Faut-il brûler Michel Houellebecq ? 

Faut-il brûler Michel Houellebecq ? 

Et si, au-delà de la provocation, le roman de Michel Houellebecq nous disait sur notre société, des choses essentielles ?

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Le début de cet article a été publié, le 31 janvier, sur le site Aleteia, que je remercie. L’article a également été repris et mis en ligne, le 4 février, sur le site de la Conférence catholique des baptisés francophones (CCBF). Enfin, un condensé en a été publié sous forme de chronique dans La Voix de l’Ain du 12 février.

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Les terribles événements des 7, 8 et 9 janvier 2015 ont porté un coup d’arrêt brutal au début de polémique provoqué par la sortie du dernier roman de Michel Houellebecq : Soumission. Un roman qui n’est pas sans lien avec l’actualité qui lui a ravi la vedette puisque le propos du livre est de raconter l’arrivée au pouvoir en France, d’un Président musulman, en 2022, et le basculement de la société française dans une «douce» islamisation. Une disparition des écrans dont, semble-t-il, la vente du livre n’a pas pas eu à souffrir puisque 150 000 exemplaires se seraient arrachés dès la première semaine.

D’autres, plus compétents, diront quelle place tiendront, demain, Soumission et plus largement l’œuvre de Michel Houellebecq, dans l’histoire de la littérature Française contemporaine. Pour ma part, je le tiens pour l’un des rares auteurs qui aient encore quelque chose à nous dire et le dise avec talent ! Et cela me semble devoir justifier à son égard, d’autres commentaires, qu’un simple règlement de compte en rase campagne.

Il faut lire Soumission

Certes, on peut regretter son «La religion la plus con, c’est quand même l’Islam» de 2001 dans un entretien où il disait plus généralement son aversion pour les monothéismes. Mais cela ne suffit pas à faire de Soumission, quatorze ans plus tard, un livre islamophobe. Et Manuel Valls aurait pu être mieux inspiré, au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, que de déclarer sur RTL : « La France ça n’est pas Michel Houellebecq (…) « ça n’est pas l’intolérance, la haine, la peur ». Rien de tel dans cette œuvre de fiction, mais un sens consommé de la provocation. Une provocation qui serait donc tout à la gloire d’un hebdomadaire satirique «martyr» et deviendrait, soudainement, signe d’infamie pour un romancier ! Etrange !

Je tiens, pour ma part, qu’il faut lire Soumission. Et je voudrais ici dire pourquoi, tout en soulignant en quoi je me démarque radicalement de la pensée de l’auteur, et au prix de quelles remises en cause nous écarterons de notre avenir sa triste prophétie.

Le christianisme, une «religion de femelles»

Allons à l’essentiel : Houellebecq fait sienne cette idée d’une agonie de l’Occident. Il écrit : «comment ne pas adhérer à l’idée de décadence de l’Europe ?» (1) Sont ici en cause l’aveuglement idéologique, le refus des élites politiques, intellectuelles et médiatiques, d’écouter le peuple ; mais également l’imposture de cet «humanisme athée, sur lequel repose le “vivre ensemble“ laïc» (2) incapable, à ses yeux, de fonder la Nation et l’Etat.

Mais plus radicalement, c’est le christianisme lui-même, cette «religion de femelles» (3) qui est ici mise en cause. «A force de minauderies, de chatteries et de pelotages honteux des progressistes, l’Eglise catholique était devenue incapable de s’opposer à la décadence des mœurs». (4) Et, comme pour enfoncer définitivement le clou : «Sans la chrétienté, les nations européennes n’étaient plus que des corps sans âme – des zombies. Seulement voilà : la chrétienté pouvait-elle revivre ? Je l’ai cru, je l’ai cru quelques années – avec des doutes croissants – j’étais de plus en plus marqué par la pensée de Toynbee, par son idée que les civilisations ne meurent pas assassinées, mais qu’elles se suicident.» (5)

On change le monde avec des convictions simples, brutales…

Sauf que dans la pensée de l’auteur, ce n’est pas une trahison, une dérive du christianisme par rapport à ses origines qui serait la cause de ce déclin de l’Occident, mais en fait sa source même heureusement corrigée au cours des siècles pour en faire un pillier de l’ordre établi. Discours connu ! Maurras disait-il autre chose et Nietzsche avant lui ? Ecoutons encore Houellebecq au travers de l’un de ses personnages : « L’idée de la divinité du Christ (…) était l’erreur fondamentale conduisant inéluctablement à l’humanisme et aux “droits de l’homme“ » (6) Bref, à l’abomination de la désolation.

