Des hommes et des dieux.

J’ai vu le film le jour même de sa sortie. En quittant la salle, j’ai su que j’allais reprendre ce blog.

J’ignore toujours pourquoi je n’ai pas rédigé ces lignes dans la foulée. Peut-être avais-je besoin d’attendre encore un peu. Et le fait que, depuis quelques semaines, sans que je comprenne vraiment pourquoi ou comment, des commentaires, souvent brefs mais sympathiques, me parviennent d’outre Atlantique, faisant à nouveau « bouger le cadavre » de mes chroniques passées, a fini de me convaincre.

Que dire, donc, des somptueuses images de Xavier Beauvois, qui n’ait déjà été écrit ? Le film est sorti en salles le 8 septembre. En deux semaines, il a franchi, en France, le cap du million de spectateurs. Il représentera le cinéma français aux prochains Oscars d’Hollywood. Avec quelles chances d’emporter le titre de meilleur film étranger ? Je l’ignore. Mais quelle magnifique leçon d’humanité, de fraternité, par delà les différences de religion, à l’heure de tous les amalgames.

La critique française étant à peu près unanime dans la louange, la chronique pisse vinaigre – forcément pisse vinaigre, serait-on tenté d’écrire – de Libération vaut que l’on s’y arrête un instant. « Les rituels liturgiques (peut-on lire) apparaissent comme des simagrées absurdes guidées par la rigidité de principes aliénants qui se révèleront désastreux. » Une phrase qui en dit long, moins sur les convictions de l’auteur, que sur son inculture. Car ce ritualisme de la prière des heures est sans doute parfaitement compris d’une population musulmane qui, elle même, se tourne vers Allah cinq fois par jour… Si on suit le raisonnement de notre confrère, la mort des moines est un « désastre » objectif, dû à un entêtement incompréhensible, déraisonnable, donc forcément dicté par un sur-moi religieux niant leur liberté…

Alors que ce qui saute aux yeux et au coeur des spectateurs est, à l’inverse, la formidable liberté de ces hommes qui ont choisi tout simplement de rester fidèles à la promesse faite aux algériens dont ils partagent la vie, de ne pas les abandonner. C’est même l’aspect parfaitement démocratique de la délibération des moines, dont le film rend parfaitement compte, qui vaut au film d’avoir également reçu le prix de l’Education nationale. Au fond, toujours la même accusation, portée contre le christianisme, de haïr la vie dès lors qu’un  chrétien semble « se résigner » à la perspective de la mort.

Poursuivons la lecture de Libé : « Des hommes et des dieux aurait sans doute perdu en grandeur et en lyrisme ce qu’il aurait gagné en contenu politique s’il avait précisément interrogé la place des moines et le rôle profond de leur paternalisme onctueux face à un Etat défaillant et au milieu d’une population déshéritée. » Re-belote ! Lire la présence des moines, en 1995, dans une Algérie indépendante et musulmane, à travers la grille de ce que fut le colonialisme, un siècle plus tôt, n’a pas de sens et dénote une méconnaissance totale de la réalité*. Et il faut une bonne dose d’imagination baignée d’idéologie, pour déceler chez les moine de l’Atlas, à travers les images du film, une forme de « paternalisme onctueux ». Si l’on comprend bien notre confrère : toujours cette suspicion d’une religion « opium du peuple » qui dissuaderait les populations, ici algériennes, de se révolter contre l’Etat tyrannique et défaillant !

Là encore, les spectateurs ont sans doute perçu une toute autre réalité : la présence des moines était ressentie par la population comme une force morale et spirituelle, les aidant à assumer, entre armée régulière et terrorisme islamiste, une violence quotidienne contre laquelle ils ne pouvaient rien.

Des hommes et des dieux est un film qui « fait du bien » à notre Eglise catholique tellement secouée, parce que nul spectateur, croyant ou non croyant, ne peut douter un instant que ce que vivent là les moines ne soit la parfaite traduction de l’Evangile. Parce que leur destinée est éminemment christique : comme Lui, après avoir partagé la vie quotidienne des petites gens, ils connaissent l’angoisse, la peur, avant d’être arrêtés et d’aller vers leur mort, depuis longtemps acceptée et offerte. Ce message d’une « Eglise de la rencontre » plus soucieuse de « vivre avec » et de témoigner, que de faire la morale ou de gérer l’ordre public, est sans doute bien comprise et reçue par nos contemporains. Le message des moines de Tibhirine concerne aussi nos communautés en Europe ou ailleurs dans le monde.

