Au mois d’octobre 2014, le mouvement Vie montante international, implanté sur les cinq continents, réunissait à Namur (Belgique) ses instances dirigeantes. Voici le texte de l’intervention qui m’avait été demandée en guise d’introduction et de synthèse des contributions fournies par quelque trente associations sur la situation des personnes âgées à travers le monde.
Mesdames, messieurs, chers amis
Je voudrais, dès l’abord, remercier vos instances dirigeantes de l’honneur qui m’est fait – mais plus encore de la confiance qui m’est manifestée – en me demandant de m’exprimer, cet après-midi, devant vous. Je le fais avec d’autant plus de plaisir que mes précédentes fonctions comme Directeur d’un grand hebdomadaire catholique Français, le Pèlerin, m’ont conduit, depuis quinze ans, à nouer avec la section française de votre mouvement, des liens d’estime et d’amitié que je sais réciproques. Je me souviens être intervenu par deux fois à Lourdes, lors de rencontres nationales, puis à Strasbourg, en 2013, à l’occasion du Congrès marquant le cinquantième anniversaire du MCR.
C’est donc en «compagnon de route» que j’ai pris à bras le corps la mission qui m’était confiée. En journaliste aussi, métier qui a été le mien pendant près de quarante-ans, et reste aujourd’hui encore, bien qu’étant à la retraite, ma manière personnelle de regarder le monde. C’est dire que j’ai abordé le travail d’introduction et de synthèse que vous m’avez demandé avec une triple exigence :
1 – Rendre compte, de manière fidèle, des contributions – toujours passionnantes – que vous avez fait remonter de vos différents pays et continents, à partir du regard et de l’expérience qui sont les vôtres.
2 – Mettre ces témoignages en perspective, à l’aide d’éléments de contexte, plus larges et exhaustifs -analyses et statistiques – offerts à notre connaissance par des organismes internationaux comme la Banque Mondiale, des observatoires tels l’OCDE pour des données économiques ou l’INED pour des statistiques de nature démographique ; des structures de recherche universitaires ou associatives (CLEIRPPA), ou encore des congrégations religieuses. Je pense ici aux Pères blancs, à propos de l’Afrique
3 – Me risquer, comme observateur, à cerner les questionnements de votre mouvement par rapport à son histoire propre comme par rapport au contexte ecclésial qui est aujourd’hui le vôtre – le nôtre – du fait même de la personnalité et de l’enseignement du pape François.
Mais soyons très clairs : quels qu’en soient les désirs de rigueur, le travail que je vais vous présenter n’a aucune prétention de type universitaire ou à plus forte raison universaliste, par le jeu d’une audacieuse extrapolation. J’ai simplement voulu appréhender pour vous le restituer, si possible avec intelligence et empathie, ce que vous nous dites de votre histoire, votre identité, votre mission et votre avenir.
Un contexte mondial mais différencié de vieillissement
La présence de votre mouvement sur les cinq continents, à travers des implantations dans une cinquantaine de pays, nécessite, à mes yeux, avant toute plongée dans vos contributions, que l’on pose quelques balises «objectives» pour bien signifier l’extrême diversité des situations. Aussi bien au niveau du vieillissement des populations, que de l’espérance de vie ou du revenu disponible.
Vieillissement
«D’après les données 2010 des Nations Unies, 5,5% de la population africaine est aujourd’hui âgée de 60 ans et plus, tandis que cette proportion est double en Asie (9,9%) et en Amérique Latine (10%), et quatre fois supérieure dans les pays les plus développés (18,6% en Amérique du Nord et 21,7% en Europe)» (1)
Si l’on se projette sur le futur, et pour s’en tenir à ces seuls chiffres, en 2050, il y aura dans le monde, autant de personnes de soixante ans et plus que de jeunes de moins de quinze ans (2) alors qu’aujourd’hui nous avons 334 personnes âgées pour 1 000 jeunes de cet âge. A cette date, toujours pour 1 000 jeunes nous aurons : 367 personnes de plus de 60 ans en Afrique (et à peu près la même proportion dans l’ensemble des pays les moins développés), 1157 en Asie et le double : 2158, en Europe (3)
Pardonnez-moi un ultime aparté sur l’Afrique, bien représentée dans votre mouvement. Les Plus de 60 ans qui y étaient 12 millions en 1950, sont passés à 53 millions en 2005 et atteindront quelque 200 millions en 2050. C’est à cette date, seulement, que le processus de vieillissement débutera vraiment sur ce continent, d’abord en Afrique Australe, puis en Afrique de l’Ouest et de l’Est, avant de toucher l’Afrique centrale. (4)
Espérance de Vie
Pour ce qui est de l’espérance de vie masculine à la naissance, elle était en moyenne, en 2013, de : 57 ans pour l’Afrique, 69 ans pour l’Asie, 71 ans pour l’Amérique Latine, 74 ans pour l’Europe et l’Océanie (77 ans pour l’Amérique du Nord). Impossible ici d’entrer dans le détail, pays par pays, mais la même étude (5) évoque 48 ans pour la République démocratique du Congo ou le Mozambique, contre 80 ans pour l’Australie, le Royaume Uni ou la Suisse.
