Rien de tel qu’un chanteur homosexuel et travesti, victime de son enfance, pour doper l’audience d’un concours Eurovision en perdition.
Texte de ma chronique Blogue note du 13 mai sur Radio Notre Dame.
Il se trouve que j’étais à Rome ce week-en, faisant découvrir la «Ville éternelle» à un filleul de confirmation, jeune adulte nouvellement converti qui s’interroge sur une possible vocation monastique. C’est vous dire le choc de la transition lorsqu’atterrissant lundi à Roissy, je découvre dans la presse ce qui semble nourrir, depuis deux jours, tous les commentaires : la victoire, samedi à Copenhague, d’un travesti de 25 ans, devenu en une soirée et une chanson, l’icône européenne du combat pour la cause homosexuelle.
Conchita Wurst, de son vrai nom – si la loi m’autorise encore la formule – Thomas Neuwirth, a donc conquis et bouleversé les spectateurs des 37 pays membres du concours en interprétant Rise like a phœnix qui raconte les souffrances de son enfance de jeune homosexuel dans une Autriche réputée pour son conservatisme. Une Autriche qui, par la voix de son Président de la République, salue désormais le triomphe de Conchita comme : une «Victoire pour la diversité et la tolérance en Europe». Et cela, malgré l’hostilité marquée à sa candidature de certains pays de l’ancienne Europe de l’Est, sensibles au combat de Vladimir Poutine contre ce qu’il appelle la «propagande homosexuelle».
Je suis allé sur internet pour me rendre compte, par moi-même, des qualités du chanteur dont je voyais partout louanger le talent et la maîtrise vocale. J’ai écouté le clip déjà visionné 800 000 fois… Je dois avouer ma déception d’avoir surtout entendu trois minutes d’une orchestration puissante et majestueuse, où les violons éclipsaient totalement la voix. Difficile dans ces conditions de se faire une opinion et de trancher le fait de savoir si c’est le talent de l’artiste où le symbole représenté par la «chanteuse à barbe» qui l’a emporté à Copenhague.
Que conclure de ce «pseudo événement» sinon que, décidément, nous n’en avons pas fini d’expier l’ostracisme – bien réel – du monde occidental vis à vis des homosexuels, mais au travers d’une injonction au devoir de repentance qui tourne à l’obsession et à la caricature et finit par lasser les mieux disposés.
Car enfin, si le symbole du Phœnix, renaissant de ses cendres, est l’image forte de la chanson lauréate, comment ne pas voir que cette consécration d’une indifférenciation sexuelle devenue tendance, permet également de faire renaître de ses cendres un concours Eurovision de la chanson à bout de souffle. Hier encore, on en dénonçait le ringardisme. Le voici promu vecteur culturel des nouvelles valeurs européennes. Belle opération marketing en vérité.
Dans l’avion qui me ramenait de Rome – ignorant que j’étais encore de l’événement qui bouleversait la planète – je terminais la lecture du dernier ouvrage du jésuite philosophe Paul Valadier, intitulé : l’Intelligence de croire (1). L’homme qui ne passe pas pour réactionnaire, y dénonce une nouvelle fois avec force les conformismes d’une «morale en désordre» parée des vertus de l’humanisme et de la tolérance. «Il est impressionnant, écrit-il, d’assister à une sorte de démantèlement des mœurs traditionnelles, non par imposition d’en haut, mais à partir des aspirations plus ou moins manipulées des citoyens.» A lire d’urgence pour nous éviter de sombrer définitivement sous la tyrannie de ce que Toqueville appelait déjà le «despotisme doux».
- Paul Valadier, L’intelligence de croire, Ed. Salvator, 250 p., 22 €.
René, avez-vous lu, sur le sujet, la chronique de Meneldil Palantir Talmayar?
http://meneldil-palantir-talmayar.blogspot.fr/2014/05/conchita-wurst-ou-le-triomphe-des.html
C’est aussi un angle d’attaque de ce futile évènement, qui ne manque pas d’intérêt.
Oui je l’ai lu. Je lui ai même répondu… le texte ci-après, auquel il répond aussi sur son blogue:
Meneldil, j’apprécie votre position même si je ne la partage pas. Vous pourrez lire sur mon blogue ma chronique de ce matin sur Radio Notre Dame. Je n’ai, bien évidemment, aucune aversion vis à vis de Conchita dont le visage christique passé au mascara saute, en effet aux yeux. Je crois que le point de désaccord entre vous et moi porte sur cette partie de votre propos : « Ne pas se contenter de tolérer la différence : aimer véritablement la différence… » Pour moi ce sont les hommes et les femmes qui sont à aimer, quelle que soit leur différence et dans leur différence. Et sous cet angle je ne vois pas au nom de quoi je n’aimerais pas Conchita… Mais aimer une différence pour elle-même, à mes yeux cela n’a pas de sens ! Or derrière le gay friendly politiquement correct de ce concours de l’Eurovision en perte de vitesse (sauf apparemment, depuis des années, auprès des homosexuels, pour des raisons qui m’échappent) c’est en fait le «culte de la différence» qui se profile et là je ne vois pas en quoi il est particulièrement chrétien.
Meneldil-palantir-talmayar (qui réagit régulièrement à tel ou tel de mes articles) ayant publié sur son blogue sa propre analyse, originale et intéressante, de l’effet Conchita Wurst, j’offre ici à mes propres lecteurs :
– sa réponse au commentaire posté sur son blogue http://meneldil-palantir-talmayar.blogspot.fr/2014/05/conchita-wurst-ou-le-triomphe-des.html
– un nouveau commentaire à sa réponse…
Si je le fais c’est parce qu’il me semble assez rare, à l’usage, que deux débatteurs qui sont en désaccord, acceptent d’échanger des arguments sans phrase assassine ni procès d’intention. Je salue ici sa loyauté !
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Réponse de Meneldil-palantir-Talmayar :
Excellente question ! Un jour, j’écrirai peut-être un billet rien que là-dessus ; en attendant, contentons-nous d’une ébauche.