(*) On peut lire à ce propos le passionnant témoignage du p. Jean-Marie Lassausse, « Le jardinier de Tibhirine » , recueilli par Christophe Henning et publié chez Bayard. 150p.; 18€.

5 comments

  • 1 – D’abord, heureux de vous voir de retour ! Vous nous manquiez !

    2 – Des hommes et des dieux
    2 – 1 Laissons ceux qui ne peuvent ou, plus exactement, ne veulent rien comprendre… et plaignons les : il leur manque quelque chose pour aller plus loin, et respectons leurs infirmités : tout ramener au politique montre une amputation – ou une atrophie – qui ne leur laisse que des moignons spirituels.
    2 – 2 Ce film montre autant que je sache, et sauf preuve du contraire une bonne fidélité au chemin des trappistes de Tihberine. Comprenne qui pourra ce chemin du témoignage jusqu’au martyr, chemin commun à bien des chrétiens aujourd’hui, comme nos frères d’Irak, ou d’ailleurs. De nos maisons bien chauffées et de nos supermarchés, écoutons-les.

    3 – Nous sommes des serviteurs quelconques, quoi que nous fassions,
    * et tant qu’on n’a pas tout fait, il manque quelque chose,
    * et quand on a tout fait, nous n’avons fait que ce que nous avions à faire… Écoutons l’Évangile d’aujourd’hui nous parler.

  • merci de votre retour si vos pas vous mènent dans le Tarn vous y verrez
    des personnes de tous horizons qui se démènent pour faire RE VIVRE une chapelle voici le lien

    Voici l’adresse du blog de notre association: Allez vite le consulter, vous verrez l’actualité du chantier de restauration !

    http://stpierredupuy.blogspot.com

    Bien cordialement,

    Les membres du bureau A.R.B.R.E.
    et si DIEU voulait déposer ses bagages je crois qu’il ferai une halte
    là dans cette petite chapelle pour RE trouver la paix
    qu’il nous avait légué a l’heure d’internet
    il est bon de retrouver nos racines
    car dans la futilité des choses il faut retrouver cette chose invisible
    le foi ou l’unité qui fait que les hommes sont capables de bien de jolies
    challenge et un jour les petite chapelle s’ouvriront

  • Quel plaisir que de retrouver à nouveau alimenté. Avec cette indépendance d’esprit et cette grande culture qui caractérisent son auteur.

  • je ne pouvais que mettre quelques mots sur ce sujet

    surtout une action de grâce pour ce message compréhensible par tous les hommes de bonne volonté……
    vivre avec, au milieu de….non au dessus de….

    aller jusqu’au bout non de façon absurde, inconsciente, fanatique, mais juste pour être avec ses frères …..c’est donner sa vie pour ceux que l’on aime….

    image d’une Eglise reçue, comprise, car humble, pauvre, discrète, aimante, bienveillante, tolérante,montrant les fruits de l’Esprit…
    nos contemporains ne s’y trompent pas!

    une prière : que ce succès sans pareil ouvre une brèche dans le coeur de notre institution .
    Qu’enfin elle se pose la vraie question: pourquoi nous ne passons pas quand des croyants et des incroyants sont émus par ce film?
    nos contemporains sont adultes…
    de plus la Vérité ne peut être figée sans être déformée.
    Nul ne la possède
    ces moines en étaient les témoins.

    cela me fait penser à quelques mots….. »les pierres crieront »

  • J’ai vu des hommes et des dieux avec une grande émotion. j’ai apprécié la sobriété des offices et la place faite à la rencontre avec les hommes et les femmes de la région. Si c’était ça le témoignage du chrétien:Etre présent avec les autres.
    Ma grande surprise à la fin du film c’est que personne dans la salle ne bougeait,contrairement aux autres films.Chacun restait comme pétrifié,imprégné de ce qu’il venait de ressentir.Attendant la dernière seconde pour se lever.
    Merci aux acteurs et au réalisateurs pour avoir montré un autre visage de l’Eglise.
    Jean

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