La Manif du 12 janvier 2013 fut-elle citoyenne ou homophobe ? Il est probable qu’on en débattra encore dans dix ans !
(Il y a eu trois ans ce 12 février 2016, l’Assemblée nationale adoptait la loi Taubira en première lecture. Un débat auquel j’ai consacré, dans ce blogue, une bonne vingtaine d’articles, sans jamais être tenté d’en faire une relecture globale. Pour son livre L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, m’a demandé de revisiter, en répondant à ses questions, la manière dont j’avais vécu ces événements de 2012-2014. Je lui en suis reconnaissant. C’est cet entretien que je propose, aujourd’hui, sur mon blogue, en intégralité et en cinq épisodes, avec l’accord des Editions Salvator. Moins pour relancer un débat qui est loin d’être clos que pour témoigner d’un itinéraire.
… suite de l’entretien : 2/5
Virginie Tellenne : Il y a eu à Paris, début janvier 2013, la première manifestation nationale où nous avons défilé, vous et moi, côte à côte, en tête de cortège. Comment expliquer votre présence, ce jour-là ?
René Poujol : Sur les derniers mois de l’année 2012, j’ai ressenti, comme beaucoup, une forme d’exaspération face à ce que je percevais de mépris de la part de la commission parlementaire. J’ai encore en mémoire les propos de son président Jean-Jacques Urvoas : «Si les adversaires du projet viennent en pensant qu’avec la force de leurs arguments ils peuvent nous faire changer d’avis, ils font fausse route.» Pour moi, c’était là un déni de démocratie. Dans le même temps, la perspective d’un grand rassemblement national non politique mais citoyen me donnait à penser, naïvement, que le gouvernement pourrait entendre cette forme d’expression populaire. Notre intérêt commun, à vous et à moi, a fait le reste. Vous aviez besoin d’une caution «de gauche» pour casser l’image majoritairement droitière du mouvement et, de notre côté, avec certains de mes amis de C2G (chrétiens de gauche) nous souhaitions mettre publiquement en évidence que l’on pouvait être de gauche et ne pas approuver les dispositions de la loi Taubira. Les photos de la manifestation montrent qu’en effet, eux et moi étions ce jour-là, à vos côtés, en tête du cortège, au départ de la place Denfert Rochereau où j’avais donné à Philippine de Saint-Pierre, en direct sur KTO, une interview qui continue de témoigner de nos motivations. Tout choix implique d’en assumer les conséquences. C’est ce que nous avons fait !
Ma question porte plus largement sur votre attitude sur toute la période qui va jusqu’à la dernière grande manifestation du 26 mai 2013…
Je voudrais déjà insister sur un point. A aucun moment, le 13 janvier 2013, je n’ai ressenti la manifestation comme l’expression d’une forme d’homophobie. Sauf à considérer par nature homophobe le simple refus citoyen d’une égalité des droits pour les adultes, lorsqu’elle porte la menace d’une inégalité des droits pour les enfants à naître. En tout cas, je n’ai rien perçu de tel autour de moi. Sinon, j’aurais quitté le cortège.
Avec le recul, je reconnais néanmoins avoir sous-estimé la manière dont nombre de personnes homosexuelles ont vécu cet événement, c’est-à-dire comme l’expression d’une forme de rejet et de haine à leur égard. Et je me garderai bien d’en faire porter la responsabilité aux seuls médias qui auraient travesti la réalité du mouvement. Je ne me suis pas rendu compte qu’en voulant aborder cette question en termes de «raison», d’anthropologie, je devenais de fait inaudible pour toute une frange de la population pour laquelle il ne s’agissait que d’une question d’égalité des droits. Ces blessures, aujourd’hui encore, demeurent profondes. Des blessures d’écorchés vifs. Sur les réseaux sociaux elles continuent de s’exprimer, ici ou là, avec une hargne et une violence inimaginables. Au point que tout dialogue en devient impossible. Elles seront longues à cicatriser. Mais c’est ainsi, on ne refait pas l’Histoire.
Si je creuse un peu plus, je dois reconnaître qu’en fait j’ai été surpris de l’adhésion d’une large frange de l’opinion publique à l’idée de mariage gay qui honnêtement, ne me semblait pas être une revendication majoritaire de la communauté homosexuelle, mais plutôt celle d’intellectuels activistes tels Eric Fassin ou Didier Eribon dont les écrits, popularisés par la presse de gauche, portaient une volonté de subvertir l’ordre bourgeois en s’attaquant au mariage. Et comment s’y attaquer plus habilement que de l’intérieur, en revendiquant le droit au mariage pour les homosexuels ? (1)
RECUPERATION POLITICIENNE ET INTRANSIGEANCE
Pour la suite, le 12 février 2013 l’Assemblée nationale adoptait le texte en première lecture, après que le gouvernement eût retiré toute référence à la PMA, reportée au vote ultérieur d’une loi famille. Pour moi, le débat était symboliquement clos. C’est ce que j’ai exprimé le jour-même sur mon blogue. «Demain la loi sera la loi et je suis un démocrate. Mais je crois que si un Parlement est légitime à trancher entre le permis et le défendu, il ne l’est pas à prétendre départager le vrai du faux, le bien du mal, qui sont d’une autre nature ! Sous mon acquiescement citoyen, je revendique une totale liberté de pensée et d’action.»
De cette heure j’ai décidé de me retirer de la Manif pour Tous. Pour deux raisons essentielles : ce que je percevais déjà de récupération politicienne du mouvement, et le refus d’entrer dans la logique du «On ne lâchera rien» que je ne pouvais accepter. Ces deux points valent qu’on s’y attarde un instant.
