Gardons-nous de transformer les difficultés de l’heure en source de conflit intergénérationnel.
L’épuisement d’une année de mobilisation tous azimuts contre la Covid19 et l’épée de Damoclès d’un nouveau confinement aux contours imprécis sont venus durcir le discours idéologique. Le parti pris, commun à la plupart des pays européens, de protéger les populations plutôt que l’économie avait déjà ses détracteurs plus ou moins avoués. Mais l’aggravation de la crise, l’incertitude sanitaire née des nouveaux variants, le désarroi de secteurs économiques entiers privés de toute perspective de reprise et la désespérance de la jeunesse qui se sent « sacrifiée » ont pour effet de libérer la parole. Quelques penseurs libéraux en viennent à poser directement la question : faut-il sacrifier l’avenir et la jeunesse pour sauver des vieux ? Sauf qu’ils ne vont pas au bout de l’audace qu’ils revendiquent et du courage de « parler vrai » dont ils se prévalent. Il existe une solution pour résoudre l’équation telle qu’ils nous la présentent. Elle est radicale ! Qu’ils le disent clairement !
Prolonger d’un an la vie de vieillards condamnés par l’âge ?
C’est la chronique du philosophe Gaspard Kœnig (1) largement partagée sur les réseaux sociaux, qui a sans doute formulé le postulat libéral avec le plus de clarté. Même si, dans la foulée les journalistes Christophe Barbier, habitué des plateaux de télé et François de Closets sont venus apporter leur pierre à l’édifice. Kœnig interroge : « Pourquoi et pour qui nous donnons-nous tant de peine ? Parmi ma classe d’âge (15-44 ans) le nombre de patients décédés sans comorbidité depuis le début de l’épidémie dans notre pays est de 60. (…) Quelles vies prolonge-t-on et de combien d’années ? Toujours selon Santé publique France, l’âge médian des victimes du Covid est de 85 ans, légèrement supérieur à l’âge de décès médian en France. Autrement dit, la plupart de ceux dont la mort est évitée par les restrictions appartiennent déjà à la minorité de survivants de leur génération. Les joyeux teuffeurs de Woodstock font aujourd’hui partie des personnes à risque que nous protégeons en sacrifiant nos existences.»
Bref : pour prolonger d’une seule année la vie de vieillards condamnés par l’âge, on sacrifierait la vie de dizaines de millions de Français. Si l‘on comprend bien : si les victimes du Covid étaient majoritairement jeunes ou dans la « force de l’âge », cela vaudrait la peine de se battre pour leur préserver un avenir, mais pour des vieux… Christophe Barbier ne dit pas, au fond, autre chose en demandant « si les vies que nous avons sauvées en France aujourd’hui sont plus nombreuses que les vies que nous allons détruire dans le futur. »
Objectif premier : sauver le système hospitalier au bénéfice de tous
Le gouvernement aurait donc choisi délibérément de “sauver les vieux“, requalifiés en « plus fragiles » contre toute logique économique et surtout contre l’intérêt général bien compris. Erreur d’analyse ! Les confinements successifs de l’année 2020 n’ont pas eu pour objectif premier de « sauver les vieux » mais de protéger le système hospitalier, notre bien commun, en évitant, de fait, que les plus fragiles soient touchés massivement par le virus au point d’engorger les services. Or il se trouve que les « plus fragiles » sont aussi, souvent, les plus âgés ! On retrouve ici l’accusation, maintes fois entendue, selon laquelle ce sont les mêmes vieux qui coûteraient le plus cher à la Sécu (assurance maladie). Alors que ce sont les personnes en fin de vie, quel que soit leur âge. Mais voilà, il se trouve qu’en nos pays, on meurt surtout âgé. La même logique pourrait conduire à dénoncer le fait que les sans emploi sont seuls responsables du déficit de l’assurance chômage et les familles avec enfant celles qui grèvent le budget des caisses d’Allocations familiales. Absurde !
