Un observateur engagé

Un observateur engagé

Lorsqu’un engagement de campagne est présenté comme non-négociable, au risque évident de diviser le pays. 

Il y a eu trois ans ce 12 février 2016, l’Assemblée nationale adoptait la loi Taubira en première lecture. C’est un débat auquel j’ai consacré, dans ce blogue, une bonne vingtaine d’articles, sans jamais être tenté d’en faire une relecture globale. Pour son livre L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, m’a demandé de revisiter, en répondant à ses questions, la manière dont j’avais vécu ces événements de 2012-2014. Je lui en suis reconnaissant. C’est cet entretien que je propose, aujourd’hui, sur mon blogue, en intégralité et en cinq épisodes, avec l’accord des Editions Salvator. Moins pour relancer un débat qui est loin d’être clos que pour témoigner d’un itinéraire.

Virginie Tellenne : Comment qualifieriez-vous votre engagement personnel durant cette période ?

René Poujol : Je m’approprierais volontiers la formule de Raymon Aron utilisée comme titre de l’un de ses livres paru en 1981, celle de «spectateur engagé». C’est bien ce que j’ai été sur cette période. Apportant un temps mon soutien à un mouvement dont je me suis assez vite séparé, pour des raisons sur lesquelles j’aurai l’occasion de m’expliquer. Mais sans jamais taire ni renier mes convictions.

J’ai la chance de disposer des articles publiés sur mon blogue (1) ce qui m’évite le risque ou la tentation d’une forme de réécriture de ma propre histoire, qui prendrait quelque liberté avec la vérité. Je dispose également d’un journal personnel. Avec plus ou moins de régularité, j’y ai noté des confidences ou des informations relatives à ces événements. En préparant cet entretien j’ai calculé qu’il y avait là, mis bout à bout, entre blogue et journal, l’équivalent de deux-cents pages. De quoi écrire un livre. Sauf qu’un livre est autre chose qu’une simple compilation de chroniques et de notes personnelles. Un ami journaliste et éditeur m’avait sollicité, à l’été 2013, pour un travail d’écriture sur le sujet. Je lui avais dit non, à regret. C’était trop tôt. Je ne disposais pas du recul nécessaire. Plus même : je baignais dans une forme de crise intérieure, consécutive à la violence de ce que je venais de vivre.

C’est dire que votre proposition d’évoquer ces événements aujourd’hui, plus de deux ans après, en toute liberté et sous forme d’entretien, m‘a semblé plus facile à accepter. Même si mon propos doit bien être perçu comme une relecture personnelle, sans aucune recherche d’exhaustivité voire même d’objectivité.

Revenons donc, si vous le voulez bien, aux événements qui vont de septembre 2012 au 26 mai 2013, quel souvenir en gardez-vous ?

Ce sont là des dates balises, entre constitution d’une sorte de «front du refus» au projet de loi Taubira, et dernier grand rassemblement national de protestation de 2013. Des dates qui, pour moi, n’ont pas forcément le même sens que pour vous car je n’étais au rendez-vous ni de la première, ni de la seconde. Je vais vous répondre, mais pour comprendre la position qui a été la mienne sur ce laps de temps, il m’est nécessaire de remonter plus en amont, sur la période qui a précédé l’élection de François Hollande.

Plus qu’à la gauche proprement dite, j’appartiens à la famille des «chrétiens sociaux», ce qui explique, notamment, mon engagement au sein du Conseil d’administration des Semaines sociales de France (2). Lorsque, début janvier 2012, j’ai pris connaissance des «60 engagements pour la France» du candidat François Hollande, j’ai su immédiatement que j’étais en désaccord radical avec ses propositions 21 et 31 sur une forme d’euthanasie et sur l’introduction du mariage homosexuel dans notre droit. Dès le 11 février je publiais d’ailleurs sur mon blogue personnel, à propos de la fin de vie, une «Lettre ouverte à François Hollande sur le droit de vivre dans la dignité.»

