Cardinal Hollerich : un homme clé dans la stratégie du pape François

Cardinal Hollerich : un homme clé dans la stratégie du pape François

Son dernier livre nous ouvre à quelques secrets sur la vision du pape concernant l’avenir de l’Eglise catholique. 

L’homme est encore peu connu du grand public, même catholique. Jésuite, archevêque de Luxembourg, cardinal depuis 2019 et depuis peu membre du Conseil restreint (C9) du pape François, il a également été choisi par lui comme rapporteur général du Synode sur la synodalité, engagé à l’automne 2021 et qui trouvera son aboutissement en 2024. Il est donc un personnage clé du projet sans doute le plus cher au cœur du pape François pour l’Eglise de demain : l’ouverture à une plus large collégialité. C’est assez dire que son livre d’entretiens publié voici quelques mois vaut d’être examiné de près. Car il nous livre quelques secrets précieux sur les intentions de François. Jusqu’où le pape entend-il ne pas aller trop loin ? 

Du 5 au 9 février prochain va se tenir à Prague, en République Tchèque, sans doute l’un des pays les plus sécularisés en Europe – et donc parmi les moins religieux -, l’étape dite Continentale du Synode sur la Synodalité à laquelle participera, pour la France, une délégation de quatorze personnes. La première phase de consultation des fidèles du monde entier, a fait l’objet en France d’évaluations mitigées sur lesquelles il ne me semble pas utile de revenir ici. (2) Le Vatican en a fait la synthèse, à partir des contributions reçues des différentes conférences épiscopales. C’est ce Document pour l’étape continentale (DEC), d’une grande honnêteté, qui servira de base aux échanges des prochaines semaines.

La synthèse du synode c’est au cardinal Hollerich que François l’a confiée

A partir des analyses remontant des divers continents au profil culturel très différencié, le secrétariat général du Synode élaborera l’instrumentum laboris (document de travail) qui nourrira la réflexion des membres du synode convoqués à Rome à l’automne prochain pour la première des deux sessions de cette « phase 3 » conclusive (la seconde est prévue en octobre 2024). C’est donc vraisemblablement début 2025 que le pape François fera connaître, dans une exhortation apostolique, ce qu’il retient des conclusions et préconisations du synode synthétisées par le cardinal Hollerich en tant que rapporteur général. (3) C’est dire, une fois encore, le rôle pivot qui lui revient ! Et l’on peut imaginer un texte certes fidèle aux échanges mais portant la marque de son rédacteur. 

Dans ce livre d’entretiens d’abord publié en Allemagne, puis complété d’un échange avec l’éditeur Antoine Bellier pour l’édition française (1), le cardinal Hollerich revient longuement sur les quelque vingt années où il a vécu au Japon, jusqu’à sa nomination, en 2011, comme archevêque de Luxembourg. Ces années passées dans une société sécularisée à l’extrême mais aux profondes traditions shintoïstes et bouddhistes l’ont profondément marqué. Elles l’ont convaincu que malgré leur foi au Christ, les catholiques n’ont pas le monopole de la vérité; que l’urgence est au dialogue avec les autres religions et le monde postmoderne, et que cette exigence est au cœur même du message chrétien. Il écrit : « Il est clair que je ne pouvais pas dire tout simplement : “Maintenant je vais vous annoncer l’Evangile“. Dieu est également présent dans la culture japonaise et je voulais commencer par le découvrir. »

Chercher Dieu dans notre monde et l’y reconnaître : un autre regard sur la mission

On comprend aisément que c’est dans le même esprit qu’il préside depuis 2018 la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) et qu’il envisage son travail de rapporteur du synode mondial sur la synodalité. « Nous devons accepter que les hommes d’aujourd’hui nous apprennent à chercher Dieu dans notre monde actuel et à l’y reconnaître. » Un regard sur la Mission qui tranche avec nombre de nos pratiques. Puis, s’agissant de l’Eglise catholique elle-même : «  L’Eglise est malade des querelles idéologiques intestines. Elle doit faire de la place à la diversité. Dans le monde actuel, on ne peut exiger que tous les êtres aient une foi strictement uniforme (…) On ne peut conserver les traditions que si on les change et les adapte. Sinon elles disparaissent. »

C’est du pape François dans le texte ! S’exprimant sur le synode, le cardinal Hollerich confiait en janvier 2022 dans une interview à la Croix l’Hebdo : « Nous avons une théologie que plus personne ne comprendra dans vingt ou trente ans. Cette civilisation aura passé. C’est pourquoi il nous faut un nouveau langage qui doit être fondé sur l’Évangile. Or, toute l’Église doit participer à la mise au point de ce nouveau langage : c’est le sens du synode. » Comme c’était le sens profond de Vatican II dans son “esprit“, au-delà de la “lettre“ des textes conciliaires dans laquelle on cherche à l’enfermer parfois : l’entrée dans un aggiornamento permanent, au travers de la synodalité et de la collégialité épiscopale. Car il y va de la réception, de la compréhension du message chrétien sur des continents aux traditions culturelles différentes.