Pourquoi devons-nous aimer la différence en tant que telle ? De mon point de vue de chrétien, je réponds : parce que Dieu Lui-même aime, à l’évidence, la différence et la diversité. Il le prouve en permanence : dans la nature d’abord, avec l’immense variété des formes de vie, des milieux naturels, et même, au-delà de notre planète, par la variété des mondes (rien que dans le système solaire, que de mondes, certes vides de vie incarnée, mais d’une telle diversité !).
Mais aussi dans l’humanité : la diversité des cultures, des langues, des couleurs de peau, des traditions, des habitudes ; mais aussi la différence des religions. Je suis intimement convaincu que la diversité religieuse est une richesse voulue par Dieu Lui-même, qu’Il aime ne pas être adoré partout de la même manière. Et l’homosexualité, elle aussi, participe de cette diversité et de cette richesse de l’humanité.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que tout se vaille. Je suis chrétien, et donc, je pense que quand les musulmans nient la divinité du Christ, ils se trompent. Mais je pense aussi que, dans leur erreur, se trouve un rappel d’une part de vérité que, sans eux, je risquerais de manquer ou d’oublier : l’unicité de Dieu, Sa grandeur, Sa transcendance. De même, je pense que les athées se trompent en niant l’existence de Dieu ; mais leur erreur permet, inversement, de réaffirmer une vérité : la grandeur, la noblesse de l’homme. Ainsi, de la diversité des croyances naît (ou devrait naître) une harmonie, non pas un désaccord ; et les erreurs sont finalement, au moins pour certaines d’entre elles, complémentaires des vérités, et un moyen de faire ressortir certaines d’entre elles.
Bien entendu, cela ne veut pas dire que toute différence soit bonne. La psychopathie, la pédophilie sont des différences, et je pense pourtant qu’il faut leur interdire de se réaliser. Mais c’est uniquement parce que ce sont des différences dont la réalisation porte tort aux autres. Une différence qui ne fait de mal à personne est, à mon sens, toujours une richesse, et donc objectivement désirable per se.
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Mon nouveau commentaire posté sur son blogue :
Meneldil, je me sens en harmonie avec votre approche et, disons-le, avec la générosité de votre regard sur le monde et les êtres. Et pourtant je perçois, au fond de moi, que je ne puis pas souscrire à votre analyse. Encore faut-il que j’argumente… Partir du constat de l’existence de la diversité pour en conclure que Dieu l’aime sans réserve, voilà qui me semble audacieux ! Car enfin les virus, les tsunamis et les tornades font aussi partie de la diversité. Non, je ne peux pas vous suivre sur ce terrain.
Pour moi la diversité est d’abord le fruit de l’évolution et doit être considérée comme un fait avant tout jugement de type moral. Cela est vrai de la «nature» au sens large du terme – jusque et y compris la couleur de peau – mais également de la culture qui englobe : les civilisations, les religions, les comportements humains… Je ne crois pas un instant que la diversité religieuse soit «une richesse voulue par Dieu». Pas plus que je ne crois qu’il s’en offusque. Elle est, assurément ! Et elle peut être richesse selon ce qu’en font les hommes… La seule chose qui, selon moi, importe réellement à Dieu c’est l’être humain, sa liberté et l’usage qu’il en fait…
Dès lors, l’homosexualité (puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans ce dialogue) est d’abord une réalité (une donnée) à prendre en compte en sachant… qu’on ne sait rien sur ses causes. Il n’est donc pas question – pour moi, en tout cas – de stigmatiser d’une quelconque façon celles et ceux dont c’est la tendance. Pour autant, la sexualité étant le vecteur de la reproduction, animale comme humaine, on voit bien que, sauf à sombrer dans la pure idéologie, l’hétérosexualité et l’homosexualité ne pourront jamais avoir «statut égal» ce qui ne constitue pas en soi une injustice/inégalité, mais une différence.
Je sais, Meneldil, que nous divergeons vous et moi sur cette question. Mais c’est précisément parce que tout ne s’équivaut pas que je reste, pour ma part, réservé, face au discours ambiant sur la lutte contre les discriminations à l’école. Que dans cet âge incertain de l’adolescence, où la confrontation à l’autre sexe ne va pas de soi, on laisse entendre au garçon ou à la fille, que choisir le même plutôt que le différent, est un choix possible, équivalent et sans conséquence, me semble être une imposture. Une chose est de respecter la tendance homosexuelle affirmée d’un jeune adulte, autre chose de laisser s’orienter définitivement vers l’homosexualité un adolescent dont la sexualité n’est pas définitivement fixée. Je sais qu’en certains lieux ce type de propos est considéré comme homophobe mais peu m’importe. Une chose est de refuser d’ostraciser les couples homosexuels, autre chose d’en faire les pivots d’un nouveau modèle familial également ouvert à la filiation…
C’est pourquoi, contrairement à vous, je suis depuis toujours favorable à une perpective de contrat d’union civile et farouchement opposé au mariage pour tous. Il est probable que vous ne changerez pas d’avis… Moi non plus ! Il faut nous y faire ! Et j’apprécie, vous le savez, que nous puissions en débattre sans nous excommunier.
J’en termine en revenant à l’événement qui a provoqué cet échange : l’attribution du prix Eurovision de la chanson à Conchita. Je n’en suis pas «scandalisé» si sa prestation justifie le choix du jury… Mais j’ai tout lieu de penser que ce qui a été consacré là est moins sa qualité vocale que son statut de travesti. Pourquoi ne pas attribuer demain le Goncourt à un écrivain de seconde zone racontant le viol incestueux subi dans son enfance, par «compassion» et désir militant d’aider par cette reconnaissance sociale à «faire repentance» pour les crimes commis au sein des familles hétérosexuelle ! Pardon mais nous sommes là en plein délire !