Le sursaut, qui est aussi une forme de punition, viendra donc tout naturellement de l’Islam mais également des autres religions monothéistes, pour peu qu’elles conservent leur virilité première, et cela pour de simples raisons démographiques, l’Occident athée décadent ayant renoncé à se reproduire. «Les couples qui se reconnaissent dans l’une des trois religions du Livre, chez lesquels les valeurs patriarcales se sont maintenues, ont davantage d’enfants que les couples athées ou agnostiques…» (7) Dans son roman, c’est ce scénario qu’Houellebecq met en scène, avec l’élection, lors de la présidentielle de 2022 de Mohammed Ben Abbes dont il écrit : «Le véritable trait de génie du leader musulman avait été de comprendre que les élections ne se joueraient pas sur le terrain de l’économie, mais sur celui des valeurs, et que, là aussi, la droite s’apprêtait à gagner la «bataille des idées», sans même d’ailleurs avoir à combattre.» (8)

Dans son entretien avec l’Obs, titré «La République est morte», Houellebecq déclare : «Dans ce livre, le personnage principal – et l’auteur à sa suite – plonge dans une spirale de relativisme généralisé (…) Ce n’est sûrement pas comme ça qu’on change le monde. On change le monde avec des convictions simples, brutales, clairement formulées. (…) Un compromis est possible entre le catholicisme renaissant et l’Islam. Mais pour cela il faut que quelque chose casse : ce sera la République.» (9)

Une révolution conservatrice en marche. 

On peut tourner ces «prophéties» en dérision. Dénoncer les Cassandres dont l’auteur souligne d’ailleurs malicieusement dans son livre, que dans la mythologie grecque elle «offrait l’exemple de prédictions pessimistes constamment réalisées» (10) Mais j’ai la faiblesse de penser que ce propos, fut-il de pure fiction, nous interpelle. Le sursaut citoyen du 11 janvier ne doit pas nous servir de cache misère. Aujourd’hui la gauche est en échec. Le Front National continue, élection après élection, de tirer profit du «divorce» entre le peuple et les élites. Ici et là, une certaine droite décomplexée, y compris catholique, admet  miser ouvertement sur un effondrement du pouvoir en place. Et s’autoriser désormais  toutes les surenchères : l’abrogation de la loi Taubira, voire même celle de la loi Veil.

Il faut lire Gaël Brustier (11) qui écrit à ce propos : «Entré dans une ère que l’on peut qualifier de «postsocialiste» depuis 1983, le PS a perdu peu à peu l’hégémonie culturelle qu’il exerçait jusqu’alors. (…) En réduisant LMPT à une France “moisie“, en contestant en permanence le nombre ou la qualité des manifestants, la gauche a omis de répondre à la question la plus importante pour toute la communauté humaine, à fortiori s’il s’agit d’une nation, et qui est celle de la définition qu’elle se donne d’elle-même.» (12) A l’heure où un certain monde politico-médiatique s’aveugle d’une unanimité citoyenne autour du droit au blasphème et d’une laïcité renforcée, l’auteur – qui n’est pas de droite – décrit les signes avant-coureur d’une véritable révolution conservatrice qui, par certains aspects, donne raison à Houellebecq. «C’est parce qu’il se veut à la fois moral et social que le conservatisme nouveau représente une force contestataire durable en France et dans le reste de l’Europe. (…) Articulant héritage et adaptation, il s’en va désormais à la conquête des esprits et du pouvoir. » (13)

Eloge de la folie… humaniste ! 

