Le livre annoncé de Benoît XVI et du cardinal Sarah fera moins événement par son contenu que par le contexte de sa parution.
(Cet article a été mis en ligne, dans sa version initiale, le 13 janvier. Les rebondissements successifs liés à la polémique entourant le livre m’ont conduit à rajouter ultérieurement quelques notes de bas de page)
Certes on peut toujours s’instruire à la lecture de propos intelligents ! Certes, on ne peut contester à de hauts responsables catholiques le droit de s’exprimer en totale liberté lorsqu’ils pensent que la doctrine en vigueur concernant le sacerdoce pourrait être remise en question de manière illégitime et dommageable. Pour autant, la parution, annoncée pour le 15 janvier d’un livre co-signé (1) de Benoît XVI et du cardinal Sarah, à l’initiative de l’éditeur Nicolas Diat (notre photo) apparaît déjà comme un mauvais coup porté à l’unité de Eglise comme à l’autorité du pape François.
Benoît XVI renonce à l’engagement pris, de faire silence
Le propos eut été d’une portée différente si le cardinal Sarah avait été l’unique signataire de ce livre. Embarquer dans son sillage l’ancien pape Benoît XVI équivaut à se prévaloir de l’autorité d’un pape émérite pour contester celle du chef de l’Eglise catholique. Que Benoît XVI se rende complice d’une telle manœuvre est problématique, quel que soit le respect qui lui est dû. Il a assumé les plus hautes fonctions dans une Eglise où cette question est en débat depuis longtemps. Il a donc eu maintes fois l’occasion de s’exprimer sur le sujet, et d’argumenter théologiquement son opposition à l’ordination d’hommes mariés, avec toute l’autorité qui était la sienne. On ne voit pas ce qu’il peut dire de plus sur le fond du débat, quelle que soit la qualité de l’argumentation. Et sa prise de parole peut être perçue comme un renoncement à l’engagement solennel pris au moment de sa libre renonciation, de ne pas interférer avec les responsabilités de son successeur. Au point de poser, pour l’avenir, la question du statut d’un éventuel nouveau « pape émérite ».
Prendre les fidèles à témoins de l’illégitimité d’une décision, contraire à la Tradition
Pour ce qui concerne le cardinal Sarah, nul ne saurait lui contester le droit de s’exprimer au sein de l’Eglise, au titre de la charge qui est la sienne. (2) Mais enfin, concernant l’hypothèse d’ordonner des hommes mariés dans le contexte particulier de l’Amazonie, le débat a eu lieu au cours d’un synode dont il était membre. Il a eu tout loisir de faire entendre sa voix. Rendre une nouvelle fois publique son opposition à une proposition qui a été votée dans des conditions parfaitement « conformes » au droit canonique, ne peut qu’être interprété comme une forme de pression sur le pape François à quelques semaines de la publication de l’exhortation apostolique par laquelle il fera connaître ses décisions. Ou, plus probablement, de prendre par avance à témoin les fidèles que la décision d’ordonner des hommes mariés serait illégitime, car contraire à la Tradition. Se positionnant ainsi pour un futur conclave qui finira bien par advenir.
Enfin, que peut bien signifier, dans l’introduction de l’ouvrage, cette évocation du « vacarme créé par un étrange synode des médias qui prenait le pas sur le synode réel. » (3) Sont-ce les journalistes qui ont voté les conclusions du synode ? Est-ce un « conclave des médias » qui, en 2013, a fait de François le successeur de Pierre ?
Attendre d’avoir lu le livre pour en parler ?
Hier, dimanche, notre confrère Jean-Marie Guénois commentait sur le site du Figaro : « Aucune agressivité ni polémique ne transparaît dans ces pages contre l’actuel pontife romain, bien au contraire. Le pape émérite et le prélat africain se présentent comme deux «évêques» en «filiale obéissance au Pape François» qui «cherchent la vérité» dans un «esprit d’amour de l’unité de l’Église». Désolé de ne pouvoir souscrire à cette vision béatifique et parfaitement hypocrite de la réalité. La publication de ce livre, dans ce contexte, est bien un acte de défiance à l’égard du pape François.
Depuis l’annonce de la sortie prochaine du livre, de bonnes âmes viennent nous expliquer, via les réseaux sociaux que l’honnêteté intellectuelle voudrait que l’on ne débatte du livre qu’après l’avoir lu. Qu’après tout, peut-être François aura-t-il à se réjouir de son contenu… Eh bien, non, non et non ! Personnellement je ne lirai pas ce livre. Parce que je fais crédit à Joseph Ratzinger – Benoît XVI et au cardinal Sarah, de n’avoir pas attendu ces derniers mois pour mûrir leur réflexion sur le sujet, réflexion déjà développée par eux à de nombreuses reprises dans d’autres ouvrages. Hier ils étaient hostiles à l’ordination d’hommes mariés, aujourd’hui… ils n’en veulent toujours pas ! Quid novi ? Je ne le lirai pas ce livre parce que je ne veux pas engraisser un éditeur qui fait son beurre des divisions que va encore accentuer la parution de cet ouvrage ! Et je ne vois pas, en revanche, pourquoi je m’interdirais pour autant de commenter l’événement. Car précisément l’événement n’est pas le livre, au niveau de son contenu, mais les circonstances de sa parution et de sa promotion. Et de ce point de vue tout est clair, hélas il s’agit simplement de torpiller l’autorité du pape François. (4)
Je m’étonne d’ailleurs que les mêmes belles âmes n’aient pas suggéré que les deux auteurs du livre auraient très bien pu, par « honnêteté intellectuelle » et sens du service de l’Eglise, attendre elles-mêmes la publication de l’exhortation apostolique du pape François, avant que d’en commenter d’éventuelles conclusions, pour nous aider le moment venu à réfléchir à la manière de les mettre en œuvre, au service de l’Evangélisation de l’Amazonie.