Ne pas attendre du synode qu’il réponde à toutes les questions de l’heure

« Nul n’est en mesure de venir seul à bout de la tâche d’une nouvelle inculturation du christianisme. La participation de toutes les Eglises locales est nécessaire pour y parvenir. (…) Un synode européen serait bienvenu mais cela va demander du temps. » Une autre manière de dire qu’il ne faut pas attendre du synode sur la synodalité qu’il apporte des réponses immédiates et définitives à toutes les questions du moment : obligation du célibat sacerdotal, ordination d’hommes mariés, place des femmes dans l’Eglise… Mais peut-être déjà, qu’il reconnaisse la légitimité d’une certaine autonomie pastorale et doctrinale, continent par continent, pour gérer ces questions en fonction des réalités locales, dans le respect de l’unité de l’Eglise et de l’intégrité de la foi. L’étape d’après – mais seulement d’après – étant de leur apporter une réponse concrète au sens du synode pour l’Europe évoqué par le cardinal Hollerich. 

Un livre d’une audace tempérée

Il faut lire « Trouver Dieu en toutes choses ». Pour cette « audace tempérée » qui est la marque de ce jésuite proche du pape François. Audace lorsqu’il invite à « intégrer une nouvelle façon de penser la foi au sein de la réalité vécue des hommes d’aujourd’hui »; audace lorsqu’il nous appelle à accompagner les hommes et les femmes, nos contemporains, dans le quotidien de leur vie, sans les juger, plutôt que de s’user à vouloir infléchir les lois de la cité ; audace lorsqu’il conseille, concernant la foi, de « réfléchir avec les jeunes et chercher avec eux des réponses, plutôt que de leur rappeler sans cesse celles que donne le catéchisme classique » ; audace lorsqu’il presse à « changer le regard que nous portons sur la sexualité » et qui n’est souvent que le reflet d’une morale bourgeoise du XIXe siècle sans lien avec la tradition catholique ancienne; audace lorsqu’il suggère que « Avoir confiance en les hommes c’est avoir confiance en Dieu. » 

Mais audace tempérée, au regard de certains emballements, lorsqu’il rappelle « il faut affirmer qu’il y a une hiérarchie qui fait partie de l’enseignement de l’Eglise »; audace tempérée encore lorsqu’il souligne que « l’inculturation (nécessaire) n’est pas une (simple) adaptation »; audace tempérée à propos du chemin synodal allemand « j’ai parfois l’impression que les évêques allemands ne comprennent pas le pape. Il n’est pas libéral, il est radical et c’est cette radicalité de l’Evangile qui peut conduire au changement »; audace tempérée, dans le même esprit, lorsqu’il écrit : « Les réformes structurelles ne doivent pas être les seules au centre des discussions. L’Eglise est appelée aussi à “sortir de son confinement spirituel“. »

« Elle n’avait plus la force de se réformer. »

Il m’arrive parfois, à la lecture d’un ouvrage, de m’attarder sur un passage qui me parle tout particulièrement, par l’originalité de la perspective qu’il ouvre, et de l’offrir comme un cadeau à des proches, pour nourrir leur propre réflexion. Je vous livre ici la perle – à mes yeux – de ces entretiens : « Dans notre langue, et dans notre façon de concevoir les choses, le passé est derrière nous et l’avenir devant nous. Or, dans l’Egypte ancienne, c’était le contraire : le passé était devant parce qu’on le connaissait et qu’on le voyait, et l’avenir, que l’on ne pouvait voir puisqu’on ne le connaissait pas, était derrière. L’Eglise catholique me semble avoir encore tendance à raisonner comme les Egyptiens, mais cela ne fonctionne plus. Dieu nous ouvre l’avenir. (…) Quand on parle de la grande tradition de l’Eglise, on enjolive trop souvent une époque précise qui n’a jamais existé telle qu’on la décrit. Certains prétendent que la messe était beaucoup plus belle autrefois. Mais de quelle messe parlent-ils ? La plupart du temps, ils imaginent un passé qu’ils érigent en tradition et qu’ils idéalisent, et c’est cela précisément qui a conduit la civilisation égyptienne à la chute. Elle n’avait plus la force de se réformer. »