Mais ce désaccord ne me semblait pas suffisant pour envisager de voter à droite, alors même que ce que je portais par ailleurs de désirs de réforme sur la justice sociale et fiscale, la transition énergétique, la recherche d’une autre forme de croissance écologique ou la priorité à donner à la jeunesse me semblait se trouver du côté du candidat socialiste. Sans doute serais-je resté sagement dans cet a-politisme, en ce qui concerne les articles de mon blogue qui n’a pas vocation a commenter l’actualité politique, si je n’avais rapidement été excédé par ce qui m’est apparu comme une forme d’hystérie. J’entends par là le discours sur le «non-négociable», véhiculé par certains réseaux catholiques avec un soutien ecclésiastique affiché. En bref, si l’on était conséquent avec sa foi, il était impensable d’apporter son soutien à un candidat dont le programme contenait deux propositions aussi contraires à l’enseignement du magistère de l’Eglise catholique. Alors même que le document de la Conférence des évêques de France, publié à l’automne 2011, dans la perspective de la présidentielle, se gardait bien de faire référence à ce concept controversé de «non-négociable».

Un jour d’avril, sur KTO où j’étais invité à débattre dans le cadre d’une émission spéciale, à quelques jours du premier tour, le Père Matthieu Rougé (3), Thibaud Collin, vous-même et quelques autres avez défendu sans nuance l’idée que c’était un devoir pour tout chrétien de voter Nicolas Sarkozy. Pour moi, qui m’en était volontairement tenu à donner mon opinion sur les projets de réforme relatifs à la fin de vie et au mariage pour tous, c’était trop ! Quelques jours plus tard je publiais sur mon blogue un article intitulé : «Ma liberté de choix est non-négociable» où j’officialisais mon intention de voter François Hollande au second tour de la présidentielle. (4) Peu de temps après, avec un groupe d’amis, nous lancions le blogue A la table des chrétiens de gauche où nous affichions publiquement notre appartenance à l’Eglise catholique et notre ancrage à gauche.

SE BATTRE SUR DEUX FRONTS : 

POLITIQUE ET RELIGIEUX

Je ne souhaite pas alourdir ce préambule. Mais je voudrais ajouter deux éléments éclairants pour la suite de mon propos. Dès le lendemain de l’élection de François Hollande, j’ai été convaincu, et mes amis avec moi, que nous aurions très vite à nous battre sur deux fronts : vis-à-vis de notre Eglise, pour faire prévaloir que, quoi qu’on pense du mariage pour tous, l’existence du couple homosexuel était une réalité incontournable ; et vis-à-vis du gouvernement, pour le mettre en garde contre le risque de diviser profondément le pays sur deux débats de société particulièrement sensibles.

Ces intuitions allaient se traduire par deux initiatives, l’une individuelle, l’autre collective. Fin août, dans la perspective d’un débat inévitable sur le mariage gay, je publiais sur mon blogue personnel un article «d’ouverture» sur la question homosexuelle (5) qui allait me valoir une volée de bois vert de la part de certains milieux catholiques. J’y écrivais notamment : «Si la loi naturelle et le simple bon sens continuent de nous dire, en début de millénaire, qu’il faut bien un homme et une femme pour donner vie à un enfant ; ils peuvent plus difficilement être sollicités pour justifier l’amoralité supposée de la sexualité, dès lors qu’elle exclurait toute finalité reproductrice immédiate.»

Début septembre, le blogue des chrétiens de gauche publiait, de son côté, un manifeste intitulé «Pour un vrai dialogue sur l’essentiel» qui allait recueillir un millier de signatures d’électeurs de gauche de toutes confessions et appartenances philosophiques. Ce texte appelait solennellement le gouvernement à ne pas chercher à passer en force sur des projets (mariage pour tous et fin de vie) qui nous semblaient de nature à diviser profondément l’opinion. (6) L’initiative a été critiquée ouvertement par certains de nos amis, convaincus que pour ce qui concernait le mariage homosexuel, son adoption se ferait sans drame, l’opinion y étant acquise. Le décor était planté. C’est dans ce contexte qu’il me faut aborder la période à laquelle vous faites référence.

Alors, précisément, quel souvenir conservez-vous de votre engagement sur ces mois de mobilisation ?