Relire les prophéties d’Attali…
La pensée « libérale » met en avant les coûts économique, psychologique, sanitaire considérables supportés par les jeunes générations, les travailleurs indépendants, les chefs d’entreprise, les étudiants… Une réalité dont chacun est bien conscient. Fort bien, mais alors que faire ? Confiner les vieux d’autorité jusqu’à l’obtention d’une immunité collective en contre-partie du fait qu’on leur « fait cadeau » d’une priorité d’accès à la vaccination ? Cette position, également défendue ici ou là par certains médecins reste, disons-le, totalement irrecevable et sans doute anticonstitutionnelle au regard de l’égalité des droits des citoyens.
Dès lors, si un relâchement au plan sanitaire devait se traduire par un afflux de patients âgés exigeant des soins particulièrement lourds sur une longue durée dans une structure hospitalière au bord de l’asphyxie, pourrait-on échapper à la nécessité de faire un tri et d’en fixer les modalités ? Que l’on me comprenne bien : je ne brandis pas ici la menace d’une euthanasie des vieux. Je décris une logique « en marche » !
Dans mon livre Catholique en liberté, paru il y a quinze mois, j’écrivais ceci : « Dans une interview de 1981, souvent citée, Jacques Attali expliquait que l’allongement de l’espérance de vie humaine n’a d’intérêt, pour la société, que dans la perspective du seuil de rentabilité de la machine humaine. Passé soixante, soixante- cinq ans «l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et coûte cher.» D’où il concluait: «Il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. » Une perspective qui lui semblait d’autant moins problématique que le droit au suicide restait une valeur de gauche et que le capitalisme, pour sa part, saurait bien trouver les outils permettant d’abréger la vie. Ce qui l’autorisait à conclure: «Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou de marchandise, sera une des règles de la société future.» Analyse moins scandaleuse que froidement cynique. Qui ne pressent au fond de lui, en conscience, qu’entrouvrir la porte d’une simple exception d’euthanasie, c’est déjà enclencher le processus qui, demain, la légitimera à grande échelle. Parce qu’au fond tout le monde y a intérêt : les caisses de retraite, l’assurance maladie, les jeunes assumant le poids des vieux, les familles « souffrant de la souffrance des leurs»… et les intéressés eux-mêmes culpabilisant – ou culpabilisés – d’être devenus une charge ! » (p.169-170)
J’ignorais, bien évidemment, en rédigeant ces lignes au printemps 2019 , qu’une pandémie sans précédent touchant le monde entier allait un an plus tard redonner vigueur à ces analyses. Et ce n’est pas un hasard si cette « pensée libérale » plaide aujourd’hui pour que le pouvoir revienne au politique, contre la dictature du corps médical obnubilé par l’idée de sauver des vies « à tout prix ». Comme si les politiques avaient passé la main. Lorsque le même Gaspard Kœnig évoquant l’alternative : « années gagnées sur la mort contre années perdues pour la vie » propose « d’ouvrir un débat informé et de procéder à un arbitrage qui sera cette fois politique et non plus médical »… on peut imaginer que puissent s’y glisser, à la faveur d’une initiative parlementaire, de nouvelles demandes de débat sur les modalités de fin de vie… en temps de pandémie !
Vous savez ce qu’ils vous disent les vieux ?
Dans ce brouhaha médiatique où les réseaux sociaux se chargent de la surenchère, on entend peu les intéressés, à qui personne ne demande d’ailleurs leur avis et qui n’osent rien dire, un peu honteux ou en colère d’être à ce point stigmatisés. Alors risquons nous, ici, à parler pour eux – ou certains d’entre eux – à l’adresse de ces beaux esprits rationnels qui voudraient les rendre responsables de la désespérance de la jeunesse :
Oui, il faut protéger l’économie et nous en sommes d’accord (2) car sauver ou créer des entreprises c’est aussi sauver des emplois et des vies…
Oui, il faut protéger notre jeunesse et nous en sommes d’accord, car une société qui n’agirait pas ainsi serait une société moribonde…
Oui, il faut protéger l’hôpital et le personnel soignant et nous en sommes d’accord, car il est un bien rare et précieux au service de tous…
Mais imaginez-vous que nous, les aînés, n’ayons pas déjà pris, de nous-mêmes, la mesure des responsabilités qui nous incombent, en limitant nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire, sacrifiant une large part de nos relations familiales et amicales ?
