Le film de Frédéric Tellier nous présente un abbé Pierre comme l‘aime notre société : dégagé de toute motivation religieuse.
( Cet article a été repris par le p.Jean-Pierre Roche dans sa lettre Notre pain quotidien, et par Christian Terras dans le n°793 de Golias-Hebdo. Qu’ils en soient remerciés)
J’ai vu hier, le très beau film que Frédéric Tellier consacre à l’abbé Pierre avec pour sous-titre « une vie de combats ». Un biopic (biographical picture) bien différent de l’Hiver 54 auquel on le compare spontanément puisque qu’il embrasse toute la vie adulte du fondateur d’Emmaüs là où Denis Amar se limitait au récit de l’Insurrection de la bonté qui fonde le mythe. Une réalisation de qualité qui, pour autant, conforte une vision purement « humaniste » du curé des sans abris là où le ressort profond de son combat fut d’abord de nature spirituelle.
Disons-le tout de suite – mais la rumeur en a déjà circulé largement – l’interprétation dans le rôle titre du sociétaire de la comédie française Benjamin Lavernhe est tout simplement époustouflante. A la fois par sa capacité à restituer le ton de l’imprécateur que fut Henri Grouès et à incarner le vieillard fragile dont chacun conserve la mémoire. Pour qui a connu l’abbé Pierre : c’est lui, totalement lui ! Un atout de poids pour la carrière du film.
On sait gré à la réalisation d’avoir donné sa juste place, dans ce récit, à Lucie Coutaz, incarnée par Emmanuelle Bercot, la fidèle secrétaire rencontrée dans la Résistance et qui sera à son côté pendant quarante ans, une « femme de tête » palliant toutes les faiblesses de l’impétueux mais inorganisé abbé Pierre. Hommage posthume mérité à la co-fondatrice du mouvement Emmaüs qui repose, dans le petit cimetière d’Esteville, au côté de celui qui fut longtemps la personnalité préférée des Français, avant que sonne l’heure des sportifs et des chanteurs…
De l’Hiver 54 aux “nouveaux pauvres“ et à la réalité de nos sociétés
Le parti pris du réalisateur est de nous dépeindre un « homme de combats », depuis sa Résistance à l’occupant nazi jusqu’à la mobilisation de toute une vie contre l’injustice et la pauvreté. La force du film repose, sans conteste, sur le lien opéré entre la mobilisation de l’après guerre où s’enracine la figure de l’abbé Pierre et, par-delà deux décennies d’oubli, son retour à la une des médias à l’heure du surgissement des « nouveaux pauvres » qui servira de contexte, en 1985, à la création des restos du cœur. Alors Abbé Pierre et Coluche, même combat ? Sans aucun doute au regard de la prétention de certains à exercer, contre eux ou sans eux, une forme de monopole de la charité… Ce qui justifiait ce credo de l’abbé : « Le partage de l’humanité ne se fait pas entre les croyants et les non-croyants, il se fait entre les idolâtres de soi et les communiants ». Pour les chrétiens, tout l’esprit de Matthieu 25.
Et bien sûr ce n’est pas un hasard si le film se termine sur des images contemporaines de SDF dans les rues de la capitale. La scène prolonge et illustre un dialogue imaginaire avec son ami d’enfance François Garbit, mort durant la seconde guerre mondiale, où l’abbé Pierre confesse une forme d’échec de son combat. Invitation manifeste à ce que chacun se sente à son tour mobilisé. Comme en réponse à cette phrase prononcée sur la fin de sa vie, sur l’esplanade du Trocadéro lors d’une Journée mondiale de lutte contre la pauvreté : “C’est quand chacun de nous attend que l’autre commence qu’il ne se passe rien.”
Du castor méditatif, seul le castor intéresse
Un film efficace, donc, mais qui, pour ma part, me laisse un peu sur ma faim. Car ce récit de vie, d’une belle écriture cinématographique, nous donne une fois encore à voir et à aimer un abbé Pierre tronqué, amputé de ses raisons profondes de vivre et de se battre. Lorsqu’en 2013 le père Jean-Marie Vienney qui fut le confident du fondateur d’Emmaüs et moi-même avons engagé l’écriture de notre livre Le secret spirituel de l’abbé Pierre (Salvator), nous avions en mémoire un commentaire de Laurent Desmard dernier secrétaire particulier de l’abbé. Dans cette semaine glaciale qui de l’annonce de sa mort le 22 janvier 2007 à l’hommage solennel du 26 à Notre-Dame de Paris, « l’homme dont tous les médias n’ont cessé de parler, nous disait-il, n’était pas celui que je connaissais. » Tout simplement parce que du « castor méditatif » qui lui avait été donné comme totem chez les Scouts de France, notre société ne voulait retenir que le castor humaniste, occultant totalement le ressort méditatif profond de son engagement ancré dans sa foi.
Dans le film le fait d’évoquer dès les premières images l’abandon par Henri Grouès de toute vie monastique, pour d’évidentes raisons de santé, semble suggérer, même de manière involontaire, que finalement sa « vrai vocation » était peut-être du côté d’un combat citoyen pour l’homme. Manière de passer à côté de l’essentiel. Car si l’abbé, avec le souci d’accueillir chacun sans réserve, quelles que soient ses croyances, a voulu faire d’Emmaüs un mouvement laïque, indépendant de l’institution catholique – ce qui lui valut quelques fortes inimitiés ecclésiastiques et l’incompréhension de certains – ce n’était pas pour occulter personnellement l’amour qui le consumait, rencontré à quinze ans sur les collines d’Assise : « Dieu est Amour mais l’amour n’est pas aimé parce que nous croyants, ne sommes pas crédibles… » La respiration profonde de l’abbé Pierre était l’adoration. Lorsqu’un jour de 1989, j’arrivai à l’abbaye de Saint-Wandrille où il résidait alors pour préparer un numéro hors série de Pèlerin à l’occasion des 40 ans d’Emmaûs, je le trouvai dans la crypte de la chapelle, agenouillé à même le sol, priant devant une reproduction de la Trinité d’Andrei Roublev… C’était là aussi sa vérité !