Non Meneldil, malgré l’amitié que je vous porte : Conchita Wurst ne marque pas le triomphe des valeurs chrétiennes. S’il y a triomphe c’est celui : construit, programmé, orchestré d’une «indifférentiation sexuelle» non pas présentée comme complémentaire mais substitutive à la différence qui, elle, est au cœur des valeurs chrétiennes.
Je souscris totalement à votre argumentation.Merci beaucoup!
Ce mot juste pour dire que j’apprécie vos échanges ouverts et bienveillants.
J’ajoute seulement que concernant la diversité et les différences, il se peut que Dieu les ait voulues. En acceptant que notre Dieu soit aussi celui des musulmans, dans le Coran, le v 13 de la sourate 49 dit: » Ô hommes! Nous vous avons crées d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. » N’est-ce pas là un appel à vivre les différences, aller vers l’Autre et le reconnaître.
Et l’épisode de la tour de Babel en Gn 11 dit bien que en v 9 » …Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre. »
Pour ce qui concerne l’eurovision et Conchita…Si j’ai nettement été opposée à la Manif pour tous, et en ai réellement souffert, j’avoue me sentir proche de l’avis de René…Tout en comprenant très bien les propos de Méneldil.
Je voulais juste saluer l’échange de qualité entre Meneldil et René que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Il se trouve que je lis, en ce moment, le livre de Paul Valadier, L’intelligence de croire. C’est passionnant et vraiment intelligent sans être abscons. Je recommande aussi cet ouvrage. Même si je ne retiendrais pas nécessairement en premier lieu l’extrait cité de René. Amitiés à vous deux.
François. Peut-être reviendrai-je plus longuement dans mon blogue sur le livre de Paul Valadier qui, en effet, n’est pas réductible à la citation de mon article, retenue uniquement parcequ’elle était en résonance avec mon propos.
oui MERCI à Meneldil et à René de la richesse de l’échange
c’est important en ce temps où le dialogue vrai devient difficile , où l’on parle pour l’autre en particulier dans nos paroisses
René,
J’avoue ne pas toujours partager vos opinions dans leur totalité (ce qui n’enlève rien à l’intérêt que je porte à vos publications,) mais sur cette échange avec Meneldil, je dois avouer que je vous rejoins à 100 %.
Meneldil,
Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger nos avis sur les questions de la présence de l’âme chez le foetus, et j’apprécie votre sensibilité, votre intelligence et votre style. Dans votre dernier billet sur Conchita Wurtz, j’ai suivi avec intérêt votre intéressant développement sur la richesse de la diversité mais je ne peux résolument pas mettre l’indifférenciation des orientations sexuelles au nom de l’égalité dans la colonne « richesse de la diversité ».
Aussi, lorsque vous affirmez, par exemple, que Dieu a voulu différentes religions (même si vous nuancez), pour qu’Il soit adoré de diverses manières, j’émettrai quelques réserves.
Sans rentrer dans une longue argumentation, si on ne se réfère qu’à l’échelle individuelle, chaque jour et chaque instant, nous faisons, en tant qu’êtres libres, des choix qui plaisent et d’autres qui déplaisent à Dieu. Question à trois sous: Dieu a-t-il voulu que nous commettions des actes peccamineux? J’en doute fort mais Il continue de nous aimer inconditionnellement. Donc, entre « vouloir » et « permettre » par amour de la liberté octroyée, il existe tout de même une nuance de taille.
Si toutefois, Dieu peut faire concourir un mal pour le bien de ceux qui l’aiment, cela ne signifie pas qu’Il a voulu ce mal.
Cette réalité de la nature divine révélée dans les Écritures peut logiquement s’appliquer au-delà de l’individuel.
Dans le cas des religions, bien qu’on puisse y trouver des vérités intéressantes qui peuvent nous interpeller, si elles ne sont pas le fruit d’une révélation divine, le bien qui s’y trouve vient de ce que l’homme, image de Dieu, perçoit de bon du divin. Mais pour comprendre qui est quelqu’un réellement, il vaut mieux laisser à ce « quelqu’un » se présenter lui-même et nous dire qui il est plutôt que de l’imaginer à partir de ce qu’on connaît…
Cher René,
Tout d’abord, merci de votre réponse. Merci aussi de vos commentaires élogieux sur notre manière de débattre : oui, c’est rare, et moi aussi, j’apprécie. Je ne risque pas de traiter votre position d’homophobe, tout simplement parce que je ne vois pas bien en quoi cela ferait avancer le débat. Je préfère répondre point par point à vos arguments (tout en sachant que, comme vous le dites, ni vous ni moi ne changerons probablement de position sur le fond ; mais au moins avons-nous la chance de pouvoir approfondir nos propres positions).
Votre utilisation des virus et des tornades comme preuve que la diversité ne serait pas bonne en soi me semble très discutable. Ne serait-ce que parce que tous les virus ne sont pas dangereux ! Beaucoup sont non pathogènes pour leur hôte. Les virus jouent même un rôle important dans la transmission horizontale des gènes, et donc (justement !) dans la biodiversité. Les virus ne sont donc pas mauvais en soi ; les virus pathogènes, eux, ne sont qu’une partie (comme les tornades) de la part du mal qui ne dépend pas des hommes.
L’existence de ce mal non dépendant de notre libre-arbitre est une vaste question ; j’ai, pour ma part, une idée très précise de la réponse, mais ce n’est pas le lieu de la développer. L’essentiel, pour notre discussion présente, est ici : en soi, la diversité naturelle ne saurait être tenue responsable du fait que certains virus sont pathogènes, ni que certaines conditions climatiques forment des tornades. De même que la diversité des religions ne saurait être tenue pour responsable de ce que certains croyants sont intégristes !
En outre, j’ai bien précisé ma position : la diversité est objectivement bonne tant et seulement tant qu’elle ne fait de mal à personne. Chaque terme de la phrase est important ! Aussi avais-je bien précisé que si la psychopathie et la pédophilie étaient bien représentatives d’une diversité, elles devaient pourtant être interdites et empêchées de se réaliser.
