Les recommandations du rapport Sauvé viennent interpeller l’Eglise sur un sujet jusque-là jugé tabou.
Le président de la Conférence des évêques de France est donc sollicité par le ministre de l’Intérieur pour un « entretien ». Derrière le propos courtois se cache une demande d’explication aussi ferme que « républicaine ». Dans son récent rapport sur Les violences sexuelles dans l’Eglise catholique la Ciase a choisi de publier quarante-cinq recommandations adressées à ses mandants : la Conférence des évêques de France (Cef) et la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). C’est ainsi qu’il est demandé à l’Eglise (n°43) de reconsidérer les contours de sa notion de secret de la confession, pour faire obligation à tout prêtre qui a connaissance d’agressions sexuelles sur mineur ou personne vulnérable de les signaler aux autorités. Le 6 octobre, interrogé à ce sujet sur France Info, Mgr Eric de Moulins Beaufort avait redit les raisons de l’attachement de l’Eglise à ce secret, acquiesçant à la formulation suggérée par son intervieweur que « le secret de la confession était supérieur aux lois de la République“. Patatras ! Y a-t-il eu volonté délibérée de le piéger ? Peu importe ! Cela nous permet de nous interroger : le secret de la confession est-il réellement une loi de Dieu opposable à celle de la République ?
Entendons-nous bien. Chacun sait ici, où il se trouve. L’initiateur de ce blog ne prétend à aucune compétence en matière de de théologie ou de droit canonique. Il revendique simplement un statut de « journaliste, citoyen et catholique en liberté » qui, par ailleurs, semble convenir à ses lecteurs. Le propos qui suit sur le secret de la confession n’est donc pas d’apporter une quelconque vérité sur la question, conforme ou divergente par rapport à l’enseignement de l’Eglise, mais simplement d’éclairer en journaliste le contexte du débat qui, aujourd’hui, envahit l’espace médiatique en des termes nouveaux auxquels l’Eglise n’était pas préparée.
La loi de Dieu, c’est l’accès au pardon, pas aux conditions de l’accès au pardon.
Que le secret de la confession permette de libérer la parole du pénitent dans la mesure où il sait que son aveu ne sortira pas du confessionnal est un argument de poids. Et l’on peut entendre que sa suppression pourrait dissuader un éventuel agresseur sexuel de recourir à ce sacrement pourtant susceptible de le réconcilier avec Dieu et de l’aider à se reconstruire. Mais est-il correct de considérer le secret de la confession comme une « loi de Dieu » opposable et supérieure aux lois de la République ?
Cette vision des choses correspond bien à l’attitude traditionnelle de l’Eglise qui, par priorité, veut sauver le pécheur. Dans le cas d’un agresseur d’enfant ou de personne vulnérable l’important étant de l’accompagner sur les chemins de la repentance en lui permettant d’accéder au pardon de Dieu. Mais si le pardon est, de fait, la « loi de Dieu » peut-on dire la même chose des simples modalités pratiques, instaurées par l’Eglise au fil des siècles, garantissant le secret de l’aveu pour mieux le favoriser ?
La loi de Dieu c’est aussi le respect de l’intégrité de toute personne
La « loi de Dieu », à la lecture des Ecritures, c’est aussi l’obligation de respecter la vie, l’intégrité, la dignité de toute personne créée à Son image et à Sa ressemblance. Et ultérieurement, s’il y a eu agression, son droit à une reconnaissance de son statut de victime et à une justice réparatrice. En bonne logique, la « loi de Dieu » semble donc exiger à la fois la protection du plus faible et la restitution de sa dignité s’il est victime et le droit au pardon pour le coupable. Or, le rapport de la Ciase sur les agressions sexuelles dans l’Eglise catholique, montre parfaitement que la pratique constante de l’institution a été de privilégier la rédemption du pécheur avant que de se soucier de la victime.