Concernant les femmes, l’espérance de vie est de trois ans supérieure aux hommes en Afrique, de quatre en Asie, de sept en Amérique latine et en Europe. Une espérance de vie qui, de 1950 à 2005, a été beaucoup plus rapide, par effet de rattrapage, dans les pays les moins développés ( + 26 ans) que dans les pays développés (+ 11 ans) (6) et qui devrait continuer de croître au cours des prochaines décennies.
Revenu et niveau de vie
Que dire de pertinent, en trois phrases, qui ne soit pas caricatural ? Il existe une infinité d’indices divers et variés pour dire la richesse d’un pays ou le niveau moyen du pouvoir d’achat de ses habitants. Sur cette réalité observable, je vous donnerai largement la parole, plus avant dans cette intervention, au travers de vos contributions et témoignages. Mais tout de même, risquons nous à évoquer ici le RNB (revenu national brut par habitant) tel que publié par la Banque mondiale. Cet indice a l’avantage de proposer des chiffres comparables d’un pays à l’autre en ceci que le dollar international, qui sert de mesure, a le même pouvoir d’achat sur le RNB de chacun des pays évoqués, qu’un dollar américain aux Etats-Unis. En revanche nous sommes-là dans des moyennes théoriques, dans la mesure où rien ne garantit, de fait, que la richesse d’un pays soit réellement et équitablement répartie entre tous.
Mais enfin, pour fixer les esprits et sans doute conforter des intuitions voici quelques chiffres. Ce RNB par habitant était estimé, pour 2013, à 680 $ pour la République démocratique du Congo, 1750 $ pour la Tanzanie ou le Bénin, 7 130 $ pour le Guatemala, 14 750 pour le Brésil, 18 060 $ pour la Roumanie, 31 850 $ pour l’Espagne, 37 580 pour la France et le Japon (37 630 $ exactement) ou encore 54 260 $ pour Hong Kong. Soit un écart de 1 à 80… encore s’agit-il là de simples moyennes.
Les retraités au défi de la crise économique
Titrant ainsi : «les retraités», je ne suis pas sûr que l’expression soit pertinente au regard de l’extrême diversité du statut des personnes âgées dans vos pays. A l’heure où je rédige cette intervention, je découvre cette information, que je vous livre : «Près de la moitié des personnes ayant dépassé l’âge de la retraite dans le monde ne touchent aucune pension et, pour une bonne part des 52 % qui en perçoivent une, la protection est insuffisante, indique un nouveau rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT). La part des dépenses publiques consacrée aux retraites représente de 0 à 2% du PIB des pays à faible revenu, contre 11 % dans les pays d’Europe occidentale.»
Mais plongeons plutôt dans le «vif» de vos contributions pour en tenter la synthèse. Il me semble possible d’affirmer qu’aucun pays, sur aucun continent, n’échappe aux conséquences des transformations de l’économie : qu’elles soient consécutives à la crise de 2008 ou, plus largement, à la mondialisation. Avec toujours les mêmes effets : chômage, parfois massif, exode rural, explosion urbaine, accroissement des inégalités, effritement des classes moyennes dont une partie bascule à nouveau dans la pauvreté tandis que les pauvres s’enfoncent, de leur côté, dans la misère.
Je voudrais citer ici le texte qui nous a été adressée par nos amis du Bénin. «La grande majorité des pays africains, hormis quelques pays émergents, sont peu ou pas du tout industrialisés. La priorité devrait donc être donnée au secteur primaire, puis au secteur secondaire et enfin au secteur tertiaire. En réalité c’est le secteur tertiaire, non porteur de développement à la base, qui s’est largement développé, entrainant l’exode rural.
Les Jeunes ont déserté les campagnes. Les personnes âgées qui y sont restées, ne sont plus en mesure de cultiver les terres, faute de modernisation des techniques culturales et de ressources financières. Les pays disposant de ressources minérales importantes, notamment le pétrole, négligent ou abandonnent le secteur agricole. Les seuls pays qui ont mis l’accent sur le développement agricole se sont tournés vers les produits de rente (coton, café, cacao, hévéa…) au détriment des productions vivrières que les banques rechignent à financer. Sans parler de la mal-gouvernance, des détournements, malversations et trafics d’influence qui, avec les dépenses de souveraineté, entrainent une forte diminution des ressources disponibles.»
Le Bénin signale, par ailleurs, le développement de guerres tribales ou ethniques qui amplifient encore les phénomènes de crise. On retrouve la même analyse en République démocratique du Congo où la situation s’est détériorée «par suite des conflits armés qui n’ont cessé d’endeuiller la RDC jusqu’à ce jour». Même chose en Tanzanie où les situations de guerre des pays voisins : Congo, RDC, Rwanda et Burundi, Soudan, Somalie et Ethiopie ont entrainé un afflux de réfugiés : enfants, femmes, personnes âgées et soldats victimes de la guerre arrivant, clandestinement, avec armes et troupeaux.
Je cite à ce propos nos amis Tanzaniens : «Tout cela entraine une déstabilisation économique : produits alimentaires devenus rares et chers, troupeaux décimés, pâturages saccagés ; et provoque des pillages et conflits tribaux entre agriculteurs et éleveurs, des incendies de villages.» Donc un appauvrissement économique supplémentaire. «La vente des terres aux investisseurs étrangers, a pour effet d’épuiser les ressources naturelles et de détruire l’environnement. Pour calmer le jeu, le gouvernement distribue sous forme d’aide alimentaire immédiate des sommes initialement destinées au développement ce qui compromet un peu plus encore l’avenir économique du pays.»