Le chrétien peut-l évoquer d’autres motifs d’engagement que son adhésion aux valeurs de la République ?
Le film – qu’il faut aller voir – soulève, à sa manière, une question que personne ne semble vouloir entendre : dans une société laïque sécularisée, le chrétien peut-il évoquer publiquement d’autres motifs d’engagement que son adhésion aux valeurs de la République ? Et un film en rendre compte ? Paradoxalement c’est au vieux compagnon de lutte de l’abbé Pierre, agnostique, Albert Jacquard, que l’on doit l’hommage sans doute le plus lucide et le plus respectueux. Le 26 janvier 2007, à une heure des obsèques à Notre Dame, il vient se recueillir sur le cercueil de son ami dans la chapelle déserte du Val-de-Grâce. Et le seul témoin de la scène l’entend murmurer : « Je suis venu hier, parmi la foule, mais je voulais être là, à nouveau, seul, pour te dire : “merci pour ta foi“. » (1)
- Cité par Jean-Marie Vienney, chargé des obsèques de l’abbé Pierre, dans notre livre Le secret spirituel de l’abbé Pierre, Ed. Salvator 2013, p.22.
Merci René pour ton analyse, qui n’étonne guère. Notre laïcité est précieuse…mais castration. Ainsi aucune figure publique ne peut facilement parler de ses convictions spirituelles profondes qui fondent ses engagements…sauf les athées qu’en général ne s’en privent pas.
Et, du coup, on reproche à ces personnes publiques d’être sans profondeur.
Un vrai sujet.
Merci René pour cet éloge vibrant en faveur de ce film.
Puis-je en dire autant d’un tout autre film qui agite les écrans :
« L’enlèvement ».
Il montre une fois de plus les ravages de l’endoctrinement forcé
de l’Eglise, entre autres du pape Pie IX
et de ses sinistres inquisiteurs.
Un récit historique qui glace le sang et qui par ses acteurs
et ses prises de vue, est plus qu’émouvant, il est bouleversant.
Tout à fait d’accord. Voici d’ailleurs ce que j’ai publié sur mon fil facebook à son propos :
VOILA ASSUREMENT UN TRES GRAND FILM… dont on sort à la foIs bouleversé et un peu groggy. Marco Bellochio y raconte admirablement l’histoire – vraie – d’un enfant juif de Bologne, enlevé à sa famille par les soldats du pape. Nous sommes en 1858. La ville fait partie des Etats Pontificaux. Six ans plus tôt, le petit Edgardo, alors âgé de quelques mois, a été baptisé en grand secret par sa nourrice qui le croyait « à l’article de la mort » et pensait assurer ainsi le salut de son âme. Pour l’Eglise catholique, l’enfant est donc chrétien et doit être confié au collège des catéchumènes du Vatican pour y recevoir une éducation chrétienne. Le film raconte le long et vain combat de la famille Mortara, malgré les soutiens du monde entier où cette affaire est connue, pour obtenir du pape Pie IX que l’enfant lui soit rendu. « Non possumus ! » L’expression passera à la postérité !
Les images sont sublimes, soutenues par une musique d’une grande efficacité. Le jeu des acteurs est d’une totale maîtrise, chacun étant rendu dans sa justesse, sans la moindre caricature. Simplement s’affrontent sous nos yeux deux « vérités » religieuses, parallèles et irréconciliables, dans un contexte historique où le pouvoir central de l’Eglise catholique se montre d’autant plus intransigeant (Syllabus, proclamation de l’infaillibilité pontificale…) que menacé par l’unification italienne du Risorgimento qui finira par l’emporter, contre les crispations désespérées de Pie IX. Certaines scènes du film sont admirables. Précipitez vous ! Vous ne le regretterez pas. Deux heures quinze de pur bonheur cinématographique.
Que L’enlèvement, présent dans la compétition Cannoise au printemps dernier n’ait eu aucune place au palmarès du Festival laisse perplexe sur les critères d’appréciation du jury !
Merci à vous pour ce rappel sur la vie spirituelle qui sous-tend l’engagement fraternel de l’abbé Pierre. Et pour vos résumé détaillé des deux films d’hommes d’Église si différents…
Cette question sur les rapports entre notre manière d’être au monde et ce qui la fonde ,une foi ou une croyance est en effet une question importante aujourd’hui .
Je n’ai bien entendu pas de réponse définitive mais seulement des questions .
– Celle des rapports entre la vie spirituelle et la religion . J P Sartre avait bien formulé la question : être responsable , mais qui appelle ? La vie humaine peut elle avoir une dimension spirituelle sans référence à une religion ?. La « pneuma » n’est pas réductible à la » psyche « ; et peut on rendre compte de l’existence de la pneuma sans le recours à une foi et /ou à une religion ?
– Celle de la capacité des hommes à se passer véritablement de religion quand on sait combien ce besoin de religion ressurgit d’autant plus violemment qu’on le nie
-Celle des rapports entre foi et religion lorsque l’on est croyant
– Celle de l’expression . publique de sa foi de sa croyance ou de sa religion pour justifier son action
. En ce qui me concerne je dirai simplement comme chrétien catholique :
– Que si le christianisme n’est pas d’abord une religion , je ne suis pas sûr qu’on puisse en vivre dans la durée sans le recours à une forme religieuse de son expression .
– Avec P Ricoeur je crois que la foi doit tuer la religion mais à l’intérieur de la religion même
– Avec K Marx et S Freud ( si on se donne la peine de les lire ) que la religion n’est pas seulement opium du peuple et expression de la misère et de l’aliénation , elle est aussi protestation ci-contre cette misère et qu’elle contient une part de vérité .