  1. Cardinal Jean-Claude Hollerich, Trouver Dieu en toutes choses, Ed. Salvator 2022, 172 p., 18 €
  2. On en trouvera l’écho dans les billets déjà publiés sur ce blog : La synodalité au défi de l’aspiration démocratique (11 septembre 2021); Le difficile apprentissage de la parole (13 juin 2022); Lettre ouverte à un jeune ami catholique sceptique (21 juin 2022). 
  3. Ce calendrier donne à penser, contre toutes les rumeurs, qu’il est peu probable de voir le pape François renoncer à ses fonctions, sauf accident de santé imprévisisble, avant la fin d’un processus que l’on devine central dans sa stratégie pour une Eglise de demain. 

PS. Le chapeau de cet article a été modifié le 27 mars 2023 pour supprimer la référence du cardinal Hollerich comme Président de la Comece, qu’il n’est plus, et ajouter sa nomination au sein du conseil du C9 qui entoure François.

32 comments

  • Vous citez le Cardinal Hollerich écrivant : « Le passé est derrière nous et l’avenir devant nous (…) Dieu nous ouvre l’avenir »… ce qui me paraît d’une grande banalité !
    La liturgie, elle, nous parle toujours au présent, hodie, aujourd’hui, et cela me paraît plus juste et plus fécond que de rêver au passé ou de fantasmer sur l’avenir !
    Le Cardinal John Henry Newman écrivait si justement : « L’instant présent est le huitième sacrement, car il est le pont qui relie l’éternité de Dieu et notre finitude. »
    Comme me le disait Guy, Jean Sulivan parlait lui aussi du sacrement de l’instant.

    A l’instar des anciens Égyptiens, George Orwell écrivait dans 1984: « Celui qui contrôle le présent contrôle le passé ; celui qui contrôle le passé contrôle le futur. »

    • Non Michel, vous récidivez puique j’ai déjà publié ce texte en commentaire sur ce blog et que vous avez déjà fait cette remarque. Si Hollerich dit cette « banalité » c’est d’abord pour souligner que l’Eglise ne fonctionne pas sur celle logique qui nous semble pourtant si évidente. Tout est là !

      • Je récidive parce que vous récidivez, cher René !
        Et je maintiens que Dieu, qui est éternel présent, nous rejoint dans le présent de nos vies et que c’est l’aujourd’hui de Dieu qui nous sauve « maintenant » entre le « déjà là » et le « pas encore ».
        « Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut. » (2 Corinthiens 6, 2)

        • Mais en quoi ce raisonnement auquel j’adhère sans problème majeur invalide-t-il la crainte exprimée par le cardinal Hollerich de voir l’Eglise à ce point empétrée par son herméneutique de la continuité qu’elle devient incapable d’assumer la permanente nouveauté de Dieu ?

          • Cela n’invalide en rien, cher René, votre propos ni celui du cardinal Hollerich !
            C’est juste un éclairage concret qui me paraît plus important que de faire des plans sur la comète…

      • René, si je vous comprend bien l’Eglise continue imperturbablement de se tourner vers la passé lequel, bien sûr n’a jamais été ce que certains idéalisent ,et ce serait donc notre petite logique bien terre à terre qui nous permettrait de savoir le futur à coup sûr?

        Certains ont eu l’audace de proclamer la fin de l’histoire après la chute du communisme et donc la paix,et aujourd’hui nous sommes à deux doigts de connaître une nouvelle guerre mondiale…
        En réalité nous ne sommes sûrs de rien, absolument de rien sauf de notre finitude bien sûr

        • @ Dominique Bargiarelli.
          Est-il nécessaire de caricaturer comme vous faites ? Après vous râlerez que l’on ne vous aime pas … Car, où, dans l’article de René Poujol pouvez vous voir que « notre petite logique bien terre à terre qui nous permettrait de savoir le futur à coup sûr? ». Qui prétend ici connaitre l’avenir ? Alors qu’il s’agit de l’affronter sans se barricader dans une tour d’ivoire… Certes, vous rester libre de vos interprétations, mais excusez moi de la trouver un peu tordu tout de même.
          Ensuite, dans le billet de René Poujol, il me semble que justement le Pape et un cardinal cité ici ne partagent pas l’attitude de se tourner vers le passé. Comment, après cette lecture pouvez vous caricaturer les positions de René en prétendant lire « si je vous comprend bien l’Église continue imperturbablement de se tourner vers la passé » ?
          A moins que vous ne considériez plus le cardinal Hollerich et le Pape François comme membre de l’Église ?
          Certes, une partie de la hiérarchie de cette Église, les conservateurs pour simplifier, et les tradis bon teint sont, eux bien tournés vers le passé et ne veulent rien changer à quoi que ce soit. C’est votre droit de faire parti de ce groupe et de défendre ces positions là si cela vous chante. Mais de grâce, si vous pouviez éviter de caricaturer quand vous n’êtes pas d’accord… ou que vous n’avez pas compris .

