C’est bien le retour en force de «l’esprit» du Concile, notamment dans la préparation du synode sur la famille, qui nourrit les réticences de certains.
Dans un article récent sur les «Provocations du pape François», Henri Tincq qui fut de longues années responsables des pages religieuses du Monde écrit, évoquant Jean-Paul II et Benoît XVI : «Ces deux derniers papes avaient consacré leur énergie à restaurer la «lettre» du Concile Vatican II (1962-1965), contre les interprétations progressistes qui l’avaient suivi. Avec François, le pape jésuite et argentin, c’est l’«esprit» libéral du Concile, tant combattu par ses deux prédécesseurs, qui revient au galop. Au point de dérouter toute son administration et son Eglise.»
Expression, parmi d’autres, de ce désarroi, ce bref commentaire d’un blogueur catholique assez représentatif des «générations» Jean-Paul II et Benoît XVI : «Tincq ose une référence à l’ « esprit du Concile », qui « reviendrait au galop ». Je ne sais s’il le craint ou s’il l’applaudit. J’eus aimé qu’il l’évite. C’est du passé, dépassé.» Je crois qu’il n’en est rien et qu’Henri Tincq a parfaitement raison dans son analyse.
Que des dérives «progressistes», se prévalant de «l’esprit» du Concile, aient eu des conséquences graves voire dramatiques sur la vie de l’Eglise catholique, est une évidence que plus personne ou presque ne conteste aujourd’hui. Mais est-ce suffisant pour en conclure que s’agissant de Vatican II, seuls les «textes» compteraient, donc la «lettre» et que «l’esprit» évoqué ici et là ne serait qu’une création artificielle, fantasmatique, née d’un «Concile des médias» imposé à l’opinion en lieu et place du «Concile réel» ? Voilà une lecture bien rapide !
Vatican II : un Concile radicalement différent
Dans l’ouvrage magistral qu’il lui consacre (1), le jésuite américain John W. O’Malley voit la singularité de Vatican II dans le fait même que ce Concile n’a pas été convoqué dans l’urgence, pour trancher quelque querelle doctrinale mettant en danger l’unité de l’Eglise, mais s’est voulu résolument pastoral. D’où l’adoption d’un ton nouveau, ouvert et apaisé : «Vatican II ne produisit ni canon, ni anathèmes, ni verdicts de culpabilité. Par son langage, il marqua ainsi une rupture significative par rapport aux conciles antérieurs.» (2)
Pour ce spécialiste reconnu de l’Histoire de l’Eglise et des conciles (3), l’aggiornamento voulu par le pape Jean XXIII visait à la fois un ressourcement et un développement de la doctrine, ce qui lui permet d’écrire : «Cela signifie que le dynamisme qui avait caractérisé le Concile devait se prolonger au-delà de Vatican II et donc que les documents conciliaires n’étaient pas un point final mais un point de départ.» (4) Vouloir s’en tenir aux seuls textes et à leur application, en refusant de prendre en compte l’intuition profonde qui a présidé à leur élaboration, et les dépasse, serait donc une forme de trahison.
Mon propos n’est pas ici de développer autrement – je renvoie à la lecture du livre – mais de souligner qu’aux yeux de l’auteur la radicale nouveauté de Vatican II et la cohérence du travail d’écriture des documents produits permettent d’affirmer l’existence d’un «esprit» du concile : «Cette cohérence fut immédiatement reconnue par les commentateurs du Concile et souvent exprimée par le terme assez vague «d’esprit du Concile». L’«esprit» signifie ici une vision d’ensemble qui transcende les aspects particuliers de chacun des documents et qui demande à être prise en compte dans l’interprétation du Concile. Tout vague qu’il puisse être, cet «esprit» est concrétisé et rendu vérifiable si nous accordons notre attention au style du Concile, à son unique forme littéraire et à son vocabulaire, et si nous en tirons les conséquences. En examinant «la lettre», il est ainsi possible d’atteindre «l’esprit». (5)
Quand Evangelii Gaudium renoue avec «l’esprit» du Concile
Allons à l’essentiel : il est clair que les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, pour des raisons que l’on peut comprendre sans pour autant les approuver, ont cherché à figer Vatican II dans une lecture minimaliste, réduite aux seuls documents conciliaires, niant ce qu’ils pouvaient porter pour l’avenir de possibles «nouveaux développements» au plan doctrinal. Ce raidissement s’est accompagné d’un regain de méfiance vis à vis des sociétés civiles et de la sécularisation, attitude objectivement en retrait, sinon en rupture, avec le Concile qui pensait que l’Eglise avait aussi «à recevoir» du monde parce que l’Esprit y avait déposé librement sa semence.