A aucun moment je n’ai été dans les coulisses de ce qui a présidé aux premiers rassemblements en région. J’ignorais tout des tractations en cours que je ne soupçonnais même pas. Mon combat personnel était uniquement un «combat d’idées» au travers de mon blogue où j’ai publié plusieurs articles argumentant mon opposition au mariage pour tous, puisque c’est bien lui qui était d’actualité. Elle portait pour l’essentiel sur deux considérations : la symbolique du mariage me semblait devoir rester attachée au couple hétérosexuel et je contestais l’élargissement aux couples de même sexe, d’un statut qui ouvrait à la filiation. Il me semblait évident que cette filiation ne pourrait se concrétiser, à terme, que par recours à la PMA et à la GPA, même si la seconde, interdite en France, ne figurait pas dans la loi Taubira.

FAVORABLE AU CONTRAT D’UNION CIVILE

En revanche, je me retrouvais bien dans la position de l’UNAF (Union nationale des associations familiales). Elle préconisait un contrat d’union civile qui offrirait une égalité de droits conjugaux aux couples homosexuels et hétérosexuels. Etant précisé que la situation des enfants vivant au sein de couples de même sexe devait, bien évidemment, être réglée au mieux dans l’intérêt de ces enfants. C’est la position que j’ai défendue, cet automne-là, au sein du Conseil d’administration des Semaines sociales de France, à un moment où l’association envisageait de se prononcer simplement contre la Loi Taubira sans formuler d’alternative. Proposition qui fut adoptée en Conseil et officialisée par Jérôme Vignon lors de la session de novembre… Cette position allait provoquer ultérieurement quelques remous internes venant d’un certain nombre d’adhérents favorables au projet gouvernemental.

Cet automne-là a été pour moi une période difficile. Des amis de longue date ont eu des mots très durs pour me dire leur incompréhension que je puisse épouser ce combat. Ce qui leur semblait totalement contradictoire avec ce qu’ils percevaient de moi et, ajoutaient certains : ce qu’ils aimaient en moi. Il y avait là, à leurs yeux, une forme de trahison qui les décevait profondément. Je les ai vus s’éloigner peu à peu. Quelques-uns ne sont pas revenus. En revanche, dans certains milieux catholiques de droite, on s’est mis à me faire les yeux doux et à partager mes textes, avec jubilation, sur les réseaux sociaux. Ce qui n’a pas duré longtemps, j’y reviendrai ! Que dire d’autre ? Qu’à cette époque je n’ai pas cru un seul instant aux chances de succès des rassemblements qui s’annonçaient à travers la France, même si je restais persuadé que ce projet de loi «faisait violence» aux convictions de beaucoup. Mais je n’imaginais pas l’énergie que ces convictions allaient générer. Ni la violence avec laquelle ces manifestations seraient reçues par les partisans de la loi Taubira.

 

(Prochain article 2/5  : Un petit tour et puis s’en va)

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  1. renepoujol.fr
  2. J’ai cessé d’en être membre du Conseil au Printemps 2015.
  3. Le Père Matthieu Rougé était alors curé de Sainte-Clotilde et, à ce titre, aumônier des parlementaires. Voir mon blogue du 10 juillet 2012.
  4. Blogue du 3 mai 2012
  5. Blogue du 22 août 2012
  6. A la table des chrétiens de gauche en date du 11 septembre. Texte initié par Didier da Silva, Vincent Soulage, Eric Vinson et moi-même.

 

© Editions Salvator – René Poujol

 

SI VOUS SOUHAITEZ LAISSER UN COMMENTAIRE A CE TEXTE, MERCI DE LE POSTER A LA SUITE DE L’ARTICLE QUI L’INTRODUIT, EN PRECISANT AUQUEL VOUS FAITES REFERENCE (1, 2, 3, 4 ou 5).

 

(J’invite le lecteur de ce blogue à poursuivre la réflexion sur un débat emblématique, bien loin d’être clos, en se reportant au livre de Virginie Tellenne : L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) qui contient une dizaine de contributions.)