Cela se fera-t-il sur les décombres d’une certaine conception de la République et de ses valeurs au moment où certains les croient – faussement –  triomphantes ? Sauver un certain humanisme laïc auquel, comme d’autres, je suis attaché, sauver des valeurs de fraternité qui permettent de «vivre ensemble», suppose que la République accepte d’écouter et de faire une juste place à celles et ceux qui, dans ce pays, se revendiquent sans honte d’une tradition religieuse. Et qu’elle les accueille avec les questions qu’ils ont à poser à notre société sur les dérives d’un libéralisme-libertaire, prétendument émancipateur des libertés mais en fait porteur de désagrégation sociale.  Pas plus que l’intérêt général n’est la somme des intérêts particuliers, le bien commun ne saurait s’identifier  à la satisfaction de toutes les requêtes individuelles. Si les purs et durs d’une laïcité de combat ne comprennent pas que des juifs, chrétiens, musulmans «d’ouverture» pourraient être aujourd’hui leurs meilleurs alliés, alors la prophétie de Houellebecq se réalisera. Mais on sait la force des aveuglements et des idéologies !

Ecoutons Stefan Zweig, dans sa magistrale biographie d’Erasme : «L’Histoire (…) n’aime pas beaucoup les individus mesurés, les médiateurs, les conciliateurs, les hommes aux sentiments humanitaires. Ses favoris ce sont les passionnés, les exaltés, les farouches aventuriers de l’esprit et de l’action. (…) Personne n’a besoin de plus de courage, de plus de force, de plus de hardiesse morale que l’homme du juste milieu, qui se refuse à accepter les opinions d’une faction, à plier devant un sectarisme.» (14)

© René Poujol

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  1. Michel Houellebecq, Soumission, Ed. Flammarion, 2014, 300 p. – p.257
  2. Ibid p.70
  3. Dans l’Obs du 8 au 14 janvier 2015, p.27, Houllebecq utilise cette formule par référence à un passage de son livre où, en fait, il parle, plus sobrement de «religion féminine» ibid. p.218
  4. Ibid. p.275
  5. Ibid. p.255
  6. Ibid. p.272
  7. Ibid. p.69
  8. Ibid. p.153
  9. L’Obs, op.cit. p.24 et p. 28
  10. Soumission, op.cit. p.55
  11. Gaël Brustier, Le Mai 68 conservateur, Ed. du Cerf, 2014, 240 p.
  12. Op.cit. p.48 et 49 – Or je retrouve la même idée d’une faillite de la pensée de gauche dans l’Express de la semaine (n°3317 du 28 janvier, p.80) au travers d’un article consacré au livre de Laurent Bouvet : L’insécurité culturelle, sortir du malaise identitaire français (Fayard).
  13. Ibid. p.207 et 208
  14. Stefan Zweig, Erasme, édition de poche, p. 24 et p.21

 

 

22 comments

  • Que le libéralisme économique soit porteur de désagrégation sociale, j’en suis tout à fait d’accord. Mais que ce que vous appelez sa composante « libertaire », je suppose en entendant par là le libéralisme des mœurs, aille dans le même sens, ça, ça reste à prouver. Pour ma part, je crois au contraire qu’elle est bel et bien porteuse de liberté, d’émancipation et de bonheur.

    • Ce en quoi nous divergeons, vous et moi, une nouvelle fois, mais ce n’est pas réellement une surprise. Je serai toujours surpris qu’on me présente la loi de la jungle comme condamnable dans le monde de l’entreprise et source de bonheur dans la vie privée.

  • Cher René,

    Bien d’accord avec toi, la loi de la jungle n’a pas plus de chance d’être une vecteur de bonheur dans la vie privée que dans la vie économique. Mais où est la loi de la jungle quand précisément, la République fait des lois comme celle qui ouvre à tous la possibilité de se marier. C’est bien le mariage! Pas du tout la loi de la jungle, pas le droit du plus fort.
    Pour moi, la loi de la jungle, c’était le droit du père, seigneur et maître, ayant droit sur sa maisonnée, femme et enfants. Et ça, l’observation montre que ça ne faisait pas beaucoup de bonheur. Du coup, les nostalgies, m’agacent un peu.
    Le sanglot de l’homme blanc ou la nostalgie d’un antique et viril patriarcat, même littérairement talentueuse m’em….
    Et par provocation, je dirais que Houellebecq a raison, y’a pas d’avenir pour les petits blancs dépressifs, mais il y en a davantage pour les femmes fortes et les hommes qui auront envie d’inventer un monde avec elles.
    Bon, je dis ça sur ton blog, histoire de mettre un peu d’animation 🙂