  • Très passionnant. Je vais lire ce livre. Pour rire un peu : cotisons-nous pour acheter l’ouvrage à l’abbé Amar…

  • @ René,

    Votre analyse pourrait bien s’avérer juste. Pour ma part, même si cette voie peut paraitre un peu timorée, en particulier devant les propositions du chemin synodal allemand, elle me parait prendre une bonne direction. Ne pas rester accroché au seul CEC, et accepter de dialoguer avec le monde tel qu’il est, sans commencer par le condamné.
    Les réformes structurelles attendront, hélas, un peu… Mais si nous retrouvons l’esprit du dernier concile et reprendre, même lentement, notre marche en avant, ce serait déjà un gros progrès à mes yeux.
    Il semblerait que ce soit la crainte de certains dans les rangs des conservateurs (Sarah, Burke etc) qui multiplient les attaques (le livre de Ganswein en ferait partie à mon sens) dans le but de faire démissionner François et d’accélérer le venue d’un conclave. Je renvoie la lecture du dernier Golias (753)

    • Je perçois comme vous les attaques contre François, particulièrement vives depuis le décès de Benoît XVI. Mais, je le dis en note, je ne crois pas sauf accident de santé majeur, à une démission de François avant le terme du synode, c’est-à-dire 2025. Et comme le note Golias, accélérer la tenue d’un conclave ne veut rien dire car d’ores et déjà les électeurs Bergolio compatibles sont majoritaires. Qui vivra verra !

  • Aïh aïh aïh…’. L’esprit du concile au delà de la lettre.’ … Avec çà , on peut tout faire… Je crois qu’au lendemain du concile, on a déjà sur interprété le concile, au nom du concile, avec la déstabilisation des esprits qui a suivi… Oui à l’herméneutique de continuité… Je ne fais pas du mauvais esprit comme René Poujol pourrait le penser, le e pose de vraies questions, comme Guillaume Cuchet.

    • C’est bien connu, les « vraies questions » sont toujours celles que l’on pose soi-même, jamais celles des autres. Alors je persiste et signe : oui il y a un « esprit » du Concile au-delà de la lettre des textes. John W. O’Malley lui consacre d’ailleurs quelques pages dans son ouvrage magistral sur Vatican II. Dans cet « esprit » comme je le souligne il y a la volonté de pérenniser l’aggiornamento (mise à jour) conciliaire en instituant la collégialité épiscopale. On sait aujourd’hui que Paul VI, quelque peu effrayé par une telle audace, a voulu couper l’herbe sous les pieds des pères concilialires de peur qu’ils n’aillent trop loin en annonçant, avant même la fin du Concile, qu’il créait le synode. Mais un synode bien ficelé pour ne pas dire verrouillé dont on a vite perçu les limites. Même François qui à travers cet ultime synode (précisément sur la syn odalité) ancienne manière, re-tnte de créer le consensus pour en élargir le champ.

      Je cite d’autres passages du cardinal Hollerich que j’aurais pu rerendre dans mon billet : « L’histoire des dogmes me fascinait. Je trouvais extrêmement intéressante la manière dnt la foi a été intégrée dans la culture du monde hellénistique. La richesse de cette théologie m’impressionne aujourd’hui encore. Nous sommes de nouveau à une époque de grand changement où l’inculturation est nécessaire. (…) Le christianisme est condamné à disparaître si nous ne faisons que répéter ces formulations de la foi qui se veulent intouchables et définitives. Il nous faut au contraire intégrer une nouvelle façon de penser la foi au sein de nla réalité vécue des hommes d’aujourd’hui, dans leur quète de Dieu.

      Le vrai sens de l’herméneutique de la continuité est d’être toujours fidèle à la source, les Evangiles, pas de ne pas contredire les analyses ou positions d’un pontificat précédent.

      J’ai le plus grand respect pour Guillaume Cuchet… mais enfin il n’a pas encore été déclaré Père de l’Eglise.

