Non, Christophe Barbier, ne comptez surtout pas sur nous pour « en finir avec cet éloge de la sobriété », qui, selon vous, ne serait « qu’une préface pour l’évangile de la décroissance ».
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, est sans conteste, un éditorialiste de talent ! Peut-être est-il d’ailleurs meilleur – ou plus – éditorialiste que directeur de rédaction, tant il est devenu incontournable – certains diraient envahissant – dans les médias audiovisuels où l’on se l’arrache. Aucun clapotis dans le marigot politique, aucune fumerolle pré-évènementielle, aucun débat dit de société pour lesquels son avis ne soit sollicité et reçu, avec reconnaissance, comme l’oracle d’une moderne pythie.
Il n’est pas sûr, hélas, que sa prédiction, formulée dans son éditorial de l’Express de cette semaine ( 19 novembre) d’un « échec annoncé » du prochain sommet de Copenhague soit erronée. On perçoit bien, comme lui, que ni les Etats Unis de Barack Obama, ni la Chine de Hu Jintao ne sont prèts à sacrifier aux exigences d’un « développement durable ». Parce que leurs opinions publiques n’y sont pas prètes et que leur pouvoir pourrait y sombrer corps et bien.
Pour autant, il y a quelque cynisme insupportable à laisser entendre qu’à partir du moment où « imposer des privations » n’est reçu par les opinions publiques, ni dans les pays développés ni dans les pays émergents, les bons apôtres de l’appel à la « sobritété » feraient bien d’aller se rhabiller. Puisque, et c’est là le fin mot : « L’homme, pour ses enfants et pour lui-même, veut toujours plus et toujours mieux. » Sauf que notre éditorialiste se garde bien de nous dire comment la chose sera possible !
Vendredi 20 novembre, devant une centaine de cadres et journalistes du groupe Bayard auquel j’appartiens, Patrick Viveret, philosophe et Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, rappelait qu’à la fin de la décennie 1990, on estimait à 100 milliards de dollars les sommes nécessaires pour sortir le tiers monde de son sous-développement et garantir à ses populations l’accès à la nourriture, à l’eau potable et aux soins, alors que le seul marché mondial de la drogue représentait 400 milliards de dollars, celui de la publicité une somme équivalente et les budgets de la défense 800 milliards.
Je ne sais s’il faut se résigner à un « évangile de la décroissance » réclamé par certains, mais j’observe, à travers les études les plus récentes sur la perception que nos contemporains se font du bonheur, qu’ayant perçu, au travers de la crise, l’impasse dramatique du cumul : dérégulation, concurrence, délocalisation … leur désir profond « d’être » les rend désormais moins perméables aux fascinations de « l’avoir toujours plus ».
Oui, Christophe Barbier, une certaine sobriété, qui n’est l’ennemie ni du plaisir ni de la convivialité, mais à coup sûr de la gabegie et de l’excès, est aujourd’hui perçue par nombre de citoyens, comme la condition, pas si triste en vérité, d’un développement équitable au niveau de la planète. Je suis heureux de constater que c’est là l’enseignement de nombreux courants philosophiques et, depuis toujours, de la tradition religieuse – catholique – à laquelle j’appartiens. Mais je conçois, tout en le déplorant, que ce puisse être dérangeant pour celles et ceux qui continuent de surfer, pour le plus grand profit de leur classe, sur les excès de la société de consommation.