    • Christine, je ne fais pas une fixation absolue sur la loi Taubira où je sais que nous sommes en désaccord… amical ! Mais sur les dérives du libertarisme, la littérature abonde. Je pense pour ne citer qu’eux, à : « Morale en désordre » de Paul Valadier ou « La tyrannie du plaisir » de mon ami Jean-Claude Guillebaud. Notre société est-elle plus épanouie parce que, par glissements successifs, nous sommes passés d’une dépénalisation de l’avortement pour des femmes en situation de détresse, à un quasi droit à l’avortement, sans aucune restriction, remboursé à 100% par la Sécu comme si la grossesse était une maladie ? Et qu’on ne me fasse pas dire que je suis contre l’avortement, j’ai avec constance, écrit sur ce blogue le contraire. Serons-nous plus heureux demain, avec une dépénalisation du canabis dont on connaît les effets ravageurs, au motif que tabac et alcool sont bien en vente libre ? Serons-nous plus épanouis et libres de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté et de pouvoir, enfin, aider à mourir ceux que pourrons désormais nous dispenser d’aider à vivre ?

      Pour prendre un autre exemple, il se trouve que je suis, depuis quelques mois, environné de couples en train d’exploser en plein vol, avec des conséquences humaines et économiques catastrophiques. Là encore que l’on ne fasse pas de moi un Savonarole pourfendeur du divorce. J’ai connu trop de couples, dans des milieux catholiques où l’on ne divorçait pas, dont la vie conjugale était devenue un enfer pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Mais où se trouve le juste milieu ? N’y a-t-il pas des divorces qui pourraient être évités si chacun essayait déjà de se battre un peu pour son couple ? Faut-il voir comme un progrès de civilisation, ce discours ambiant selon lequel il faudrait être d’abord et avant tout « fidèle à soi-même » et à ses désirs, au prix de l’abandon éventuel de sa femme et de ses enfants, pour aller chercher son bonheur ailleurs ? Combien de fois ai-je entendu ce discours, quelque peu infantile, de la bouche de personnes intelligentes pour lesquelles j’avais estime et amitié ?

      Je découvre cette semaine dans l’Express une recension du livre de Laurent Bouvet : « L’insécurité culturelle. Sortir du malaise identitaire français » que je vais lire. Il y développe l’idée d’une France d’en bas, comme aurait dit Jean-Pierre Raffarin, en « insécurité culturelle » de voir ses élites auto-proclamées la conduire sur des chemins où elle ne veut pas s’engager, lui imposer des bouleversements des modes de vie créateurs d’angoisse… Et, du coup, la précipiter, par peur, dans les bras du Front National. Belle victoire, en vérité ! L’auteur de l’article écrit : « le PS porte une responsabilité majeure dans la montée du FN, qui tire profit de l’insécurité culturelle. » L’humanisme dont, avec d’autres, je me réclame, et toi aussi j’en suis persuadé, porte en lui des exigences éthiques qui ne sont pas aujourd’hui honorées dans une société du fric et de la frime, mise en scène jusqu’à l’obscène par les médias dont les patrons et animateurs ne se rendent même plus compte qu’ils vivent « hors sol » dans un univers qui ne correspond à aucune réalité. Refuser de voir ces dérives, s’esbaudir de toute évolution considérée a priori comme un progrès me semble procéder d’une naïveté et d’un aveuglement coupables qui, par contre-coup, font le lit de tous les fondamentalismes moralisateurs religieux ou non. Mais, comme l’écrit encore Houellebecq dans Soumission : « L’intellectuel, en France, n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature. » (p.271)

      • Certes, nous ne sommes pas toujours d’accord vous et moi, mais je ne peux vous cacher mon accord profond sur vos positions tant vis à vis du droit au blasphème qu’avec ce que vous dîtes sur l’euthanasie, l’avortement et la Manif pour tous que je ne suis plus depuis bientôt deux ans maintenant

