Comment ne pas être «bluffé» par la formidable liberté dont ont fait preuve, hier, les cardinaux, en déjouant tous les pronostics et en allant chercher le pape François, dans un modeste appartement proche de la cathédrale de Buenos-Aires ?
J’étais hier soir, comme journaliste consultant, en direct sur l’antenne de RTL, lorsque le cardinal Tauran nous a dévoilé l’identité du nouveau pape. Et, je l’avoue humblement, comme l’immense majorité de mes confrères, je me suis demandé, sur l’instant, de qui il s’agissait. Réalisant très vite que j’avais négligé le «portrait» publié dans la Croix du 8 mars, pour l’unique raison que Jorge Mario Bergoglio ne figurait sur aucune des listes de papabili qui, depuis deux semaines, circulaient dans les rédactions. Je laisse volontiers aux «perspicaces» (il y en a toujours, surtout après coup) de triompher sur l’air du «nous, on l’avait vu venir», et suis heureux d’avoir partagé avec d’autres la « surprise » de la soirée.
Une surprise très vite tranformée en heureuse, puis en «divine» surprise. Car enfin, renvoyer les « stars » entrantes du conclave à leurs archevêchés pour cause de responsabilité collective dans le fiasco des affaires récentes ; rompre avec une tradition multiséculaire de papes italiens ou, plus récemment, européens et oser le choix du nouvel élu, jésuite de surcroît, dans l’une des jeunes Eglises de l’hémisphère Sud, qui, malgré leurs fragilités, incarnent la vitalité et pour une large part l’avenir du catholicisme, voilà une belle audace !
Et lorsque le pape en question s’avère être un pasteur proche de son peuple, défenseur des pauvres, pourfendeur des dérives néo-libérales, vivant simplement dans un petit appartement de Buenos-Aires proche de sa cathédrale, et qu’il choisit pour nom de règne celui du «poverello» d’Assise : François (1), l’audace prend soudain la dimension d’un geste prophétique. Un geste qui, à la veille des JMJ de Rio de Janeiro, renvoie à l’image d’un Dom Helder Camara, en son temps injustement privé de la dignité d’être fait cardinal.
Alors, bien sûr, on peut s’interroger. On attendait un pape jeune, à même d’assumer une fonction jugée écrasante, dans un contexte particulièrement difficile. Et l’on se retrouve avec un homme de 76 ans, de santé fragile. Au-delà de la liesse bien compréhensible du premier jour, y aurait-il une erreur de casting ?
On le sait, les congrégations générales qui ont précédé le conclave proprement dit ont mis en lumière deux urgences : redevenir proches des hommes et des femmes de ce temps pour leur annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile, et engager une réforme profonde de la gouvernance de l’Eglise catholique.
Un même homme pouvait-il incarner les deux, avec un charisme égal ? Peut-être pas ! D’évidence, le pape François répond à la première exigence. C’est si vrai que, dès mercredi soir, j’en ai eu personnellement la confidence, des hommes et des femmes extérieurs ou éloignés de l’Eglise se sont repris à espérer… Sans doute compte-t-il sur la personnalité de son futur secrétaire d’Etat pour «tenir» la Curie, quitte à impulser lui-même les réformes nécessaires.
Certains se demandent déjà si ce nouveau pape aura la carrure physique pour assumer la fonction qui, par ailleurs, dénoncent, comme ingérable, l’hyper-centralisation de l’Eglise romaine. Et si c’était là, précisément, un argument pour que le pape engage la réforme essentielle qui porte moins sur la gestion de l’administration vaticane que sur la redéfinition du rôle du successeur de Pierre : prioritairement chargé de la communion entre les Eglises ? Et s’il proposait demain, de conserver et renforcer la suprématie spirituelle qui lui revient du Christ lui-même, tout en décentralisant, au niveau des conférences épiscopales voire de patriarcats continentaux, une partie des prérogatives de la Curie ? Ne minimisons pas l’insistance avec laquelle, mercredi, à la loggia de Saint-Pierre de Rome, il s’est présenté avant tout comme « évêque de Rome » et non comme… « pontife ».
Ce serait là, assurément, une manière de rendre humainement possible la gouvernance d’une Eglise présente sur les cinq continents, riche de 1,2 milliards de fidèles confiés à la responsabilité de quelque 5 000 évêques. Ce serait aussi une ouverture sans précédent dans le dialogue œcuménique vis à vis du monde Orthodoxe dont on sait qu’il achoppe, pour une large part, sur la toute puissance du Pontife Romain.
