A vouloir dénoncer, sans les nommer, ceux qui détournent la pensée du pape, on prend le risque de dénigrer aussi ceux qui lui sont fidèles.
Dans un article du Monde daté du 26 juillet (1), un collectif présenté comme « proche des milieux chrétiens » (2) entend dénoncer une lecture conservatrice de l’encyclique Laudato si’ « accaparée à des fins politiques par des mouvements réactionnaires ». Sauf que l’argumentation n’est pas totalement convaincante et que le flou entourant la cible de leur dénonciation, jette le discrédit sur des initiatives tout aussi fidèles à la pensée du pape François que celles dont se prévalent les signataires du texte.
L’article n’est pas sans mérite : de rappeler l’esprit du texte « prophétique » du pape François qui récapitule, consolide et élargit la pensée chrétienne sur l’écologie ; de mettre l’accent sur la dimension sociale de l’écologie qui invite à entendre conjointement « le cri de la terre et celui des pauvres » ; de rappeler aussi, contre certaines dérives possibles, que « l’écologie intégrale n’implique pas le nationalisme.»
L’écologie intégrale est ailleurs…
Mais il y a pour le moins ambiguïté à écrire « L’écologie intégrale ne se réduit pas à la bioéthique » en poursuivant au paragraphe suivant : « L’écologie intégrale est ailleurs » . Elle ne serait donc pas « aussi » dans la bioéthique ? Et c’est là que le propos devient idéologique … et politicien. On peut avoir le sentiment que tout le discours est construit pour dénoncer, à la veille de la révision des lois de bioéthique, ceux qui, parmi les tenants de l’écologie intégrale, voient une contradiction objective entre ce combat et l’élargissement de la PMA à toutes les femmes. Lorsqu’on lit « Il est bien possible que des cercles aimeraient sélectionner, réduire, adapter la parole papale en la présentant à leur façon pour appuyer un certain catholicisme conservateur… » on se sent autorisé à leur retourner l’analyse en remplaçant simplement conservateur par progressiste ! Rien là, d’ailleurs, de bien nouveau en vérité !
La revue LIMITE parmi les cibles de l’article ?
Que de telles tentatives de détournement de la pensée du pape existent, c’est l’évidence même. Et les dénoncer est non seulement légitime mais salutaire. Encore faut-il dire avec précision qui est visé. Je lis encore « La notion de “ limite “ par exemple, apparaît effectivement dans l’encyclique du pape François et dans la pensée ignacienne, mais… » Il se trouve qu’une encore jeune revue, précisément dénommée Limite, se présente comme « revue d’écologie intégrale » et qu’on peut donc soupçonner les signataires de ce texte de la cibler – peut-être parmi d’autres – sans la citer.
Or, si l’on peut légitimement interpeller ses responsables sur tel ou tel article, tel partenariat ou la présence de quelques signatures fortement marquées comme la journaliste du Figaro Eugénie Bastié, la plupart des contributions sont en parfaite harmonie avec ce que les signataires du texte définissent comme étant la réalité de l’écologie intégrale. Leur opposer l’ouvrage Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien, dont l’un des auteurs figure parmi les signataires du texte du Monde, est une parfaite imposture. Concernant les questions de bioéthiques précisément, les rédacteurs du livre ne disent guère autre chose que ceux de la revue – possiblement – incriminée.
Des combats partagés
La dernière livraison de Limite (3) propose entre autres un coup de projecteur sur le Blue Labour, courant interne au Parti travailliste britannique. On peut lire : « La combinaison paradoxale proposée par le Blue Labour peut être conceptualisée de la meilleure des façons comme une philosophie publique du bien commun (…) En économie, le bien commun signifie un passage de l’individualisme à la solidarité sociale et aux relations fraternelles. En politique, cela signifie un passage d’une politique des minorités aux intérêts particuliers et d’une identité de groupes balkanisés à une politique majoritaire ancrée dans l’équilibre des intérêts et dans un sentiment d’appartenance commune. » Est-ce là le propos d’une revue réactionnaire ?