(1) Au moment où cet article a été rédigé, l’annonce faite par l’éditeur était bien celle d’un livre co-signé par Benoît XVI et le cardinal Sarah, comme en témoigne la couverture du livre. On sait désormais que Benoît XVI a demandé le retrait de sa signature et de sa photo, concédant simplement la mention en couverture d’une collaboration, pour la fourniture d’un texte d’une quarantaine de pages. Cette couverture n’est donc pas la bonne. Mais à l’heure où je rédige cette note, l’éditeur n’a toujours pas fait connaître la nouvelle.
(2) Soulignons tout de même au passage qu’entendre un cardinal guinéen plaider avec autant de conviction pour le célibat sacerdotal lorsqu’on sait qu’une large frange du clergé africain vit une situation de concubinage notoire, laisse perplexe !
(3) On nous a déjà servi le « synode médiatique » à l’occasion du précédent synode sur la famille. Accusant les médias d’avoir occulté le vrai sujet, la famille, pour se focaliser sur les seules questions des divorcés remariés et des homosexuels. Mais qui a mis en avant ces deux chiffons rouges, à travers dubias et livres accusateurs sinon les adversaires de François ?
(4) Un vaticaniste espagnol fait observer, fort justement, que lorsqu’il publie des ouvrages de théologie, Benoît XVI signe ses livres : Joseph Ratzinger – Benoît XVI. Ce qui nourrit légitimement le soupçon de son instrumentalisation par le cardinal Sarah et sa « plume » Nicolas Diat dans le présent livre. Signer simplement Benoît XVI étant une manière d’opposer son autorité à celle du pape actuel. Restent donc posées les questions de son acquiescement à cette manœuvre et de sa participation effective à l’écriture du livre.
René, il y a peu de temps que j’ai découvert votre blog. Je considère qu’avec le Monde des Religions dont je suis un fidèle lecteur vous participez activement à la réflexion approfondie que tous les chrétiens devraient avoir sur la crise majeure que traverse l’Église Catholique et sur les enjeux des évolutions sociétales.
Vos propos sont à la fois critiques, bien documentés, très constructifs et ouverts au débat.
Cela fait du bien dans un monde qui préfère utiliser l’invective au débat d’idées, en particulier sur nos réseaux sociaux.
Depuis mon adolescence je suis en questionnement permanent sur : l’origine de la vie dans le cosmos, la naissance de toutes les religions, les fondements de la religion chrétienne, l’identité de Jésus et les évolutions sociétales.
J’ai fait partie de nombreux groupes d’analyse : de la Bible, des travaux des exégèses et des évolutions sociétales. Aujourd’hui je pense, comme beaucoup d’observateurs, que l’Église doit impérativement évoluer au risque de ne devenir plus qu’un refuge identitaire à court terme, du moins en Europe. Mais devant les dénis successifs de l’Institution et la diversité des opinions qui sont exprimées par l’ensemble vos blogueurs je reconnais qu’il est bien difficile d’espérer pouvoir un jour réconcilier des interprétations aussi éloignées les une des autres.
Je suis de formation scientifique et à la lecture de certains commentaires de vos blogueurs j’ai l’impression que pour eux l’humanité n’existe que depuis 4000 ans et encore !, sur une planète Terre centre du Cosmos même après le procès Galilée et les découvertes de nos archéologues. Pour limiter le débat ils préfèrent poser comme postulat à leur argumentation que les « Saintes Écritures » ont toutes été dictées intégralement par « Dieu le Père, une figure anthropologique facilement conceptualisée par l’homme !» ! . Ce qui ne les empêche pas de justifier des écrits inacceptables de Paul sur la place des femmes en les resituant dans le contexte de l’époque. On aimerait qu’ils fassent preuve d’un peu plus d’objectivité pour leur justification du dogme du péché originel par exemple.
Les Pères de l’’Église, dont Benoît XVI, considèrent que le recul de la pratique et le vieillissement des fidèles est la conséquence de la non-transmission auprès des jeunes générations. C’est toujours plus facile de trouver des responsables autres que l’Institution plutôt que remettre en question l’enseignement de sa Vérité absolue.
Je reconnais faire partie de ces parents qui, « intentionnellement », n’ont pas voulu transmettre l’enseignement de l’Église. Mais pour une raison simple, mes études scientifiques et mon analyse des travaux des exégèses ne m’ont pas conduit aux mêmes interprétations qui m’ont été enseignées.