Imaginez-vous qu’en quittant le monde du travail, il y a plus ou moins longtemps, nous nous soyions mis “à la retraite“ de nos devoirs civiques de citoyens ?
Imaginez-vous que nous puissions être à ce point aveugles ou insensibles à la détresse des actifs et des jeunes qui sont nos propres enfants et petits enfants ?
Avez-vous conscience de la double peine que vous entendez nous infliger : nous confiner et nous interdire toute participation à la vie sociale, notamment à travers l’engagement associatif qui dans bien des secteurs repose sur nous, tout en nous accusant d’une forme d’égoïsme générationnel dont la jeunesse serait la victime innocente ?
Avez-vous conscience de votre prétention à vous ériger, seuls, en défenseurs de l’intérêt général , de vous autopromouvoir en « conscience morale » éclairée, à vous prévaloir d’une forme de « monopole du cœur » compassonnel là où seule nous motiverait la peur d’échapper à la mort ?
Qu’avons-nous fait pour mériter un tel mépris ?
Vous savez ce qu’ils vous disent les vieux ?
Que demain comme hier ils entendent prendre toute leur place, solidairement, dans le combat engagé contre la pandémie et ses conséquences et que leur liberté n’est pas une variable d’ajustement des politiques à mettre en œuvre mais l’une des composantes de notre commune dignité.
- Gaspard Kœnig : Vies prolongées contre vies gâchées : le vrai dilemme de l’anti-civid. Site Les Echos du 20 janvier 2021.
- Ce qui ne dispense nullement de s’interroger sur le type d’économie à promouvoir et sur les secteurs à protéger ou développer.
POST SCRIPTUM
Il n’aura fallu attendre que dix jours. Dans la Croix du 18 février 2021 on peut lire : (Retrouvez le texte intégral sur le site de la Croix) : « Quatre propositions de loi, issues de différents bords politiques, sont en attente d’examen au Parlement. L’une d’elles a été signée par 162 députés de la majorité, qui entendent mettre la pression sur l’exécutif pour rouvrir le débat sur la fin de vie. »
Merci René pour cet engagement positif plein d’espérance et d’amour.
Certains discours sur les ondes me font penser au film « Soleil vert » de Richard Fleischer (1973).
Faut il rappeler à certains « penseurs » que si on confine strictement les personnes de plus de 65 ans: plus de la moitié de la classe politique, des décideurs et des médecins devront rester à la maison!
>on confine strictement les personnes de plus de 65 ans: plus de la moitié de la
>classe politique, des décideurs et des médecins devront rester à la maison!
Voila donc une proposition bien alléchante : que les politiciens restent chez eux, et que les jeunes sortent dans la rue. Cela rappellera aux plus de 65 ans leur jeunesse, par un beau mois de mai… 😉
Plus sérieusement, cela répond peut-être un peu à la question de René : « Qu’avons-nous fait pour mériter un tel mépris ? » => une part du problème vient du poids important d’une partie de la population dans les « structures de pouvoir » (réel ou fantasmé).
C’est la démographie, ce n’est de la faute de personne, mais comprenez qu’un jeune qui démarre aujourd’hui ses études sans école et sans camarades ou son apprentissage sans entreprise pour l’accueillir puisse en concevoir un ressentiment. Nier le ressentiment serait un danger.
Cela fait plusieurs semaines que j’entend autour de moi des idées similaires à celle qui sont dénoncées ici : Gaspard Koenig perce l’abcès bien plus qu’il ne le provoque.
René, je compatis à votre colère, pour autant je ne parviens pas a arrêter un avis tranché sur une situation qui me semble terriblement complexe.