– Que la foi au Christ se témoigne plus par des actes que par des paroles et que la spiritualité de l’enfouissement qui n’est pas bien au contraire un refus de l’affirmation de la foi est sans doute le meilleur moyen d’en témoigner .
Je pense que l’on ne peut pas comprendre l’abbé Pierre sans prendre en compte la dimension essentielle de sa foi dans sa vie et son oeuvre . Mais n’oublions pas non plus que comme l’a écrit Aragon que dans la Résistance ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas communiaient aux même valeurs humanistes et de fraternité et risquaient leur vie pour les défendre . .
Alors il ne faut pas s’étonner que l’abbé Pierre n’ai pas brandi sa bannière religieuse de manière ostentatoire . Mais il n’a jamais dissimulé que c’est sa foi au Christ qui donnait sens à sa vie . .
merci beaucoup René pour ce commentaire et votre livre. L’accueil de Garaudy par son ancienne épouse lu par le cardinal Decourtray est une belle page
vous mettez l’accent sur la vie intérieure de l’Abbé Pierre qui nourrit par sa foi à pu accomplir tout ces combats
C’est probablement ce manque de vie intérieure qui explique la solitude affective d’un grand nombre
Merci !
Je suis sortie aussi un peu déçue de ce (néanmoins) très beau film sur la vie de l’abbé Pierre. Pourquoi ne pas davantage valoriser l’enracinement de son engagement ? Pour ne pas en faire un « film catho » qui ne s’adresserait donc pas à tous ceux qui se mobilisent (ou que le film pourrait inciter à le faire) ? Comme le dit l’acteur lui-même : « le film ne m’a pas emmené à la messe tous les dimanches, n’a pas bouleversé ma foi, mais m’a connecté à l’envie de plus d’actions » (La Croix l’hebdo du 3 novembre)
C’est souvent difficile de trouver le juste ton pour ne pas faire fuir les non croyants. En même temps, j’expérimente que, toute seule, sans la foi, c’est dur de tenir sur la durée … Et c’est certainement ce qui a fait tenir l’abbé jusqu’au bout avec cette énergie « sur humaine » …?
« La respiration profonde de l’abbé Pierre », « Castor méditatif », « était l’adoration. »
Cela ressortait de l’entretien, « Mon Dieu, pourquoi? », de l’abbé Pierre avec Frédéric Lenoir, livre que vous semblez avoir peu goûté, René, mais qui a fait saillir cette évidence d’un abbé Pierre adorateur à la personne « empêchée de lire » que je suis et qui, pour cette raison, s’est contentée de ce petit livre qui a peut-être fait une trop grande publicité à son co-auteur et son metteur en ordre et en texte, alors directeur du « Monde des religions ». L’abbé Pierre y décrivait une adoration comme à front renversé où, au lieu d’appeler Jésus par Son Nom comme cela se fait dans « la prière du coeur » ou dans « la prière de Jésus », c’est l’adorateur qui se laisse appeler par son nom par Jésus, comme Jésus le fait pour Marie-Madeleine en plein désarroi devant le Ressuscité qu’elle prend pour le jardinier (et elle n’a peut-être pas tort), ou encore comme le ressent le paysan du curé d’Ars qui définit auprès de lui l’adoration comme un mystère de regards où « je L’avise et Il m’avise ». Adoration à front renversé où se restaure notre « confiance inaugurale » en nous-mêmes par l’amour indéfectible et inconditionnel de Jésus pour n’importe lequel d’entre nous, fût-il le plus infréquentable des pécheurs.
Je n’avais pas aimé « Hiver 54 » où je n’avais pas reconnu l’abbé Pierre dans l’incarnation qu’en donnait Lambert Willson, trop flamboyant et trop plein de prestance britannique. Peut-être que je serai davantage séduit par ce biopic.
« Le chrétien peut-il évoquer d’autres motifs d’engagement que son adhésion aux valeurs de la République ? »
Je vous sais gré de poser cette question. De la poser enfin, si j’ose dire. Car depuis la Covid et la révélation de la crise des abus sexuels où le salut de l’Église semblait se confondre, pour nombre de chrétiens, avec la dénonciation de ses forfaits auprès du procureur de la République, au prix du secret de la confession perverti par des confesseurs tels que Michel Santier, je me demandais si votre génération était encore prête à faire droit aux Antigones. D’autant que l’Église ayant subi le choc d’une Révolution française qui avait été en partie fomenté pour la déloger de son pouvoir temporel, elle vit une espèce de syndrome post-traumatique vis-à-vis de la Révolution française et de la République qui en est issue et à laquelle son Ralliement, effectué par Léon XIII pour des raisons séculières, n’allait pas de soi et continue de faire l’effet, s’il est donné sans réserve, sinon d’un syndrome de Stockholm, du moins d’une forme de « mondanité spirituelle » qui ne parait se survivre que parce que l’Église ne veut pas perdre la face et le peu de pouvoir et d’audience publique qu’elle a encore. Elle veut rester du côté du manche et se garder un rond de serviette dans le débat public.
Vous avez dit hier matin chez Louis Daufresne que le successeur de l’abbé Pierre dans son aspiration à une Église des périphéries était le pape François qui relaye cette parole. Mais ce qui jure dans sa prédication est la différence entre les moments où ce pape plein d’Évangile commente la parole qui le fait vivre et tous ces autres moments où il semble dire aux grands de ce monde et au monde en général ce qu’il a envie d’entendre en épousant les valeurs de ce monde, l’Église devenant féministe ou parlant de « conversion écologique » parce que l’écologie et le féminisme sont à la mode en Occident et que ce pape latino garde malgré lui un tropisme européen, voire européo-centrique. Le pape embourgeoise l’Église en essayant de la faire coller aux valeurs de son temps et en ayant comme toujours un train de retard au lieu d’avoir un coup d’avance, ce que ne font certes pas non plus les restaurationistes de l’Église que le pape déloge avec trop de dureté.