Dans le communiqué de presse par lequel il rend publique la demande « d’entretien » qui lui a été adressée par le Ministre de l’intérieur, Mgr de Moulins Beaufort explique : « La confession est aussi un moment durant lequel une personne victime, par exemple un enfant, peut évoquer ce qu’il a subi et être rassuré sur son innocence… parce que la certitude du secret lui permet de livrer ce qui lui est le plus difficile. » Mais pourquoi vouloir situer cette confidence de l’enfant dans le cadre d’un sacrement de la réconciliation qui, ici, semble sans objet puisqu’il est victime et non pécheur ? Pourquoi un enfant irait-il se confesser d’avoir été agressé ?
On peut, il est vrai, au simple plan psychologique, imaginer qu’un enfant victime puisse avoir le désir de se confier en toute confiance pour se libérer d’une souffrance voire d’une possible culpabilité, même infondée. De même est-il imaginable que l’enfant puisse désirer protéger son agresseur si c’est un proche. Mais ce désir ne doit-il pas être aussi interrogé s’il menace son intégrité ? Sachant que, par ailleurs, l’enfant doit pouvoir aussi faire état de sa souffrance à un prêtre sans désigner forcément nommément son agresseur. Et cela en dehors de tout contexte sacramentel.
Quand c’est la loi civile qui vient rappeler les exigences de la loi de Dieu
Chacun peut « en raison » faire sienne une telle réflexion qui semble de bon sens. Même si elle contredit, de fait, l’enseignement traditionnel du magistère. Ce n’est donc pas un hasard si les membres de la Ciase, dans leur recommandation n°43 (voir ci-après), invitent les évêques à réexaminer cette question du secret de la confession, au moins dans les cas d’agressions sexuelles sur enfants et personnes vulnérables. Pour honorer leur droit au respect de leur intégrité physique, morale voire même spirituelle et à une justice réparatrice.
En cette affaire, il est significatif que ce soient aujourd’hui les victimes, soutenues par la société civile, qui viennent rappeler à l’Eglise la totalité des exigences de la loi de Dieu à l’égard de la victime autant que du coupable. Sans doute les évêques et l’Eglise – car ici ce n’est pas le Président de la Cef qui est en cause – n’ont-ils pas pris la mesure de cet ébranlement qui gagne aussi les simples fidèles. Comme ils n’ont pas perçu – et à vrai dire nous non plus jusqu’à ce jour – qu’à travers la Ciase ils ont légitimé une parole extérieure à l’institution ecclésiale qui exprime sur l’Eglise ce qu’ils n’ont jamais accepté d’écouter ni d’entendre de la part des fidèles.
En légitimant la Ciase, les évêques ont légitimé une parole extérieure à l’Eglise qu’ils refusaient d’entendre en interne
Comment s’étonner dès lors que pour nombre de catholiques, à la veille d’un Synode dont les modalités de participation leurs échappent, les quarante-cinq recommandations du rapport Sauvé puissent apparaître comme une possible « feuille de route » ? Parce qu’ils y retrouvent, formulées et argumentées avec rigueur et précision, nombre de propositions de réformes de l’Eglise qu’ils réclament en vain depuis des décennies. Alors, oui, pour ce qui me concerne, il est possible qu’au 18 octobre prochain, jour d’ouverture de la phase de consultation du synode dans les diocèses, je fasse savoir à mon évêque, en l’absence de toute autre proposition de participation, que ces 45 recommandations de la Ciase représentent ma contribution personnelle à la réflexion proposée par le pape François.
Que l’on ne s’y méprenne pas : ce qui se joue ici entre l’Eglise catholique et la société sur cette question du respect du droit des enfants à être protégés de toute agression, au besoin par dénonciation de leur agresseur, au risque d’écorner le secret de la confession, risque de se reproduire demain, dans d’autres domaines. On retrouvera, un jour prochain, la même interpellation concernant les modalités d’indemnisation des victimes, l’accès au sacerdoce (officiellement proscrit par le Vatican) de personnes ouvertement homosexuelles ou l’accès des femmes à d’autres responsabilités dans l’Eglise au regard de l’égalité des droits en vigueur dans la République.