Lorsque les signataires du texte du Monde écrivent « Beaucoup d’entre nous on soutenu l’opposition au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, dénoncent le projet destructeur d’EuropaCity, s’engagent contre la prolifération publicitaire, convertissent leurs pratiques alimentaires… » j’ai envie de leur répondre : tout comme une large partie des jeunes militants que votre article semble viser sans les nommer.
Nous sommes un certain nombre de chrétiens, également situés à gauche sur l’échiquier politique, qui nous reconnaissons dans leur combat et ne laisserons pas une certaine « gauche catho maintenue » (3), où nous avons par ailleurs nombre d’amis, les dénigrer injustement.
J ‘écris ce billet à l’heure même où je termine la lecture du petit ouvrage que les Poissons Roses, militants chrétiens issus du parti socialiste, aujourd’hui organisés en « courant de chrétiens, à gauche », consacrent à « La famille durable au-delà des fascinations biotechniques. » Egalement réactionnaires, les Poissons Roses ?
Je lis encore dans les pages du Monde : « Laudato si’ montre que les chrétiens ont un rôle à jouer, avec d’autres, dans la “sauvegarde de la maison commune“ gravement menacée. » Mille fois d’accord. Mais de grâce, ne commençons pas, sur des critères purement idéologiques et sans réel discernement entre les uns et les autres, par écarter de ce combat tous les chrétiens coupables de ne pas adhérer au libéralisme culturel qui, à gauche, semble être devenu le nouveau champ du « non négociable ». (5) Trouver certaines signatures au bas d’un manifeste aussi peu nuancé fait mal !
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Le Monde du 26 juillet 2018, p. 22
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Collectif composé de Pierre-Louis Choquet, Arnaud du Crest, Gaël Giraud, Laura Morosini, Marcel Rémon, Cécile Renouard et Jean-Luc Souveton.
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Limite, n°11, juillet 2018, vendu en librairie.
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Au sens de la CFTC maintenue qui s’est affirmée au lendemain de la création de la CFDT.
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Curieusement, en une symétrie qui devrait donner à penser, ce sont les mêmes évolutions « sociétales » dont l’adoption pour les uns, le rejet pour les autres, sont considérés comme « non négociables »… et tant pis pour les esprits plus nuancés !
Photo : Famillechrétienne.fr
Tout à fait d’accord avec René Poujol. Le texte des Poissons roses sur la famille durable est par ailleurs remarquable .
Bien vu !
Dans les « réactionnaires » dénoncés, on trouve des personnalités comme José Bové !
Tout à fait d’accord. Il est d’ailleurs essentiel pour notre temps et notre planète en surchauffe que la jonction se fasse, la confiance plutôt que les anathèmes, et que cela ruisselle bien au delà. Le combat se gagnera s’il est global. Que celui qui ne connaît pas bien les dérives qui détruisent les communautés amazoniennes et les forêts primaires fasse confiance au CCFD pr sa réflexion. Que celui qui ne connaît pas bien l’emprise de la technique ds les processus de procréation fasse confiance aux Poissons roses ou d’autres. L’écologie intégrale est un processus global qui doit se construire collectivement et nous faire sortir de l’idéologie du « prix à payer »…
Oui, l’erreur est grosse, peut-être trop camouflée pour être honnête. Elle pourrait se justifier si, considérant que l’homme met la planète en grave danger -à plus brève échéance qu’on croit!-, la bioéthique était regardée comme une menace accessoire.
D’un côté, alors que le changement climatique devient très crédible, il devient raisonnable de se demander si les principaux remèdes sur lesquels notre monde technique a beaucoup misé depuis 20 ans (énergies dites renouvelables, véhicule électrique, monde connecté) ne vont pas, au contraire, accélérer le désastre en cours *.
D’un autre, les campagnes incessantes pour lutter contre toutes formes de gaspillages, atténuent si à la marge la fringale des humains en biens, santé, loisirs, … qu’elles doivent être regardées comme un moyen de cacher que l’humanité, guidée par son élite (les clercs), poursuit dans la ligne « business as usual ».
