La synodalité comme réponse à la crise de l’Eglise risque d’avoir pour obstacle majeur… l’indifférence d’une partie du clergé !
Voici donc l’Eglise catholique à la mi-temps d’un Synode sur la synodalité dont on sait qu’il concrétise le cœur du « programme » du pontificat du pape François. Même s’il n’est pas toujours compris des catholiques eux-mêmes qui en attendent des décisions concrètes – ou le maintien de l’existant – sur des questions qui font débat, là où le propos du pape est de les conduire plutôt à réfléchir à une manière nouvelle, décentralisée, de « prendre les décisions ensemble » pour le bien de chaque Eglise particulière, dans la fidélité à l’Evangile. A ce stade du processus synodal deux inconnues demeurent qui demandent vigilance et engagement de la part de chacun. Où, comment et par qui, d’ici octobre 2024, vont-être approfondies les questions théologiques, canoniques et pastorales identifiées lors de la première session comme préalable à toute réforme ? Comment va être développée par chaque évêque au plus près du terrain la « culture synodale » sans laquelle ce travail restera sans effet ? Car « La synodalité commencera en paroisse ou elle ne sera pas. » selon l’expression du cardinal Hollerich, archevêque de Luxembourg et Rapporteur général du synode.
Il a beaucoup été écrit sur ce synode. Mais, de fait, la conférence donnée le 15 novembre 2023 en Belgique, par le cardinal Jean-Claude Hollerich, du fait même de ses responsabilités, est particulièrement éclairante. Face aux impatiences qui se manifestent en divers lieux d’Eglise il a cette formule : « Certaines personnes attendent que ce synode change les choses. Ce n’est pas le but du synode. Le but c’est la synodalité. Je suis sûr que l’Eglise, dans les dix à vingt ans qui viennent, devra prendre beaucoup de décisions. Ce que nous mettons maintenant en place, c’est une manière de prendre ces décisions, ensemble, où tous participent. »
Discerner la conformité à l’Evangile des attentes des baptisés
Et il est vrai que ce synode doit être lu au travers d’une grille nouvelle qui échappe à beaucoup parce qu’elle est en rupture avec les pratiques d’un passé récent :
1 – la consultation préalable a été ouverte à tous les « membres du peuple de Dieu » sans distinction (clercs et laïcs), qui se sont également trouvés représentés – même si c’est de manière non-paritaire – dans les assemblées synodales antérieurement réservées aux seuls évêques ;
2 – les synthèses de la consultation, à ses différents niveaux : paroisses, diocèses, Eglises particulières (par pays), continentales puis universelle, ne se sont pas opérées sur la base des seuls points de convergence à faire remonter à l’échelon supérieur, conduisant in fine à un plus petit commun dénominateur généralement décevant, mais au contraire à une prise en compte de toutes les opinions exprimées, en précisant à chaque fois celles qui font consensus et celles qui font débat et doivent être approfondies ;
3 – le discernement final, qui est la mission propre du synode, vise moins – comme c’était le cas par le passé – à rendre intelligible dans le monde contemporain des « vérités de toujours » descendues du Ciel et souvent non hiérarchisées, mais, selon ce que François appelle une « théologie inductive », à se saisir de toutes les attentes des baptisés marqués par un « sacerdoce commun », et de vérifier, « en Eglise », sous le regard de l’Esprit saint, leur compatibilité avec la foi chrétienne et le message de l’Evangile.