      • Merci René Poujol d’avoir pris la peine de réagir à mon commentaire.
        Je me permets d’imaginer sincèrement que Jean XXIII aurait Été déçu par les lendemains de ‘son’ concile. Paul VI n’a pas toujours pu retenir l’expression de son amertume. Et des esprits novateurs comme Maurice Zundel et Charles Journet aussi.
        En tout état de cause le Concile n’a pas réussi à enrayer le déclin de l’expression de la foi ou du moins de la pratique religieuse.
        NB. le concile ne se situe pas en rupture avec les 2 siècles qui l’ont précédé, il a plutôt consacré les œuvres des penseurs majeurs du 19 e siècle, Newman et Mqoehler.

        • Il faut tout de même avoir une bonne dose d’imagination pour voir une continuité entre le Syllabus de Pie IX (1864) et les textes de Vatican II. Je n’avais encore jamais lu le livre de Hans Küng de 2012: Peut-on encore sauver l’Eglise ? Passionnant! Mais on me dira que c’est du Hans Küng. Ben oui !

          Une seule phrase extraite du chapitre que je suis en train de lire : « Ce Concile (Vatican II) corrigea Pie XII sur presque tous les points décisifs : réforme de la liturgie, œcuménisme, anticommunisme, liberté religieuse, « monde moderne » et surtout position envers le judaïsme. » p.143

          Et, pages suivantes : « Le Concile a tenté de concevoir deux changements de paradigme en même temps.
          – Intégration du paradigme réformateur : la part de responsabilité catholique dans la scission de l’Eglise et la néessité d’une réforme permanente sont reconnues. (…) (d’où la tentative de François de donner sa pleine dimension à la démarche synodale)
          – Intégration du paradigme moderne : beaucoup de demandes des Lumières sont acceptées.(…) p.144-145

          J’ai du mal à comprendre cette obsession de la continuité concernant des décisions somme toute contingentes, possiblement erronées, alors que l’essentiel, encore une fois, est la fidélité – et la continuité – par rapport aux Evangiles. A trop vouloir sanctifier la Tradition on l’idolâtre et l’on se trouve piégé lorsqu’il apparaît de manière évidente que telle ou telle décision était une erreur, ou n’a plus de signification aujourd’hui !

          • Sur un point que je connais mieux, René, il me semble que Hans Küng se trompe lourdement.
            En effet, non seulement le Concile Vatican II n’a pas « corrigé » Pie XII, mais ce dernier, dans le sillage du « mouvement liturgique » du XXème siècle, avait précédé la réforme liturgique post-Vatican II de Paul VI, en réformant heureusement dans les années 50 la liturgie du Triduum pascal.

          • Je ne suis pas un spécialiste de la question mais je ne pense pas que Pie XII ait remis en cause la messe dos au peuple, ait intégré le fait que c’est le « peuple de Dieu » qui célébrait… ni ait enfreint à l’interdit de l’usage des langues vernaculaires. Et cde toute manière cela ne contredit pas le propos Küng concernant les aiutres domaines qu’il cirte…

          • On ne peut que se réjouir de constater que René a de bonnes lectures .Meme si H Küng ne résume pas à lui seul la loi et les prophètes ! Ce qui est intéressant chez H Küng c’est qu’il est devenu dissident sans le vouloir, sans présupposés idéologiques. Juste une conséquence d’un travail intellectuel honnête et rigoureux .

          • Merci RenéPoujol !
            Évidemment
            Si on veut réduire le 19evsiecle au syllabus…
            Ce que dit Kung
            Sur Pie 12 est en grande partie faux.
            La réforme de la liturgie à commencé sous Pie12
            (vigile Pascale..)
            Comme l’interprétation des Écritures. Et rappelons que le délégué aux relations avec le judaïsme de Jean 23 fut le cardinal jésuite Béa, le confesseur de Pie 12.
            Kung n’est pas à pré Dre au pied de la lettre, même si on prend plaisir à lire ce qu’il pense !

          • René, vous devriez relire l’encyclique « Mediator Dei » (1947) et vous serez surpris d’y trouver bien des choses qui ont été réaffirmées ensuite par le Concile Vatican II.
            Du reste cette encyclique est largement citée dans Sacrosanctum concilium, la Constitution sur la sainte liturgie du concile Vatican II.

            Par ailleurs, le Concile Vatican II n’a pas davantage remis en cause la messe « dos au peuple », selon votre expression péjorative.
            La question n’est-elle pas plutôt d’être tournés ensemble, prêtre et fidèles, vers le Seigneur ressuscité symbolisé par l’Orient (le Christ, Soleil levant) ; n’y a-t-il pas une certaine forme de cléricalisme à vouloir que le prêtre soit face au peuple, comme dans une représentation théâtrale, plutôt que tourné humblement vers le Christ comme les fidèles ?
            Je sais bien que cette réflexion a été rendue impossible à cause des instrumentalisations par les intégristes, mais c’est une vraie question qui mérite réflexion.
            Du reste, au moins pour la Liturgie de la Parole, c’était l’aménagement de l’espace liturgique et de la place du prêtre dans un lieu qui nous est cher à tous les deux, à l’instar du bèma dans le rite chaldéen.