Quand les efforts des individus sont quasi anéantis par une éthique systémique, dont la règle d’or se ramène a cette image de la « trahison des clercs » rapportée par un diplômé d’HEC: « Les élites se disent: le bateau coule, peut-être, mais ma cabine n’est pas inondée … » ** -, alors, l’urgence pour les autorités morales est de dénoncer ce système, et pour les politiques de le soumettre. C’est il me semble le vœu de l’article comme de Limite. Or l’autorité morale « Institution catholique » est d’une prudence de sioux sur le systémique comme le montre l’exemple de la monstruosité des écarts de revenus ***. Quant au politique, sa faiblesse mondiale est telle que les tendances aux replis nationaux, régionaux, tribaux poursuivent leur chemin de sape … La situation présente a beaucoup de parenté avec celle qui a conduit au conflit mondial 1914-1948 (ou 1989, chute du mur), sauf que le colonialisme de la finance a pris le pas sur celui d’État.
Lisant quelques sujets de « Limites » je me rappelle qu’il est confortable de critiquer et difficile d’agir, … là je compare Gaël Giraud, signataire de l’article (prêtre, co-auteur du facteur 12, économiste en chef de l’AFD depuis 2015 (agence française de développement, 10 milliard d’€ investis dans l’outre mer par la France en 2017), – à Limite.
* « La Guerre des Métaux rares – la face cachée de la transition énergétique et numérique », Guillaume Pitron 2018, LLL … et aussi rapport OPECST 2016 « les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques » (https://www.senat.fr/rap/r15-617-1/r15-617-11.pdf)
** « J’ai fait HEC et je m’en excuse », Florence Noiville, Stock 2009.
*** Le Monde des religions Anaïs Heluin – 24/04/2012, voir les deux derniers paragraphes (http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/deux-economistes-catholiques-invoquent-le-facteur-12-pour-taxer-les-plus-riches-24-04-2012-2478_118.php)
Deux points de désaccord avec ce commentaire.
Dire de l’institution catholique qu’elle est d’une prudence de sioux concernant le systémique c’est faire peu de cas de la dénonciaiton constante, et d’une force qu’on aimerait trouver dans d’autres institutions notamment politiques, des dérives du libéralisme, par les papes successifs, notamment depuis la moitié du XXe siècle.
Opposer Gaël Giraud à la rédaction de Limite ne me semble guère pertinent. L’un est économiste, l’autre est une revue qui donne régulièrementy la parole à des acteurs de la vie sociale ou politique comme, dans la dernière livraison, John Milbank théologien anglican, co-auteur du livre La politique de la vertu (DDB) membre du Blue Labour.
Je suis reconnaissant à Gaël Giraud de la pertinence de ses analyses économiques et n’en regrette que plus, dans ce papier du Monde, la relativisation qu’il semble cautionner de la dimension bioéthique de l’écologie intégrale. Comme si les dérives sociétales de l’heure n’étaient pas le dernier avatar du capitalisme qu’il pourfend par ailleurs !
Sur le systémique: l’institution n’a accepté que deux systèmes: le droit divin quand rois et empereurs firent semblant d’accepter sa suprématie, puis la démocratie après un siècle de transition incluant la perte de ses États. Elle condamna les autres, dans cet ordre: le communisme incapable d’appliquer ses principes sans asservir le peuple, le fascisme après un bon bout de chemin avec lui tant qu’il parut un rempart au communisme, et le libéralisme pour la même raison que le communisme. Ainsi, dans ses actes, notre institution dans le monde, s’adapte comme tout système et tout un chacun … en conscience car l’élite de tout système à une conscience tirée à hue et à dia entre ses principes et ses intérêts.
Sur Limites et l’article je ne les oppose pas car Limites focalise essentiellement sur « la maison brûle », la bioéthique étant un sujet annexe. Il peut-être signalé à cet égard ce que dit de l’article le site IHS: « L’écologie intégrale prônée par le pape François n’implique pas le nationalisme, ni ne se résume à la bioéthique” *.
* https://www.jesuites.com/revue-de-presse/lecologie-integrale-nest-pas-ce-que-vous-croyez-24-07-2018-le-monde/
Pas besoin d’être IHS pour tirer cette conclusion. Cela n’enlève rien à l’ambiguité du texte qui encore une fois, dénonce sans dire qui. Au risque de tous les amalgames.