Bien sûr que la question est complexe. Mais je ne demande à personne de la trancher. Pour la simple raison que nul ne me contraindra au confinement. Je m’étais d’ailleurs déjà exprimé sur le sujet dans un billet, ce printemps.
http://www.renepoujol.fr/ne-me-protegez-pas-du-risque-de-vivre/
« Pour la simple raison que nul ne me contraindra au confinement »
=> Comprenez que cette argumentation est difficile à tenir alors que, pour une partie de la population, le confinement est de fait toujours en cours : visios toute la journée (parfois avec les enfants ou dans de petites chambres d’étudiant), plus de café avec les collègues, impossibilité de faire les courses en semaine (les magasins étant fermés après le travail), impossibilité de voir les amis lorsque l’on ne peut les voir qu’au bar ou restaurant…
Je me considère plutôt comme favorisé, mais franchement cela fait bientot 1 an qu’on ne vit plus. Il faut que ça cesse
J’ai dit dans mon article, très clairement, que j’étais assez responsable pour limiter au maximum les risques que je pouvais prendre et faire prendre. Jusqu’ici le gouvernement a eu l’intelligence de renoncer à tout confinement sélectif, appelant à la responsabilité de chacun. C’est un discours que j’entends. Mais décréter que les plus de 65 ans, de 70 ans ou de 75 ans à l’exclusion de toute autre catégorie de la population devraient rester confinés serait, de fait, une mesure que je ne respecterais pas.
Cela fait un an que vous ne vivez plus, dites-vous ! J’en suis bien conscient. Mais en quoi mon sort est-il différent ? Et en quoi serais-je responsable ?
« Il faut que ça cesse », dites-vous, Emmanuel… ben voyons, Yaka, Fokon !
« 1 an qu’on ne vit plus » (sic)… qu’est-ce « vivre » pour vous ?
« Cela fait plusieurs semaines que j’entend autour de moi des idées similaires à celle qui sont dénoncées ici : Gaspard Koenig perce l’abcès bien plus qu’il ne le provoque. »
… effet grossissant des réseaux sociaux ou alors, Emmanuel, vous avez de bien mauvaises fréquentations !
Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, j’ai plutôt entendu ces idées dans le milieu professionnel. C’est toujours un milieu intéressant puisque composé de personnes que l’on n’a pas choisit et qui peuvent donc nous proposer des points de vue différents.
Puisque vous me recommandez fraternellement de changer de fréquentations, permettez que je vous recommande, tout aussi fraternellement , d’élargir les vôtres ?
De fait, Emmanuel, je connais mal le milieu de l’entreprise et de la rentabilité, travaillant plutôt dans le milieu médical et médico-social.
Je ne voulais pas vous offenser par mon trait d’humour sur vos fréquentations, mais je pense profondément que tous les jeunes ne sont pas dans ces attitudes de « dégagisme » à l’égard des vieux.
Ah merci beaucoup René pour ce billet auquel j’adhère dans sa totalité.
Les propos de Jacques Attali ne sont pas seulement cyniques, ils sont scandaleux, et ils sont relayés aujourd’hui par des propositions de loi récurrentes en faveur de la légalisation de l’euthanasie, notamment par Jean-Louis Touraine.
Une civilisation qui ne prendrait pas soin des plus fragiles ne mériterait pas que l’on se batte pour elle et serait condamnée à disparaître tôt ou tard.
« Une civilisation où les personnes âgées n’ont pas de place porte en elle le virus de la mort » (Pape François, 4 mars 2015)
Bien sur , je partage cette plaidoirie de René contre une pensée libérale qui fait de la vie humaine une simple valeur marchande qu’il faudrait pouvoir supprimer lorsqu’elle n’est plus rentable .
Mais je voudrais cependant souligner aussi deux éléments qu’ils ne faut pas édulcorer
– L’égoïsme d’une génération née après la guerre et qui s’est crue immortelle et qui a tout fait pour ne pas laisser de place aux générations suivantes . Elles le lui fait payer aujourd’hui
-Une ideologie dominante qui nie la mort , qui fait tout pour la cacher et qui se complait dans un jeunisme un peu ridicule lorsque l’on a dépassé 70 ans .