  • Cela fait si longtemps que certains quartiers sont laissés à l’abandon.. les problèmes sont cachés . voir les voitures brûlées pendant des années à la périphérie de Strasbourg- les médecins qui font garder leur voiture lors d’une intervention dans certaines banlieues . et les postiers.; ce n’est pas en quelques semaines que l’on va remettre de l’ordre dans ces lieux.;
    la nature ayant horreur du vide .. nous voyons le résultat mais les politiques qu’ils soient de gauche ou de droite sont souvent si loin de ces endroits .
    les maires qui ont alertés depuis des années sur la situation des jeunes filles en particulier dans ces banlieues n’ont pas été entendu ..
    mais ce que dit Houellbecqu est ce simplement une fable ?

  • Je suis comme toi l’observatrice des désordres de nos société. Faut-il pour autant vouloir introduire un ordre moral? Reculons d’un siècle: la morale familiale règne: on ne divorce quasiment pas, hors du lit nuptial, les filles perdent leur réputation avec leur virginité. Et le « sens moral » de cette époque permet qu’un million six cent mille hommes, en pleine maturité soient hachés sous la mitraille de Verdun à la Somme.
    Question; où est la décadence? Les valeurs de la virilité que certains semblent regretter sont des fausses valeurs. Et j’ai de l’estime pour une République pour qui tous les hommes et toutes les femmes comptent et qui fait des obsèques nationales à dix des siens tombés dans une embuscade en Afhganistan ou plus près de nous, à trois policiers morts en service.
    C’est un trait constant, en particulier chez les chrétiens d’être dans le « contemptus mundi », une sorte de regard de mépris et de commisération sur le monde. Jean Delumeau décrit bien ce sentiment qui parcourt le Moyen Âge finissant. Mais l’humanisme (surtout s’il est chrétien) n’est pas dans la commisération mais dans la compassion.
    Pour finir, bien sûr, tout ne va pas bien dans notre monde, je ne suis pas aveugle. Mais doit-on en accuser la liberté… et la limiter? Est-ce qu’on irait mieux si on était moins libres?

    • Chère Christine, je suis prêt à te rejoindre sur bien des points et tu le sais. Ma crainte est simplement qu’un jour, pas si lointain, le peuple ne choisisse de préférer l’ordre moral qui fait horreur à nos élites, à ce qu’il perçoit comme le désordre immoral dont il est la première victime..

  • Eh bien René, tu nous fais un sacré charivari en ce moment : il y a 10 jours, tu étais remonté contre l’ultra-laïcité, te voici aujourd’hui debout, lucide et un peu « sonné » devant la réalisation de la
    [déjà vieille] prophétie de Finkielkraut, qui concluait La défaite de la pensée (1986) en prédisant « le face-à-face terrible du fanatique et du zombie ». Ce que tu nommes « la prophétie Houellebecquienne » est le prolongement littéraire, actualisé, de l’analyse intellectuelle de Finkielkraut. Cela fait 30 ans que tout cela couve et, d’une certaine manière, est écrit. Pendant ces 30 ans, l’humanisme chrétien n’a rien vu venir, quand des non-chrétiens scrutaient les signes des temps, parfois avec une vision faussée du christianisme (cf. Houellebecq).
    Je pense que tu dois parfois être incompris par certains de tes camarades (tu me diras si je me trompe) parce que tu n’es pas dans la « bulle » : par exemple, tu es l’un des rares, à gauche, à avoir compris que le livre de Brustier, au-delà de la pertinence d’analyse de LMPT, décrivait par contraste le vide culturel et intellectuel à gauche depuis 30 ans, la fin d’une hégémonie culturelle. Tu lis Bouvet et son « insécurité culturelle », tu vois la réalité qu’il décrit, et tu la vis, comme en témoigne ton billet. Tu vis avec des « vrais gens » (comme dit la télé), tu observes, tu constates, tu écoutes, tu souffres avec eux, tu saisis les aspirations populaires, tu fais le lien entre l’expérience concrète et les idées.
    A contrario, ceux qui sont dans la « bulle » répondent au chaos culturel en se réenracinant toujours davantage dans l’idéologie, alors même que nous avons besoin de nous réenraciner dans le réel et l’expérience si nous voulons promouvoir un juste milieu. Celui qui est dans cette « bulle » ne peut comprendre ce que tu dis, il ne peut saisir la main que tu lui tends car cette main châtie ses dernières illusions. Et plus ses illusions sont malmenées, plus il châtie celui qui veut les lui ôter. Voilà comment se prépare la phase suivante de la post-modernité livrée au marché : la dérive autoritaire et sécuritaire.
    Le marché, car c’est bien lui qui domine et non plus l’hégémonie culturelle déchue, n’acceptera pas notre humanisme chrétien car il est pour lui un obstacle. Les « zombies » sont sous le pouvoir de ce maître impitoyable, prêts à mordre sur ordre. Quant aux « fanatiques », ils sont l’alibi du déchaînement des chiens de garde.
    René, l’histoire est une succession de batailles terribles…