Les théologiens comme l’une des trois sources de l’autorité dans l’Eglise
C’est donc ce discernement qui est au programme de la seconde session synodale d’octobre 2024. Mais, comme précisé dans le document de synthèse de la première session (voir mon billet : Synode : une révolution en marche… lente ?) cela suppose dans l’intervalle que certaines questions théologiques, canoniques ou pastorales qui font débat puissent être approfondies. Et c’est là que réside une première inconnue. A ce stade, on ignore selon quel processus ce travail va s’opérer. On sait que les 26 théologiens du monde entier conviés à Rome comme « observateurs » et « experts » en octobre dernier ont exprimé, très tôt, une forme de déception rapportée par la Croix en ces termes : « Pour le pape, tout le monde doit pouvoir faire partie de l’Église. Plusieurs d’entre nous estiment que nous aurions pu y contribuer davantage durant ce Synode. Les théologiens ne peuvent pas être marginalisés et silencieux, mais doivent être davantage mis à contribution au cours de l’intersession et lors de la prochaine Assemblée ». Dans un ouvrage publié en 2000, Timothy Radcliffe, alors maître de l’Ordre dominicain, dont les méditations au cours de la retraite précédant l’ouverture du synode ont fortement marqué les esprits, écrivait ceci : « Le cardinal Newman disait qu’il y a trois autorités dans l’Eglise : l’autorité de la tradition, l’autorité de la raison et l’autorité de l’expérience qu’il situait respectivement dans la hiérarchie, dans l’université et dans le peuple des fidèles. Il ajoutait que si l’une des trois devenait par trop dominante, le bon exercice de l’autorité dans l’Eglise risquait d’être compromis. » (1) Le processus synodale s’enrichirait donc grandement à laisser aussi toute leur place aux théologiens au côté des évêques et de la base du « peuple de Dieu »…
La synodalité sera paroissiale ou ne sera pas
A cette incertitude vient s’en ajouter une seconde. Quelle sera, la « réception » par les évêques, prêtres, diacres, religieux et fidèles des décisions de ce synode, une fois le processus achevé ? Traditionnellement le pape publie, dans un délai de quelques mois, une exhortation apostolique conclusive dans laquelle il officialise, au titre de l’autorité qui est la sienne, ce qu’il croit devoir retenir des recommandations de l’Assemblée synodale qui, en droit, n’est que consultative. C’est ce document, et lui seul, qui, dans l’Eglise, prend alors valeur magistérielle. Encore faut-il qu’il soit « reçu » c’est-à-dire compris et accepté. On sait, cinquante ans après sa conclusion, ce qu’il en est de Vatican II qui continue de faire débat. (2) Dans la conférence déjà évoquée du cardinal Hollerich, il rappelle qu’il fallut deux siècles pour que soit définitivement adoptée par le peuple chrétien la messe tridentine « aujourd’hui présentée par certains comme la messe de toujours »… C’est dire que rien n’est gagné. Et que cette incertitude même nourrit déjà, bien des craintes de divisions dans l’Eglise.
Elle se nourrit en partie d’un double constat. Dans nombre de paroisses, les prêtres sont restés en réserve du processus synodal, dès sa phase de consultation. Certains se sont exprimés ouvertement sur les « limites » des synthèses diocésaines ou nationales qui semblaient ne pas tenir compte de la sensibilité « plus traditionnelle » des jeunes catholiques… Alors même que, parfois, c’est eux-mêmes qui les avaient dissuadés de participer à cette consultation. Et les échos qui remontent aujourd’hui de certaines paroisses est qu’aucun « retour » n’est fait aux fidèles des travaux du synode. Même si, dans certains diocèses, la synodalité est présentée aux EAP (Equipes d’animation paroissiales/pastorales) comme une “ardente obligation“ , fondée sur le sacerdoce commun des baptisés.
