Euthanasie, de débat en débat…

Il est peu probable que la proposition de loi visant à élargir le cadre de « l’assistance médicalisée pour mourir » soit adoptée ce 25 janvier, par les sénateurs. Mais les débats, récurrents, sur l’euthanasie, illustrent l’extrême fragilité de nos démocraties lorsqu’elles se trouvent confrontées à un tel niveau d’exigences éthiques.

Des sénateurs de différents bords politiques : UMP, PS, Communistes et Parti de gauche, à l’origine de diverses propositions de lois visant à légaliser l’euthanasie ont décidé de se mettre d’accord sur un même texte qui doit être débattu par les sénateurs ce 25 janvier. Il est peu probable que ce texte passe la rampe du vote. Mais peu importe, pensent sans doute ses initiateurs. De débat en débat, la légitimité d’une dépénalisation de l’euthanasie semble gagner du terrain dans l’opinion. Et même au Parlement où ce texte a été voté par la commission des lois, par 25 voix contre 19. Une première ! L’essentiel, à leurs yeux, est donc de maintenir la pression sur l’opinion, en attendant qu’à la faveur d’une alternance politique, leur combat soit enfin pris en compte par un nouveau gouvernement et une nouvelle assemblée… Et peu leur importe que l’échéance se situe à deux mois ou à trois, cinq ou sept ans !

Ainsi va le débat démocratique. Qu’en 2005 la loi Léonetti sur la « fin de vie » ait été adoptée, chose rarissime, à la quasi unanimité des députés de toutes sensibilités politiques, choisissant la logique des soins palliatifs contre celle de l’aide à mourir, importe peu aux tenants du « droit à mourir dans la dignité ». A leurs yeux cette loi Léonetti n’était qu’une étape, sans doute bénéfique, vers un objectif final qui ne peut être qu’une légalisation de l’euthanasie. Leur grief principal : la loi Léonetti ne règle pas tous les problèmes. Il reste nombre de cas (« plusieurs milliers » selon Jean-Luc Roméro, président de l’ADMD, ce qui est de toute évidence très exagéré mais tellement plus efficace ! ) où les soins palliatifs s’avèrent incapables de calmer la douleur des malades en fin de vie, et d’autres comme pour Vincent Humbert où les personnes n’étant pas en fin de vie, la demande est de l’ordre du suicide assisté, eux-même se trouvant dans l’incapacité de mettre fin à leurs jours.

Faut-il revenir ici sur des arguments entendus tant de fois ? Le vrai est que si chacun de nous se résigne, bien ou mal, à l’idée de la mort qu’il sait inéluctable, c’est la peur de souffrir qui nous semble insupportable. Parce que nul ne sait comment il réagirait face à l’extrême souffrance qui, en effet, peut enlever à un être cette « maîtrise de soi » sans laquelle il a le sentiment de perdre sa dignité. C’est pourquoi l’objectif premier des soins palliatifs est bien, en effet, de permettre une fin de vie – et non une mort – dans la dignité, en offrant à la personne les moyens de ne pas souffrir. Mais les français sont peu informés de leurs droits en la matière et la mise en place du réseau de soins palliatifs a d’évidence pris du retard dans notre pays. Dès lors, l’opinion pense conforme à la revendication contemporaine de maîtrise des destinées individuelles, le droit de décider du moment de sa mort. Ce serait là, selon le titre d’un ouvrage à succès : l’ultime liberté. Ou l’ultime fuite…

