Sur le timbre poste que lui consacre, en hommage, l’administration des postes, l’Abbé Pierre nous apparaît avec ce visage souriant qui pouvait alterner, chez lui, avec des moments de « sainte » colère !
J’ai beaucoup aimé cet homme que j’ai eu la chance de cotoyer durant près de vingt-cinq ans. Difficile d’échapper au « fondateur d’Emmaüs » lorsqu’on travaille à Pèlerin. Mais notre rencontre ne fut pas que professionnelle.
Trois ans, déjà ! Et je revis ses obsèques en mémoire, comme s’ils étaient d’hier. Je revois ce cercueil posé à même le dallage, dans le choeur de Notre Dame de Paris. Ce jour-là, hormis le Président Chirac dont le fauteuil faisait face à la dépouille mortelle, aucune personnalité ne figurait au premier rang. Seuls les compagnons d’Emmaüs occupaient les bancs, en haut de la nef. Les membres du gouvernement venant loin derrière. Irruption, dans le protocole Républicain de l’hommage national, de l’esprit subversif du Magnificat dont les paroles allaient, un instant plus tard, retentir sous les voûtes : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ».
Dans l’ordonnancement de ses obsèques, le vieux prêtre, homme de Dieu mais tout autant fils turbulent et fidèle de son Eglise, avait glissé un autre message. Lui, si attentif à ce que soit respecté le caractère non confessionnel d’Emmaüs, par respect pour la diversité des croyances de ses compagnons, avait tenu à nous faire entendre la parole de l’apôtre Paul : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres et aux affamés… s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien. » Oui donc à la solidarité et au combat pour la justice, mais non mutilés de cette dimension d’amour de l’autre que les chrétiens appellent charité. Même si l’expression est aujourd’ui entachée, dans l’opinion, d’une image de condescendance insupportable.
De ses proches me parvinrent, ultérieurement, deux autres images qui, le jour même, n’appartinrent qu’à eux seuls. L’agenouillement spontané de quelques parisiens, à même les trottoirs de la capitale, au passage du cortège funèbre qui conduisait la dépouille mortelle de l’hôpital du Val-de-Grâce à la cathédrale. Puis, plus tard dans l’après-midi, avant que le cercueil ne soit enfoui dans le petit cimetière d’Esteville, le lent balancement des flocons de neige recouvrant doucement le bois du cercueil aussi longtemps que l’un de ses neveux lut un dernier extrait des Ecritures. Ultime caresse du Ciel à l’insurgé de Dieu ou déjà, depuis le lieu de ces « grandes vacances » auxquelles il aspirait tant, l’envoi de ses premières bénédictions ?
Cet anniversaire de la mort de l’abbé Pierre survient alors même que s’accélèrent les procédures de béatification des papes Jean-Paul II … et Pie XII. Le fondateur d’Emmaüs sera-t-il, un jour, porté sur les autels ? Peu probable, aussi longtemps que les critères retenus par l’Eglise catholique seront ce qu’ils sont… Et pourtant !
En 1989 , préparant un numéro spécial de Pèlerin à l’occasion de la sortie du film Hiver 54, j’avais passé, avec lui, une semaine à l’abbaye de Saint-Wandrille où il résidait alors. Occasion d’enregistrer un long entretien qui n’a jamais, à ce jour, été publié dans son intégralité. En hommage à « l’ami Henri », voici, pour les lecteurs de ce blog, la fin de l’entretien, tel qu’il fut publié dans le magazine.
– Je crois que ma dernière question va vous mettre en colère. Lorsque la presse parle de vous, elle parle de « saint des temps modernes ». Cela vous choque ?
– Cela m’humilie. Je connais trop mes faiblesses et mes insuffisances. Mais c’est un piège, car si vous protestez de votre indignité, il se trouvera encore de bonnes âmes pour s’émerveiller : « Et en plus, il est humble ! » Que voulez-vous répondre à cela ?