Le 27 novembre dernier, le jésuite français Christoph Théobald était l’invité de la communauté Saint-Merry Hors-les-murs, pour évoquer la première session du synode à laquelle il a assisté comme théologien. Dans le compte rendu publié sur le site de la communauté on peut lire : « Le document final de quarante et une pages ne sera probablement jamais lu en paroisses : Christoph Theobald recommande d’en faire un résumé pédagogique de cinq pages pour le diffuser et le promouvoir. Il propose aussi de faire lire la première partie du document de synthèse, pour y réfléchir dès maintenant dans les communautés paroissiales, selon la méthode de la conversation dans l’Esprit, la synodalité étant une manière de faire Église ; ce qui suppose une conversion des mentalités, qui va prendre du temps, mais « qui est LE critère » (3) On attend que l’équipe nationale du Synode, au sein de la Cef, fasse connaître quelque initiative en ce sens. Et que les délégués diocésains à la communication nous confirment que l’événement est bien toujours à l’agenda…
Aux baptisés convaincus de convertir autour d’eux à la synodalité
Engagé moi-même depuis la rentrée de septembre dans une série de conférences (Pau, Chartres, Sainte-Geneviève-des-Bois) qui doit se poursuivre au premier semestre 2024 (Strasbourg, Tulle, Lyon…) il m’a été donné de rencontrer nombre de catholiques interrogatifs sur l’adhésion de leur Eglise diocésaine à la dynamique mise en œuvre par le pape François. Même si, ponctuellement, ils ont la chance de vivre dans telle ou telle paroisse dont le curé est, exceptionnellement, réceptif. Leur sentiment étant que l’Eglise locale, face à un processus de longue haleine, s’est donnée, ailleurs, des priorités pastorales liées aux « urgences locales immédiates », à la sensibilité propre de leur évêque, de son presbyterium, ou de fidèles eux-mêmes peu enclins au changement. Et que la synodalité ne fait partie de ces priorités. C’est bien pourquoi il appartient aux fidèles convaincus que la synodalité est, selon les propos du pape François : « la forme même de l’Eglise catholique », capable de la faire sortir d’une crise sans fin, de s’en faire, autour d’eux, les propagateurs et, au besoin, d’y « convertir » leur propre curé. De manière à ce que l’année qui nous sépare de la seconde session soit mise à profit pour préparer le terrain ecclésial à en recueillir demain les fruits, dans la loyauté, la fidélité et la “liberté des enfants de Dieu“.
- Timothy Radcliffe, entretiens avec Guillaume Goubert. Je vous appelle amis. La Croix-Le Cerf, 200, 322 p. voir p.100
- Débat entre ceux qui acceptent ce concile comme expression légitime du Magistère et ceux qui y voient la cause de l’effondrement de l’Eglise; débat entre ceux qui souhaitent s’en tenir à la lettre du Concile, au travers de ses textes, présentés comme le Concile réel par opposition au Concile médiatique qui ferait la part belle à la nécessité de pérenniser l’aggiornamento… précisément à travers le concept de synodalité !
- Christophe Théobald vient de publier: Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ? (Salvator 2023, 192 p., 18 €) Une lecture passionnante du synode dans la continuité des deux derniers conciles.
ADDITIF
Ce billet, rédigé et mis en ligne le 4 décembre s’interroge sur la mise en œuvre du travail préparatoire à la seconde session synodale plénière d’octobre 2024 qui devra formuler des propositions au pape François. Le lundi 11 décembre, les évêques du monde entier ont reçu du secrétariat du Synode un document de quatre pages, accompagné d’une lettre des cardinaux Mario Grech, secrétaire général du Synode des évêques, et Jean-Claude Hollerich, rapporteur général du Synode. Ce document précise les différents niveaux de préparation de cette session : questions examinées par les dicastères, questions pour lesquelles il sera fait appel aux théologiens, questions à examiner au niveau des églises locales. Ces contributions doivent être adressées au Secrétariat Général du Synode avant le 15 mai 2024. Un nouvel instrumentum laboris (document de travail) sera élaboré sur cette base et adressé aux membres du synode, sans doute avant l’été.