J’ai toujours refusé l’imposture et par ailleurs je considère que si une « transcendance indéfinissable pour l’homme » m’avait doté d’une capacité d’analyse critique c’était pour que cette « raison » m’aide à devenir adulte et à partager avec autrui le plus grand enseignement de Jésus : « Aimez-vous les uns, les autres ».
Heureusement l’éclairage de Teilhard de Chardin m’a permis de réconcilier la science et le mystère de l’émergence de la vie sur terre tout en traçant la voie d’un Humanisme Chrétien.
Je ne veux pas revenir sur les argumentations des mes deux derniers commentaires laissés sur le blog de votre livre « Cathos en Liberté » ce serait redondant.
J’insiste néanmoins sur le fait essentiel que les bases des dogmes chrétiens ont été adoptées après des « disputes et de polémiques terribles » au cours de trois conciles pour contraindre les théologiens à s’accorder sur la théologie trinitaire, la nature divine et humaine de Jésus, après celui de Nicée en 325 convoqué par l’empereur Constantin.
Aujourd’hui l’Église ne peut plus contraindre les chrétiens à accepter, « pour l’éternité », les interprétations des Écritures de ses Pères des premiers siècles et surtout pas après avoir été retenues dans de telles conditions et avec un si faible niveau de connaissances scientifiques.
Je reste toujours en questionnement sur ce personnage surnaturel qu’est Jésus et je ne vous cache pas que l’accomplissement des Écritures juives m’interpelle au plus haut point.
L’explication simpliste du mystère ne m’a jamais satisfait, pas plus que le choix du « pari » de Pascal,
Vous aurez sans doute compris que je partage cette pensée du Père Vignon, dont je salue ici le courage : « Si Dieu nous a donné l’usage de la raison, c’est qu’il attend que nous nous en servions. Nous lui rendons gloire en le faisant. ».
Merci pour ce témoignage. C’est bien dans l’esprit que vous développez que je m’inscris ainsi que mon livre : Catholique en liberté. Notez, tout de même, qu’il n’y a pas de blog « officiel » lié à ce livre. Celui que vous citez, sans doute la page Facebook « catholique en liberté », ayant été créé avec mon agrément puisqu’il y avait emprunt de la signature de mon blog personnel, mais en toute indépendance.
Emmanuel vous dîtes que sans 60 ans la plupart seront morts. En ce qui concerne le monde occidental c’est,hélas, certain mais dans l’ensemble du monde cela n’est pas écrit me semble-t-il Par ailleurs lorsque je vois les modes de gouvernement d’aujourd’hui et justement leurs énormes difficultés justement à fonctionner, je ne suis pas vraiment pressé que l’Eglise s’en inspire.
oui, cent fois oui, l’église est pleine de défauts mais ,pour moi , ce n’est pas des réformes d’ordre administratif satisfaisant le plus grand nombre qui amélioreront les choses. Dois-je encore revenir sur le fait incontestable que nos frères protestants qui ne sont pas allés avec le dos de la cuillère en matière de réforme sont dans une situation comparable à la notre
Allez donc assister à un culte et vous verrez combien l’assistance en matière d’importance numérique et de moyenne d’âge est différente de chez nous, vous serez édifié.
Dominique, lorsque je dis qu’ils seront morts, je ne fais pas tant allusion au vieillissement des paroissiens qu’a un fait démographique : du fait de l’espérance de vie moyenne d’un être humain, une grosse partie des habitants actuels de la terre seront morts dans 60 ans. Disons 80 si vous préférez, mais ça ne change pas grand chose.
La question est : seront-ils suivis d’autres Chrétiens ? C’est tout le problème de la transmission. Le flux, et non le stock. On sait a peu près combien de Chrétiens meurent chaque année, combien « apparaissent » dans le même temps ?
Ce n’est bien sur pas pour autant que je loue le protestantisme : je ne peux que constater qu’ils connaissent des difficultés similaires – ce qui confirme qu’ils ne détiennent pas « la potion magique d’inculturation de l’Evangile ».
Les options sont finalement assez simple :
– soit on se satisfait de voir disparaître notre Eglise (au motif que les autres ne font pas mieux, que le monde est trop méchant et autres « chougnasseries ») => C’est l’impression que me donne mon curé par exemple
– soit on cherche autre chose – ni le progressisme, ni le protestantisme, ni quoique ce soit ayant déjà été tenté => c’est indéniablement utopique, peut-être bien orgueilleux, mais ça me fait nettement + envie que la première option.
Petit détail : vous semblez différencier les chrétiens des protestants, la différenciation doit se faire entre catholiques, protestants (et orthodoxes…), tous étant également chrétiens. D’ailleurs les protestants que je connais se présentent comme « chrétiens protestants »…
Oups, oui en effet, merci pour ce rappel !
Le second paragraphe devrait parler de « Catholiques » et non de « Chrétiens ». Même si, comme le fait remarquer Dominique, le problème actuel de transmission de la foi touche autant les protestants que les Catholiques (a part peut-être les évangéliques ? je ne connais pas suffisament).