Il n’est point besoin d’être docteur en théologie pour retrouver dans Evangelii Gaudium du pape François, et l’ensemble de ses déclarations, le même «esprit» d’ouverture et de dialogue caractéristique de Gaudium et Spes. Lorsque le rapport d’étape intermédiaire du récent synode romain sur la famille, appelait à : «percevoir les formes positives de la liberté individuelle» (n°5) à «comprendre la réalité positive des mariages civils et des concubinages» (n°36) et à prendre acte du fait que «les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne» (n°5), on pouvait y voir, légitimement, le retour en force de «l’esprit» du Concile. C’est-à-dire le regard généreux d’une Eglise qui, tout en réaffirmant avec force son enseignement, est capable de reconnaître la part de vérité, de dignité, contenues dans des situations conjugales même non-conformes à sa doctrine.
C’est bien cette générosité du regard, où s’enracine la popularité du pape François, qui, pour une part, a disparu du rapport final de la première session du synode (6), comme si «les pères synodaux (voulaient) plutôt trouver les moyens de reproposer la beauté du mariage chrétien plutôt qu’insister sur les aspects positifs des situations problématiques» au risque d’une « légitimation a priori de situations de vie irrégulières, voire peccamineuses » (7) Il nous reste une année pour convaincre les pères synodaux de trouver les mots justes capables de redire au monde que l’Eglise, porteur d’un Evangile du mariage, ne le regarde pas moins, tel qu’il est, avec estime, confiance et tendresse. Dans «l’esprit» et la lettre même du Concile.
- L’événement Vatican II, John W. O’Malley, Ed. Lessius 2011, 450 p.
- Op.cit. p.69
- On lui doit un ouvrage également éclairant et passionnant sur le Concile de Trente. Joh W. O’Malley, Le concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé, Ed. Lassius, 2013, 350 p.
- Op.cit. p. 60
- ibid. p.78
- Rapport final repris dans les Lineamenta préparatoires à la session d’octobre 2015.
- I Media, sur le site internet de Famille Chrétienne, 16 octobre 2014
Merci René pour cette réponse à un commentaire qui m’avait posé problème également.
Oui, une petite année c’est bien court, et pourtant c’est l’URGENCE !
Notre génération a vécu ce concile en jeune adulte dans une espérance immense .
La peur l’a finalement emporté, pour l’institution, dans Humanae Vitae, et a progressivement cassé l’élan extraordinaire.
Saurons-nous porter le message de Vatican II et plus ?
Peut-être que les replis identitaires, absurdes, suicidaires et apportant la mort, seront en ce jour vaincus par une alliance de tous les hommes de bonne volonté dans le respect de l’autre.
L’Esprit et la Loi: la question est au cœur du christianisme.
Le Christ est venu chez nous pour cela et nous savons quelle est sa Parole à ce sujet.
François met clairement ses pas dans ceux du Christ et le serviteur n’est pas mieux traité que son maître.
Cela me comble de joie et d’espérance.
Cher René,
J’avais lu cette formule sous la plume de Jean-Marie Guénois dans le Figaro. Sur le pontificat du pape Fançois, il écrit le 2 janvier:
» L’enjeu est le sens de l’application du Concile Vatican II. Il apparait dans les faits que François s’oppose, presque point par point à la priorité anthropologique et morale du pontificat de Jean-Paul II et à la réaffirmation doctrinale, à la réforme liturgique, au centralisme romain et à la réaffirmation de la papauté de Benoît XVI. C’est comme si deux papes, après le Concile Vatican II avait travaillé dans un sens pour retrouver la lettre du Concile Vatican II et qu’un troisième pape efface cela pour retrouver le fameux «esprit du Concile» tant combattu par ses deux prédécesseurs… »
Bien que je ne sois pas aussi qualifiée que O’Malley, je confirme son analyse. Le concile est lié à l’esprit qui l’anime. S’attacher à la lettre sans prendre en considération la façon dont le texte a été produit, et les discussions qui ont présidé à son élaboration est une folie. Le littéralisme n’appartient pas à la culture catholique.