NOUVEL ADDITIF AU 19 JANVIER 2024
Le 4 décembre dernier je titrais ce billet de mon blog « Convertissez votre curé à la synodalité ». Mission accomplie. Sans grande difficulté en réalité. Me voici invité par mon curé, le père Edmond (originaire d’Afrique), avec l’aval de l’EAP, à plancher sur trois dimanches, en lieu et place de l’homélie, sur la synodalité, dans les deux lieux de culte de notre paroisse. J’ai opté pour un découpage en trois temps : la synodalité comme mise en œuvre “élargie“ de la collégialité et du prolongement de l’aggiornamento de Vatican II ; le synode actuel sur la synodalité : ce qu’il faut en comprendre et en attendre ; la synodalité dans notre communauté paroissiale puisque, selon les propos du cardinal Hollerich « La synodalité sera paroissiale ou ne sera pas. » Gratitude ! Comme quoi tout n’est pas aussi bloqué qu’on le déplore parfois !
Le point de vue de Christoph Théobald qui fut présent à ce synode est très intéressant . Son optimisme raisonné appelle néanmoins quelques remarques :
1)-Théobald a raison de souligner que le principal apport du Synode est d’avoir pu mettre à plat les questions qui se posent aux catholiques et que l’on ait pu se parler dans l’église tout en émettant des positions divergentes sans excommunications réciproques préalables . Quel progrès !
Il en déduit que le synode a mis en évidence la « réformabilité » de l’église , c’est à dire le fait que l’évolution soit possible .
Mais à ce stade et il le dit bien il s’agit d’une potentialité , pas d’une démarche concrète .
– Mais Théobald n’intègre pas le facteur temps et fait comme si l’église, hors du monde, hors de l’histoire , avait tout le temps devant elle . Il fait comme si l’église n’était pas dans une situation d’urgence puisqu’il évoque qu’il faudrait plusieurs génération pour que la culture de la synodalité soit reconnue .
2) Il s’interroge ensuite sur le fait de savoir si la synodalité est une concession des clercs ou une donnée de base à partir de laquelle on peut apprécier les ministères et notamment l’exercice et les modalités sacerdoce ministériel .
3) Enfin et cela pose une vraie question théologique il s’interroge sur la nécessité et la finalité des ministères ordonnés dans l’église . Il y répond en disant , ce qui est la réponse doctrinale conforme , que le ministère ordonné n’est pas une modalité de gouvernance particulière mais symbolise la convocation par Dieu pour constituer l’ Eglise .
Cette conception pour être celle de la doxa , ne repose pas sur des sources scripturaires car dans l’ Ecriture YHWH ne convoque jamais , il est toujours dans une attitude de réponse à une invocation humaine préalable . Ce n’est pas l’appel divin qui est premier C’est la plainte des opprimés qui est première et Dieu y répond . (même au buisson ardent ou l’appel de YHWH est une réponse à la plainte qui monte dd la maison de servitude idem pour Samuel , il s’agit d’une réponse à la demande de Hannah . Dieu répond toujours à une invocation du peuple souffrant :Mon peuple connaitra mon nom , il saura que je suis ce lui qui dit « me voici » (Isaïe 52, 6) Comme le disait avec justesse André Néher , le Dieu de Moise n’est pas « anthropomorphique » mais « anthropopathique » .
Ceci dit acceptions le diagnostic de Théobald :le synode a montré que l’église a la capacité de d’évoluer . Le voudra t elle ? En a t elle encore le temps ?
Alors oui il est urgent de convertir les évêques et le clergé . Mais pour l’instant , il ne se montrent pas collectivement très motivés . La CEF , ou même un seul évêque a t il réagit publiquement au document conclusif de cette phase du Synode ?
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Sait-on combien de paroisses ont organisé des groupes synodaux ?
Combien de curés ont organisé des groupes synodaux ?
Par exemple sur Paris, combien de paroisses en synodalité ?
Sincèrement, je n’en sais rien !
Merci de mettre ainsi des mots sur une situation que nous vivons également dans notre diocèse majoritairement rural: la disparité des (non)attentes des différentes parties prenantes de l’Eglise locale, dont le pasteur souhaiterait bien aller de l’avant, mais rencontre l’obstacle de la résistance au changement de la plupart des membres de son presbyterium, confortés en cela par l’habitude de déférence à leur égard ancrée au coeur des familles catholiques de tradition, majoritaires parmi ce qu’il reste encore de messalisants.