Deux arguments reviennent avec une constance remarquable, marquer ce débat : une dénonciation de l’hypocrisie qui caractériserait la situation actuelle et un plaidoyer pour l’égalité qui devrait permettre aux plus modestes d’accéder, eux-aussi, par la loi, au droit de mourir dans la dignité. Hypocrisie d’une société qui interdit l’euthanasie alors même que de tels actes sont pratiqués régulièrement dans les hôpitaux, en dehors de tout cadre légal. Je n’ai pas compétence pour donner un « chiffre », mais je sais ces actes certains et je voudrais dire ici combien ils me semblent être un moindre mal pour nos sociétés. Que dans l’intime d’une relation entre un patient et son médecin, la compassion finisse par l’emporter, conduisant ce dernier à poser, dans le secret, un acte que la loi réprouve et condamne, me semble ressortir de la plus grande humanité et non pas de l’hypocrisie. Car il y a là la prise en compte, pragmatique, d’une réalité et sa solution, sans la mise en œuvre d’une légalisation dont les effets pervers sont par trop évidents. A commencer par la banalisation que suit toute institutionnalisation et qui conduit très vite le citoyen à considérer comme moral ce que la société a décidé de définir désormais comme  légal. A partir de là, le prétendu « encadrement » de la loi est un bien maigre rempart comme on a pu l’observer dans les dérives successives de la loi sur l’avortement.

L’argument consistant à mettre en avant « l’égalité des citoyens » et donc le soutien aux plus faibles, face au droit de mourir dans la dignité m’est insupportable, et procède, pour le coup, de cette hypocrisie que ses partisans dénoncent par ailleurs. J’ai entendu, ici et là, sur des plateaux de télévision ou dans des studios de radio, cet argument que des « riches » finiront toujours par obtenir d’un médecin un acte d’euthanasie, alors qu’une fois encore les « pauvres » devront assumer jusqu’au bout leur souffrance… et que face à cette injustice seule la loi serait digne d’une société démocratique. Ce qui m’apparaît, plutôt, est que dans leur désir de vivre jusqu’au bout – car le désir de vivre est toujours plus fort que celui de mourir – ce sont les « riches » en effet qui peuvent s’offrir les soins et l’accompagnement nécessaires et que si une loi est nécessaire pour rétablir l’égalité, face à la vie et non face à la mort, c’est bien la loi… instaurant les soins palliatifs. Mais cette loi là existe !

L’hypocrisie est de croire qu’une loi légalisant l’euthanasie permettrait aux plus modestes de « mourir dans la dignité » eux-aussi, alors qu’elle aura surtout pour effet de leur interdire de vivre jusqu’au bout, dans cette même dignité. Ne soyons pas prophètes de malheur mais il suffit de connaître – et c’est mon cas – ces lieux de vie : longs séjours hospitaliers ou maisons de retraite où des personnes très âgées et souvent dépendantes terminent leurs jours, pour savoir le nombre d’entre elles qui font ce chemin dans la plus grande solitude. Et donc dans la plus grande fragilité. Légalisons l’euthanasie, avec l’alibi de ces « remparts » sensés protéger la liberté de chacun, et je ne nous donne pas dix ans pour que l’aide à mourir dans la dignité ne devienne la manière la plus efficace de libérer les familles du poids de leur culpabilité et par le même coup l’assurance maladie de celui d’une charge financière très lourde. Pourquoi la société devrait elle assumer des dépenses de soins aussi considérables, au détriment d’autres besoins essentiels, alors même qu’elle offrirait aux citoyens que nous sommes la possibilité de « mourir dans la dignité » ?