A titre d’exemple la revendication de transfert automatique aux urgences de personnes atteintes de la covid alors que médicalement ce transport aurait accéléré leur décès .
Étant au commencement du troisième âge, je crois que la sagesse voudrait que l’on ne prétendent plus à être en première ligne à des postes qui seraient plus utilement occupés par des plus jeunes. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons plus être utiles à la societe , bien au contraire. Sous des formes a inventer dans une société qui oublie la fécondité pour privilégier la seule rentabilité immédiate.
Ce n’est pas parce que nous ne sommes plus rentables que notre rôle social est négligeable.
Merci pour cette réplique à quelqu’un qui aurait de la peine à définir la vie.
Je pense qu’après avoir lu, il apprendra beaucoup de ce qu’il croyait savoir
Je me souviens d’un ami burkinabè arrivant en France et me disant qu’il ne comprenait pas pourquoi c’étaient des jeunes qui présentaient les infos à la télé. Chez nous, me disait-il, ce sont les vieux (sages) qui commentent les évènements… Ceci n’a pas directement rapport avec le contenu de l’article, mais je désirais simplement ouvrir une porte.
Lors d’un voyage de l’abbé Pierre en Afrique, dans les années de l’immédiat après-concile, un évêque lui avait confié combien la vision occidentale du prêtre, imposée par Rome, avait des relents colonialistes. Confier à un jeune de vingt-cinq ans la responsabilité de la communauté était contraire à toute la tradition africaine où la sagesse appartient aux anciens.
Mais vous avez raison… aucun lien avec le contenu de l’article !
J’ai toujours, quant à moi, aimé parler à plus âgé, voire beaucoup plus âgé que moi. Evidemment, étant en train de basculer dans le 3e âge, ça devient beaucoup plus difficile…
Trêve de plaisanterie, que serait une société sans les « vieux » ? Qui normalement détiennent sagesse et expérience et ne jouent pas le même rôle que les jeunes (si en effet, comme le dit Guy, ils savent céder leur place). Et puis, l’entraide générationnelle, c’est important.
Il serait terrible que l’homo economicus prenne complètement le dessus. C’est déjà trop le cas.
Ceci dit, la situation générée par la covid est bien sûr tout sauf simple. Chaque génération ignore plus ou moins ce que vit l’autre, c’est l’occasion ou jamais d’écouter et de s’entraider dans la mesure du possible. Et d’être conscients que nous devons nous protéger les uns les autres autant que faire se peut. Difficile équilibre â trouver. Je ne vois rien de plus intelligent comme solution, à ma modeste place, René.
aucun lien… quoique !
Gaspard Koenig n’a pas de leçon à donner aux vieux. La leçon qu’il donne aux plus jeunes, c’est sa prise de position, contraire à tout objectif sensé de santé publique, en faveur de la libéralisation complete du cannabis.
Ceci au nom de son think tank.
Mais il est bien difficile d’être à la fois tankiste, addictologue et épidémiologiste, le tout au nom du libéralisme.
Sans vouloir entrer dans un long débat, il me semble que la question : « Qu’est-ce que vivre » est beaucoup refoulée (certes, réponse pas simple). Elle devrait pourtant inviter chacun à réflexions raisonnées … et ouvertement partagées …(ne serait-ce qu’étant en démocratie).
Merci René de susciter un tel partage.
On disait au début que rien ne serait comme avant après cette épidémie, une nouvelle ère … et maintenant je constate que l’aspiration générale est à revenir enfin comme avant… consommer, triste constat !
@René, Je pense qu’il faut séparer deux problèmes :
– d’un côté le jugement moral, de savoir si les « vieux » sont égoïstes ou pas, s’il est éthique de s’en débarrasser ou de les confiner
– d’un autre le problème qui nous préoccupe : un pays, une jeunesse qui est en train de sombrer, des milliers de personnes qui ont ou vont perdre leur moyen de subsistance, un avenir qui n’était déjà pas simple avant (crise des GJ, crise sociétale) et qui vient s’obscurcir bien plus encore (a qui fera t-on croire que l’on trouvera les moyens de relever l’hôpital public avec 100Md€ de dette en plus + le gouffre social qui va s’ouvrir avec les faillites d’entreprises ?)