Il nous revient donc de prendre l’initiative avec celles et ceux qui ont participé à la consultation du Peuple de Dieu. En commençant par faire connaître l’existence du rapport de synthèse des conversations de l’assemblée d’octobre.
Au cas où cela puisse donner à d’autres des idées, je me permets de partager ci dessous le texte proposé pour cela à l’équipe de rédaction de la revue diocésaine pour son édition de décembre:
Un peuple qui chemine, une Eglise synodale en mission.
Du 4 au 28 octobre, 464 hommes et femmes – laïcs, religieux et clercs venus du monde entier – ont accepté de rendre le service d’Eglise qui leur était demandé, en prenant part, au Vatican, à la première session de la XVIème assemblée générale ordinaire du synode des évêques. Quelle était leur mission ? Produire ensemble, en un mois, un texte portant sur ce qu’implique pour les Eglises locales, d’être parties prenantes d’un peuple de baptisés cheminant ensemble, femmes et hommes, en réponse à l’appel du Christ. Texte intitulé par l’assemblée : « Une Eglise synodale en mission » .
Un texte magistériel ?
Non. Simplement “un texte de transition, basé sur l’expérience de l’assemblée, (mentionnant ses) points de consensus et (ses) points de désaccord, ainsi que les questions ouvertes qui devront être approfondies d’un point de vue canonique, théologique et pastoral, pour être vérifiées avec le peuple de Dieu.”
Alors un texte de “parlementaires” ? Non plus.
Un travail considérable a préparé ce temps de rencontres. Son résultat: un “Instrument de travail” qui a servi de fil conducteur commun à tous, pendant la session d’octobre. Un document qui, lui-même, s’appuyait sur les relations d’une succession impressionnante – probablement sans précédent dans l’histoire des institutions – de rencontres diocésaines, nationales puis continentales, toutes nourries par la consultation à laquelle l’ensemble des communautés locales du peuple de Dieu, de confession catholique, ont été invitées, à travers le monde, à contribuer dès le 9 octobre 2021.
L’agencement de la salle Saint Paul VI accueillant l’assemblée, n’avait rien de commun avec celui de nos hémicycles. A son entrée: une reproduction du Christ en croix de la chapelle Saint Damien, d’Assise. Dans la salle: en cercles, 35 tables de 12 personnes; une seule table surélevée: celle qui rassemblait les organisateurs du Synode assis autour du pape François. Et sur l’estrade, pour seul président: un livre des Evangiles.
Et une méthode loin des joutes oratoires et des rapports de force médiatisés, qui a permis de passer par étapes, de “conversations dans l’Esprit” tenues à 12 par tables, à un texte, commun à tous puisque c’est encore avec 80% des voix des 346 votants qu’a été approuvé le “moins bien” voté des paragraphes (Ch.9 §j).
Que faire maintenant de ce texte ?
Commencer par le commencement: découvrir, avec gratitude, ces 270 paragraphes (dont 115 « Convergences », 75 « Questions à traiter » et 81 « Propositions ») répartis en 20 chapitres, précédés d’une introduction, et s’achevant sur une conclusion, qui nous engage à “Poursuivre le chemin”.
Un texte dont les auteurs nous invitent à faire, à notre tour, cette expérience de l’écoute et de la prise de parole, qui a permis ses auteurs de “faire Eglise” dans la Joie, en accueillant la richesse de leur extraordinaire diversité linguistique et culturelle.