Ce littéralisme a pour objectif de désarmer le caractère novateur du Concile au nom d’une logique de la continuité qui n’admet pas le changement. Il y a bien évidemment une continuité entre l’avant le pendant et l’après Vatican II. Comment une assemblée des 2500 évêques catholiques aurait-elle pu à la quasi unanimité « rompre » avec la Tradition ? Elle a seulement retrouvé le sens d’une Tradition vivante, qui ne reproduit pas le passé mais s’en nourrit pour en écrire la page suivante.
De façon intéressante, c’est tout particulièrement sur la question de la responsabilité des évêques, la collégialité et le synode des évêques que le pape François montre son excellente connaissance du Concile et sa volonté d’être fidèle à son esprit. Je pourrais développer davantage mais il me faudrait un article entier pour le faire.
Revivre ce que nous avons vécu dans l’Eglise de France il y a 40 ans environ, très peu pour moi, merci !
@ Dominique. Comme si vous aviez le choix ! Comme s’il dépendait de vous de « faire taire » ceux qui ont, de Vatican II, une autre lecture que la vôtre !
Dominique en toute fraternité vous voulez rester au moyen âge ?
vous avez besoin de rails immuables ? je ne veux pas le penser .
il y a une chose que l’on arrête pas c’est la conscience éclairée car elle est au coeur de chacun temple inviolable de l’Esprit
Oui, et « la conscience éclairée » elle l’est par qui ? Par ce que souhaite le plus grand nombre ?Franchement j’en doute ! « Nous sommes le corps du Christ,chacun de nous est un membre de ce corps, chacun reçoit la grâce de l’Esprit pour le bien du corps entier »
Comme tout le monde je chante ce cantique bien sûr, mais au fond de moi il me parait assez chimérique, bisounours…
Certes il est possible que je sois, comme chacun d’entre nous, inspiré par l’Esprit, mais quand ? Franchement,je n’en sais rien et ce n’est pas parce que beaucoup pensent éventuellement comme moi que l’Esprit est bien évidemment avec nous.
je n’en sais rien non plus rassurez-vous !
mais une décision morale est la décision prise en conscience par la personne même si pour quelqu’un d’autre elle semble mauvaise .
le Christianisme met l’accent sur le fait que chacun est unique . Chaque situation est unique , il ne peut y avoir une seule réponse à des situations toujours complexes .
que veux-tu que je fasse pour toi? que dis-tu que je suis ? telles sont les paroles du Christ . Plus de questions que de réponses dans l’Evangile .
Une constante l’attention aux petits , l’ouverture aux autres si présente dans les Béatitudes :
Heureux les pauvres …….ceux qui ont besoin de l’autre pour avancer et qui ne se suffisent pas à eux -mêmes .
Mais René où ai-je dit que je voulais faire taire qui que ce soit?
Je dis que je ne souhaite pas le retour de ce que j’ai connu il y a bientôt 40 ans dans l’Eglise de France. Est-ce mon droit oui ou non?
qu’avez -vous connu ce si épouvantable ?
vous ne pensez pas qu’il y a eu quelque chose de plus terrible après Humanae Vitae ?
la fuite des femmes , des couples , une fracture avec le monde si ne cesse de se creuser mais aussi des pasteurs bien embarrassés qui disaient oui mais dans votre cas peut-être ……..
personnellement j’ai passé des heures à essayer d’expliquer l’indéfendable et surtout à dire l’Evangile vous rend libre
Bah!Au début des années 80, habitant une ville de l’Ouest de la France traditionnellement catholique s’il en est, ville de 50 000 habitants, le Jeudi-saint les curés de l’époque ayant si bien travaillé qu’il n’y avait qu’une seule et unique cérémonie de la Cène dans cette ville où cinq églises existaient alors. Par ailleurs c’est grâce au zêle de ces mêmes curés, nous donnant l’ordre de nous asseoir au moment de la Communion, que j’ai quitté un temps toute pratique religieuse, ne supportant ni leurs innovations permanentes ni l’atmosphère entièrement étouffante chez les lefebristes. A mon arrivée à Pau je suis tombé sur deux prêtres du même style au demeurant très sympathiques mais considérant qu’ils avaient parfaitement le droit de célébrer comme bon leur semblait et de nous parler en guise d’homélie de la situation économique dans certaines entreprises locales.
Par ailleurs en ce qui concerne les conséquences « désastreuses » de la parution d’Humanae Vitae j’attends toujours qu’on me présente des statistiques sur la brutale baisse de la pratique religieuse à la suite de la parution de ce texte, et je ne me souviens pas d’avoir entendu beaucoup d’homélies sue ce sujet.