Pardon pour ce long développement qui, sans doute, n’apprendra pas grand chose à nos amis africains mais il m’a semblé intéressant de mettre en évidence ces enchainements pervers, qui conduisent à la paupérisation économique et, nous le verrons, à la désagrégation sociale. On retrouve des logiques similaires dans les pays d’Amérique Latine, bien qu’à un degré moindre. Certains pays – comme l’Uruguay – soulignent des aspects positifs de leur vie économique. De même en Colombie où l’on parle de «croissance économique progressive et durable» ou encore en République Dominicaine qui a connu «un développement économique parmi les plus forts en Amérique latine mais sans répercussion sur le niveau de vie des populations.»
On retrouve ce même constat dans la plupart de vos contributions : le libéralisme économique, porteur de croissance, creuse les inégalités et ne profite pas toujours aux populations. Comme en Colombie où «Les grandes ressources naturelles non renouvelables sont gérées par des multinationales qui ponctionnent les richesses» de telle sorte que le développement économique ne profite pas vraiment au pays.
Le grand point de convergence avec l’Afrique est l’exode rural, massif, évoqué par les uns et les autres. En Argentine c’est «Une politique territoriale délibérée qui a arraché les familles à la campagne avec la fausse promesse du travail nécessaire dans l’industrie.» En Colombie, c’est la pression souvent violente des narco-trafiquants. Résultat : en quelques décennies, on est passé de 70% des habitants en zone rurale à 30%, avec un mouvement inverse dans les villes.
On pourrait développer encore mais l’essentiel me semble avoir été dit. Cette situation générale a, bien évidemment, des conséquences sur la vie propre des personnes âgées. Leurs pensions – lorsque pension il y a – souvent modestes, subissent une forme d’érosion et voient, pour l’avenir leur progression voire leur simple maintien compromis. Pour beaucoup de personnes âgées, l’absence même de toute pension les oblige à travailler au-delà de l’âge normal de la retraite. Ajoutez à cela le fait de devoir aider financièrement ses propres enfants ou petits enfants frappés par le chômage ou de faire face à l’éclatement des familles et vous retrouvez les personnes âgées comme principales victimes de la crise.
La situation que je viens de décrire n’a, bien sûr, rien de comparable avec celle des pays développés de l’Ouest européen et d’Amérique du Nord, ou d’entités comme le Japon et l’Australie. Même si, ici ou là, un exode rural plus tardif semble produire les mêmes résultats, comme en Espagne : «Dans les villages, il n’y a plus de jeunes. Ils sont partis dans les grandes villes ou les pôles de développement industriel ou agricole, ce qui appauvrit le monde rural.» Cette réalité est également celle de nombreux pays de l’Est européen.
Pour ce qui est de l’Europe, précisément, la situation économique des personnes âgées est inégale d’un pays à l’autre, en fonction des disparités économiques que l’on sait entre les anciens pays du bloc communiste (je pense par exemple à nos amis de Roumanie), les «sages» de l’Europe septentrionale ou les cigales du bassin méditerranéen. C’est au Portugal, qui connaît un vieillissement accéléré, que la situation semble être la plus sévère. Le gouvernement prenant prétexte du «poids» des personnes âgées pour rogner leurs pensions. «Les inégalités se sont aggravées, les riches devenant plus riches, les pauvres plus pauvres mais aussi plus nombreux du fait de l’érosion des classes moyennes.» Dans l’Espagne voisine, c’est la répercussion de la crise propre à l’économie de ce pays qui a fragilité la situation des personnes âgées.
Mais il ne faut pas croire que les comportements dits «vertueux» au regard des canons de l’économie libérale servent particulièrement la cause des aînés. La Grande Bretagne fournit un bon exemple avec des baisses de prestations, notamment en matière de santé, et un accroissement des inégalités. La situation est comparable au Japon, moins liée à la crise qui semble avoir épargné cette partie du monde, qu’au vieillissement accéléré de sa population, lié à un effondrement de la natalité. De même en Australie du fait de l’explosion de la dette publique contraignant le gouvernement à des économies drastiques.
Restent des pays comme la Belgique, dans sa dualité économique et linguistique, ou encore la France. Même si la parité des niveaux de vie moyens avec les actifs avait été atteinte, on voit bien que le niveau des retraites est compromis dès à présent, par la situation économique générale et les déficits publics, sur fond de vieillissement démographique.
Malgré ces disparités Nord-Sud, les personnes âgées que vous représentez ici se trouvent toutes confrontées à la même requête : soutenir leurs proches, enfants ou petits enfants fragilisés par le chômage ou par la nécessité de s’expatrier pour survivre, au risque d’un éclatement des familles. Sans doute y a-t-il là une réalité certes cruelle, mais vrai ferment de solidarité entre les membres de vos associations.