    •  » Voilà comment se prépare la phase suivante de la post-modernité livrée au marché : la dérive autoritaire et sécuritaire. »
      Ce qui m’ennuie dans la réponse de Guillaume de Prémare, c’est que j’y lis une sorte de jubilation, comme si cette dérive « autoritaire et sécuritaire », il l’appelait de ses voeux. Enfin, le retour de l’ordre, le bon! Celui où les choses et les gens sont à « leur » place, le peuple d’un côté, asservis à son désir de sécurité, les chefs de l’autre, et les femmes à la maison, comme il se doit, comme toujours.
      Cette « dérive autoritaire et sécuritaire », moi aussi, je la crois possible, mais je la redoute. Guillaume de Prémare semble se réjouir de la « punition » qui va tomber dur les enfants turbulents qui ont trop « profité » de la liberté.
      Moi pas.
      Ce n’est pas de paternité dont nous manquons mais de fraternité. Or je cultive l’espérance d’un fraternité possible, sauvée du fratricide, à cause du Christ-frère. (Je cultive même l’espérance d’un « adelphité » possible, non seulement frères/frères mais aussi frères/soeurs.)

      • A Christine Pedotti

        Vous vous trompez, je la redoute comme vous, je la crois possible, vous aussi.
        Cela nous fait au moins deux points d’accord.

  • Christine,

    « Pour moi, la loi de la jungle, c’était le droit du père, seigneur et maître, ayant droit sur sa maisonnée, femme et enfants. »

    C’est une première réaction face à l’anarchie de la jungle, qui vaut ce qu’elle vaut et qui a bien des défauts. Mais si vous vous battez pour diminuer ce mode de pensée, il faut proposer quelque chose de suffisamment solide en échange, un engagement dans le couple, la durée, bref, quelque chose qui ressemble à de la fidélité, pour pouvoir solidifier la confiance entre époux, et pour rassurer l’homme, qui se sent forcément un peu contesté.

    En outre, cette atténuation du modèle patriarcal ne peut avoir lieu qu’en environnement confiné et protégé, où les gens pratiquant ce mode de vie ne sont pas en contact avec des modèles patriarcaux, nécessairement plus écrasants, et qui mettent en danger de mort le modèle que vous souhaitez. C’est là où la politique de l’immigration est radicalement contradictoire avec le féminisme. Les féministes, obnubilées qu’elles sont par leur douleur, ne se rendent pas compte que leurs pires ennemis ne sont pas chez les occidentaux, mais ailleurs. C’est ce que disaient les classiques libéraux, d’ailleurs, le libéralisme n’est possible qu’entre gens de la même éducation.

    Ensuite, l’autre reproche que j’ai à faire au féminisme, mais plus largement à la gauche post soixante huitarde, c’est d’avoir contesté et combattu toute notion d’identité, sous prétexte des diverses blessures causées par cette même identité. Si je ne conteste pas la violence de cette blessure, son absence permet à n’importe qui, dotée d’une colonne vertébrale identitaire de venir et creuser son sillon sans trop de problèmes dans notre société.