Je vous propose donc :
Scénario A : On reconfine tout le monde : vous, moi, les moins de 40 ans
Scénario B : On reconfine vous et moi, tout en laissant circuler les moins de 40 ans au motif qu’ils ne saturerons pas les hôpitaux.
=> étant posé que vous et moi serions confinés dans les deux cas, préférons nous malgré tout qu’au moins certains puissent profiter d’un peu de liberté, ou bien considérons nous qu’ils n’ont pas a pouvoir sortir puisque nous ne le pouvons pas ? Et si leur liberté devait augmenter la durée de notre confinement, jusqu’à quand l’accepterions nous ?
Quoiqu’il en soit, tout cela reste totalement théorique. Outre la question de l’efficacité (problème de porosité générationnelle), le poids politique des + de 65 ans est bien trop important pour qu’un gouvernement prenne le risque d’une mesure qui serait très mal perçue.
Je ne veux pas vous chagriner mais précisément je me refuse à séparer les deux problèmes car c’est bien leur lien qui est le fond de tableau de la position, à mes yeux inacceptable, des chantres du libéralisme que je dénonce. Ils prennent prétexte d’une analyse à laquelle chacun peut souscrire : le mal être insupportable d’une large partie de la population privée de travail, d’études, de relations sociales et amicales au nom de la lutté contre le virus… et l’accusation que tout cela ne serait pas si on mettait les plus fragiles au congélateur ou si l’on se résignait simplement à ce qu’ils meurent – un peu plus tôt que prévu – puisque c’est finalement notre lot à tous un jour ou l’autre.
Pour reprendre vos propositions, je redis à quel point en ce qui me concerne je m’auto-confine presque autant qu’en mars dernier, renonçant de moi-même à toute prise de risque pour moi-même et les autres. Mais je suis persuadé que c’est la réalité de l’immense majorité des seniors. Et je confirme que je refuse qu’on m’impose de manière arbitraire, de l’extérieur, comme si j’étais un enfant où un vieillard retombé dans l’enfance et sans droits, ce que je suis capable d’appliquer de ma propre initiative.
Dès lors, je ne vois pas en quoi j’attente à la liberté de qui que ce soit, en quoi c’est moi qui empêche le monde de tourner. Rt je vous signale au passge qu’avec les nouveaux variants on découvre une plus grande fragilité des populations plus jeunes qui commencent à envahir les hôpitaux. C’est donc bien leur propre mobilité qui est cause de leur contamination et non les excentricités irresponsables des vieux.
Alors, d’accord pour prenre ma part, comme je le dis, dans ce combat qui nous déroute tous, mais refus total de devenir le bouc émissaire. Je vais vous dire ma crainte : je vois le débat parlementaire contre le terrorisme islamiste servir de cheval de Troie et de prétexte aux tenants du laïcisme dur pour tenter d’arracher contre toutes les religions ce que sagement les législateurs de 1905 avaient refusé ; de même je crais que ces débats autour de la nécessité de préserver la vie pour une majorité d’actifs et de jeunes, ne serve de prétexte et de cheval de Troie aux tenants d’une radicalisation des lois sur la fin de vie. J’ai suffisamment couvert ces questions en trente-cinq ans de journalisme et depuis dix ans sur ce blog, pour penser que je ne suis pas à côté de la plaque.
« je me refuse à séparer les deux problèmes »
=> Cela me semble une tactique dangereuse : tel quel, vous agglomérez contre vous les « anti-boomers » et les lassés du confinement – avec le risque que les seconds n’épousent la cause des premiers.
Je serais intéressé de connaitre le ressenti d’autres « jeunes » par rapport au message initial ?