Peut-être découvrira-t-on un jour que le pape venu de loin, qui depuis l’âge de 20 ans n’avait qu’un seul poumon, trouva dans cette fragilité même l’intuititon prophétique et le courage d’un rapprochement définitif, irréversible, avec l’autre poumon de l’unique Eglise du Christ : le monde Orthodoxe.
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(1) Prénom qui, par parenthèse, est aussi celui de François de Sales «saint» patron des journalistes et des professionnels de la communication. Mais il est probable que dans l’esprit du nouveau pape, « François » renvoie également à Saint François Xavier, missionnaire en Inde, co-fondateur de la Compagnie de Jésus avec Ignace de Loyola.
oui surprise et bonheur
un Pape simple, proche des pauvres
Deo Gratias
il nous donne l’envie de prendre la route avec lui
que le Seigneur le bénisse et l’aide
Bienvenue au Pape François!
Oui, j’ai été bluffé, moi aussi!
J’avais remarqué aussi qu’il se présentait comme l’Evêque de Rome: et il a demandé à son peuple de le bénir!
Revêtu de la seule soutane blanche, sans camail rouge, ni étole dorée (sauf juste pour la bénédiction: il l’a retirée aussitôt après).
Sur la tenture pendant du balcon, un carré blanc vide (là où figure habituellement les armoiries pontificales)!
Et ses paroles répétant le mot « chemin », tel celui des disciples d’Emmaüs!
Et son nom de « Pape François » (sans n° princier) qui en dit long!
Et ce « bonsoir » (au début) et cette « bonne nuit et bon repos » (à la fin): si humains!
J’espère que sa santé fragile ne lui réserve pas un sort comme celui de Jean-Paul 1er!
Je suis étonné que l’on ne s’attache pas plus, dans les nombreux commentaires, à la signification de son geste de proposer aux chrétiens présents (physiquement ou par médias interposées) de communier aux paroles mêmes que Jésus nous a données pour prier: le « Notre Père ». Je pense pour ma part que c’est une volonté extrêmement forte de prééminence de la place de la Bonne Nouvelle et de la mise en pratique du message d’Amour par l’Église.
François puisse-t-il, en cela, initier les réformes d’un Magistère qui depuis trop longtemps ne fait qu’un peu plus « lier des charges qu’ils ne peuvent déplacer du doigt » et rendre aux catholiques, à la faveur d’un enseignement de l’Église plus humain, le libre arbitre que Dieu laisse à chacune de ses créatures.
J-C.H
C’est avec un peu de retard que je lis ce billet. Bien d’accord avec vous sur quasiment tout. Je plussoie ce que vous écrivez. J’ai une hésitation (mais j’aimerai moi aussi rêver un peu) sur la « décentralisation ». S’il est évident qu’il faille changer le système actuel, et ouvrir une dimension qui soit plus locale (à quel niveau ?), il faut aussi tenir l’unité de la Foi (dans la foi), et là, le rôle de la curie est essentiel. J’avoue ne pas savoir jusqu’où aller. Que ce soit Rome qui décide si le missel en Breton est conforme me paraît exagéré (et qui connait vraiment le breton à Rome ? ou au moins aussi bien que le traducteur qui vit en Bretagne ?), mais c’est aussi une garantie de communion avec le reste de l’Eglise.
J’ose espérer qu’avec les premiers gestes qu’a posé le pape François, c’est toute lea curie qui de décisionnelle devienne vraiment servante, se mette au service et ne vive plus dans un esprit de contrôle. Là ce serait une belle victoire.
Affaire à suivre en tout cas.
Stéphane, je crois trouver dans la Croix de ce week-end comme un écho à mon propos sur une possible décentralisation, lorsque Laurent Villemin, théologien à la catho de Paris, spécialiste d’ecclésiologie déclare : « Or beaucoup de questions actuelles ne peuvent être résolues au niveau planétaire. Il serait tout à fait possible qu’une décision soit prise à un endroit et pas à un autre. De nombreuses Églises, par exemple, ont déjà travaillé sur l’accueil des divorcés remariés. Il s’agirait de voir comment leur expérience peut être accueillie et mise en œuvre en certains endroits. Il n’est pas question d’appauvrir la figure du pape mais de trouver, dans une société globalisée, comment continuer à accorder un rôle fort à son ministère d’unité tout en redonnant une véritable responsabilité aux Églises particulières. L’insistance du pape François, dans ses premières déclarations, sur sa responsabilité d’évêque de Rome amène à penser que cette question est bien présente dans sa réflexion. »
Dans son message de salutation au pape François, le patriarche s’est dit heureux de l’élection de ce nouveau pape, reconnaissant en lui « le premier évêque de la vénérable Église de l’ancienne Rome à présider dans la charité ».