Que l’on s’en offusque ou que l’on s’en réjouisse c’est ainsi. Notre société évolue et l’opinion catholique au rythme de cette évolution. Ecrire cela procède d’un simple constat qui ne suppose le procès le personne : à trop avoir voulu opposer la loi de l’Eglise assimilée à la loi de Dieu, à celle de la société sécularisée qui a fini par intégrer peu ou prou nombre de valeurs des Evangiles, l’institution s’est mise en porte à faux, même aux yeux d’une partie de ses propres fidèles. Le mettre aujourd’hui en lumière est l’une des conséquences les plus inattendues du rapport de la Ciase.
POST SCRIPTUM
Je suis bien conscient du caractère potentiellement polémique de ce billet. Il ouvre, comme toujours sur ce blog, au libre commentaire. Je voudrais dire néanmoins que si c’est pour m’opposer comme réfutation indiscutable : l’autorité des évêques et du magistère, ce n’est pas la peine de trop se fatiguer. Je n’y répondrai pas. Le débat, aujourd’hui, exige qu’on les intègre sans s’y résigner pour autant.
Le rapport de la CIASE met à jour des questions qu’il devient impossible de ne pas se poser et notamment:
1) Le fait que l’église comme toute institution humaine est en tant que telle traversée par le mal et en conséquence des moyens qu’elle émet en place pour reconnaitre , limiter et combattre cette capacité au mal qui transcende les personnes qui composent cette institution .
2) Le fait qu’il convient de distinguer les notions de responsabilité et celle de culpabilité . Que les évêques n’aient personnellement rien à se reprocher pour des faits intervenus bien avant qu’ils soient en charge ne les exonère cependant pas de leur responsabilité institutionnelle .
3) le fait que l’église ne se réduit pas aux seuls évêques et prêtres et que ce n’est pas à eux seuls qu’il convient ni de concevoir ni de décider des réformes et reconstructions éventuelles qu’il convient d’entreprendre .
Aujourd’hui , ces trois questions sont étrangères à la culture de l’institution écclésiale en dépit du choc provoqué par le rapport Sauvé . J M Souveton l’a fort opportunément rappelé lors de son intervention devant la CEF le 2 novembre .
Aujourd’hui encore l’église se perçoit elle même comme » une société parfaite » selon la sémantique du XIXsiècle et ne peut comprendre ni qu’elle peut être aussi source de mal ( cf l’incompréhension réelle de la part des évêques de la pédocriminalité des clercs ) ni qu’elle doive sérieusement le combattre en son sein par une organisation appropriée .
il ne faut pas préjuger à l’avance ni du contenu des motions qui seront soumis au suffrages des évêques , ni du vote majoritaire de ces derniers lors de cette AG . Mais une telle évolution culturelle ne se fait pas en 7 jours . Des actes tangibles notamment en matière de reconnaissance de la responsabilité de l’institution dans la pédocriminalité des clercs et des conséquences que cela implique en termes financiers constitueraient néanmoins un progrès aussi indispensable que notable .
Le débat dans l’église est de même nature que celui qui a eu lieu lors du discours de j Chirac reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans la rafle du Vel d’hiv . Les évêques sont sur ce point « chevènementistes » en ce sens que pour J P Chevènement , l’ Etat est tellement sacralisé qu’il lui est impossible de reconnaitre qu’il ait pu faillir .
Je ne suis pas loin d’être d’accord avec tout ce que vous écrivez ; j’ajoute juste une nuance (pour connaître quelques évêques). Je ne sais pas ce qu’ils représentent au sein de la CEF mais je pense que certains sont sortis, dans leur tête et dans leur pratique, de l’Eglise « société parfaite ». Il y en a quand même qui ont « compris » Vatican II et essaie tant bien que mal d’en vivre. Sont-ils en mesure d’emporter les décisions nécessaires ? je l’ignore.