« renonçant de moi-même à toute prise de risque pour moi-même et les autres. Mais je suis persuadé que c’est la réalité de l’immense majorité des seniors. »
=> Michel m’a bien mis en garde contre mes mauvaises fréquentations, mais je constate que mes parents notamment n’ont pas ralenti leur rythme de vie, ils continuent à recevoir leurs amis en journée et n’ont pour ainsi dire rien changé de leurs habitudes. D’autres séniors font pareils (et vont d’ailleurs à la messe communier dans bouche dans mon ex-paroisse chaque dimanche – c’est un autre débat). C’est un constat, pas un jugement.
Pour ce qui est des nouveaux variants, il y a actuellement 776 moins de 40 ans hospitalisés pour covid sur 27995, soit 2,8% (120 sur 3353 en réa, soit 3,5%), difficile de de dire qu’ils « envahissent les hopitaux » (https://germain-forestier.info/covid/).
Je n’ai évidement pas 35 ans d’expérience journalistique + 10 ans de blog, mais je reste sur mon ressenti initial : le billet est potentiellement justifié, mais peine a convaincre au delà d’une certaine génération (peut-être n’en est-ce pas le but).
Si je vous comprends bien, ce qui convainc « au-delà d’une certaine génération » est la nécessité de confiner les vieux ? Je peux le comprendre puisqu’il s’agit là de la désignation classique du bouc émissaire. Mais je ne suis pas obligé de l’accepter. Et ça me conforte dans l’analyse – très Attalienne au fond – que les mêmes ne tarderont pas à se demander pourquoi les plus âgés, dont la vie n’est « plus une vie », trainent autant à emmerder les actifs alors qu’ils pourraient choisir simplement de mourir dans la dignité !
Concernant les jeunes, j’avais en tête le variant Sud-Africain qui, apparemment, représente une vraie menace et dont on nous dit qu’en effet, dans ce pays, il touche fortement les jeunes.
Emmanuel,
Je comprends votre point de vue. Je suis par ailleurs souvent en accord avec vous. Pourtant, cette fois, spontanément et même après réflexion, je me dis qu’il y a 2 solutions :
– où l’on confine tout le monde
– où l’on ne confine personne.
Comment établir une échelle de valeur, de façon calculée et donc cynique, entre des frères humains ? Cela serait peut-être possible en cas de force majeure (cas d’école : si l’on ne peut sauver l’enfant ET le vieillard, et encore…c’est un cas de conscience épouvantable).
Mais là, non. Il y a dans cette idée de choix de génération quelque chose de révoltant.
Oui, René, je suis en total accord avec les craintes que vous exprimez dans votre dernier paragraphe.
Nous en sommes déjà au cours de cette mandature à la troisième proposition de loi visant à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, et Jean-Luc Roméro ou Jean-Louis Touraine ne lâcheront pas le morceau, servis dans leur projet mortifère sous couvert de « mourir dans la dignité » par les tenants cyniques de l’ultralibéralisme.
ATTENTION ! AVERTISSEMENT ! Commentaires d’un vieux con
Dans une société capitaliste mondialisée comme la nôtre, il faut absolument éliminer les « parasites humains ». Qu’est-ce qu’un parasite ? : Tout individu qui coûte au système plus d’argent que celui qu’on peut lui soutirer.
L’allongement de la durée de vie génère un nombre accru de parasites humains
Constatons que le jeune, la plupart du temps totalement improductif, coûte un max de pognon à la collectivité financée par les actifs et les vieux. Et ce, dès sa naissance.
Par nécessité systémique, le temps vient d’éliminer « les jeunes parasites humains »
Et puis, le jeune, en tant que futur vieux, mérite-t-il de prospérer ? Il faudrait résoudre le problème à la base. Supprimons le jeune il n’y aura potentiellement plus aucun vieux et tout ira mieux.
Vous trouvez que je dis n’importe quoi ?
Pas plus que les jeunes cons qui s’expriment me semble-t-il !
Un petit joint ? Ou une petite verveine… c’est selon !
Et merci de remettre les pendules à l’heure !
Sans doute HS, sûrement à contre-courant :
En tant que vieille de 70 ans, j’aimerais pouvoir choisir de mourir très bientôt en procédant comme la mère de Lionel Jospin, mais je n’ai pas les accointances médicales qui me permettent de l’imiter. Le confinement ne me pose aucun problème : il n’a quasi rien changé à mon mode de vie, simplement j’estime, depuis un temps certain, qu’il est temps pour moi d’arrêter de polluer cette planète.