Au risque de quels amalgames?! N’ayant pas les connaissances pour estimer que Limite serait seul visé, je cherche, … et tombe sur … « liberté politique.com » (fondation de service politique au service du rapprochement FN LR cher à sens commun, … « Réponses catholiques » plus orienté traditionalisme dévot et dont les liens avec le 1er sont nets (au moins via Guillaume de Thieulloy) … des articles sont repris par Ripostes Catho. Le bon grain et l’ivraie, on n’en a pas fini avec ces deux là!
Dans un dialogue développé sur le compte Facebook de François Mandil, un ami écologiste de vieille date, qui partageait l’article du Monde, une lectrice a mis en ligne le twitt de Gaël Giraud, l’un des signataires du texte, où il écrit en toutes lettres : « L’écologie intégrale n’est pas le concept conservateur (voir réactionnaire) auquel certains l’assimilent au sein de « Sens commun » ou de « Limite ». Elle renvoie à l’expérience pratique que l’écologie et la justice sociale sont inséparables. » Ce twitt confirme donc l’analyse de mon billet : Limite est bien – à mes yeux injustement – l’une des cibles, non citées, de l’article du Monde.
https://twitter.com/GaelGir…/status/1023655506534170624…
Gérer
Merci, je comprends et n’en demeure pas moins, s’agissant d’une idéologie (risque totalitaire élevé), sur une grande réserve de « précaution » que confirme la lecture d’interviews de Paul Piccaretta -rédac chef de Limite, dont celle-ci https://www.vice.com/fr/article/nzgk4m/interview-paul-piccarreta-limite-revue
Dans cette longue interview il rapporte que, peu avant les primaires la rédaction s’est soudée sur l’idée qu’EM est l’ennemi majeur à la suite d’un mot d’ordre d’E. Bastié « qu’importe Hamon, Mélanchon, Fillon … » pour finir par « je rêve d’un candidat … » non sans avoir éreinté –travers de jeunesse- sans doute- E Macron à la manière d’un critique littéraire qui n’a jamais écrit*
* « En fait, il y a un certain temps, j’ai réuni la rédaction pour savoir comment on allait aborder les élections de 2017 – au moment des primaires, à peu près. On n’avait jamais eu cette conversation auparavant. On a voté et on a décidé de ne pas parler de politique, tout simplement parce que ça ne nous intéresse pas. Au sujet des élections, le seul consensus auquel on a abouti, c’est de dire qu’Emmanuel Macron est une arnaque. Les autres candidats ne sont pas des saints, c’est sûr, mais Macron, c’est le libéral-libertaire qui « accueille » dans ses rangs aussi bien Pierre Bergé que la droite libérale classique. On aurait voulu imaginer Macron qu’on n’y serait pas parvenu ! Il incarne tout ce que nous combattons : l’homme coupé de l’Histoire, l’homme loin des préoccupations quotidiennes, l’homme insouciant devant le désastre anthropologique et écologique. Alors bien sûr, Macron, ça fédère politiquement : c’est un ennemi assez clair pour l’ensemble de la rédaction.
Notre grand mot d’ordre, c’est ce que disait Eugénie Bastié dans l’un de ses éditos : « 2017 n’a aucune importance. » Hamon, Mélenchon, Fillon – peu importe. Le souci est dans la structure générale de pensée dans laquelle nous vivons. Je rêve d’un candidat qui travaillerait sur l’imaginaire de nos contemporains avec des nouvelles images. Un candidat qui nous dirait « Adieu la pub » ou « Fermez votre ordi, ce soir c’est jeu de société ». »
En quoi rejeter Macron est-il incompatible avec la défense de l’écologie intégrale. Laudato si’ prône une forme de rupture radicale avec le libéralisme économique et ses dérives… Or Macron est libéral ! Je ne vois pas dans le commentaire de Paul Piccarreta sur cette présidentielle matière à justifier son exclusion du champ des artisans de l’écologie intégrale. Faut m’expliquer ! Il m’étonnerait que les signataires du texte du Monde aient voté Macron à la présidentielle, ou alors par défaut !