    La meilleure preuve étant Chérif Kouachi, Coulibaly ou Merah, petites frappes de banlieue, nourris aux Disney, qui se trouvent une colonne vertébrale identitaire en prison. Or, la colonne vertébrale aurait due être implémentée par l’Education Nationale autour de la nation française, ou par autre chose. Ce n’est plus le cas. La nature ayant horreur du vide, à la moindre occase, les petits jeunes se tournent vers ce qu’ils fantasment, à savoir leur racines identitaires radicales, l’islamisme, débouchant sur une haine de la société. Et la seule à s’y opposer, en face, c’est l’identité d’extrême droite. Ce serait bien qu’il y ait une identité réunissant tout ça, je propose l’identité française.

    Donc, le libéralisme est peut être en cause, oui, mais il n’y a pas que ça, il y a aussi l’identité, la colonne vertébrale permettant à chacun de savoir qui il est, et de ne pas changer au premier coup de vent.

    C’est la raison pour laquelle il me semble pertinent de parler d’un retour du service militaire/civique pour forger cette identité collective. Là, l’identité du bourgeois et du gamin de banlieue se forge au contact du même adversaire : le sergent chef vous envoyant ramper dans la boue. C’est artificiel, certes, mais c’est comme ça que ça marche.

    Et c’est parce que vous vivez une expérience violente au contact du gamin de banlieue, qu’il devient votre copain. Et un citoyen par la même occasion. On le sait en psycho : pour unir les gens, il faut leur faire faire des choses ensemble. Alors faisons faire des choses à la jeunesse française au lieu de les laisser devant la téloche, et faisons l’inverse de ce que proposent les intellectuels, vivons dans le concret des choses, et soyons responsables en travaillant ensemble.

    Et si on ne le fait pas, ne nous étonnons pas que les islamistes, qui bossent ensemble dans les prisons, qui partagent les mêmes douleurs et expériences, soient d’autant plus motivés…

    • Je rebondis sur l’expression « féministes, obnubilées qu’elles sont par leur douleur », il me semble que ces mots visent la génération de féministes qui m’a précédée. Elles ont été des femmes « libérées », moi, je suis née « libre »… ça se joue à quelques années près et à un environnement culturel et familial.
      Je suis très précisément saisie par le sentiment de fragilité de l’émancipation des femmes. À l’échelle de l’histoire de l’humanité, que pèsent 400 millions de femmes sur une durée de 40 ans? C’est la fenêtre historique et géographique de l’émancipation des femmes… C’est – je suis bien d’accord avec vous – d’une extrême fragilité et donc menacé. Et c’est bien pourquoi je me bats, non à cause de la douleur, mais à cause de la fragilité.
      Pour autant, dans nos sociétés les femmes ne se sont pas libérées seules et contre les hommes, il l’ont fait avec le consentement des hommes, de beaucoup d’hommes, qui ont souhaité avoir des compagnes et non des servantes. C’est ce qui me permet d’espérer que cette émancipation n’est pas aussi fragile qu’elle y paraît.

      Sur la question de l’identité, je suis d’accord avec vous sur un point, c’est que nous avons urgemment besoin d’un « roman national ». Je nourris de l’affection pour l’un de mes compatriotes, ardennais comme moi, Ernest Lavisse qui a fait un tel travail pour l’école de la troisième république. C’est à mon sens l’un des grands chantier dans lequel nous devons nous engager.
      Sion, je n’ai pas de grande nostalgie pour le service militaire, mais je crois à l’utilité d’un service national universel.

      • Ben alors, battez-vous contre l’immigration, elle est bien plus dangereuse pour votre combat que le mâle blanc occidental qui s’est (un peu) calmé sur les violences faites aux femmes. Pas pour rien que l’islam cherche autant à contrôler, il s’agit de la première menace pour le modèle patriarcal qu’il adopte.

        Sur le roman national, malheureusement, pas mal de monde à gauche conteste violemment ce principe, sous principe que ça ne serait pas conforme à la vérité. Malheureusement, ils confondent la vérité historique et la manière dont cette même vérité est appropriée par les individus pour forger leur identité.

          • Il m’est arrivé à de nombreuse reprises de tenter de construire un mur devant la mer qui monte, lors de vacances bretonnes. L’expérience maintes fois réitérée montre que la mer à toujours gain de cause. Mais à quelques kilomètres, à Ploumanch, existe un antique moulin à marée, ancêtre de l’usine maréemotrice de la Rance!
            Ce petit apologue pour dire qu’il me semble plus judicieux d’embaucher les femmes musulmanes dans le combat de la liberté – ce qu’est en train de faire le Comité de la Jupe – plutôt que de transformer la France en camp retranché. Le « Camp des Saints », très peu pour moi!