Au-delà du constat, il faudrait interroger l’avenir. Se demander quelles évolutions se dessinent pour le niveau de vie des personnes âgées. Mais ce n’est pas le lieu. Je voudrais simplement vous livrer cette réflexion, puisée à plusieurs sources et qui concerne l’Afrique. «En l’absence de pension suffisante, lorsqu’une personne âgée ne peut plus travailler, elle ne peut compter que sur son réseau familial (…) Compte tenu des évolutions démographiques à venir, couplées à la transformation des modes de vie, les familles ne pourront plus répondre aux besoins spécifiques des aînés si elles ne sont pas aidées et relayées» (8) Or, soulève une étude de la Banque mondiale, alors que dans les pays développés la croissance économique a permis un basculement des solidarités familiales à la prise en charge sociale, il est à craindre «que de nombreux pays en développement vieillissent avant même de s’être enrichis.» rendant ce schéma inenvisageable au Sud de la Méditerranée. (9)
Un accès inégal aux nouvelles technologies
Ces réalités économiques ont, bien sûr, des conséquences directes sur ce qui touche le social et plus largement l’humain. C’est sans doute là la partie de vos contributions la plus «charnelle», la plus attachante. Mais avant d’y venir je voudrais faire un rapide détour par la question – qui vous était posée – des mutations techniques et scientifiques, auxquelles les aînés sont confrontés et qui ne sont pas, elles aussi, sans conséquence au plan humain.
De ces formidables bouleversements vous retenez majoritairement deux aspects : ceux qui touchent aux progrès de la médecine et par là, à l’espérance de vie et au bien-être, dont les progrès sont unanimement salués, et ceux qui via internet et les nouveaux outils de communication, transforment les relations entre les personnes.
Si nos amis Sénégalais sont les seuls à évoquer les conséquences de la contraception sur la vie sexuelle des jeunes générations, devenue de ce fait «désordonnée», on peut imaginer que c’est là une préoccupation présente chez beaucoup d’entre-vous. Mais le plus intéressant, me semble-t-il, de leur réflexion, porte sur le mimétisme imposé par le modèle culturel occidental. Un mimétisme qui touche tout aussi bien les habitudes alimentaires «importées», que l’habitat ou encore la dépigmentation de la peau. Les conséquences en sont connues. Elles touchent : le type de production agricole, la disparition de l’habitat traditionnel et l’apparition des premières maisons de retraite, motivant ce cri du cœur : «l’impensable est en train de se produire». Elles concernent tout autant la santé publique ou, plus profondément encore, la remise en cause de votre identité culturelle.
La seconde révolution est celle d’internet. Et là on retrouve le clivage, classique, entre le Nord et le Sud même s’il existe, chez les uns comme chez les autres, ce que les sociologues appelleraient un «effet générationnel». Il illustre la difficulté, pour les plus âgés, à s’approprier ces technologies. Lorsque nos amis Béninois évoquent ces personnes âgées qui «hésitent ou se jugent incapables de s’inscrire dans cette dynamique», c’est là un constat qui vaut aussi bien pour la France ou tout autre pays.
Si je parle de clivage Nord-Sud c’est bien évidemment parce que le Nord et plus largement les pays économiquement développés ont intégré ces nouvelles technologies, les utilisent sans freins, en tirent un bénéfice certain tant au niveau de l’accès à la connaissance que du développement de liens interpersonnels. Même si, comme le souligne la contribution qui nous vient de Hong Kong, le revers de la médaille est, partout, de substituer une logique «machine to machine» – désincarnée – à des relations humaines traditionnelles de «personne à personne».
Dans les pays du Sud, outre la moindre pénétration de ces progrès technologiques, leur adoption par les personnes âgées se heurte principalement à une question de coût. Or cette exclusion, de fait, surtout en zone rurale, se double d’une autre forme d’exclusion plus perverse qu’expriment bien nos amis de la République Dominicaine lorsqu’ils écrivent : «La personne âgée qui, de plus, n’a pas les moyens financiers pour acquérir ces techniques est considérée comme un «déchet» en qui ce n’est pas la peine d’investir puisqu’elle n’a pas la capacité d’apprendre.»
Or, ce qu’il est convenu d’appeler la fracture numérique nourrit l’exclusion. Un seul exemple : le nombre de démarches, administratives ou commerciales, qui ne sont désormais plus possibles que via internet. Sans doute y a-t-il là, pour vos associations, un immense champ d’aide et d’accompagnement. D’autant que cette «révolution» représente, pour les régions les plus pauvres et les plus isolées de la planète, mais pour les autres aussi, une formidable opportunité de développement. Pour vos associations également.
Les aînés au cœur de la violence sociale
C’est donc au regard de ces mutations à la fois économiques et technologiques, qu’il nous faut aborder la question sociale, d’une manière générale puis, plus particulièrement, pour ce qui concerne les personnes âgées.
Et là, on a vraiment envie de vous donner longuement la parole. Nos amis de République dominicaine écrivent : «Comme dans la plupart des pays du monde, les changements démographiques, sociaux, économiques, technologiques, climatiques et politiques sont un défi majeur à relever, car ils apportent : incertitude, inégalité, agitation, isolement et discrimination, en particulier pour les plus vulnérables, comme les personnes âgées. Chez nous, cette situation est aggravée par le fait que 42% de la population vit dans la pauvreté et que beaucoup dépendent de leurs enfants pauvres pour survivre.