L’article du monde auquel mon billet entendait répondre a été largement partagé et commenté sur les réseaux sociaux. Notamment sur Facebook. Y ayant moi-même posté ce billet à titre de contribution au débat, je me suis vu opposer, souvent par des amis, l’objection que l’essentiel du propos était de souligner que l’écologie intégrale prônée par Laudato si’ supposait à la fois écologie et justice sociale. Que là était le cœur du message, notamment à l’adresse de l’opinion publique non catholique, peu avertie du contenu de ce texte et parfois soupçonneuse à l’égard des chrétiens.
Dont acte ! Mon propos n’a jamais été de polémiquer et surtout pas avec des amis… mais de débattre, oui ! Or je reste sur mes réticences et interrogations. Si le propos était vraiment de définir l’écologie intégrale… alors autant ne pas titrer sur ce qu’elle n’est pas mais plutôt sur ce qu’elle est; et si l’on croit devoir dénoncer de « fausses conceptions » instrumentalisées par certains à des fins idéologiques et politiques mieux vaut être plus précis dans ses accusations et de dire de qui l’on parle.
Que Gaël Giraud, pour qui j’ai de l’estime, fustige dans son twitt la revue Limite plutôt que l’Incorrect par exemple me semble révéler une certaine méconnaissance de la cible qu’il entend dénoncer.
Connaissant tout de même quelque peu l’univers des signataires j’ai tendance à penser que l’objet de l’article était certes de créer des ponts entre cathos « d’ouverture » et l’univers politique de la gauche et de l’écologie, mais en se démarquant radicalement de tous les militants anti PMA-GPA… qui lui donnent des boutons et qu’elle qualifie de réacs. Avec le risque – semble-t-il assumé – de rejeter et marginaliser ceux des chrétiens qui dans le combat écologique et antilibéral, se réclament d’une écologie intégrale qui porte « aussi » des exigences bioéthiques. C’est le cas des Poissons Roses aussi bien que du jeune mouvement Refondation. C’est également mon cas !
L’objet de mon propre billet n’était donc pas ( à chacun ses incompréhensions) de nier l’intérêt qu’il peut y avoir à souligner dans un article le lien entre écologie et justice sociale qui est en effet au cœur de Laudato si’, mais de dénoncer à mon tour la tentation d’un certain milieu catho « progressiste » à refuser de voir que d’autres chrétiens partagent en fait les mêmes combats auxquels ils ajoutent, simplement, d’autres exigences. Est-il possible que les uns et les autres se retrouvent pour dialoguer entre eux et avec la société ? C’est mon vœu le plus cher !
Je partage votre point de vue, cher René, et je déplore que certains éprouvent toujours le besoin de ranger dans une case (réac) ou dans un tiroir (pour mieux les rejeter) les chrétiens venus d’un autre bord et qui se montrent sensibles aux nouvelles problématiques dans un esprit d’ouverture élargi à toutes les questions soulevées par l’idéologie libérale-libertaire, aussi bien sur les questions économiques et sociales que sur les questions bio-éthiques.
Pour contribuer au débat, ci-dessous ma tribune du jour sur l’écologie intégrale.
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/08/01/31003-20180801ARTFIG00156-l-ecologie-du-corps-n-est-pas-accessoire-dans-l-ecologie-integrale.php
Philippe de Roux
Ce 22 août, Gaël Giraud et Cécile Renouard, signataires de la tribune du Monde, répondent à Philippe de Roux sur le site de la Croix. Un texte qui clarifie bien les choses. Lorsqu’à propos des débats de société (PMA, GPA….) ils observent que « ces luttes politiques doivent être menées au nom de la justice » et non d’une quelconque loi naturelle, je me sens personnellement en accord. Mais préciéent c’est au nom de la justice, ou plus exactement de l’injustice qu’il y a à fonder l’égalité des droits des adultes sur l’inégalité des droits des enfants que se fonde, pour nombre d’entre nous, depuis 2013, notre opposition à ces réformes sociétales. Il est utile de le rappeler. Dès lors, cet article clarifie les choses sur le fond mais ne « gomme » pas la boulette du twitt de Gaël Giraud, classant un peu rapidement la revue Limite dans le camp des « réactionnaires ».
https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Le-corps-lecologie-integrale-meme-combat-2018-08-23-1200963547?from_univers=lacroix
La réponse de Gaël Giraud et de Cécile Renouard a de l’amplitude et j’apprécie la recontextualisation sociale et politique qu’ils font de sujets qui ont trop souvent été abordés à travers une dimension personnelle psychologisante à l’excès.