          • a Michel
            C’est le concile de Trente qui a remis en cause le fait de dire la messe en tournant le dos aux fidèles .Charles Borromée qui fut celui qui en détailla le plus les conséquences pratiques dans ses « instructionnes « conseille à ses prêtres de célébrer face aux fidèles . O Malley le démontre dans son ouvrage sur le concile de Trente .

            De plus le concile Vatican II en rehabilitant la dimension « mémorial  » du repas de Seigneur de l’eucharistie donne tout son sens à la célébration de l’eucharistie face aux fidèles .

            Célébrer » dos au peuple » après Vatican II signifie que l’on refuse les décisions du saint concile .

        • Bonjour Jean Bon.
          Mise à part l’imagination des uns et des autres, il est indiscutable, avec le recul, que dès la fin du conflit mondial du 20ème siècle la querelle moderniste (dans sa dimension théologique)* -en même temps que l’affaire Dreyfuss et la position de l’Eglise de France- a repris -pour autant qu’elle ait vraiment cessé- entre la tradition renforcée par des dogmes de plus en plus abscons (quand partout l’enseignement se démocratisait!), et l’ouverture à l’air du temps à la suite de Pierre Abélard, Jan Huss, la Renaissance, les Lumières, la fin des empires et monarchies… La manière dont le système romain a traité dès l’après-guerre ses théologiens d’ouverture et la jeune expérience des prêtres ouvriers en France a trop bien illustré la persistance de cette querelle, et plus encore si on ajoute les relents mystiques/mystificateurs du 19ème caricaturés en France par au moins l’affaire Dehau-Philippe et Jean Vanier.
          Paul 6 a préparé le retour à la tradition des Pie -au moins 9 à 12- incarnée par Jean-Paul 2 puis Benoit 16. Je ne suis pas loin de penser qu’avec son style simple, amical, d’ouverture, le Pape François s’inscrit dans la continuité de Jean-Paul 2 et Benoit 16. Craint-il, accablé par la fracture irréparable, le risquer que le système s’effondre, ou bien est-il plutôt indécis? Peut-être un peu les deux. Quoi qu’il en soit, de crise en crise, des Lumières à la Moderniste et à ses réplique il va falloir se résoudre soit à laisser tomber tout ce qui repose sur la méthode scolastique, soit accepter que l’Institution, coupée de l’Eglise, disparaisse!
          Quand il y a 20 ans je me suis installé en sud Bourgogne, il subsistait quelques familles et chapelles de « blancs »**, cela pour dire que l’effondrement en cours pourrait durer quelques temps, même avec l’accélération du temps. C’est pourquoi j’estime nécessaire de « rêver » (croire) que l’Institution n’est pas l’Eglise et de voir des « signes » de la vivacité de l’Eglise dans la sécularisation des humains.

          * La recension de P. Gruson du livre de Louis-Pierre Sardella (disciple d’Emile Poulat et Pierre Colin), « Regards sur la crise moderniste en France. Une Église intangible dans un monde en mouvement » (Paris, Éditions Karthala, 2018, 316 p.)
          ** https://www.religion.info/2003/10/31/perennite-du-mouvement-anticoncordataire-deux-siecles-plus-tard-les-fideles-de-la-petite-eglise-perseverent/

    • A Jean Bon
      Autant il est totalement légitime que vous pensiez ce que vous voulez de Vatican II, autant il n’est pas juste que vous fondiez votre opinion sur la négation des faits .
      _- « En convoquant le concile l’intention de Jean XXIII était la « mise à jour  » ( aggiornamento ) de l’Eglise . Le pape prenait acte du dangereux décalage qui avait grandi de manière continue entre le monde ecclésial et le monde tout court . Cette intention est à la base de la réforme liturgique, de la conversion à l’oecuménisme et au dialogue avec les autres religions , de l’actualisation de sa doctrine sur l’Eglise et sur la révélation , de l’élaboration d’un nouveau discours sur l’église dans le monde de ce temps et enfin de la reconnaissance de la liberté religieuse « .
      _- La conversion de Vatican II était radicale , non pas par rapport à la tradition de la foi apostolique mais par rapport aux options prises de manière dominante et continue par l’église dans les derniers siècles .  »
      – Les prises de position de Vatican II renouent avec la tradition du premier millénaire de l’Eglise ( c’est cela l’herméneutique de la continuité )

      – Ensuite bien sûr la réforme de la liturgie a été appliquée de manière brutale et sans pédagogie , sans véritable respect pour l’affectivité religieuse des fidèles . Cela est aussi un fait .