Traditionnellement la famille dominicaine était constituée par le père, la mère et les enfants. Aujourd’hui les changements économiques et sociaux, les situations de violence domestique, font que dans de nombreux foyers, la figure du père n’apparaît pas. Lorsque la responsabilité d’élever les enfants ou d’assumer les tâches ménagères incombe aux anciens, c’est là une survie familiale inespérée et dans le même temps une source d’abus et de dépendance totale pour les personnes âgées.»
Ecoutons également ce témoignage qui nous vient du Guatemala : «Nous, les aînés, voyons disparaître ce monde où nous avons grandi. Le respect des valeurs traditionnelles a été remplacé par un monde où tout doit être accepté et justifié au nom de la liberté. Nous voyons que le dialogue, la communication et la convivialité familiale et de voisinage ont disparu. Les quartiers deviennent des ghettos avec des gardiens et des clôtures de sécurité. Les adultes et les enfants partent dans la journée et lorsqu’ils reviennent se précipitent sur la télévision ou les consoles de jeux. Chacun vit selon son caprice au risque de la délinquance, des vices, de la violence, du satanisme, tandis que nous, les plus anciens, regardons et nous taisons, car c’est la paix familiale qui est en jeu.»
Et encore ce témoignage qui nous vient d’Argentine : «Après une vie de travail, les personnes âgées ne perçoivent qu’une retraite insuffisante. Parfois elles ne peuvent même pas accéder aux soins appropriés et leur santé se détériore. Jugées inutiles par leurs familles elles se retrouvent abandonnées. Ce sont ceux dont parlent le document d’Aparecida, – rédigé en 2007 par le cardinal Bergoglio au nom de la Conférence des épiscopats latino-américain – Un document qui dénonce le mépris dont sont victimes les plus âgés, dans une société où les médias magnifient la jeunesse et la beauté.»
Pardon de vous infliger un panorama aussi sombre où percent néanmoins des signes d’espérance, j’y viendrai dans un instant. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, le continent Africain est lui aussi confronté aux conséquences sociales et humaines de l’exode rural massif et de l’urbanisation non-maîtrisée. En Tanzanie, par exemple : «Les jeunes et les plus qualifiés ont quitté les campagnes à la recherche d’emplois et d’une vie meilleure. Les centres urbains, surpeuplés, sont devenus ingérables, à cause des luttes acharnées qui s’y livrent autour des emplois disponibles mais aussi des logements ou des simples biens de consommation. Ce qui entraine : violence, corruption, décadence morale avec son cortège d’activités illégales, de trafics de drogues, d’esclavage humain.
Dès lors, les personnes âgées sont tenues pour responsables d’avoir laissé le pays dans un tel gâchis. La haine à leur égard peut aller jusqu’au meurtre, sous prétexte de sorcellerie. Découragées, les personnes âgées ont peur de s’exprimer, de critiquer, de s’opposer au matérialisme ambiant, à la corruption, à l’immoralité, ce qui creuse un peu plus encore le fossé qui les sépare de la société.» Et l’on trouve les mêmes mots, la description des mêmes réalités, venant du Bénin, de la République de Maurice et de celle du Congo ou encore du Sénégal.
Comment expliquer une telle marginalisation des aînés ? Dans la documentation que j’ai consultée, pour préparer cette synthèse, j’ai trouvé cette analyse de deux chercheurs que je vous livre : «La plupart des Etats Africains ont, à l’heure actuelle, de graves difficultés à faire face aux problèmes sociaux posés par des vagues de plus en plus nombreuses d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes» De sorte que «les personnes âgées ne sont pas une priorité politique.»
Nous sommes loin, ici, de l’image classique, quelque peu idyllique, du vieux sage africain vu par Hamadou Ampâte Bâ lorsqu’il écrivait : «En Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle.» Et pourtant les analystes les plus sévères de l’exclusion des vieillards de la nouvelle société africaine subsaharienne sont également capables d’écrire : «On observe néanmoins des facteurs de ré-inclusion du vieil Africain, facteur que l’on peut présenter en termes de stratégies de reconstruction de la norme sociale traditionnelle, certes fortement éprouvée, mais persistante et résistante.» (10)
Ces raisons d’espérer se retrouvent, ici et là, dans vos contributions. L’un souligne que «Les personnes âgées du Guatemala se prennent en charge et montrent qu’elles sont capables de résoudre leurs problèmes». L’autre termine une longue description de la décomposition de la société uruguayenne en soulignant que néanmoins «la solidarité et l’aide apparaissent, lorsque c’est nécessaire». On retrouve les mêmes témoignages de «solidarité active» des vieux sur le continent africain, où nous dit-on du côté du Sénégal : «Les personnes âgées restent les conseillers, les médiateurs, les conciliateurs». Ou encore ce constat qui nous vient du Bénin : «En milieu rural les aînés parviennent à sauvegarder, un tant soit peu, les valeurs familiales.»
S’adapter à des changements qui déconcertent
A ce stade de mon propos, certains se demanderont si j’entends passer sous silence la situation des personnes âgées dans les pays développés. Non, bien évidemment.