– Peut-être que, pour des millions d’hommes et de femmes, à travers le monde, l’image qu’ils ont de votre vie correspond à l’idée qu’ils se font de la sainteté. Non pas une vie de perfection un peu mièvre et sans aspérité mais, à l’intérieur d’un combat difficile pour l’homme, un total abandon à l’amour de Dieu.
(Long silence)
– Vous parlez plus facilement de la sainteté de mademoiselle Coutaz (son ancienne secrétaire qu’il venait d’évoquer dans l’entretien) que de la vôtre.
– Ecoutez, je vous dirai à propos de ma prétendue sainteté ce que Jeanne d’Arc répondait à ses juges qui lui demandaient si elle était en état de grâce : « Si j’y suis, Dieu m’y garde, si je n’y suis pas, Dieu veuille m’y mettre. »
(PS. Parmi les livres récemment sortis sur l’Abbé Pierre, signalons l’album de photos « intimistes » de Claude Iverné, publié chez Albin Michel sous le titre : Quelques pas avec l’Abbé Pierre » Un vrai moement d’émotion.)
En quoi les critères actuellement retenus par l’Eglise catholique empêchent-ils que l’abbé Pierre puisse un jour être canonisé?
oui déjà!
j’aime l’agenouillement spontané de quelques parisiens.
ce monde « si mauvais » ne se trompe pas devant cette expression de l’excellence de l’homme!
non pas sa perfection , mais le don de ce qu’il a fait de sa vie aux autres….
Dieu demande simplement si l’on peut dire de se donner ou d’essayer de le faire…par amour vrai….
ceux et celles qui s’en approchent passent rarement inaperçus au moins de leurs proches , ce sont les saints de tous les temps…..
cela me fait penser au superbe film : invinctus……
des femmes et des hommes vivent l’Evangile parfois sans le savoir…..Ils sont lumière pour leurs frères, bras du Christ en ce monde .
Les Témoins les voilà! Ils se moquent bien des procès en béatification.
Les calculs , les bons points sont loin de leurs pensées……..
Ils nous aident chaque jour à vivre d’Espérance ….
Je voudrais répondre à Mike très précisément. Il me faudra le temps de consulter quelques textes. Pour l’heure mon sentiment est que l’Eglise fait une fixation tout de même très forte sur les questions liées à la sexualité. L’abbé Pierre a fait, comme tout prêtre, voeu de célibat et donc de n’avoir pas de relations sexuelles puisque l’Eglise catholique ne reconnaît leur légitimité que dans le mariage. Or, on se souvient de la polémique créée par ses « aveux » dans le livre d’entretiens avec Frédéric Lenoir, « Mon Dieu pourquoi » où il « confesse » : « J’ai donc connu l’expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction, mais cette satisfaction fut une vraie source d’insatisfaction car je sentais que je n’étais pas vrai. » (Mon Dieu pourquoi, Ed. Plon p. 26). Je ne vois pas, pour l’heure, l’Eglise catholique passer outre ces exigences, même si personnellement je le regrette fort.
Merci de l’hommage à l’Abbé Pierre. Hélas les critères de l’Eglise sont ce qu’ils sont. Cela ne diminue en rien l’estime que les croyants et les autres ont pour cette grande figure de l’humanité. Au Val de Grâce, j’ai vu le recueillement des Chiffonniers dans un silence boulversant. J’ai vu l’Abbé Pierre, en 1966. Il revenait d’Amérique Latine. Je le revois au Cirque de Rouen, sur scène, nous invitant à déposer ce que nous avions : argent, bijoux, montres etc…dans de grandes poubelles en plastique. J’ai mis les 10 F que j’avais. Je n’ai pas osé mettre ma montre ( de communion ).Plus de 40 ans après, j’ai des remords ! Si l’action de l’Abbé Pierre auprès des plus démunis, si ce qu’il a mis en place avec Emmaüs n’est pas évangélique et ne mérite pas une reconnaissance officielle de la part de l’Eglise…tant pis pour elle et tant pis pour nous ! Ce qui peut nous consoler c’est de penser que ,grâce à cela, personne ne pourra nous accuser de vouloir le « récupérer ».