      Enfin on peut se demander si comme le concile de Trente , Vatican II n’est pas un concile qui est venu trop tard pour enrayer divorce latent entre Eglise et société et créer une donne nouvelle dans la situation de la foi .

      J’emprunte cette analyse au théologien B Sesbouée.

      Vatican II se situe en rupture avec les conceptions des deux derniers siècle mais en continuité avec la tradition de l’Eglise du premier millénaire de son histoire .

    • @ Jean Bon,
      Malgré la très haute personnalité qu’est Guillaume Cuchet, il semblerait tout de même, que sur l’analyse de la chute du catholicisme dans nos contées européennes, les études chiffrées soient un peu mal étayés. Les périodes d’études en particulier ne semblent pas bien choisi selon d’autres historiens.
      A toute fin utile, je vous renvoie aux difficultés rencontrer par d’autres Église chrétiennes en Europe alors qu’aucun Concile ne s’est tenu chez eux.
      Un dossier bien étayé a été publié il y a environ 6 mois par le site Saint Merry hors les murs. Je vous mets le lien : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/08/01/vatican-ii-un-concile-motive-par-le-declin-qui-le-precedait-et-non-linverse/ et https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/10/25/baisse-des-fideles-avant-vatican-ii-et-questions-neuves-pour-aujourdhui/
      Vous semblez avoir peur que tout puisse se faire… Évitons, quand même d’avoir peur de tout en restant immobilement tourné vers un passé révolu. Analysons ce passé, et les billets que je vous ais proposé le fait, pour mieux affronter l’avenir.

    • Vrai que nul n’ose plus parler concile! La « mode » est à son simili, le synode qui, comme un concile, synode fermente, gonfle puis se dégonfle. En fait, le dégonflage commence désormais avec le gonflage. Pourtant, l’Institution persiste à faire confiance à son fidèle allié « le temps long » refusant ainsi de savoir que le temps a bigrement accéléré, en sorte que la sécularisation spirituelle en cours, rien ne l’arrêtera.
      « Homme du peuple » plus que « Monsieur », Henri Tincq écrivait en 1985 « Je ne reconnais plus mon Eglise », puis en 2017 « Aujourd’hui, j’ai honte d’être catholique », voilà un homme qui flairait l’air du temps et de l’aventure humaine. Face à cet « air du temps » qu’importent le nom de ceux qui ont la confiance du Pape d’autant qu’il y eut George Pell, Angelo Becciu, Reinhard Marx,…avant Jean-Claude Hollerich. La qualité des personnes n’y peu plus rien et peut-être que mieux vaut applaudir la sécularisation spirituelle que s’y opposer.
      Il est vrai qu’entre ceux qui ont compris le concile comme un début prudent et ceux qui ensuite l’on fait parler à rebours, la fracture est devenue rapidement gouffre. Peut-être que, à leur insu, ces derniers ont rendu un grand service à l’Église (alias de l’humanité comme catholique est l’alias d’universel).

  • A la réflexion de Jean Bon emblématique d’un courant actuellement majoritaire dans l’église , je veux confronter la pensée de Basile de Césarée qui me parait très éclairante pour aujourd’hui .

    Eh oui d’aucuns ont beau m’affubler de l’étiquette d’affreux « progressiste  » opposant systématique au magistère de l’église , j’ai faiblesse de préférer et de me référer aux pères de l’église plutôt qu’au catéchisme de l’église catholique qui est à l’Eglise ce que le petit livre rouge du président Mao est à la culture chinoise .

    Basile de Césarée s’est affronté à la contradiction entre le contenu de sa foi et la culture de son temps . Même si Basile s’est concentré sur le sujet de la Trinité et la possibilité de l’exprimer dans le champ de la culture grecque qui ne pouvait en concevoir le principe , sa méthode reste valable pour appréhender la problématique de l’expression de la foi dans le monde et la culture contemporaine .