Je reviendrai tout de même, ici, sur la différence de leur niveau de vie, déjà évoquée, pour souligner qu’elle confère à une majorité d’entre eux une autonomie véritable par rapport à leurs enfants, du moins aussi longtemps qu’elles restent actives et en relativement bonne santé. Car, sans doute est-ce là la grande différence entre le Nord et le Sud : depuis quelques décennies est apparue, dans nos pays Occidentaux, une «génération supplémentaire» de jeunes retraités, venue s’intercaler entre les actifs et les «vieux». Alors que, dans bien des pays du Sud, une espérance de vie moins favorable et la nécessité, pour de nombreux aînés, de rester au travail jusqu’à un âge très avancé, les font passer directement de l’activité à la vieillesse, comme dans l’hémisphère Nord il y a quelques décennies.
Nos amis Belges décrivent bien la situation, propre aux pays économiquement développés, lorsqu’ils écrivent : «Il faut faire la différence entre les retraités actifs, valides, qui s’engagent dans la société et la dernière tranche de vie où les retraités deviennent de plus en plus dépendants.»
Pour le reste, les similitudes avec les pays du Sud sont grandes. Même ébranlement de nos sociétés, lié aux excès du libéralisme économique, à la généralisation de la vie urbaine, à l’éclatement des modèles familiaux, à la fin de la cohabitation entre générations ; même marginalisation culturelle des «vieux» dans un univers médiatique où dominent les valeurs d’individualisme, d’hédonisme, de compétition, d’autonomie… ; même implication des retraités et personnes âgées pour maintenir les liens familiaux et soutenir leurs proches soit financièrement soit en leur apportant une aide au quotidien ; et pour les plus fragiles : même sentiment d’abandon et de solitude. «La société prospère a créé des malheureux» résume, à sa manière, le texte envoyé depuis le Japon.
Dans leur contribution nos amis Espagnols écrivent : «Les aînés, bien que difficilement et avec inquiétude, ont accepté peu à peu ces nouvelles situations, sans bien les comprendre et avec résignation. Mais, portés par l’affection vis à vis de leurs enfants et petits enfants, ils collaborent généreusement à la mesure de leurs moyens et disponibilités». C’est exactement ça ! Et – il faut le souligner – à quelques mots près c’est le même constat qui est posé par vos associations en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, au regard de leurs propres réalités. Comme ici, en Urugauy : «Les changements dans la société, dans les familles, dans l’humain, déconcertent les plus âgés et c’est ce qui les affecte le plus. Lentement les aînés s’adaptent aux changements, principalement au plan social. Non qu’ils soient d’accord avec les nouveaux modes de vie. Mais ils pensent qu’il est mieux de s’adapter à la réalité des faits. Œuvrent à ce qu’ils peuvent et prient Dieu de les aider à trouver la bonne attitude, la parole juste.»
Il nous faudra néanmoins, au terme de ce propos, nous demander si cette empathie, cette compréhension, cette bienveillance active est suffisante à résumer ce qui pourrait être aujourd’hui l’apport je dirais même «l’exigence citoyenne» des aînés au regard de la société.
Trouver sa juste place dans l’Eglise
Votre mouvement est ouvertement chrétien, essentiellement catholique, implanté dans des pays où le christianisme est la religion majoritaire mais également sur des continents marqués par d’autres traditions spirituelles et religieuses ou plus récemment pénétrés par l’Islam. Et la description que vous faites, dans vos contributions, de la réalité religieuse que vous côtoyez, illustre une nouvelle fois, le côté «grand village planétaire» déjà décrit en ce qui concerne l’univers économique et social.
Tous, vous constatez une baisse de la pratique religieuse, voire un abandon pur et simple, chez les jeunes générations. Même si tel ou tel – je pense par exemple au Pérou – souligne le fait que «Certains s’éloignent de l’Eglise tandis que d’autres se montrent fervents et dynamiques». Ainsi, la sécularisation, souvent associée aux seuls pays de vieille tradition chrétienne, travaille-t-elle désormais également les pays du Sud, comme l’avaient d’ailleurs relevé les participants au Synode sur la nouvelle évangélisation.
Un Sud également travaillé par la poussée des sectes, comme les «Eglises dites du réveil» en République démocratique du Congo, ou la prolifération de nouvelles religions «vendeuses de bonheur», qui prospèrent sur l’exploitation de la pauvreté. Avec en contre-feu, ici ou là, la constitution de petites communautés chaleureuses et ferventes, ou le développement de mouvements charismatiques.
Mais le grand paradoxe, car paradoxe il y a, est le constat fait par beaucoup, aussi bien au Nord qu’au Sud, que les personnes âgées, que vous représentez, constituent le gros des fidèles, fournissent la majorité des bénévoles qui, au côté des prêtres «font tourner la boutique» et pour autant se trouvent marginalisés, «mal aimés» dans leur propre Eglise. Comme si l’on retrouvait dans l’institution catholique ce que j’évoquais plus haut de la polarisation des Etats Africains sur les enjeux de la jeunesse qui leur faisait occulter la réalité du monde des aînés.
De la contribution Australienne je retiens l’idée de personnes âgées «épine dorsale de l’Eglise, non reconnues, alors qu’elles souhaiteraient en faire plus», du Portugal mais également de l’Espagne voisine, le constat désolé de voir les épiscopats rester sourd à la demande d’une pastorale spécifique pour les personnes âgées. L’heureuse exception paraissant être l’Argentine, chère au cœur de notre pape François, où le document pastoral d’Aparecida, déjà évoqué, «Engage l’Eglise à avoir une attention totale pour les personnes âgées, les intégrant à la mission évangélisatrice, entre autres, par le biais de la préparation des agents qui déploient le «service d’amour».