Voici ce qu’ils en disent :
a) L’écoute qualifie parfaitement bien ce qui a été vécu de manière intense lors des deux premières années du processus synodal ainsi que lors des travaux de l’Assemblée. Elle se comprend dans la double acception de l’écoute donnée et reçue, de se mettre à l’écoute et d’être écouté. L’écoute est une valeur profondément humaine, un dynamisme de réciprocité, où l’on apporte quelque chose au cheminement de l’autre et où l’on en reçoit à son tour quelque chose dans notre propre cheminement.
b) Être invité à prendre la parole et à être écoutés dans l’Église et par l’Église aura constitué une expérience intense et inattendue pour beaucoup de ceux qui ont participé au processus synodal au niveau local, notamment chez ceux qui subissent des formes de mise à l’écart dans la société ainsi que dans la communauté chrétienne. Être écouté est une expérience d’affirmation et de reconnaissance de sa dignité personnelle : c’est très efficace pour activer les ressources de la personne et celles de la communauté.
Nous sommes ainsi appelés sans attendre , à nous approprier la façon de faire qui a tant aidé l’assemblée synodale dans son chemin de discernement, pour l’intégrer à la gouvernance de nos communautés locales, et, ce faisant, à nous interroger dès maintenant sur la pertinence de l’une ou l’autre des “Propositions” qui nous sont adressées, pour notre façon de “faire Eglise”, au quotidien.
Sans pour autant “nous disperser sur de nombreux fronts, dans une logique d’efficacité et de procédures.” Mais bien plutôt en recueillant “parmi les nombreuses paroles et propositions de ce Rapport, ce qui apparaît comme une petite graine, mais pleine d’avenir, et (en imaginant) comment la déposer dans la terre qui la fera mûrir pour la vie d’une multitude.”
A l’image de Jésus qui “a vu dans le grain tombé en terre la représentation de son destin. Un rien, destiné apparemment à pourrir, mais finalement habité par un dynamisme de vie inexorable, imprévisible, pascal. Un dynamisme appelé à donner la vie, à devenir pain pour la multitude. Destiné à devenir Eucharistie.”
Le document de synthèse du synode est intéressant et trop mal diffusé et méconnu, mais hier matin, sans doute pris de culpabilité de ne pas en avoir achevé la lecture, éventuellement pour en faire mon propre résumé au pied de votre précédent billet, une formule s’est imposée à moi: « Au fond le synode, qu’est-ce que c’est? C’est « bavardez, bavardez, il en sortira toujours quelque chose. »
Plus prosaïquement, le synode, c’est de la « démocratie participative » façon « Désir d’avenir » de la non encore morte en politique Ségolène Royal. Et plus loin de nous, le synode sur la synodalité, c’est le référendum sur le référendum avec lequel François Mitterrand fit un enterrement de première classe à deux sujets dont le second ne le menaçait pas encore autant qu’il s’est montré dangereux pour Emmanuel Macron. Ces deux sujets de crainte du socialiste à l’antique étaient la battue du pavé par la bourgeoisie confessionnelle pour que ses rejetons sortent en tête de gondole de ses boîtes à bac et l’aspiration à la démocratie directe chère à tous ceux qu’on n’appelait pas encore des populistes et que Mitterrand faisait d’ailleurs monter en neige dans le débat public pour couper les jambes de la droite après avoir neutralisé le parti communiste.
Mais je m’égare et je vous perds. Le synode, c’est l’inquiétude de l’Eglise de ne pas avoir de relève et son désir d’avoir un avenir et c’est, pour s’en assurer un, la déconstruction par le bavardage. Là, je cède à ma veine caricaturale, mais il faut parfois écrire par provocation pour donner à penser sur les lignes de crête où les dérapages sont presque toujours incontrôlés.
Donc je continue dans la même veine. Le synode, c’est le bavardage, pardon le dialogue et peut-être même le dialogue inter-religieux, mais c’est le dialogue considéré comme fin en soi. Ce n’est pas le dialogue socratique dont la maïeutique était un procédé rhétorique pour faire accoucher de réponses celui qui ne se posait pas de questions avant que Socrate ne l’interroge en le conduisant dans son raisonnement comme un gourou corrupteur de la jeunesse et de la religion, chefs sous lesquels on le condamna à boire la ciguë.
