent dans la tradition d’Amis.
Quand je pense aux débats sur la tradition, sur l’évolution de l’Eglise, je pense toujours à cet énoncé d’une loi de thermodynamique: « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme »…..Je trouve cela extrèmement parlant…En physique comme ailleurs, la vie n’est que mouvement, passage, transformation. La vie est pascale au sens même du mot « Pâques »/ Pessah= passage….au sens même de la Résurrection…Suscitare : mettre en mouvement, faire jaillir…..Ce jaillissement de la vie, ce mouvement, cette dynamique, c’est bien au coeur de la foi chrétienne telle que je la « comprend ». Le Dieu de l’Evangile est semble t-il profondément dynamique, il est mouvement, il est dans l’histoire puisque les chrétiens croient (et c’est l’immense nouveauté) au Verbe fait chair, il veut donc naître en chaque homme et en chaque femme…Dieu incarné ne peut pas rester extérieur au monde, il est dedans, et il est en même temps cette « source qui jaillera jusque dans la vie éternelle », jusque dans la vie éternelle qui commence donc dès maintenant….Il est là et il précède…Il est venu, il vient, il reviendra…C’est à dire que sa manière d’habiter la communion des chrétiens devrait être de les mener sans cesse au dedans d’ eux mais surtout encore plus devant eux, plus loin, plus avant…..L’Eglise ne peut qu’épouser cette marche en avant si elle est vraiment christique….Les chrétiens « tiennent » le plus fabuleux message spirituel qui soit, un message qui a du sens, d’une incroyable puissance et modernité si on ne le tient pas enfermé dans des tours poussiéreuses ou des conceptions dogmatisantes. Ce n’est pas d’une tabula rasa dont il s’agit, rien ne se crée à partir de rien, rien ne se perd non plus mais des choses déjà existantes peuvent se combiner pour transformer. Je ne sais pas ce qu’il faut faire « concrètement » mais c’est sûr on ne peut pas archiver ou faire du christianisme un fétiche.
L’Eglise ne peut pas non plus se dispenser de l’opinion de tous ces gens qui vont à la messe de minuit, qui se sentent même parfois inspirés par la figure du Christ, mais qui se sentent bien incapables de dire le Credo ou certaines formulations, parce qu’il heurte leur bon sens le plus élémentaire (ce n’est pas un jugement, juste un constat, assez d’accord sur le fait de peut être « dire autrement pour dire la même chose ») . Je vois aussi l’avenir dans un effort partagé de tolérance, où l’Eglise s’adresse à la fois à ceux qui la fréquentent pour témoigner de leur foi, et à ceux qui sont en recherche, ou tout simplement sensibles à une esthétique et à des valeurs humaines. L’Eglise doit, à mon avis, être également attentive à ces derniers, qui doivent en retour accepter les aspects les plus insolites, pour eux, de la tradition.