Gardons cela en mémoire car il se pourrait bien qu’il ait là une clé pour votre mouvement, au regard de la dynamique impulsée par le pape François dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, où il semble vouloir privilégier une évangélisation de la bonté, de la proximité et du prendre soin. Un mode d’évangélisation où, pour le coup, les aînés pourraient trouver toute leur place.
Vie montante : le goût de l’espérance
Voilà, me semble-t-il, une bonne transition pour aborder la dernière partie de cet exposé qui correspond aussi à la cinquième «tension» de l’enquête qui vous était soumise : votre mouvement, Vie montante international, sa situation actuelle, sa raison d’être et son devenir.
La lecture de vos contributions montre un mouvement «en souffrance», dans bien des pays. Je pense au Brésil où des groupes ont fermé. Un mouvement en souffrance car vieillissant et confronté à une réalité économique et sociale où nombre de vos membres n’ont même plus les moyens d’acquitter leur cotisation donc de participer à vos activités. Pour d’autres c’est la présence aux réunions qui pose problème, du fait du coût des transports ou de leur indisponibilité, liées aux contraintes familiales et ménagères qui pèsent sur eux. On retrouve cela dans nombre de pays africains mais aussi en Roumanie ou au Portugal.
Et pourtant que de dynamisme, serais-je tenté de dire ! A vous lire on redécouvre cette première finalité de vos associations qui est, déjà, de sortir les personnes âgées de leur solitude, de leur offrir un lieu de rencontre et de convivialité, de partage également où la spiritualité trouve toute sa place. Et cela vaut pour tous les continents. «Dans le groupe, s’est créé un climat de fraternité pour nous aider à grandir dans l’amour de Dieu pour le donner aux autres» peut-on lire dans la contribution de l’Equateur. Et dans ce texte, qui nous vient du Guatémala : «Il y a des gens qui n’ont pas eu une enfance ou une jeunesse très agréable et ils s’intègrent dans le groupe qui leur propose, pour la première fois, la possibilité d’être acceptés et aimés, non pour ce qu’ils peuvent apporter en services, mais tout simplement parce qu’ils l’ont mérité.»
Je n’ai pas les éléments de contexte, le «back round» diraient les anglo saxons, qui me fourniraient un début d’explication, mais, pour l’observateur que je suis, force est de constater la maturité de la réflexion qui nous vient de vos groupes d’Amérique latine. Sans doute du fait d’une «conscientisation» déjà ancienne. Mais aussi parce que le niveau économique et social, moins dramatique qu’ailleurs, permet d’y penser l’avenir, là où d’autres, sur la planète, sont encore mobilisés par les conditions de leur survie.
Du Costa-Rica nous vient cette réflexion, que je vous livre : «Nous œuvrons pour faire connaître les droits des personnes âgées. Les changements sont des occasions pour grandir. La pastorale est déterminée à développer pleinement cette approche et nous cherchons à renforcer notre groupe au niveau spirituel, émotionnel et physique.»
Et d’Argentine ce «manifeste» : «Aînés de cette partie de fin du monde, nous examinons notre capacité et notre disponibilité pour transformer l’individualisme des comportements en valeurs du bien commun que nous prônons. Nous souhaitons que le gouvernement se batte pour éliminer la corruption, l’insécurité, et pour que les plans sociaux ne soient pas des cadeaux qui n’apportent rien pour limiter la pauvreté. Les messages du pape François nous donnent plus de raisons encore pour continuer à travailler. Nous sommes potentiellement contagieux.»
Cette conviction qu’il vous appartient de participer à la transformation sociale se retrouve, naturellement, dans nombre de pays européens. Je note, de nos amis Belges Néerlandophones, cette réflexion : «Nous devons avoir l’audace d’intervenir en tant que groupe de pression. Même si notre organisation n’est pas très grande, nous pouvons nous associer à d’autres groupes afin de faire entendre notre voix auprès des responsables politiques et de l’Eglise.»
En France, l’histoire même de votre mouvement, relue sur cinquante ans, rend compte de la révolution, notamment démographique, qui a marqué le monde de la vieillesse. Là où, dans les années soixante, la Vie Montante proposait aux aînés de vivre leurs dernières années dans la prière et la méditation, le Mouvement chrétien des retraités qui lui a succédé a pleinement pris acte d’une vie à la retraite qui, désormais, peut durer trente ans ou plus, dans des conditions de relativement bonne santé physique et de ressources financières décentes, au moins pour une majorité. De telles conditions de vie, dans un pays où existent, par ailleurs, bien des formes d’exclusion et de pauvreté, notamment au niveau des plus jeunes, mais également des vieillards, des femmes seules ou des migrants, interpelle chaque personne âgée sur son utilité sociale.