Le synode définit le dialogue de belle manière comme une « conversation dans l’Esprit ». J’ai essayé d’élaborer une « théorie de la musique » avec un ami musicien qui définissait le contrepoint comme une conversation qu’il distinguait du dialogue en ce que les différentes voix qui constituent l’accord (qui n’est pas une fin en soi, mais une conséquence et un concept d’après le contrepoint), que ces voix, dis-je, se confondent, monologuent sans soliloquer, ne s’écoutent pas, mais elles s’entendent. Avec le synode, « on va bien s’entendre », c’est déjà ça.
Mais un dialogue ou une conversation peuvent-ils être au service d’une parole , a fortiori quand cette parole se pose comme la Parole de Dieu?
Jean Madiran craignait avec raison si l’on doit craindre pour la perte d’autorité du magistère de l’Église catholique, apostolique et romaine, que la réception du Concile ne débouche sur la synodalité où ressurgirait l’idée que le concile (des évêques) est supérieur au pape et sa prétendue infaillibilité, même limitée à des déclarations émises ex cathedra sur la foi et les moeurs. Dès lors que les synodes sont progressivement devenus une conversation très courante, pour ne pas dire occupationnelle, dans les diocèses (je n’ai pas dit que le synode, c’est de l’occupationnel), j’ai perçu sans nécessairement en prendre ombrage que le synode, ce n’était pas seulement le concile qui prévaudrait désormais sur le pape, mais ce seraient les fidèles qui auraient une voix prépondérante sur les évêques comme avant eux, les évêques auraient renfermé le pape dans un silence arbitral et hiératique.
Le synode renverse donc la pyramide ecclésiale, il la met cul par-dessus tête. Or nous avions quelque chose à gagner à ce que l’Église s’offre à nous comme une triple pyramide, qui nous donnait la solution du monde et nous racontait son histoire depuis sa création jusqu’à l’apocalypse, qui nous mettait en rapport avec tous les vivants et les morts qui avaient jalonné l’histoire de l’humanité et qui nous donnait un toit hiérarchique sous lequel nous pouvions reposer notre tête de façon rassurante, étagé qu’elle était depuis la dame pipi des sacristies jusqu’au ministère pétrinien, qui tirait son infaillibilité de ce que Jésus ait pu lui dire: « Arrière Satan! » et son autorité de ce que lui-même ait rétorqué aux membres du Sanhédrin qu’il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Le synode ne renverse pas la table, mais il renverse la pyramide pour que le Fils de l’homme n’ait plus une pierre où reposer sa tête et que l’Église soit une maison à ciel ouvert où l’homme puisse vivre sans toit ni loi, rassemblé sous le Symbole des apôtres. Mais pour opérer ce renversement, on doit aller jusqu »à dire que « le synode est la forme propre de l’Église ». On atteint là au comble de la métonymie et de l’autoréférentialité. Le synode, c’est la partie Eglise qui se prend pour le tout du Christ en se mettant hors d’état de porter sa Parole puisqu’une conversation est adogmatique par définition, mais l’Église peut porter le regard du Christ. Et l’homme qui promeut cette autoréférentialité de la partie est celui-là même qui ne veut plus que l’Église soit autoréférentielle. Or le synode, c’est l’Église qui se parle d’elle-même à elle-même.
Le synode, c’est le « verus Israel » qui, dans le sentiment d’avoir failli, se prépare à vivre un nouvel exode et une traversée du désert sous la motion et la conduite de l’Esprit qui ira alternativement, comme la nuée, en avant et en arrière du « peuple de Dieu ». Car c’est trop peu pour l’Église d’être Corps du Christ: il faut qu’elle se saisisse de ce privilège exorbitant d’être « peuple de Dieu », non pas à l’exception, mais en représentation du genre humain. Mais dans le peuple de Dieu, on n’est pas populiste, on pratique la démocratie indirecte et le référent suprême reste l’Esprit qui nous conduit.
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