Je ne prétends donc pas que toute diversité soit bonne. Mais sur le fond, je maintiens ma position. Je crois que vous sous-estimez l’importance de la diversité dans l’Univers. Il me semble, à moi, que la diversification et la complexification soient un des socles les plus fondamentaux de la Création ! Et j’ai du mal à croire qu’une constante aussi universelle ne fasse pas partie du plan divin. Bien sûr que la liberté et l’usage qu’on en fait compte plus ; mais je crois que le monde est la preuve (ou au moins un argument très fort) que Dieu n’a pas voulu un Univers uniforme et monotone.
Revenons à présent à la sexualité. Vous affirmez que la sexualité est « le vecteur de la reproduction ». À mon avis, votre erreur fondamentale est là. Selon moi, la sexualité est d’abord le vecteur d’un immense plaisir physique. Quand un couple fait l’amour, mettons, 4500 fois en 30 ans, il n’utilise la sexualité comme vecteur de reproduction que 2 ou 3 fois, autrement dit 0,07% des fois. Donc, dans 99,93% des coups, on fait l’amour pour le plaisir. Et si on ajoute à ces données la sexualité solitaire, on arrive à un chiffre absolument négligeable pour la sexualité reproductive.
Je sens que vous allez être tenté de balayer cet argument. De me dire que j’ai une vision comptable d’un acte humain. Que j’oublie la qualité en privilégiant la quantité. Mais ne le balayez pas trop vite. Même sans recourir à des données chiffrées, si vous me demandez si, pour moi (père de deux enfants), la sexualité, c’est d’abord le plaisir ou d’abord les enfants, je vous réponds sans hésiter que c’est d’abord le plaisir. Je le constate dans ma vie, au quotidien, et pas seulement dans mon couple, mais partout autour de moi.
C’est pourquoi, à mon sens, il est absolument aberrant de se référer à la reproduction pour définir la sexualité. Ce serait peut-être le cas si l’homosexualité menaçait la natalité. Mais même dans l’Athènes du Ve siècle avant notre ère, qui avait érigé la bisexualité en norme, cela n’a jamais été le cas. Attention, je ne prétends pas que l’homosexualité et l’hétérosexualité soient la même chose ! Bien sûr qu’elles sont différentes. Comme les femmes sont différentes des hommes et les Noirs différents des Blancs. Ce que je nie, c’est qu’il y ait entre les deux une hiérarchie morale, que l’une vaille objectivement plus que l’autre, ou soit objectivement préférable à l’autre.
À partir de ces prolégomènes, quel discours tenir à des adolescents ? Vous vous dites méfiant et refusez qu’on dise aux jeunes que « choisir le même plutôt que le différent, est un choix possible, équivalent et sans conséquence ». Là encore, je crains que vous ne vous mépreniez sur nature de l’homosexualité. Je veux bien, René, qu’on ne soit pas certains de l’origine de l’homosexualité (encore que je ne dirais pas qu’on n’en sait rien). Mais une chose est certaine : on ne « choisit » rien. L’homosexualité ou la bisexualité (ou l’hétérosexualité) ne sont pas des choix. Je peux en témoigner : le corps des garçons m’a toujours fait exactement le même effet que celui des filles. Je n’ai rien choisi ! C’est comme ça, et je n’ai subi aucun traumatisme, même léger, qui pourrait expliquer cela.
Votre manière de poser le problème n’est donc pas pertinente. Elle pourrait l’être, à l’extrême rigueur, si les ados avaient le moindre choix à faire. Mais ce n’est pas le cas. La seule, l’unique chose sur laquelle ils puissent agir, c’est « vais-je assumer ou non ? » Et c’est là qu’il est impératif d’agir. Il faut aider les jeunes à assumer ce qu’ils sont, et cela ne peut passer que par le fait de leur parler de cela. Il faut qu’ils sachent, qu’ils sentent, au plus profond d’eux, qu’être homo, ce n’est pas moins bien que d’être hétéro. Parce que si on ne fait pas ce travail, certains n’assumeront pas et seront frustrés, d’autres assumeront et seront moqués ; et finalement tout le monde souffrira.
À ce titre, je trouve votre discours extrêmement ambigu. Vous dites respecter l’homosexualité quand elle est la « tendance […] affirmée d’un jeune adulte », mais dans le même temps vous ne voulez pas « laisser s’orienter définitivement vers l’homosexualité un adolescent dont la sexualité n’est pas définitivement fixée ». À cela je réponds deux choses. La première, c’est que si l’homosexualité n’est pas moralement inférieure à l’hétérosexualité (et je considère que rien n’indique qu’elle le soit), alors il n’y a aucune raison de pousser les ados plutôt dans un sens que dans l’autre. La seconde, c’est que rien ne prouve que la sexualité ne soit pas « définitivement fixée » bien avant l’adolescence. Pour ma part, j’ai commencé à ressentir mes premières attirances homosexuelles (et hétérosexuelles, c’était en même temps) à l’âge de 12 ans, et rien n’est venu le démentir par la suite. Et pour être parfaitement honnête, je crois que j’étais déjà cela bien avant 12 ans. La psychanalyse a démontré, je crois, sans aucune équivoque, que les enfants étaient sexualisés dès le très jeune âge. Je crois, en toute sincérité, que les orientations sexuelles sont fixées bien avant l’adolescence. Et c’est pourquoi votre discours me semble aller forcément dans le sens de ce que je redoute, à savoir encore et encore pousser des gens à lutter contre leur nature.
Enfin, que Conchita Wurst ait bénéficié d’un « effet de mode » et du « politiquement correct », bien sûr. Mais ce que j’ai voulu dire par ce titre, auquel je ne retire rien, c’est qu’en l’occurrence, le politiquement correct et la mode sont l’expression du christianisme réel, contre le discours officiel de l’Église qui en est la négation.
