Me voici invité matinal sur les ondes de Radio Notre Dame, dans la tranche animée par Louis Daufresne. Occasion de revenbir sur quelques idées qui me sont chères.
J’aime l’ambiance des studios de radio au petit matin. Pendant cinq ans j’ai assuré sur Radio Bleue une chronique consacrée à la grande vieillesse. J’aurais pu l’enregistrer en amont. Je préférais l’écrire avant même le lever du jour puis traverser Paris, d’Est en Ouest, par les quais, jusqu’à la Maison de la radio, avant que la circulation ne bloque la capitale. Ce « direct » avec quelques centaines de milliers d’auditeurs m’était un vrai bonheur.
Ce matin, me voici dans le minuscule studio de Radio Notre Dame. Avec quelque retard – mais ses invités sont programmés à l’avance – Louis Daufresne souhaitait accueillir l’ancien directeur de la rédaction de Pèlerin. Commenter à chaud l’actualité, surtout lorsqu’on rentre de huit jours de vacances dans son Aveyron natal, loin des rumeurs parisiennes, n’est jamais chose facile. Mais le menu du jour me sert plutôt avec l’ouverture, à Lourdes, de l’Assemblée plénière ou encore le rapport du député UMP Jacques Remillier sur la « perte de l’influence française au Vatican ».
Il y a, dans les attendus de ce rapport, un mélange des genres qui demande clarification. Certes, les Français sont moins nombreux à la Curie, depuis que les cardinaux Roger Etchegaray et Paul Poupard ont atteint la limite d’âge. Demeurent néanmoins le cardinal Jean-Louis Tauran chargé du dialogue interreligieux, Mgr Mamberti, secrétaire pour les relations avec les Etats et Mgr Jean-Louis Bruguès à la Congrégation pour l’éducation catholique.
A ce niveau de responsabilités, il est bien évident que l’initiative d’appeler des Français à Rome appartient au pape. Et l’on ne voit pas bien en quoi de meilleures relations entre le gouvernement Français et le Saint-Siège modifieraient radicalement la donne. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans un contexte de « pénurie » de cadres, les évêques sont moins enclins à laisser partir pour Rome leurs meilleurs éléments, fut-ce pour des postes plus modestes mais décisifs pour manifester la présence française.
Au cours de cette heure de direct, l’animateur m’interpelle sur l’interview publiée par Pèlerin lors de mon départ de la rédaction où j’évoquais les quatre dossiers qui « font débat » entre l’opinion catholique et les autorités de l’Eglise : contraception, divorcés remariés, ordination d’hommes mariés, place des femmes dans l’Eglise… N’y aurait-il pas là, me demande-t-il, une tentation de sacrifier à la mode, de se rendre aux arguments d’un monde sécularisé ?
C’est l’argument qui revient le plus souvent pour discréditer celles et ceux qui font valoir – et le cardinal Martini parmi eux – qu’il y a là quatre pierres d’achoppement, quatre motifs d’incompréhension entre une masse de catholiques ou de non catholiques et l’Eglise, alors même que, dans chacun de ces domaines, des évolutions sont non seulement souhaitables mais théologiquement possibles.
Je me suis déjà exprimé dans ce blog sur la question des divorcés remariés, en réponse au Père Bandelier (voir : Foi et mauvaise foi, du 1er octobre). Sur la contraception on sait bien que l’Eglise a franchi le pas le jour où Pie XII a reconnu la légitimité pour les couples catholiques de maîtriser leur fécondité. De l’aveu même de nombre de théologiens voire même de cardinaux de curie, la distinction entre méthodes naturelles et artificielles reste… artificielle. Et l’on pourrait argumenter de même sur les deux autres thèmes.