La contribution du MCR situe bien l’état de sa réflexion, lorsqu’elle précise, s’appuyant sur le conseil d’un théologien qui l’a accompagné dans sa réflexion : «Il s’agit pour nous de «sortir de la contemplation des traces du passage de Dieu dans nos vies» pour aller au cœur du monde et mettre en œuvre «de nouveaux arts de vivre» ou de «nouvelles pratiques sociales» susceptibles de changer la société, de promouvoir la dignité de l’homme, de remédier aux déficiences que, comme chrétiens nous constatons.»
Bref, la proposition est désormais, à côté de la convivialité à laquelle sont attachés les plus anciens, de proposer un passage à l’action susceptible de séduire les plus jeunes.
Vivre le chemin de la fraternité
J’aurais encore bien des choses à vous restituer mais je n’ai été que trop long. A vous lire, une évidence s’impose : l’appartenance à votre mouvement est pour beaucoup de personnes âgées, une manière de sortir de la solitude et de garder espoir, au contact des autres avant même, pour certaines d’entre elles ou en certains pays, de se rendre utile. Vous êtes également convaincus que c’est une chance pour chacune de vos associations que d’appartenir à une organisation présente sur les cinq continents. Cela vous permet d’élargir, comme nous le faisons aujourd’hui, votre compréhension de la situation des personnes âgées dans différents contextes économiques, sociaux et culturels.
Des contextes tellement différents qu’il vous semble vain, dans le mouvement, de chercher à faire avancer tout le monde d’un même pas. Pour autant, cela vous conduit à vous interroger sur les solidarités qu’il serait ou non possibles de mettre en œuvre, ou de renforcer, entre vous. La question est très directement formulée par nos amis de la République démocratique du Congo à la recherche de matériel bureautique d’occasion.
Peut-être, à ce stade, attendez-vous aussi de moi que j’éclaire ce qui reste pour vous «LA» grande question, au Nord comme au Sud : comment convaincre les plus jeunes de vous rejoindre ? La volonté de se développer et de rajeunir existe, dans la plupart de vos pays, et si je ne reprends pas ici ce que vous en dites, au travers de vos contributions, c’est avec la conviction que les initiatives qu’elles décrivent sont trop éclatées pour qu’un échange d’expériences, au travers de mon propos, puisse vous être réellement profitable. Mais il n’est peut-être pas inutile d’en débattre entre vous, durant ces journées.
Je voudrais vous dire ceci : voilà quinze ans que j’accompagne avec amitié le MCR et quinze ans que je l’entends s’interroger sur la nécessité de rajeunir ses membres. J’ai moi-même dirigé, durant cette même période, un grand hebdomadaire catholique Français d’actualité qui ne cessait de se poser la même question par rapport à ses lecteurs. Sans résultat ! Je vous le dis ici en toute simplicité : je crois qu’il ne faut pas se polariser sur cette question. Pour reprendre les paroles du pape François, ce pourrait être, pour votre mouvement comme pour l’Eglise, une manière de se regarder le nombril, d’être dans «l’auto-référencement» alors que nous sommes attendus « à la périphérie».
J’appartiens à un diocèse, celui de Créteil, qui vient d’ouvrir un synode dont le thème est : «Avec Lui, prendre soin les uns des autres, et partager à tous la joie de l’Evangile.» Un thème qui est au cœur même de la pensée du pape François, de sa vision de ce que devrait être la nouvelle évangélisation : non pas un rappel à l’ordre, au dogme ou à la morale, mais d’abord un cheminement fraternel sur les routes des hommes. Le grand écrivain français Albert Camus, qui était athée, notait en 1937 dans son journal : «Si j’avais à écrire ici un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt dix-neuf seraient blanches. Sur la centième j’écrirais : Je ne connais qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer.» (11)
Vous avez l’intuition, j’en suis convaincu, que c’est sans doute là l’essence même de ce qui cimente votre mouvement. «Trouver de nouvelles formes d’évangélisation en vivant des chemins de fraternité» comme le proposent nos amis français du MCR. Et comme en écho, nous vient d’Argentine cette même profession de foi : «Les membres de notre mouvement doivent être des graines d’espoir dans une société en crise. De la manière de transmettre notre foi, de pratiquer la charité et la fraternité résultera la récolte.» C’est là un programme qui peut rejoindre les plus jeunes. C’est une espérance que je porte avec vous tous. C’est pourquoi j’ai voulu reprendre pour titre de cette synthèse, cette invitation trouvée dans la contribution française : «Avancer avec confiance dans l’obscurité de l’avenir».
Je vous remercie
© René Poujol
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- Population & Société, Ined, n°491, Juillet-août 2012. L’Afrique, un continent jeune face au défi du vieillissement.
- Ce qui est déjà la réalité des pays développés en 2000.
- Jacques Dupâquier, Le vieillissement de la population dans le monde. www.rayonnementducnrs.com/bulletin/b42/vieillissement
- Voir : Vieillir en Afrique, Philippe Antoine et Valérie Golaz, IRD (Institut de recherche démographique)
- Population & Société, Ined, Tous les pays du monde (2013), n°503, Septembre 2013
- Banque mondiale, la Révolution grise atteint les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire.
- La Croix du 1er octobre 2014.
- Population & Société, Ined, n°491, op. cit.
- Banque mondiale, la Révolution grise… op. cit.
- Les personnes âgées en Afrique, documents Cleirppa n°29, janvier 2008
- Albert Camus, Carnets, Collection Folio Vol. 1, p.62