A ce stade, je voudrais aller au bout de mon cauchemar comme Céline au bout de sa nuit… Lorsque j’étais éditorialiste à Pèlerin je m’en serais tenu à cette dénonciation. Aujourd’hui modeste blogueur je voudrais dire ici ma crainte que la logique euthanasique ne finisse par l’emporter. Pour les raisons évoquées plus haut : il suffirait d’une alternative politique, toujours souhaitable en démocratie, pour que notre pays « rattrape son retard » comme l’écrivent, ici ou là, quelques journaux convaincus d’être dans le vent de l’Histoire. Mais pour une autre raison, plus profonde, où l’adversaire acharné de la légalisation de l’euthanasie, que je suis, se trouve confronté à ses propres contradictions. J’évoquais, plus haut, ma préférence pour cet abrègement des souffrances qu’en conscience, un médecin, peut décider de mettre en œuvre. A celles et ceux qui dénoncent le « risque » de les voir traduits devant une cour d’assises j’ai pour habitude de répondre que s’il appartient à la loi d’interdire il appartient aussi à un jury populaire d’acquitter, le cas échéant, en tenant compte, précisément, des circonstances. Or, dans mon esprit, il ne fait aucun doute que la plupart des médecins pratiquant dans des conditions « d’humanité et de compassion » un acte d’euthanasie seraient aujourd’hui relaxés par un jury populaire. Dès lors, comment un Etat de droit peut-il accepter, durablement, un tel décalage entre des décision d’assises allant toutes dans le sens de la relaxe et le maintien d’une loi interdisant l’euthanasie ?  Il y faudrait, me semble-t-il, une maturité démocratique dont je ne sens pas nos sociétés capables.

Je l’écris donc ici avec une infinie tristesse : quel que soit, ce jour, le vote de la Haute Assemblée, je ne vois pas comment éviter dans nos pays, à plus ou moins brève échéance, une dérive euthanasique. Ce qui ne signifie nullement qu’il faille « rendre les armes » sans combattre.

7 comments

  • Pour René
    Oui, il faut faire attention à cette dérive : n’oublions pas que le regrettable Adolph avait fait euthanasier les « bouches inutiles », handicapés, grands malades, etc. Et dès que l’on commence, pourquoi s’arrêter ?
    De plus, si un médecin euthanasie, pourra-t-on lui faire confiance pour vivre ?

    Pour Iondo
    C’est le point toujours mis en avant, mais c’est faux : on sait, on peut soigner la douleur. Reste au médecins à bien vouloir… et à apprendre comment faire, car ce n’est probablement pas enseigné dans les Facultés.
    Le médecin de famille qui a accompagné les derniers jours de mon père a fait cet effort et papa est mort sans souffrir et entouré de ses fils.

  • Pour lecteur et acolyte, je cite : « C’est le point toujours mis en avant, mais c’est faux : on sait, on peut soigner la douleur ». Qui est ce « on » qui sait. Ce n’est pas ce que j’ai compris dans mes fréquentations avec le milieu hospitalier. J’aimerai bien avoir un nom autorisé à la place de ce « on ».

  • Aïe ! Je cite : « Que dans l’intime d’une relation entre un patient et son médecin, la compassion finisse par l’emporter, conduisant ce dernier à poser, dans le secret, un acte que la loi réprouve et condamne, me semble ressortir de la plus grande humanité et non pas de l’hypocrisie. »
    Pourquoi pas.
    Mais si ce secret vient à s’ébruiter chez les proches et qu’ils poursuivent en justice l’auteur de cet acte de compassion, que se passe-t-il ?
    Et, pire encore, si ce secret résulte d’une entente bien conduite entre les héritier et le médecin compatissant ?
    J’ai bien relu la loi. Ses rédacteurs semblent bien avoir eu ces préoccupations en tête.

  • Je crains que soulager la douleur ne soit, hélas, pas toujours possible. Il y a des personnes qui pour différentes raisons échappent à tout protocole. C’est bien pourquoi il me semble « réaliste » de ne pas fermer les yeux de possibles actes d’euthanasie active. Mon avis personnel – mais je n’engage que moi – est qu’il faut tout à la fois faire preuve d’humanité et de compassion, sans inscrire l’euthanasie dans la loi. On me dira que c’est de l’hypocrisie… J’assume ! Je trouve, au plan de l’éthique, le risque moindre que de vouloir, au nom de la transparence, faire encadrer par la loi des actes d’exception qui, par dérive successive, risquent fort d’être banalisés. Quant à la poursuite devant les tribunaux… j’ai répondu à l’objection. Je pense qu’aucun jury populaire ne condamnera s’il apparaît évident que la compassion pour le malade était le seul mobile… et non l’intérêt des héritiers.

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