Non, cher Louis Daufresne, les jeunes générations de catholiques ne sont pas « plus exigentes »… comme vous me le suggériez ce mardi à l’antenne. Elles sont simplement dans la générosité de leurs vingt-ans, comme nous l’avons été, nous aussi, et sous l’influence de clercs qui ne veulent rien céder de leur pouvoir sur les âmes, sans se demander si nous sommes là au coeur de l’Evangile ou dans des débats secondaires qui ne justifient pas de telles raideurs.
tout à fait d’accord avec vous +++++
il y a mieux à faire et plus urgent.
pourquoi redire des phrases qui n’ont plus de sens dans et hors de l’Eglise pour le plus grand nombre , sous l’influence de groupes de pression (qui sont loin d’être irréprochables et cela depuis longtemps et c’est le vécu de ma génération).
Mais des voix s’élèvent dans l’Eglise de plus en plus nombreuses, de tout horizon, pour que la parole se libére, dans le respect de chacun.
Comment une communauté peut vivre sans vrai dialogue, exempt de craintes, de délations?
La Vérité est du domaine de Dieu , elle est inaccessible à un homme seul….seule l’humanité entière en chemin peut aller vers elle et c’est là que le monde attend l’Eglise quand elle ne sera plus paralysée par des peurs d’un autre âge et qu’elle se mettra simplement en chemin avec tous .
Quand je lis les livres de nos évêques, du Cardinal Martini, quand je vois de jeunes prêtres réfléchir, écouter, accompagner…..quelque soit le chemin, oui j’espère .
Vatican II et ce qu’il a laissé en chantier est devant nous et non derrière nous.
bonne journée et merci de ces paroles d’espérance
Les interrogations de notre temps
Dans un hebdomadaire sérieux, Jean Delumeau, historien des religions, évoque : « Les silences de Benoît XVI ». L’auteur de l’article en question ne manque pas de reconnaître l’enthousiasme déclenché chez les jeunes par la présence sympathique de ce pape dans des rassemblements de grande importance. Benoît XVI y critique, avec pertinence, le culte des idoles et notamment celui de l’argent. Mais les questions essentielles de notre temps n’apparaissent pas dans son discours et pourtant elles sont essentielles dans un monde profondément déstabilisé par toutes les évolutions que l’on connaît. Ces questions sont innombrables :
Le non accès aux sacrements aux divorcés remariés
La contraception et le statut de l’embryon
L’admission des hommes mariés à la prêtrise
La réévaluation du rôle de la femme dans l’Eglise
Le latin dans la liturgie et la communion reçue dans la bouche
On pourrait ajouter à cette liste beaucoup d’autres questions importantes telles que par exemple :
Le dialogue inter religieux et en particulier les relations entre Christianisme et Islam.
L’intégrisme et le fondamentalisme
Le sacrement de la réconciliation et ses diverses modalités plus ou moins
contestées
Le grave problème de la transmission de la foi dans une société ne
possédant plus aucun repère y compris dans le cadre de l’économie
mondiale et de la finance.
La perception et l’interprétation du langage doctrinal qui pose une réelle
difficulté d’intégration dans la sphère du vécu de chacun. Le « dire et vivre
comme si… » est-il compatible avec l’exigence de la pensée moderne ? Se poserait alors la question d’inventer une nouvelle dialectique.
Un jour, lors d’une homélie prononcée à l’occasion d’un mariage, le prêtre affirma haut et fort que l’amour était une question de volonté !! Ne pourrait-on pas, à ce propos, souligner l’importance du lieu de rencontre de deux vérités complémentaires plutôt que s’en tenir à l’un des aspects de la vérité sur la vie.
Rappelons que tout ce qui est immanent est sujet à dualité, par exemple : éros et agapé, qui font partie de la vie. « La vérité est une rencontre douloureuse » (selon le philosophe : Slavoj Zizek), prendrait ici tout son sens si l’on acceptait, en tout humilité, que l’homme est en permanence écartelé entre deux pôles de la réalité. « Porter sa croix » suppose à la fois une pratique permanente de la vertu et une reconnaissance de sa nature animale qui a sa grandeur mais aussi sa fragilité et ses limites. Et le monde est paradoxal !