Enfin Claudine, oui je reconnais que j’ai besoin de « rails » comme vous dîtes parce que je suis catholique. Ça ne veut pas dire pour autant que j’attends de connaître l’avis du Pape pour me faire une opînion. Absolument pas, car je me sers, si, si, de mon cerveau, mais que voulez-vous, je suis poussé à considérer que l’avis du Pape et des Evêques lesquels sont loin d’être infaillibles en tout, a davantage de chance d’être de meilleure qualité que le mien même si moi-aussi je puis être inspiré du Saint Esprit, mais je me garde de mettre ce dernier de mon côté.
Dominique, j’étouffe un peu que nous en soyons encore à échanger les uns et les autres ce type d’arguments. Je ne conteste pas, pour ma part, les erreurs qui ont pu être commises par certains « progressistes » au lendemain du Concile. Je ne conteste pas non plus qu’un chrétien, renvoyé à sa conscience comme ultime référence, ait le devoir de l’éclairer, en vérité, et que le Magistère de l’Eglise catholique puisse, pour cela, lui être précieux. Mais vous-même évoquez l’idée que le pape et les évêques ne sont peut-être pas les plus mal placés pour nous y aider. Allez au bout de votre raisonnement et acceptez de considérer que lorsque le pape François nous invite à repenser un certain nombre de choses, de pratiques, dans notre Eglise, ce n’est pas forcément en violation de la volonté de l’Esprit Saint. Nous est-il vraiment impossible, face à l’urgence de l’évangélisation, de faire taire de vieilles querelles et de nous mettre d’accord sur l’essentiel laissant à chacun la liberté de développer par ailleurs des croyances qui lui sont chères sans être fondamentales pour la foi catholique ?
Dominique
les conséquences d’Humanae Vitae sont connus de tous ……..
mais permettez moi aujourd’hui d’être lasse de dire pourquoi
je pense que l’on a aujourd’hui mieux à faire que de donner des bons points aux couples
demain je serai à Paris avec croyants et incroyants , mardi avec mon évêque et les religions présentes dans mon diocèse devant la mairie de ma préfecture pour dire que nos différences doivent être autant de richesses ayant dans la tête les mots de Christian de Chergé .
alors osons la bienveillance .
comme le dit le titre d’un livre : Dieu ne sait pas compter !Car l’Amour ne se divise pas mais se multiplie.
Imaginez René,que lorsque je vois François agir comme il le fait je suis parfois surpris,choqué parfois, mais je m’interroge aussi car oui je suis capable de me poser la question « et s’il avait raison? »
Si vous cessiez de me considérer, car c’est l’impression que vous me donnez, pour un dogmatique le plus étriqué possible…
Dont acte mon cher Dominique !
Claudine, puisque vous vous référez à la conscience je ne sais plus quel auteur disait à ce sujet:
« Je ne connais certes pas la conscience d’un assassin mais je connais celle dite d’un honnête homme,et c’est quelque chose d’épouvantable »
je ne comprends pas ce qui est derrière votre dernière phrase , ni quel est son auteur et dans quel contexte il le dit .je ne sais rien de son vécu.
elle est terrible cette phrase : cela voudrait dire que la conscience , je dis bien la conscience de chacun est emprisonnée par le mal . quel contre témoignage évangélique ! quel mépris de l’Homme ! ce n’est pas si en tout coeur passent des émotions terribles que la conscience n’est pas la grandeur de l’Homme et son discernement.Pour nous croyants Dieu y est présent.
NON l’ Homme n’est pas mauvais , ni sa conscience …………c’est une marche .
Sortez de cette impression que le monde est mauvais
oui aujourd’hui le monde sera beau et je ne suis pas une utopiste
mais les prêcheurs de malheur sèment la haine
Mais bien sûr que notre conscience peut être contaminée par le mal!N’avez-vous donc jamais entendu la défense des pires nazis par exemple?Allons!
Oui le mal peut être dans l’homme et y prendre ses aises Je n’ai aucun mépris pour l’homme mais je sais ce que peut être l’homme ET dans le bien ET dans le mal.Non je ne suis pas un prêcheur de malheur et je ne sème pas la haine ,mais l’homme n’est pas bon par nature,absolument pas et l’homme c’est bien évidemment et vous et moi et tous nos frères