          • @Christine :

            Parfaitement d’accord avec vous qu’il faut sensibiliser les femmes au sujet, c’est pourquoi je vous invite à émigrer dans le pays de votre choix pour servir au mieux la cause de ces femmes, parce que sensibiliser les femmes musulmanes en Occident à la domination patriarcale a autant d’effet sur cette culture orientale que la Terre a d’impact sur le soleil.

            Et en plus, l’immigration de masse met en danger la stabilité des pays récepteurs. Bref, votre stratégie est à revoir.

  • N’oublions jamais que si la liberté et l’égalité sont des droits, la fraternité (l’adelphité ?) est un devoir. Je viens d’entendre un peu par hasard un document sur France 2 sur Mohammed Arkoun (dans l’émission sur l’Islam du dimanche matin). Nous avons besoin d’urgence d’une mobilisation de tous les penseurs (pas besoin d’être docteur, il suffit de se poser des questions (les bonnes de préférences) !) pour réfléchir ensemble et faire avancer une pensée détachée des dogmatismes bloquant. Quand je dis dogmatiques je ne pense pas aux dogmes fondamentaux propres des religions mais plutôt à toutes les strates qui ont pu être rajoutées par l’environnement politique et social, et qui empoisonnent la vie des gens.

  • @Polydamas,
    Cette manie de vouloir se débarrasser de ceux qui ne pensent pas comme soi-même! Ordinairement, on tente de m’expédier chez nos frères et soeurs protestants, et voilà que vous, vous voulez me voir quitter mon pays. Mais vous n’être pas Dieu, je ne suis pas Abraham, je vais donc compter votre conseil pour rien, et d’autant plus que c’est bien ici, dans notre société française, que les femmes musulmanes s’émancipent. Elles le font en masse! Elles sont performantes à l’école, souvent plus diplômées que les garçons, trouvent plus facilement du travail, ont une fécondité équivalente à celles des autres françaises (sauf les cathos tradis et les juives orhodoxes), et contractent très souvent des mariages avec des non-musulmans. Bref, elles échappent à la main des hommes, pères et frères, et elle le font en masse, les chiffres sont très affirmatifs. Ne les jugez pas sur leur voile, qui d’ailleurs, sont de plus en plus jolis, bicolores, agrémentés de bijoux, de vrais objets de mode. Bien sûr, il y a quelques femmes sous grand voile, mais c’est une toute petite minorités, pas plus nombreuse que les cathos en jupe plissée et serre-tête de velours.

    • Pourtant ce n’est pas ce qu’expliquait à Europe diverses femmes Maires de communes de banlieue qui expliquaient qu’il existe toujours dans certains quartiers des filles qui ne peuvent porter des jupes et que celles ci même diplômées ne trouvant pas de travail se retrouvaient enfermées dans leurs cités ..

      • @Francine, vous faites très justement le distingo, « dans certains quartiers » « des » filles ». Évidemment, il y a une partie – qu’il ne faut pas négliger » de filles qui restent dominées par les pères et les frères, mais il y a en a aussi beaucoup qui sortent et qui s’en sortent, et statistiquement, les filles s’en sortent mieux que les garçons.
        La fausse vison, c’et de croire que toutes les filles ou même a majorité des filles musulmanes sont soumises dans un régime patriarcal. Heureusement, c’est faux.

        Restent les autres, et elles méritent toute notre attention. Et il est vrai aussi qu’il y a des quartiers dits « de relégation » où les valeurs de la Républiques ne pénètrent pas.
        Jean-Louis Bianco, Président de l’Observatoire de la laïcité, que j’ai interrogé sur ces questions il y a quelques jours rappelait ces mots du rapport Stasi de 2003: « La laïcité ne retrouvera sa légitimité que si les pouvoirs publics et l’ensemble de la société luttent contre les pratiques discriminatoires et mènent des politiques en faveur de l’égalité des chances. »

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