L’abbé Pierre a été résistant et, pour être résistant, il ne fallait pas nécessairement épouser les valeurs de la République, même si plus tard et sauf erreur, l’abbé Pierre a été un député MRP, quand il fallait fonder l’Europe sur les ruines de la Mitteleuropa salie par le nazisme.
« La force du film repose, sans conteste, sur le lien opéré entre la mobilisation de l’après guerre où s’enracine la figure de l’abbé Pierre et, par-delà deux décennies d’oubli, son retour à la une des médias à l’heure du surgissement des « nouveaux pauvres » qui servira de contexte, en 1985, à la création des restos du coeur. »
On peut se demander comme vous l’avez fait hier soir s’il y avait un lien de parenté caritative et spirituelle, au-delà du lien d’amitié naissant, entre Coluche et l’abbé Pierre. Pourquoi pas? L’abbé Jean Rémy, grand spécialiste de sainte Élisabeth de la Trinité et invité régulier d' »Écoute dans la nuit » au temps de la splendeur de cette émission animée par Chantal Bally, faisait régulièrement le lien entre la grande mystique dont il était le spécialiste et celui qu’il appelait saint Coluche et pour qui il se passionnait. Mais on peut plus politiquement se demander pourquoi les « nouveaux pauvres » ont émergé dans les années Mitterrand dont le faux socialisme a dupé la France. La réalité des « nouveaux pauvres » précarisés comme jamais et devenus des « sans domicile fixe » ou des « économiquement faibles » a correspondu à l’avènement de la politique censée les émanciper. Je me souviens d’une très ancienne chronique sur « France culture » contemporaine de cette dérive où Christiane collange faisait avant tout le monde un sort à cette question qu’elle posait dans toute sa complexité paradoxale: pourquoi la réalité de cette précarité émergeait-elle avec la litote qui la désignait, après l’avènement de la gauche qui devait émanciper les pauvres et les préserver d’un tel « éternel retour » de l’hétérotélie, demandait-elle en substance. De même qu’on peut se demander pourquoi les années Giscard ont été au service de « la Détente » et d’une construction européenne centrée sur le couple franco-allemand dans une relation très affective et personnelle entre Helmut Schmidt qui devait révéler sa judéité inconnue des allemands au président français Giscard d’Estaing qui l’aimait beaucoup et prolongeait la relation entre Konrad Hadenauer et le général de Gaulle à l’origine du traité de l’Élysée, même si celui-ci devait se révéler un camoufflet, tandis que les années Mitterrand ont coïncidé avec une inféodation de plus en plus serrée entre le président socialiste et le reaganisme de la guerre des étoiles, où la France s’impliquerait bientôt jusqu’à la première Guerre du golfe, qui devait être une rupture impardonnable avec le non alignement et l’option préférentielle gaulliste pour le « Sud global » ou pour « l’Ost Politik » au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes?
On peut se demander aussi si l’ombre de la sainteté de l’abbé Pierre n’était pas, non pas tant d’être un bourgeois qui voulait se faire pauvre comme le lui reprochait le P. Joseph Wresinski, m’avez-vous appris hier, mais de ne pas avoir su faire émerger des pauvres comme porte-paroles de leur propre cause. Comment Martin Hirsch a-t-il pu devenir le collaborateur de l’abbé Pierre après avoir été celui de Bernard Kouchner et avant de devenir le président de l’APHP sans alerter sur le fait que l’hôpital, emblème du « système de santé que le monde entier nous [enviait] », était à l’agonie? Et ce n’est pas parce que Martin Hirsch a créé le RSA qu’on peut lui faire crédit d’avoir cautionné cette dérive. Car le RSA est lui aussi une trappe à pauvreté.
Pourquoi les bourgeois se font-ils toujours les porte-paroles des pauvres? Au reste, on ne peut pas dire que Joseph Wresinski ait échappé à cette fatalité, car si Geneviève De Gaulle-Antonioz n’avait pas incarné « ATD quart monde », la parole de cette association n’aurait pas été portée auprès des instances gouvernementales et elle n’aurait pas été parmi les premières à avoir inspiré la loi contre les exclusions défendue par Martine Aubry au début de l’ère Jospin, ce grand honnête homme. Peut-être qu’au lieu de poser ce genre de questions sans réponse, il vaut mieux s’engager et dire avec l’abbé Pierre sur la place du Trocadéro: “C’est quand chacun de nous attend que l’autre commence qu’il ne se passe rien. » Mais la stratégie du colibri a ses limites, prônée par soeur Emmanuelle, l’amie de Michel Drucker et de Laurent Wauquiez qui me semblait beaucoup moins authentique que l’abbé Pierre bien qu’il fût triste et qu’elle fût gaie, regrettait-il. On ne peut pas plus remplir la mer que la vider avec une petite cuillère. Des prêtres comme Michel Quoist ont su rappeler à l’Église qu’il ne fallait pas se contenter d’une charité à la petite semaine, mais faire en sorte que l’État ne considère pas comme optionnel d’être solidaire, qu’un État sans solidarité n’est qu’une structure de péché. Aujourd’hui, la solidarité n’est plus qu’un mot définissant notre « modèle social » et à l’ombre duquel il se cache, dans la dissipation de l’illusion solidaire. Car si les « pauvres » n’entrent pas dans les cases qui leur permettent d’en appeler à la solidarité nationale, ils ne peuvent pas en bénéficier. Et un État solidaire ne peut pas, ne doit pas se défausser sur les associations en divisant leur cause pour mieux régner sur les pauvres.