La dislocation des familles par exemple est effectivement beaucoup plus à mettre au passif d’une société qui crée de la précarité salariale plutôt qu’à l’actif d’une société qui favoriserait l’émancipation individuelle à travers notamment la promotion d’une plus grande liberté sexuelle…
La référence faite aux analyses critiques d’Alain Supiot sur la fragilisation des salariés est la bienvenue.
Mais je ne suis toujours pas convaincu par l’emploi d’un vocabulaire qui me semble épuisé : l’opposition entre progressistes et conservateurs.
Lisant actuellement l’ouvrage de Bruno Latour « Où atterrir ou comment s’orienter en politique » , je reprendrais volontiers à mon compte sa critique des « modernisateurs » qui sont peut être les mêmes que ceux que Gaël Giraud nomme les « néo-libéraux de droite comme de gauche ».
Ce vocable de « progressiste » ayant été détourné au cours de la dernière campagne présidentielle par un candidat qui semble être éperdument épris de modernisation néo-libérale, il me semble difficile de l’employer sans autre formalité pour désigner le combat politique visant à lutter contre l’hybris néo-libérale.
Pour sortir de la confusion des idées le vocabulaire doit être choisi avec précision.
D’autant plus que, ainsi que le formule Bruno Latour et de nombreux écologistes avant lui, il y a dans le conservatisme une dimension de conservation qui paraît aujourd’hui vitale.
Remettons le concept de justice au cœur du débat politique et acceptons premièrement que faire progresser la justice vaut mieux que faire progresser la modernisation et deuxièmement que conserver la nature et le patrimoine comme les traditions porteuses de sens qui structurent nos communautés humaines vaut mieux que conserver les injustices.
On peut ainsi imaginer rassembler des progressistes et des conservateurs plus tandis qu’on marginaliserait les modernisateurs adeptes de l’accélération de la croissance des inégalités.
Il semble urgent de préciser ces questions terminologiques autour de la notion de progrès.
Dans un petit ouvrage consacré au Choix de Pascal (contre Rousseau) Jacques Julliard a très bien décrit les difficultés anthropologiques de la gauche politique prisonnière d’un rousseauisme réducteur.
Le progrès de l’homme ne dépend pas que du progrès de la société.
L’anthropologie chrétienne inscrit l’homme dans une finitude et dans une souveraineté qui se caractérise essentiellement par ses limites. On la nomme aussi le péché originel.
Cette anthropologie est-elle compatible avec la distinction politique entre progressistes et conservateurs ?
Tragiquement la confusion est générale… et renforce la concentration du capital.
Au sein de la rédaction de la revue Limite, on revendique l’héritage intellectuel de Jean-Claude Michéa dans un édito tandis que l’on donne la parole en page intérieure au discours national-souverainiste le moins sympathique.
Michéa y est adulé comme « socialiste conservateur » par Eugénie Bastié pour avoir le premier dénoncé avec une argumentation logique implacable l’incohérence de la « gauche progressiste » tout à la fois adepte fervente du libéralisme sociétal et « en même temps » pourfendeuse authentique du capitalisme.
Mais Eugénie Bastié dans une autre vie est journaliste politique au Figaro, un journal d’opinion dont la philosophie politique est bien plus proche du néo-libéralisme de Trump que du socialisme d’Orwell ?
Je ne suis pas sûr par ailleurs que le matérialiste marxiste Michéa se sente très à l’aise avec cette filiation chrétienne qui fait la promotion du droit naturel.
Il y a chez Limite une volonté de fédérer toutes les oppositions au libéralisme (politique, culturel et économique dont la figure honnie serait celle d’Emmanuel Macron) qui ne concourt pas à l’édification d’une critique aux fondations intellectuelles solides.
A supposer qu’il soit leur, le modèle héroïque de la Résistance trouve ici sa limite car l’ambition intellectuelle de la revue suppose de construire une alternative en positif tandis que le combat armé contre l’occupant nazi pour la patrie et pour la liberté supposait seulement une fraternité d’armes dans laquelle les royalistes catholiques et les communistes athées pouvaient s’unir malgré leurs profondes divergences politiques, culturelles et philosophiques.