Sans doute devrait-on réfléchir à la question que posait Véronique Margron à la fin de son cours du Cycle C à la Catho sur la morale familiale et sexuelle, à propos de l’homosexualité : travailler sur la différence entre normalité et normativité.
Accepter un fait minoritaire comme « normal » tout simplement parce qu’il existe, n’est pas la même chose que d’en faire une norme, une règle pour tous. En faire une norme est sans doute assez contradictoire. Une de ses interventions plus récente faisait cette remarque très juste : nous ne savons plus gérer l’exception. Il y a des exceptions à la norme, et c’est ainsi. C’est même sans doute une condition de l’existence de la vie (saint Thomas dit quelque chose d’approchant). Il nous faut vivre avec et ne pas faire souffrir ceux qui vivent cette exception à la norme. C’est comme cela que j’ai compris la publication de Meneldil.
Mais une norme reste « utile » (ou tout simplement présente) même quand elle n’est pas suivie. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup d’entre les normes, de ne pas être appliquées. Mais clairement ou confusément tous ou presque la désirent, oscillant entre désir et crainte. De même Philippe Bordeyne constate que le rejet apparent de la norme catholique du mariage, monogame, hétérosexuel et indissoluble, s’accompagne d’un désir diffus et d’un plus grand attrait pour ce mariage-là.
Pour les chrétiens la « norme », la loi divine, révélée, est source de bonheur. Or on constate que, tout particulièrement dans le domaine de la morale sexuelle, les chrétiens ont fait et font souffrir leurs contemporains qui échappent à la norme. Voilà la vraie question, et il semble que le Pape François a trouvé la manière d’y répondre.
Marc, votre commentaire en appelle bien d’autres. 😉 Mais je vais me contenter d’une remarque sur la fin, parce qu’à mon avis l’erreur est là.
Vous dites « la « norme », la loi divine », comme si, pour les chrétiens, c’était forcément la même chose. Or, je ne suis absolument pas d’accord. Il faut clairement faire la différence entre ce que nous avons l’habitude de faire (« la norme ») et ce que Dieu veut que nous fassions. La norme, En Europe, c’est de se marier entre personnes ayant la même couleur de peau. Regardez les mariages, c’est le cas la plupart du temps. Et pourtant, ça n’a strictement rien à voir avec la volonté divine : tout ce que Dieu veut, c’est qu’on se marie avec quelqu’un qu’on aime.
De la même manière, si le mariage hétérosexuel est majoritaire et le restera très probablement (bref, s’il restera « la norme »), je ne suis pas d’accord pour en faire « la loi divine ». A mon avis, Dieu veut que les homosexuels puissent se marier quand ils s’aiment, comme Il veut que les hétérosexuels puissent le faire.
Alors la norme est-elle utile ? Sans doute, mais ce n’est pas pour cela que toute norme est utile, ni qu’une norme utile ne pourrait pas l’être encore plus (utile) en évoluant. Ainsi, je milite, en tant que chrétien, pour que le mariage chrétien cesse d’être obligatoirement hétérosexuel et indissoluble. Je pense que cette « norme » serait plus utile (et moins néfaste) en évoluant.
Pour finir, je ne suis pas vraiment d’accord avec Véronique Margron pour dire que nous « ne savons plus gérer l’exception ». C’est sans doute vrai dans certains domaines, mais certainement pas pour la sexualité : bien au contraire, nous y tolérons de plus en plus de choses qui étaient autrefois injustement stigmatisées.
Je suis un peu surpris par la crispation d’un certain nombre d’entre nous, commentateurs(courtois et respectueux), sur l’affirmation de Meneldil: »Je suis intimement convaincu que la diversité religieuse est une richesse voulue par Dieu Lui-même ».
Comment imaginer que Dieu, dans son omniscience, ait voulu la diversité de sa Création sans avoir envisagé qu’elle entraînerait, de facto, une diversité dans la manière des hommes de le vénérer au travers de leurs religions? Plutôt que voulue, je serais plutôt enclin à penser que la diversité religieuse indiffère totalement Dieu, dès lors que les religions respectent son plan d’Amour sur l’homme.
Cher ami vous apportez vous-même la réponse à ma réticence…
Cher Meneldil,
Il y a entre nous une part de désaccord mais également de malentendu. Commençons par dissiper les seconds. Lorsque je parle de la sexualité comme «vecteur de la reproduction», ce n’est pas pour nier sa dimension « dominante » de plaisir dont je me réjouis autant que vous. Je voulais simplement signifier que la reproduction est sexuée et suppose la différenciation des sexes. Et donc que si la dimension «ludique» de la sexualité peut, sans problème, être vécue au sein du couple homosexuel comme du couple hétérosexuel, sa dimension reproductive, elle, se heurte à une impossibilité physiologique.
C’est ce qui – au risque de me répéter – fonde depuis longtemps mon choix pour le contrat d’union civile pour les couples homosexuels. Je ne leur conteste pas, contrairement à la «lettre» de l’enseignement de l’Eglise à laquelle se cramponne LMPT, le droit de s’aimer physiquement ; mais je persiste à penser que, concernant la filiation, la norme doit rester la filiation biologique dans la clarté de l’identité des géniteurs et qu’il est de l’intérêt de l’enfant comme de la société qu’il soit élevé par eux.
Dans cette approche globale qui intègre les deux dimensions de la sexualité : plaisir + reproduction, il y a donc bien inégalité entre hétérosexualité et homosexualité puisque l’une donne accès aux deux finalités, l’autre pas. Ce n’est pas un jugement moral, c’est un fait ! Et c’est sur la base de ce fait que j’ai souhaité, pour ma part, que la notion de mariage soit réservée aux seuls couples hétérosexuels dès lors que le mariage ouvre ET à la conjugalité ET à la filiation.
J’entends tous les arguments sur la générosité de la filiation par adoption, sur l’existence des familles homoparentales et sur le fait que nul ne peut contester la capacité de deux adultes de même sexe à «aimer» un enfant… Mais je fais miens les propos de Véronique Margron, rapportés dans les commentaires de ce blogue par Marc Fortier-Beaulieu lorsqu’elle soutient, avec d’autres, qu’il y a un risque pour une société à transformer une exception, même croissante, en norme.