Je ne répondrai pas forcément à la totalité de votre commentaire. Deux points néanmoins :
Ce qui justifie mes réserves vis-à-vis du livre « Mon Dieu pourquoi ?» écrit avec Frédéric Lenoir est le sentiment – mais ma lecture est lointaine – que ce livre n’apportait rien de nouveau à la pensée de l’abbé Pierre magnifiquement explicitée dans son Testament publié chez Bayard. Rien de nouveau hormis le petit paragraphe où il confessait avoir eu quelques relations sexuelles guère satisfaisantes dans sa vie… Ce qui fit s’envoler les ventes. Je l’entends encore s’en réjouir au téléphone « tu imagines, on vient de dépasser les 100 000 exemplaires vendus ». Et comme je lui faisais observer que seul le paragraphe en question motivait l’achat de beaucoup il m’objecta que ce cheval de Troie leur permettrait d’accéder à des aspects plus profonds de sa pensée ! Je n’en crois toujours rien ! La seconde raison de mon courroux est que je savais, par ses proches, que ni Frédéric Lenoir ni son éditeur n’avaient tenu leur promesse de faire relire le manuscrit avant impression ! Le bouquin fit un tabac ! Quelques temps après l’abbé Perre me confit sa déception à propos de son émission télé avec Marc Olivier Fogiel : « Il ne m’a fait parler que du célibat des prêtres, j’aurais tant voulu dire des choses sur l’adoration… Belle ou fausse naïveté ?
Je suis en désaccord avec vous sur la lecture que vous faites des « ouvertures » de François tant sur l’écologie que sur la place des femmes dans l’Eglise. Vous parlez de réddition au monde, de brossage dans le sens du poil. Mais peut-on se désintéresser à ce point de l’avenir de la Création qui nous vient de Dieu au motif d’une OPA des écologistes ? Peut-on à ce point mépriser l’aspiration des femmes dans l’Eglise à une égalité de traitement avec leurs homologues masculins là où on leur joue le couplet de la complémentarité ? Moi je lis chez Paul qu’ « Il n’y a plus ni homme, ni femme… » et que nous sommes tous baptisés : prêtre, prophète et roi. Le discours genré de l’Eglise ne tient pas la route cinq minutes, même théologiquement, sauf au regard d’une certaine tradition liée à un contexte civilisationnel qui n’a pas reçu pour lui-même les promesses de la vie éternelle !
Certes l’organisation actuelle de l’Eglise ne relève pas des promesses de la Vie Éternelle » et que cette organisation peut très bien être modifiée .M ais croyez vous donc qu’en suivant plus moins le monde et ses modes sera suffisant pour convertir ce monde au message de l Evangile¨
Pour ma part en constatant l’état actuel des Eglises issues directement de la Reforme, me permettrez-vous d’avoir pour le moins quelques doutes
Albert Jacquard n’était pas « profondément athée », il était agnostique, ce qui n’est pas la même chose.
Lui-même le disait : « Je ne suis pas athée, mais agnostique. Athée, cela veut dire : je sais que Dieu n’existe pas. Moi, je n’en sais strictement rien. Gnose signifie parler. Être agnostique, cela veut dire : si Dieu existe, je suis incapable de le dire, donc je n’en parle pas. Mais je peux évoquer l’idée que d’autres se font de Dieu. »
« Gnose » ne signifie pas « parler », mais « connaître ».
En effet, mais Albert Jacquard parlait de ce qu’il connaissait et, contrairement à d’autres, ne parlait pas de ce qu’il ne connaissait pas…
Merci à René et à tous deux.
Ton billet René m’a conduit à questionner de prime abord ce qui distingue l’humanisme du mysticisme. J’ai trouvé un seul texte clair: « Mysticisme et humanisme – Autour du tombeau vide » de Jan Miernowski * () que l’auteur résume ainsi « Mysticisme et humanisme sont inversement proportionnels [comme des vases communicants plus on a de l’un et moins on a de l’autre, dans le sens où l’humanisme vise une parole grosse d’une présence, tandis que le mysticisme se résigne à la parole travaillée par l’absence. Cette thèse générale est soumise au jugement de quatre auteurs, échelonnés dans la longue durée : Erasme de Rotterdam et Marguerite de Navarre, respectivement, un humaniste et une mystique prémodernes ; Michel de Certeau, un anti-humaniste et un mystique postmoderne ; et enfin Bruno Latour, une sorte de néo-humaniste qui clame hautement son « amodernité ». Chacun de ces écrivains met la parole humaine – et particulièrement la parole religieuse – face au sépulcre vide du Christ, au lendemain de la Résurrection. »
Vos remarques sur les mots, Michel et Julien rejoignent ma question « humanisme et mysticisme? ». Les mots vivent et sont objet de « jeux » plus ou moins sains, de manipulation au long cours. De même que gnose a signifié parler avant connaitre, hérésie a qualifié le débat avant l’erreur; et païen désignait le paysan sans doute un peu frustre et non le mécréant et l’impie. Ah, comme on l’aime le prochain!
Plus dans l’actualité, bien qu’il y ait près de 500 millions de sémites, dont une large majorité d’arabes, le mot antisémite a pris le signification actuelle sur la base d’idées médiocres voire nauséeuses ravivées à la fin du 19ème.
Ah, comme on l’aime le prochain! Et puis, il y a aussi, un peu d’humour, « l’ordre mis par Dieu », ce seul mot français du langage informatique qui surnage sur l’océan anglais: ordinateur inventé par Jacques Perret philologue théologien, auteur aussi en 1968 de « inquiète Sorbonne »).
Ce billet m’a surtout rappelé 1969, et cet échange avec un des dirigeants du pôle logements d’Emmaüs (Camus, Henri je crois?) qui m’a dit avoir quitté avec d’autres l’abbé Pierre pour fonder « un autre Emmaüs » exclusivement logement quelques années plus tôt, sur fond d’autoritarisme, de manque de professionnalisme et de mauvaise gestion. Je viens de lire que, selon Axelle Brodiez-Dolino** l’époque de cette scission a correspondu à l’éviction de l’abbé Pierre par l’establishment politico-catholique pré-conciliaire à cause de ce que l’auteur nomme « L’incapacité du « père » à arbitrer ». Chaque aventure humaine est singulière et complexe car vivante.