    Il y a trois attitudes possibles :
    – Se réfugier dans la répétition en ignorant la question ( solution exprimée par Jean Bon et tous les tenants du repli identitaire )
    – Céder à la contestation et acculturer complètement le contenu de la foi à notre  » Weltanschauung « au risque de perdre une partie de son message ( solution esquissée par certaines dérives post Vatican II)
    ou, et c’est le choix de Basile , chercher dans le champ même de notre pensée et de notre culture la possibilité de tenir un discours de foi qui soit fidèle , cohérent et crédible .
    C’est dans cette approche que s’inscrivent me semble t il Irénée de Lyon, Ignace de Loyola , Theilhard de Chardin , K Barth , H Küng , Gerhard Ebeling , E Drewermann , J Moingt …..
    C’est aussi dans cette approche que se situe , me semble t il la démarche du synode qui peut fournir par l’écoute, la matière première à un discernement des enjeux de la foi et de leur expression dans la culture qui est la notre .

    La tradition de l’Eglise est trop importante et utile aujourd’hui pour être laissée aux autoproclamés « traditionalistes  » qui ne la connaissent pas et la font commencer à Pie IX

    • Jean Bon qui ne fait partie d’aucun courant mais qui pense librement constate beaucoup d’intolérance entre catholiques devant l’expression d’opinions nuancées,tout de suite cataloguées et étiquettées ( « repli identitaire » » traditionnaliste.. »)
      En historien Jean Bon discerne les lignes de continuité,en journaliste René Poujol les nouveautés et ruptures.
      Au moins apprécient-ils fort tous les deux la liturgie d’André Gouzes et déplorent- ils tous deux ,du moins je le suppose,la répercussion insensée d’accusations à son encontre qui n’ont fait l’objet de la moindre vérification connue à ce jour.

      • J’ai exprimé ici mon souhait qu’on n’aborde pas la question « André Gouzes » aussi longtemps qu’on n’aura pas plus d’informations.

        • merci.c’est encore un droit de dire qu’on aime l’oeuvre d’André Gouzes(vu son apport considérable, avec l’aide de ses confrère, à la rénovation liturgique),.Point.

      • Que jean Bon pense librement je n’en doute pas . Ce qui n’empêche pas qu’il soit déterminé comme chacun d’entre nous par ses origines , son milieu social , sa religion ou ses références philosophiques .
        La prétention à être hors sol et totalement objectif est une illusion abandonnée depuis longtemps par les historiens , Sauf à être une créature céleste .
        Jean Bon doit être une ange .

  • A Michel
    La liturgie est la transcription dans les rites de la conception que l’Eglise a d’elle même et de sa mission .
    Vous avez raison , nombres de conceptions validées par Vatican II sont antérieures et la réflexion sur l’Eglise hors du carcan de l’ecclésiologie néoscolastique , foisonnante au XX° siècle a aussi ses sources au XIX° siècle .
    Exemples :
    -Johan Adam Möhler a développé en précurseur une écclésiologie de communion
    -John Henry Newmann (qui vous est cher) insiste à partir de l’étude de la patristique sur l’importance de la grâce de Dieu comme élément constituant l’Eglise et promeut en conséquence l’importance du sensus fidélium dont le rôle majeur avait déjà été souligné par Saint Paulin de Nole au V° siècle .

    – Les travaux préparatoires de Vatican I avaient aussi prévu un schéma sur l’Eglise comme corps mystique du Christ ( héritage de Saint Paul ) jugé trop novateur et que l’interruption due à la guerre laissa à l’état de projet .

    Mais c’est surtout à Congar ( » Vraie et Fausse Réforme dans l’Eglise « , « Jalons pour une Théologie du Laïcat ) , à Lubac ( » Méditations sur l’Eglise « ) et aussi à Montcheuil ( « Aspects de l’Eglise » ) que nous devons les avancées consacrées par Vatican II .

    Désolé pour le caractère lapidaire du résumé , mais on peut affirmer que la finalité de l’Eucharistie c’est la constitution de l’Eglise comme corps du Christ d’une part et que l’annonce de la Parole est aussi sacramentelle en tant que don de Dieu d’autre part .
    Vatican II a en a tiré les conséquence en associant dans la liturgie le pain de la Parole au pain de l’Eucharistie . C’est donc tout le peuple de Dieu en tant qu’il vit de la Parole et de l’Eucharistie qui est le signe du don de Dieu dans l’histoire des hommes . On peut même dire qu’il s’agit d’une adaptation de ce que Bossuet avait déjà exprimé dans une célèbre formule  » L’Eglise c’est Jésus Christ répandu et communiqué  »

    La liturgie ne peut pas ne pas rendre compte de cette conception de l’Eglise fidèle à sa Tradition .

    • Merci Guy pour ce commentaire avec lequel, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord pour l’essentiel.
      Comme quoi on peut se retrouver sur l’essentiel…

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