La diversité qui vous est chère, Meneldil, a toujours été revisitée par la culture (et/ou par les religions) pour établir en son sein des hiérarchisations. Vous évoquez la bisexualité qui était la norme dans la cité Athénienne du Ve siècle avant notre ère. Mais je ne sache pas que les Grecs aient jamais fondé une quelconque conjugalité voire une filiation, sur l’homosexualité. Simplement ils se reconnaissaient le droit de vivre à la fois une hétérosexualité conjugale nécessaire à la survie de la Cité, et une homosexualité de plaisir. Ils accordaient à la sexualité/plaisir une autonomie que refusera le christianisme, au nom d’une conception de ces réalités liant étroitement sexualité, mariage et don de la vie.
Nous vivons, j’en conviens, une période de basculement civilisationnel où les anciennes hiérarchies sont remises en question. Est-ce forcément pour faire émerger un bien supérieur ? C’est ce que vous pensez et dont je doute. Sans plus de «preuve» objective de votre côté que du mien. Voilà !
S’agissant de la fixation des tendances sexuelles de chacun vous écrivez : «rien ne prouve que la sexualité ne soit pas « définitivement fixée » bien avant l’adolescence». Sans doute, sauf que rien ne prouve le contraire. En fait on n’en sait rien. Vous ajoutez : «si l’homosexualité n’est pas moralement inférieure à l’hétérosexualité (et je considère que rien n’indique qu’elle le soit), alors il n’y a aucune raison de pousser les ados plutôt dans un sens que dans l’autre.» On retrouve ici ce qui nous sépare : si l’intérêt de la société est – ce que je crois – de privilégier une forme de lien et d’organisation sociale qui, à travers la sexualité, lie plaisir et reproduction, alors il n’est pas anormal qu’elle donne une forme de préférence au lien hétérosexuel, sans pour autant nier l’égale dignité affective de la relation homosexuelle. Simplement leur «fonction sociale» n’est pas la même. Et donc, dans l’hypothèse – non démentie – où la tendance sexuelle de l’adolescent ne serait pas fixée, il y a, de fait, justification à vouloir l’orienter, pour peu que ce soit sans contrainte, dans un sens encore majoritairement jugé, à ce jour, préférable pour la société : l’hétérosexualité. Et je me garderai bien d’entrer ici dans le débat, nourri par certains, de savoir si ce choix n’est pas également préférable pour l’épanouissement personnel d’un jeune non définitivement assuré de son homosexualité exclusive, ce « vécu » homosexuel – permis par un contexte social bienveillant – pouvant alors être perçu comme «incomplétude», source d’insatisfaction profonde et de souffrance… Débat à haute valeur idéologique et polémique pour laquelle j’avoue mon incompétence.
Terminons, cher Meneldil, sur la «préférence divine» pour la diversité qui semble vous être chère. Tenons-nous en aux religions si vous le voulez bien. Je ne crois pas que Dieu ait «voulu» une diversité des religions. Je crois simplement qu’il a mis au cœur des hommes et des femmes depuis l‘origine de l’être, en même temps que la liberté, un «désir» de Dieu et du bien qui s’est traduit, de fait, par une diversité de cultures et de religions. Pour moi le seul vrai désir de Dieu c’est le bonheur et la liberté de l’être humain qu’il a créé à son image et ressemblance. Ce que nous disons vous et moi n’est donc pas si contradictoire. Mais l’approche n’est pas la même. Et si Dieu veut incontestablement le bonheur de tout être, et aime chacun de nous quelles que soient ses tendances sexuelles, il me semble audacieux d’avancer, comme vous le faites, qu’il veut que ceux qui s’aiment puissent se marier…
Pardonnez-moi mais je pense que ce n’est là ni son problème ni sa préoccupation. C’est strictement affaire de culture, et c’est à nous, pauvres humains, de nous risquer à déterminer des hiérarchies de valeur, des préférences organisationnelles en fonction de ce qui nous semble utile au bien commun. Longtemps l’Eglise a prétendu, sans guère de contestation interne, pouvoir dire, en la matière, le bien et le mal, le bon et le mauvais. Aujourd’hui nos sociétés sécularisées se trouvent, en quelque sorte, condamnées à rebattre les cartes pour définir un nouveau consensus, capable de fonder un vivre ensemble respectueux des droits de chacun (et donc aussi des enfants à naître…)
Cette analyse – subjective, comme toute analyse – me conduit à me séparer de vous sur deux points essentiels : concernant la société, je crois qu’on ne peut pas «imposer» des évolutions sociétales qui ne font pas réellement consensus en s’appuyant sur le fait qu’on dispose d’une majorité au Parlement et qu’on «pressent» (au nom de quelle science exacte ?) qu’elles s’inscrivent dans le sens de l’Histoire ; concernant l’Eglise, je crois que chacun d’entre nous doit avoir l’humilité de ne pas considérer que ses élans personnels de compassion et/ou de générosité suffisent à affirmer, dès lors qu’il se dit chrétien, que Dieu valide nos intuitions. On n’est pas chrétien tout seul. C’est bien pourquoi il me semble que nous ne sortirons d’un débat qui, d’évidence, n’est pas clos que par une réflexion en profondeur ET dans la société française, ET dans l’Eglise. Ce que nous n’avons pas réellement fait à ce jour. Et que modestement, notre dialogue contribue à nourrir.
Cher René,
Vous allez sûrement me trouver tatillon, mais je dois reprendre un point de votre raisonnement. Partons d’un préalable théorique : quand on utilise un argument pour démontrer un point, il faut que l’argument soit vraiment et complètement valable, sinon il faut en trouver un autre.
Sur cette base, reprenons votre discours sur le mariage homosexuel.