* https://books.openedition.org/pup/48150?lang=fr
** https://laviedesidees.fr/Les-trois-ages-du-conflit.html
Votre commentaire est stimulant, Jean-Pierre.
Je me souviens d’un vendredi saint très tourmenté où je me sentais pris à mon propre piège et où mon ordinateur se mit à tourner sans s’arrêter tandis que j’inventai la maxime: « On est souvent le dindon de la farce qu’on a soi-même écrite. » Comme j’essayais en vain d’arrêter mon ordinateur, j’entenddis le Père Raniero Cantalamessa, chapelin de la maison du pape, qui disait ce que je pris pour une maxime définitive: « On a souvent imaginé de reconstituer le mouvement de la pensée humaine, mais on n’a jamais imaginé une machine qui puisse aimer comme un être humain. » Je m’étais forgé cette définition atomiste de la pensée humaine à laquelle je souscris encore, car on peut être atomiste et croyant, matérialiste et spiritualiste: « La pensée humaine est la rencontre électriquement organisée entre deux infinitésimaux universels présents dans le cerveau. » Cette définition était tributaire de ma lecture de Bergson qui s’oppose absolument à toute localisation cérébrale de l’esprit (pas moi), mais que je rejoins quand il pense que tous nos souvenirs sont présents à notre mémoire.
Pour en revenir à l’ordinateur, l’intelligence artificielle s’est longtemps contentée de nous poser des questions auxquelles nous étions sommés de répondre par oui ou par non. C’était enfin pour nous le moment de choisir, ce que nous différons si volontiers de faire, abouliques jusqu’à la neurasthénie. Mais il fallait être aussi naïf que moi pour croire que l’intelligence artificielle s’arrêterait là et s’en tiendrait à nous poser des questions ou à répondre aux nôtres. La poésie ou la musique assistées par ordinateur semblaient relever du hasard, elles n’étaient pas dangereuses. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle montre, si j’ose dire, son vrai visage: elle ne se contente plus de nous poser des questions, elle singe notre création. La machine singe l’homme come le diable est le singe de dieu. À moins de croire à l’homme-machine, ce que je crois être une option: j’ai déjà dit que j’étais matérialiste.
Passons au choix. Un homme dont je m’honore d’être ou de me croire l’ami, l’abbé Guillaume de Tanouarn dont j’ai souvent parlé ici, m’a appris le peu de choses que je sais sur le choix. (Un des grands malheurs de ma vie a été de ne pas savoir poser un seul choix positif ni prendre un tournant qui ne serait pas négociable. or on construit sa vie sur l’ensemble de ses choix positifs, faute de quoi on est condamné à traîner une valise de regrets qui deviennent une montagne devant notre conscience accablée. Toute décision est bonne à prendre et déclarerait-on forfait face au combat spirituel, on n’échappera jamais au combat contre soi-même).
Dans son livre « Délivrés », l’abbé de Tanouarn dit qu’il existe trois types de choix: le choix du non choix, majoritaire ; le choix du moi, égoïste, rare, mais pas médiocre et le choix de Dieu, héroïque.
Si je sais bien mes étymologies, l’hérésie vient du mot choix. Pascal la définit non pas comme « l’oubli de la vérité, mais comme l’oubli de la vérité contraire. » Car, dès que l’on s’adresse à l’esprit et à moins de faire de la vérité une idole, on doit tendre à la coïncidence des opposés ou encore à l' »union des contraires » dont parle Simone Weil, à défaut de l’union des contradictoires qui est impossible, en vertu (peut-être, mais pas exclusivement) du principe de non contradiction logique.
Est-ce que Bruno Latour était encore un humaniste? Et est-ce que notre époque est encore humaniste? Michel foucault ne s’est-il pas réjoui de la mort de l’homme? Nous y sommes. Le paradigme écologique s’est substitué au paradigme humaniste. C’est pourquoi j’ai une dent contre l’écologie politique qui n’a jamais dénoncé que très marginalement ces deux maux infligés à la terre que sont l’esclavage des animaux auquel les végans nous ont rendu sensibles et compatissants, et l’agriculture industrielle qui détruit plus certainement les labours que, s’il y a réchauffement climatique, il est d’origine anthropique ou que l’homme ne détruit la couche d’ozone.
On ne parle plus de la faim dans le monde, on parle du déréglement climatique. Il ne faut plus sauver nos âmes, il faut sauver la planète. Nous ne portons plus notre espérance au ciel ni ne voulons plus mettre du ciel dans notre vie, mais le salut de la planète nous inquiète. La subversion écologique est autant une subversion à l’égard de l’homme qu’elle l’est à l’égard de Dieu.
Souvent, je me suis demandé comment définir la mystique en me demandant accessoirement si j’étais un mystique. Quelqu’un qui m’a quasiment servi de secrétaire m’a répondu un non sans appel. La définition la plus convaincante que j’ai trouvée de la mystique est que le mystique est celui qui ne parle plus en son nom, mais qui fait parler Dieu comme s’Il s’adressait à lui-même, soit que ce soit un procédé littéraire, soit que Dieu lui parle vraiment. Je saurais faire parler Dieu en écrivant, je l’ai déjà fait. Mais Dieu ne m’a pas parlé de telle sorte que ma lettre ait la voix de Dieu. C’est pourquoi je ne suis pas un mystique et j’en reste à ne pas savoir ce qu’est la mystique, préférant me ranger parmi les humanistes, peut-être parce que je manque de profondeur ou de réalité, comme Gisors, père de Kyo, en accusait le baron de Clapique dans « la Condition humaine ». J’ai toujours pris pour moi cet anathème de Gisors. « Il boit, car il n’a pas de réalité. »
J’ajouterai que le mystique est celui qui a répondu « oui » à la question: « y a-t-il quelqu’un au centre de cette conscience que je tutoie? » Mais il a reçu cette réponse affirmative de celui-là même qui le tutoie au sein de sa conscience. Celui qui lui a apporté la preuve de l’existence d’un autre en lui qui le surplombe est son surmoi ou son surnaturel.