C’est cette confusion intellectuelle qui me gêne dans la lecture de cette revue malgré toute la sympathie qu’elle m’inspire.
Quant aux jeunes chrétiens engagés aujourd’hui dans les mouvements politique de gauche, ils livrent leur combat politique contre les ravages du capitalisme dans un environnement militant qui ignore tout de la profondeur de leur singularité spirituelle.
Si par hasard leurs camarades de parti découvraient leur foi, au mieux ils jetteraient sur eux un regard condescendant, au pire ce serait un regard de mépris et d’incompréhension pour ce qu’ils considèrent le plus souvent comme un archaïsme appartenant à une époque révolue de cette humanité en marche dont ils ont la certitude toujours intacte d’incarner l’avant-garde éclairée.
Seule la foi des musulmans en tant qu’elle est l’expression d’une minorité sociale opprimée par le système capitaliste trouve grâce chez certains militants de la gauche athée comme Edwy Plenel.
Pour ces militants avant-gardistes il ne peut pas y avoir de compromis avec la « réaction catholique » qui s’est exprimée dans la Manif pour tous.
Dans son immense majorité, la jeunesse française est totalement ignorante du fait religieux sauf peut-être dans les milieux chrétiens un tantinet conservateurs et dans les communautés juives et musulmanes pour qui l’appartenance religieuse relève plus de la dynamique identitaire que de la quête spirituelle.
Les militants politiques de gauche ultra majoritairement athées par ignorance ou paresse intellectuelle autant que par conformisme plutôt que par conviction longuement mûrie sont malheureusement prompts à enfermer leurs adversaires dans des camps de concentration spirituels.
La tribune du Monde et les commentaires de ses auteurs sont très probablement le produit de cette nécessité absolue pour être audible de la jeunesse et de la gauche militante de se démarquer coûte que coûte de toutes celles et ceux qui se sont, de près ou de loin, opposés au mariage pour les couples de même sexe.
La mise à l’index de la revue Limite serait le fruit de cette cécité politique et de cette volonté de s’inscrire dans le clivage culturel et politique macronien entre progressistes et conservateurs qui diviserait le camp chrétien lui-même et viserait à séparer le bon grain progressiste de l’ivraie conservatrice.
En France, ce pari semble hasardeux tant la gauche politique semble éloignée des milieux chrétiens mais le projet a peut-être une dimension plus large.
L’enjeu est bel et bien de parvenir à redessiner les contours du seul vrai clivage fondamental : celui qui oppose à l’échelle mondiale, d’une part, toutes celles et ceux qui veulent combattre la folle dérive néo-libérale du système de production capitaliste qui détruit les spiritualités traditionnelles et menace la survie même de l’humanité, et, d’autre part, l’oligarchie transnationale et post-humaniste qui renforce son pouvoir politique, économique, technologique et culturel en entretenant la confusion des idées laquelle sert directement la concentration du capital économique, technologique et culturel entre ses mains et l’affaiblissement des souverainetés politiques démocratiques.
Les chrétiens authentiques qu’ils soient de gauche ou de droite ne peuvent pas ignorer qu’ils sont dans le même camp. C’est une conclusion qui devrait, en principe, réconcilier Gaël Giraud et nos amis de Limite.
Je souscris largement à votre analyse. Je crois par ailleurs que la revue Limite touche en effet, aujourd’hui – c’est le cas de l’écrire – les « limites » de son œcuménisme ni droite ni gauche. Mais peut-être n’est-il pas raisonnable non plus de faire une fixation sur la seule Eugénie Bastié.
Réapparition du dualisme corps/âme, le corps étant une machine évoluée et encore plus surprenante dans ce débat l’analyse subtile distinguant le haut du corps du bas!
Le haut étant réservé à l’attention des traditionnels et nécessaires cathos sociaux ( nourriture, hébergement, …) voire certains économistes, quant au bas c’est libre mais pas sans intérêt! Pour certains, on peut débrancher le corps, éteindre la lumière et partir?
C’est donc un retour aux Pères de l’Eglise. Tout est lié!