Vous dites d’une part que « votre choix d’une union civile » (autrement dit, votre refus du mariage) se fonde sur « l’impossibilité physiologique » pour un couple homo d’avoir des enfants. Attention, je ne dis pas que ce soit votre seul argument, mais c’est un de vos arguments.
A-t-il de la pertinence ? Si oui, alors il doit logiquement s’appliquer pour tous les couples qui sont physiologiquement incapables d’avoir des enfants. Une femme ménopausée ne pouvant avoir d’enfants, vous devriez en toute logique refuser le mariage et proposer l’union civile aux couples comprenant une femme ménopausée.
Vous allez sans doute vous rabattre sur d’autres arguments pour écarter ma critique. Mais j’aimerais qu’on commence par éclaircir ce point : soit vous assumez de refuser le mariage aux femmes ménopausées, soit vous reconnaissez que cet argument est en fait sans valeur. Ça ne serait pas une preuve que le mariage homo est une bonne chose, mais ça contribuerait à clarifier le débat : soit l’argument est bon, et alors on en assume les conséquences ; soit il ne l’est pas, et les opposants au mariage homo s’engagent à ne plus l’utiliser. Ou alors, il y a un moyen terme que je ne vois pas, mais alors il faut me le montrer.
De la même manière, « l’inégalité » que vous pointez entre l’homosexualité, non ouverte à cette faculté reproductive, et l’hétérosexualité, devrait vous conduire à mettre l’hétérosexualité entre personnes âgées, ou tout simplement entre personnes stériles, du même côté que l’homosexualité. Si vous refusez de le faire, alors c’est que la différence que vous faites entre ces deux sexualités n’est pas réellement basée sur la faculté de reproduction, mais sur autre chose. Vous allez me dire que c’est sur la différence sexuelle : mais ça ne répond pas à la question. Quand, pour une raison ou pour une autre, la différence sexuelle ne permet pas l’ouverture sur la vie par la reproduction, qu’est-ce qui la rend si spécifique ? C’est à cela que vous devez répondre.
Poursuivons. Vous affirmez que « la norme doit rester la filiation biologique dans la clarté de l’identité des géniteurs ». Je ne vois pas bien pourquoi. Si par « la norme » vous entendez « le comportement majoritaire », je peux être d’accord avec vous, mais ce ne serait pas une raison pour interdire par la loi les autres comportements. Ainsi, je souhaite que « la norme » soit que les couples n’aient pas plus de deux enfants (pour des raisons écologiques et économiques), mais je ne vais pas pour autant interdire à ceux qui en veulent plus d’en avoir plus. Je souhaite que « la norme » soit que les gens n’aient pas un hélicoptère privé, mais je ne pense pas qu’on puisse actuellement le leur interdire.
Si vous poussez plus loin l’idée de « norme », et si vous dîtes que la loi doit tenter d’empêcher les filiations non biologiques, là je ne suis plus d’accord. Je trouve au contraire que nous mettons beaucoup trop l’accent sur la filiation biologique et que nous oublions la filiation sociale, qui est, à mes yeux, infiniment plus importante. Par exemple, je souhaiterais qu’une femme puisse abandonner son enfant à la naissance au profit d’un couple qui l’adopterait pleinement. Je ne suis donc pas d’accord pour que la loi favorise à outrance la filiation biologique. Un enfant a-t-il plus intérêt à être élevé par sa mère biologique qui n’a pas voulu de lui et n’a pas les moyens de l’élever, ou par un couple qui l’attend comme le Messie et est prêt à l’accueillir ? Quelle est l’importance réelle de la filiation biologique ?
Enfin, vous dites que vous souhaitez lier mariage et filiation. Mais à la rigueur, pourquoi ? Au nom de quoi ? Même en oubliant tout ce que je viens de dire sur le fait que l’hétérosexualité n’est pas toujours ouverte sur la vie, ou sur le fait que la filiation sociale devrait être revalorisé, existe-t-il réellement un lien entre mariage et filiation ? À mon sens, non. Je crois qu’il n’y a rien d’immoral dans une filiation hors du mariage ou dans un mariage sans descendance ; et j’affirme donc que le lien entre mariage et filiation est purement statistique, conjoncturel.
Plus généralement, le lien établi au Moyen-âge par l’Église entre mariage, sexualité et don de la vie doit impérativement, à mon sens, être cassé. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il faille automatiquement se débarrasser des vieilles valeurs ou des normes anciennes ; vous me connaissez assez bien, je pense, pour ne pas me faire cette injure. Mais en l’occurrence, ce lien me semble éminemment nocif, pervers, dangereux pour l’équilibre et l’épanouissement des hommes. Tous les termes du triple lien sont nuisibles, tous culpabilisent les hommes pour rien ! Il n’y a rien de mauvais dans la sexualité hors mariage, rien de mauvais dans un mariage sans filiation, rien de mauvais dans une filiation hors mariage, rien de mauvais dans une sexualité-plaisir !
Avons-nous, l’un ou l’autre, des preuves objectives ? Bien sûr que non ; c’est impossible en métaphysique. Mais ça ne veut pas dire que nous n’avons pas des arguments. En l’occurrence, je peux avant tout avancer l’expérience : je peux vous dire que je serais très mal dans une société liant sexualité et procréation. Et je crois que je ne suis pas seul dans mon cas… Je crois qu’on peut dire que la sexualité est un besoin humain fondamental, et que la réduire aussi drastiquement est contraire à notre nature. Donc, non, je ne crois pas que l’intérêt de la société soit de lier plaisir et reproduction. Au contraire.
De même sur l’origine des tendances sexuelles. « On n’a pas de preuves », ce n’est pas la même chose que « on n’en sait rien ». Là encore, je vous ai parlé de mon expérience en la matière. Avez-vous, de votre côté, souvenir d’un moment où vous auriez hésité ? Avez-vous l’impression que votre orientation sexuelle est l’objet d’un choix ? Si l’expérience ne vous convainc pas, je crains que, si vous désirez sincèrement vous documenter, il ne vous faille y passer plus de temps. Je vous recommande tout particulièrement le livre de Jacques Balthazart intitulé Biologie de l’homosexualité. Directeur du Groupe de recherche en neuroendocrinologie du comportement à l’université de Liège, il fait le point sur les connaissances scientifiques sur l’homosexualité. Je crois que c’est une lecture que tout le monde devrait faire avant de prôner des lois en la matière.