Une certaine élite chrétienne fustige, à tort ou à raison, les opinions et positions prises par l’Eglise dans le cadre d’une pastorale dont le but est de proclamer la « bonne nouvelle » et d’apporter au monde une ou des réponses à leurs préoccupations. Cet exercice est à tout le moins difficile. Comment convaincre au sein d’une société où l’argent et le football sont rois ? Il ne faut pas s’y tromper : l’homme moderne cultive la complaisance, l’égoïsme et l’individualisme à outrance. Combien de parents et de grand parents aimeraient avoir une visite dominicale d’un plus jeune de la famille pour qui le stade est la priorité majeure ? C’est un aspect des choses. L’homme moderne connaît par contre les tracasseries liées à tous les imprévus qui s’abattent sur lui au cours de sa vie professionnelle et de sa vie familiale. Il peut alors se sentir marginalisé et ne rien comprendre au langage de l’Eglise catholique sensé accueillir et protéger tout pécheur d’une rechute éventuelle, ainsi que procurer les bienfaits de la grâce divine.
C’est l’autre aspect
« Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive ! »
Nous sommes à l’ère du courage physique : tour du monde à la voile en solitaire, élaboration de matériels les plus fantastiques, culte de la rentabilité au sein des entreprises, grands rassemblements autour d’un thème ou d’une personne charismatique, expatriations voulues ou forcées, voyages projetés sur la lune ou sur mars, multiplication aveugle des produits financiers, le snobisme des voyages pour les retraités relativement fortunés, etc…
Sommes-nous aussi performants dans le domaine du courage moral ?
Bien sûr nous avons Mère thérésa, Sœur Emmanuelle, l’abbé Pierre, Bernard Kouchner, Fadila Amara et j’en passe. La vertu première se situe dans l’accomplissement des choses les plus petites car la véritable révolution se passe en chacun de soi. Justement le rôle souvent pervers des médias consiste à noyer la personne dans un magma d’informations qui pousse les personnes au pire des découragements ou à une culpabilité inutile. C’est comme cela que se détériore ce qu’on appelle : la conscience collective. Dans ce mouvement entropique de la
collectivité des hommes, chacun se trouve happé, entraîné malgré soi, vers un déclin de la civilisation dont un des aspects particuliers est la fulgurante déchristianisation de l’Occident. Aujourd’hui il faut avoir beaucoup de courage pour affirmer ses convictions, pour innover, pour s’insurger, pour faire passer l’intérêt général avant les propres siens, pour pardonner quand il le faut, pour se rendre disponible alors que la règle actuelle est de n’être jamais libre, pour rétablir les liens familiaux et non pas les défaire, pour reconnaître que l’on ne sait pas tout expliquer même dans le domaine de la foi et des religions.
Sur notre planète l’homme se trouve relativement démuni pour construire un monde qu’il aimerait cohérent et facile à comprendre. Or il y a le problème du mal, celui des oppositions de nature religieuses, celui de l’injustice qu’il ne sait résoudre, celui des jeunes et celui des vieux, celui du climat, celui d’un nouveau socialisme à découvrir, celui de la souffrance et de la mort, celui qui relie science et éthique, etc. Quelle réponse donner à la question qui surgit lorsque le nombre de vocations religieuses est en chute libre ? A mon avis personne n’a de solutions à offrir ou alors on opte pour le fondamentalisme qui viendra à point nommé soulager notre psyché en recherche de confort intellectuel.
Il ne faut pas se leurrer : la diversité du monde, le goût de liberté auquel chacun a droit, l’incommensurable bonté de Dieu mais aussi l’immense séparativité qui nous éloigne de lui, la bipolarité qui nous oblige à faire constamment des choix, constituent le ferment de toute vie. Sachons exploiter cette terre de contraste et de nuances pour faire d’abord une place dans notre cœur pour Jésus souffrant, mort et ressuscité.