Par sa vie et son action l’abbé Pierre a concrétisé cette affirmation du philosophe Emmanuel Lévinas :
» la dimension du divin s’ouvre à partir du visage humain « .
Nul besoin de souligner alors qu’il était prêtre catholique et qu’il fondait son engagement sur une foi exprimée au sein d’une religion . Sa vie le signifie explicitement .
Bonjour René,
Je vous remercie vivement pour votre commentaire, sensible et éclairé. Je remercie également Patrice Obert que je rejoins dans son analyse.
Un petit commentaire, en revanche, sur une de vos réponses. Citant Paul aux Galates, vous exprimez une pensée bien large qui, à mon avis, qui ne rend pas justice aux paroles de l’apôtre :
Galates 3.28 : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus. »
Ce passage traite des promesses acquises par la foi (cf. v. 16, 18, 21, 29). Le résultat de la foi, c’est que tous sont « fils de Dieu » (v. 26) ; tous ceux qui été « baptisés en Christ » ont « revêtu Christ » (v. 27). Paul explique donc qu’en matière de réception de ces promesses de Dieu, il n’y a aucune différence entre Juifs et Grecs (c’est le premier sujet de cette épître, qui combat le retour aux œuvres de la loi), hommes et femmes, esclaves ou libres. Le cœur du sujet n’est donc pas une identité générale entre hommes et femmes, mais bien une égalité devant les promesses. (A noter d’ailleurs qu’en termes sociaux il existe des différences entre Juifs et Grecs, esclaves ou libres, et donc aussi bien sûr entre hommes et femmes).
Pardonnez-moi ce bref commentaire…
Merci encore
J’entends bien vos arguments. Mais j’entends aussi que nous sommes tous, hommes et femmes, baptisés PRETRES, PROPHETES et ROIS… Et je cherche en vain, avec la meilleure bonne volonté du monde, quEls peuvent être les arguments théologiques à nous servir, aujourd’hui, pour inviter les femmes à être « soumises » à leur mari !
A Christophe
Paul reprend les termes de l’alliance du Sinaï tels qu’ils sont exprimés en Deutéronome 29,9-12 . L’impératif de justice de l’alliance transgresse les démarcations traditionnelles entre hommes et femmes , maitres et serviteurs et même entre israélites et étrangers .
Indépendamment des statuts dans la société qu’elle transcende , la logique de l’alliance crée une égalité entre tous les membres du peuple et qui plus est s’étend aux étrangers .
En passant du « vous » collectif au » tu « personnel le texte signifie que Dieu passe alliance avec chacun personnellement , ce qui impose à tous, concrètement , ici et maintenant , les mêmes droits et les même devoirs .
Il ne s’agit donc pas comme vous le dites d’une égalité devant les promesses mais bien une égalité de tous dans la mise en oeuvre de l’alliance car Dieu passe la même alliance avec chacun . Nous sommes tous égaux vis à vis de la « rouah » de YHWH . C’est ce que Paul veut signifier
Cette égalité , l »actualité nous la rappelle durement : les immigrés thailandais ( 32 morts 20 disparus ) notamment qui travaillaient dans les kibboutz ont été massacrés le 7 octobre au même titre que les juifs . Ce jour là , par ce pogrom , devant la violence , la mort , il n’y avait ni employeurs ni employés , ni maitres ni serviteurs : tous égaux , une réalité ..
» Ce n’est pas avec nos pères que YHWH a passé une alliance , mais avec nous qui sommes aujourd’hui tous vivants ( Deutéronome 5,2-3)
Bonjour. Votre point de vue peut être mis en regard avec le fait que de 93% de baptêmes par rapport aux naissance en 1965, on est à 25% aujourd’hui. De plus la baisse s’est fortement accentuée ces dernières décennies vu qu’on était encore à 85% en 1990. Paul est, dans ce texte au moins, plus mystique qu’humaniste si je me réfère à l’image des vases communicants signalée plus haut.
Un grand merci René pour cet hommage rendu à l’Abbé Pierre avec cette critique du film et aussi parce que dans une interview vous avez souligné le lien prophétique qu’il y a entre lui et le Pape François. Ainsi, par ex. l’homélie du Pape François en conclusion du synode (https://www.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2023/documents/20231029-omelia-conclusione-sinodo.html) reprend un thème cher à l’un comme à l’autre : « Adorer et servir ».
Quelques idées en partage.
« Ne jamais rencontrer l’homme dans sa surface mais au septième étage de son âme, de son cœur et de son esprit » écrivait avec justesse St Exupéry. Aussi si on oublie la partie immergée de la personnalité de l’Abbé Pierre, on risque de passer à côté de ce qu’il fut en vérité, cad en profondeur. Je crois profondément « au secret spirituel » (titre de votre ouvrage) qui nous révèle ce qui porte l’âme -et fait la force- d’une personnalité ou révèle quelque chose de particulièrement précieux dans la vie d’un homme ou d’une femme : ainsi par ex. pour Camus, la figure de sa mère : « Maman comme un Muichkine ignorant. Elle ne connait pas la vie du Christ, sinon sur la croix. Et qui pourtant est plus près ? » ou pour Jean Moulin « alias Max » (son surnom de résistant quand il fut arrêté), son amitié avec Max Jacob « Quand on m’appelle Max, c’est toujours au poète, écrivain, peintre, mystique que je pense. C’est lui que je revois, lui seul, il est bien l’unique ».
Pour paraphraser St John Perse, il s’agit toujours pour moi, du désir « d’un agrandissement de l’œil aux plus hautes mers intérieures ».