Mais même sans cela, votre raisonnement est-il pertinent ? Quand bien même on admettrait (ce que je ne fais pas) que la fonction sociale de l’hétérosexualité soit préférable, et aussi (ce que je ne fais pas non plus) qu’on n’a pas la moindre idée des origines de l’homosexualité, la société doit-elle favoriser un comportement plutôt qu’un autre ? Ce pourrait être justifié si l’hétérosexualité était en voie de disparition. Mais franchement, regardez autour de vous : vous avez l’impression que c’est le cas ? En d’autre terme, je conteste votre pari. Vous dites « puisqu’on n’en sait rien, favorisons ce qui est socialement utile » ; je réponds « puisque ce qui vous semble socialement utile ne risque pas de disparaître, ne prenons pas le risque d’orienter des adolescents contre leur nature profonde ». Au fond, même sans preuve, même sans arguments en ma faveur, c’est sur un simple rapport risque/gain qu’on peut, je crois, se décider : votre proposition fait courir aux adolescents le risque du non-épanouissement, pour un gain social nul.
Car le risque de non-épanouissement est fort, et je crains que vous le sous-estimiez. Vous dites qu’un adolescent pourrait sentir une « incomplétude » en s’orientant vers une hétérosexualité stricte. Mais si c’est le cas, tout le ramènera à l’hétérosexualité : la société, son entourage, les clichés… Alors qu’un jeune qui chercherait à lutter contre son homosexualité aura bien du mal à revenir dans le chemin de sa nature, et sentirait une incomplétude bien plus tragique et insurmontable.
Reste la question de la préférence divine. Vous semblez dire (mais peut-être est-ce un malentendu, je ne suis pas certain d’avoir bien compris) que le mariage serait une institution purement humaine. Pour moi, c’est avant tout un sacrement, institué par Dieu, pour sanctifier et protéger un amour pas forcément éternel, mais qui cherche à durer et à construire. En ce sens, il doit, selon moi, être accordé à tous ceux qui s’aiment et veulent durer et construire dans et par leur amour. Mais c’est là une question de foi, et pour le coup je n’ai pas de preuve.
Est-ce qu’on doit attendre qu’une question fasse socialement consensus pour être transcrite dans la loi ? Je ne pense pas ; nous n’avons pas la même vision de la loi. Pour moi, la loi n’a pas vocation à seulement suivre le courant, elle doit aussi l’orienter. En 1981, l’abolition de la peine de mort ne faisait pas consensus. En 1881-82, les lois scolaires de Ferry avaient contre elles toute la population paysanne, encore majoritaire en France. Et pourtant, je maintiens que ce furent de bonnes lois, qui ont contribué à orienter le peuple français, contre lui-même, dans le chemin qu’il devait prendre.
Enfin, bien sûr qu’il faut de l’humilité quand on parle de la volonté divine. Mais je crois (encore une affaire de foi !) que notre conscience est, in fine, le lieu par excellence de notre rencontre avec Dieu, au-dessus de toute autorité scripturaire ou institutionnelle.
Meneldil, j’aurais mauvaise grâce à ne pas publier votre longue, très longue réponse… par estime pour vous et honnêteté vis à vis de nos lecteurs. Mais je ne me sens pas momentanément de poursuivre notre dialogue. Trop de désaccords qui demanderaient à nouveau une argumentation point par point dont je n’ai pas aujourd’hui le courage. Merci néanmoins pour ces échanges et ceux qui suivront, à un moment ou à un autre.
Je pense René que vous avez bien raison d’arrêter là ce débat car dans 6 mois vous y seriez encore…
A ma connaissance et celle de tout le monde personne ne connait l’orientation sexuelle de Conchita Wurst, le mot travesti est il approprié aussi? Je ne sais pas, nous ne savons pas grande chose de cette personne et son identité sexuelle et identité tout court. Il y a donc de part et d’autres pas mal d’amalgames, voir de récupération dans un sens et dans un autre… N’oublions pas que l’Eurovision est aussi un spectacle, et que la géopolitique y est très importante, de plus depuis toujours l’Eurovision est un spectacle « gay friendly », ça ne date pas de cette année, dans les années 90 Dana, un transexuel israélien avait gagné et pas autant d’agitation… Et le nombre de candidats ouvertement gay y est toujours nombreux. Je pense que la le débat houleux et la Manif pour tous à vraiment créé un clivage en France, on s’en rend vite compte, car pour beaucoup de catholiques, les personnes lgbt sont toutes devenues leurs « ennemis » et parfois réciproquement, ce qui est désolant… Quand à l’homosexualité, elle existe dans toutes les espèces animales, pas que chez les hommes (et les femmes, bizarrement les gens parlent si peu des femmes lesbiennes), mais là rien de neuf sous le soleil – Fraternellement en Christ.
Et j’ajouterai (et ce n’est pas dit sur le ton d’une attaque) que le travestisme, la transexualité et l’homosexualité ne sont pas toujours liés et non pas toujours un rapport et parfois n’ont rien à voir. Je connais personnellement des personnes transformistes (dont des travestis) qui sont mariés, ont des enfants et ne sont pas homosexuels… Et je connais aussi une personne qui était une femme est devenu un homme et à une amie, alors hétérosexuel ou homosexuel? Il se dit hétérosexuel, car pour lui c’est un homme et il aime une femme, tout n’est pas toujours simple à comprendre, mais n’oublions pas certaines réalités humaines, et faisons attention à ne pas blesser les autres gratuitement (et ce n’est pas votre cas) même si parfois on ne comprend pas tout (c’est aussi parfois mon cas).