Très vite les manifs de rues sont passées d’une simple protestation contre la Loi Taubira à une remise en cause globale de la politique gouvernementale pour ne pas dire de la légitimité du pouvoir. Comme en 1981 après l’élection de François Mitterrand. Je pense que le paroxysme de ce dévoiement a été atteint, un an plus tard, lors des manifestations du 2 février 2014 où l’on retrouvait pèle mêle parmi les dénonciations validées par les organisateurs : la loi Taubira dont on demandait toujours l’abrogation pure et simple, le projet de loi famille en préparation, la PMA-GPA, la réduction du congé parental, la pression fiscale, ou encore l’enseignement de la théorie du genre à l’école. Cet excès a d’ailleurs généré sa propre sanction sous forme d’un effritement significatif de la participation.
Le 8 février, Bruno Frappat rendait compte de la mobilisation dans sa chronique de la Croix : « Dans leurs micros, des organisateurs vociféraient contre le gouvernement, contre “Peillon“ ou contre “Valls“, vilipendaient Hollande. Mais la foule ne reprenait pas. (…) Les haut-parleurs et les porte-voix tentaient de durcir le ton, d’attiser les colères, mais cela ne marchait pas. Il y avait un décalage entre les chefs et la troupe. C’est dit : la République, ce jour-là, n’était pas menacée, en dépit des appels à la « Résistance » lancés par les organisateurs, plus politisés que la moyenne et qui faisaient mine de croire que la France était sous la botte. (…) On imagine très bien que ceux qui font de la révolte des famille une machine de guerre contre le gouvernement se chargeront de trouver d’autres sujets, d’autres combats. Quitte à en inventer. En attendant, on va peut-être souffler un peu. »
De son côté, le «on ne lâchera rien» pouvait à la limite se concevoir jusqu’au vote définitif de la loi et à sa promulgation. Même s’il pesait déjà son poids d’anti-parlementarisme. Il est certain qu’à la faveur d’une alternance politique, une loi peut toujours défaire ce qu’une loi a institué sous la législature précédente. Mais la transposition du «on ne lâchera rien» en revendication obsessionnelle de l’abrogation «sèche» de la Loi Taubira, manifestait la volonté de remettre en cause, d’une égale manière, les deux composantes de la loi qui concernaient pour l’une la conjugalité homosexuelle, pour l’autre la filiation. Alors même que seule la seconde posait vraiment problème au regard du droit des enfants, la première faisant l’objet d’un quasi consensus dans l’opinion, y compris catholique, comme on aura l’occasion de le redire.
IMPOSER LA MORALE CATHOLIQUE A LA SOCIETE CIVILE
Cela signifiait donc que l’équipe dirigeante de la Manif pour tous (LMPT) se positionnait radicalement sur la défense d’une anthropologie correspondant à la lettre même du magistère catholique. Et comme elle semblait bénéficier, sinon du soutien, du moins de la bienveillance des évêques, le soupçon ne pouvait que se faire jour de sa détermination à imposer la morale catholique dans la sphère de la société civile, en prenant au passage en otages des centaines de milliers de manifestants qui, pour la plupart, n’en demandaient pas tant.
Tout cela était perceptible dès février 2013. C’est la raison pour laquelle je ne suis plus jamais descendu dans la rue, ni le 24 mars ni le 26 mai, après que le Conseil Constitutionnel eût validé la loi et que le Président l’eût promulguée. Je m’en suis publiquement expliqué (2) ce qui m’a valu, pour le coup, un second divorce pour traîtrise et désertion, avec mes «amis» de droite cette fois. Je me suis donc retrouvé seul, le cul entre deux chaises, pour ne pas dire les fesses sur le macadam !
Evoquant ce «vécu personnel» devant vous, je n’ignore pas que c’est précisément sur cette période, et très exactement le 5 mai à Lyon, que pour avoir défendu la même ligne de séparation entre conjugalité et filiation, au sein des instances dirigeantes de LMPT, vous vous êtes trouvée exclue avec certains de vos amis dont Xavier Bongibault et Laurence Tcheng. Pour les ultras du mouvement votre proposition de referendum visant à transformer la loi sur le mariage pour tous en contrat d’union civile (CUC) était irrecevable puisqu’il maintenait dans le droit français, une institutionnalisation du couple homosexuel contraire à leur vision anthropologique comme à la morale catholique. C’est un épisode que vous avez raconté dans votre livre (3) et sur lequel je n’ai pas à revenir, ici.
(Prochain article 3/5 : J’en veux à mon Eglise))
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- Dans son livre, Le Mai 68 conservateur (Le Cerf, 2014), Gaël Brustier cite Didier Eribon : « La revendication du mariage, souvent présentée comme réactionnaire, est en fait plus subversive que le discours de la subversion. Elle a un effet de déstabilisation de l’ordre familial, sexuel, du genre, beaucoup plus fort que la subversion incantatoire. » (p. 46)
- Blogue du 23 avril 2013
- Frigide Barjot, Qui suis-je pour juger ?, Ed. Salvator
© Editions Salvator – René Poujol
SI VOUS SOUHAITEZ LAISSER UN COMMENTAIRE A CE TEXTE, MERCI DE LE POSTER A LA SUITE DE L’ARTICLE QUI L’INTRODUIT, EN PRECISANT AUQUEL VOUS FAITES REFERENCE (1, 2, 3, 4 ou 5).
(J’invite le lecteur de ce blogue à poursuivre la réflexion sur un débat emblématique, bien loin d’être clos, en se reportant au livre de Virginie Tellenne : L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) qui contient une dizaine de contributions.)