Il y aussi un texte de l’Abbé que j’ai gardé : c’est un dramatique appel à la solidarité et à la Paix écrit en mai 1951 (écrits inédits) qui commence par ces mots :
« Avec toute la solennité
Dont un simple homme aux mains nues
Mais à l’âme offerte toute entière
Est capable,
Je lance aujourd’hui (…)
-Et, après avoir lancé son long appel contre toutes les profanations de l’humain, il poursuit ainsi :
« De toute mon âme
A l’Eternel que j’adore
Aux multitudes humaines que je chéris
Humblement
J’offre ma vie
Quoique sans valeur
(….)
Puisse cette offrande
Être reçue par mes frères humains
Et leur réponse faire éclater la preuve
Que l’Amour
Est Tout »
Et je crois que si le « grand message » de l’Abbé est bien là, un tel texte par ex. exprimant sa foi pourrait suffire à en rendre compte ; mais je n’ai pas vu le film. 😇
Merci René pour votre analyse; en la lisant j’ai repensé à l’impression comparable que m’avait laissée la lecture du livre de V. Olmi : « Bakhita ». La dimension de foi était, non pas absente, mais évoquée de manière superficielle, sans creuser du côté de ce mystère de la vie intérieure qui porte et nourrit l’action et la résilience… La foi, la vie spirituelle…derniers tabous ???
A Guy, tout d’abord,
Comme toujours, votre développement est intéressant. Mais je ne partage pas votre argumentaire. Paul s’adresse aux Galates, qui ont écouté avec bien trop de bienveillance un « autre évangile » (1.6). Dans ce contexte, il exhorte ses lecteurs à adopter la bonne perspective vis-à-vis de la loi mosaïque (tout le chapitre 3, qui contient le passage cité par René). Et, non, Paul ne reprend pas les termes de l’alliance du Sinaï, ici. Cela ne veut pas dire que je ne soutiens pas ce que vous écrivez à partir de « l’impératif de justice (…) ». Je dis même ‘amen’ !
Mais pour l’interprétation de Galates, je maintiens mon argumentaire. Le mot « promesse », du reste, est bien employé par Paul (v. 29) : nous (toutes et tous) sommes bien « un en Christ ». Tous égaux ne signifie cependant pas que tous occupent une même fonction (relire par exemple 1 Corinthiens 12).
A René,
J’entends ces paroles « prêtres, prophètes et rois » comme une parole adressée au collectif que forme le peuple de Dieu, l’Eglise (cf. 1 Pierre 2.9). Mais cela demanderait un long développement. La question de la soumission est une question complexe – et pas seulement dans le couple ; la soumission aux autorités, la soumission aux conducteurs (Hé 13.17), etc. – et demande un examen profond de sa signification en Christ. Le seul ‘argument théologique’ en faveur de cette invitation, comme vous le dites , est notre soumission à la volonté de Dieu. Ephésiens 5 ne peut pas être contourné, à mon humble avis. Est-ce une parole de Dieu, une parole permanente ? Je le crois. Mais la dimension sacrificielle du mari au bénéfice de sa femme doit être regardée avec la même exigence, et comprise à la lumière du sacrifice de Christ pour son épouse, l’Eglise.
Merci encore pour votre blog et vos articles, si emprunts de sincérité et si nourrissants (comme la grande majorité des commentaires, du reste). Je me suis permis, ce matin, dans ma communauté, de partager en quelques mots votre commentaire sur ce film. C’était important.
Bien à vous,
Merci de votre confiance.
La comparaison entre l’amour conjugal et l’amour du Christ pour son Eglise me pose question depuis longtemps. Lorsqu’on fait ce type de comparaison entre deux réalités c’est généralement en partant du connu pour éclairer l’inconnu et le faire comprendre. C’est la pédagogie permanente de Jésus dans les Evangiles. « Le Royaume de Dieu (qu’il s’agit de faire connaître) est semblable à… un trésor, une graine de moutarde, une vigne… » On s’attendrait donc à lire : l’amour du Christ pour son Eglise est comparable à l’amour que se portent deux époux… Or l’Eglise nous dit l’inverse, sans doute parce qu’elle intègre l’idée, réaliste, que l’amour humain peut s’altérer. Mais ni plus ni moins qu’une vigne qui peut être attaquée par le phylloxéra. Avec pour conséquence pastorale qu’en voulant que l’amour humain, toujours imparfait et à construire, s’identifie à l’Amour absolu du Christ, on ne rende l’exercice impossible et désespérant. Cette lecture n’est plus possible. En tout cas elle n’est plus “reçue“ car perçue comme idéologie, construction théologique. Et je persiste à considérer que nous faire saisir la tendresse de Dieu à partir de l’amour conjugal qui a aussi ses « moments de grâce » est d’une autre efficacité pédagogique.
A Christophe
Je ne prétends pas savoir ce que Paul voulait dire exactement au moment ou il a écrit cette lettre , mais seulement proposer une interprétation possible pour que ce texte soit susceptible de faire sens aujourd’hui pour nous . Un texte est d’autant plus vivant qu’il offre une infinité d’interprétation possibles . Ce qui ne veut pas dire laisser libre cours à la subjectivité .
Quant à la relation sponsale du Christ et de l’église elle peut en effet avoir du sens à titre allégorique , pédagogique , mais je ne partage en aucun cas la construction théologique et doctrinale ainsi que leur conséquences sur le sacrement de mariage que l’église a pu faire partir de cette comparaison . Transformer ce qui relève de la vie spirituelle obligation juridique est une méthode qui tue toute vie spirituelle en la réduisant à un code de droits et d’obligations .
Pensée pour l’Abbé Pierre, décédé le 22/01/2007 il y a donc 17 ans !
Et si cette pensée était encore un vœu pour 2024 ?
« N’ayons pas peur de vivre les yeux ouverts, ne se cachant ni les horreurs du mal, ni les émerveillements du beau. Ayons le courage de regarder avec un œil, le mal épouvantable du monde, mais gardons un œil ouvert pour contempler le reste »
Abbé Pierre
Merci d’avoir une pensée pour l’Abbé Pierre , un saint pour moi