Votre témoignage me parait bien, bien triste. J’ai aujourd’hui 76 ans et il est bien certain que je ne rapporte au plan pécuniaire pas grand chose à la société, en revanche en m’efforçant simplement d’être aimable avec les commerçants y compris les caissières du super-marché ou de la station-service et avec tout ceux que je rencontre laissez-moi penser que je ne suis pas entièrement une charge pour la société
Euthanasie et souhait de mourir dans la dignité
Peut on vraiment assimiler ces deux réalités et n’en faire qu’une seule question ? Ce n’est pas parce que concrètement la distinction est difficile qu’il faut à priori refuser par principe d’essayer de faire la différence entre ce qui peut aussi s’envisager comme deux questions distinctes ..
Bien sûr je n’ignore pas les redoutables questions éthiques que pose une possible légalisation de l’euthanasie qui me semble en effet une solution humainement et moralement inacceptable .
Mais en est il autant du souhait de mourir dans la dignité qui est aussi une exigence éthique honorable .
Malgré les progrès de la loi Leonetti Cleyss , ceux qui ont accompagné récemment un proche en fin de vie ,le savent , la différence entre l’atténuation de la souffrance et l’acceleration du processus qui conduit à la mort est parfois très ténue .
Faut il pour autant parce que les questions sont difficiles refuser de se les poser , renoncer à travailler à un encadrement juridique plus précis et laisser aux seuls soignants la lourde charge de traiter au mieux , mais de manière empirique et subjective ,au risque d’engager leur responsabilité pénale , de graves questions sur lesquelles la société se défausse ?
Malgré tous les progrès réalisés tant au plan médical que législatif , on meurt encore en France dans des conditions qui ne correspondent plus à l’idée que nous nous faisons de la dignité humaine .
Bien sûr, il ne faut pas être naïf et les lobbies qui ont une vision utilitariste de la dignité humaine sont à la manœuvre .
Avant d’élaborer une réponse dont pour ma part je ne possède aucun élément , je crois qu’il ne faut pas refuser à priori de poser les questions au seul motif qu’elles nous placent devant des abîmes qui déstabilisent nos vertueux principes et nous mettent en insécurité .
À défaut ce seront les non dit et les pratiques non juridiquement encadrées qui apporteront les inévitables réponses concrètes en en faisant supporter toute la responsabilité aux soignants ou aux familles désemparées .
L’ethique c’est peut être aussi renoncer à la fausse sécurité des grands principes affirmés et parfois impossibles à pratiquer et s’aventurer sur le terrain mouvant des questions dérangeantes mais qu’ilest un témoignage de la dignité humaine de regarder en face .
C’est un aspect des choses que j’ai abordé dans mon livre au travers de la règle d’or : « Fais à autrui ce que tu aimerais qu’on te fasse à toi-même »… Or, on est bien obligé d’observer que de plus en plus de personnes disent vouloir « gérer » librement leur fin de vie. Je connais ça parmi mes proches. Le débat reste donc ouvert.
Simplement, ici, il est évident que nous sommes dans une tentative législative de pure opportunité, correspondant très exactement à la logique libérale décrite par Jacques Attali. Aidons à mourir ceux qu’on ne parvient pas à aider à vivre. Admettez qu’en termes d’éthique cela puisse aussi poser problème !
Guy, votre propos est nuancé et vos questionnements sont légitimes.
Pour autant, la manipulation de ceux qui pour la quatrième fois en cette législature veulent légaliser l’euthanasie au nom du « droit de mourir dans la dignité » est évidente.
Les débordements qui se manifestent dès que l’on autorise le droit de tuer devraient nous interdire de légiférer en ce sens.
Du reste les personnes qui œuvrent dans les services de soins palliatifs et d’accompagnement des mourants le savent bien, alertent à ce sujet, et réclament au contraire un développement de ces soins palliatifs et humains.