Ma «Manif» à moi… 4/5 : Préserver les droits de l’enfant

Ma «Manif» à moi… 4/5 : Préserver les droits de l’enfant

Oui une certaine égalité des droits des adultes peut se faire au détriment de l’égalité des droits des enfants.

(Il y a eu trois ans ce 12 février 2016, l’Assemblée nationale adoptait la loi Taubira en première lecture. Un débat auquel j’ai consacré, dans ce blogue, une bonne vingtaine d’articles, sans jamais être tenté d’en faire une relecture globale. Pour son livre L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, m’a demandé de revisiter, en répondant à ses questions, la manière dont j’avais vécu ces événements de 2012-2014. Je lui en suis reconnaissant. C’est cet entretien que je propose, aujourd’hui, sur mon blogue, en intégralité et en cinq épisodes, avec l’accord des Editions Salvator. Moins pour relancer un débat qui est loin d’être clos que pour témoigner d’un itinéraire.)

… suite de l’entretien 4/5

Virginie Tellenne : Durant cette période, divers mouvements ont émergé, dans le prolongement de LMPT. Certains de nature essentiellement «éthique» comme les Veilleurs, d’autres de nature plus directement politique comme Sens Commun. Comment avez-vous réagi à leur création ? 

René Poujol : Pour être tout à fait franc, je n’ai jamais réagi, publiquement. Je n’ai consacré aucun article de mon blogue à ces deux événements qui ont, pourtant, nourri bien des commentaires, dans la presse et sur les réseaux sociaux. S’agissant des Veilleurs, je me suis senti très vite partagé, ce qui explique mon mutisme. D’un côté j’étais assez admiratif de l’imagination et du courage de ces jeunes, dans l’affirmation de leurs convictions. Mon passé d’éducateur bénévole, à un certain niveau de responsabilité, tant dans les centres de vacances affiliés à l’UFCV (Union française des centres de vacances et de loisirs) que chez les Scouts de France, m’a toujours fait porter sur la jeunesse, par nature généreuse, un regard bienveillant. Je crois qu’un pays qui ne fait pas confiance à sa jeunesse est un pays moribond.

Mais très vite j’ai été gêné par le sentiment d’une forme d’enfermement sur lui-même de ce mouvement, totalement coupé de la réalité conflictuelle qui lui avait pourtant donné le jour et dont nous n’étions pas sortis. Pour être plus direct : à l’heure même où je m’interrogeais sur la justesse de mon attitude personnelle au travers de ce que je percevais de la violence ressentie par certaines personnes homosexuelles, je n’entendais dans les propos tenus ou les textes lus lors de ces Veillées, aucun questionnement, aucune parole de compréhension vis-à-vis de ces personnes. Comme si le combat à poursuivre se situait au niveau des idées, de principes éthiques indiscutables, d’une anthropologie, et pouvait faire abstraction des personnes, des réalités dans lesquelles elles étaient engagées. Une certaine jeunesse se réfugiait dans un univers non-violent, nourri de belles pensées, où une autre jeunesse n’avait pas sa place. Ce fut, en tout cas mon ressenti.

Concernant Sens Commun, je ne trouvais pas incohérent en soi que des militants de LMPT, politiquement proches de l’UMP, tentent de se constituer en groupe de pression, à l’intérieur du parti, pour faire prévaloir leurs idées, dans la perspective des échéances à venir et notamment de la présidentielle de 2017. A la limite, je trouvais cela moins contestable que les choix politiques de fait, portés par LMPT au travers de ses manifestations de rues, où pouvait poindre le soupçon d’une forme de récupération politicienne. Sur Sens Commun, mon silence est surtout venu du fait que c’était là une initiative interne à la droite qui ne me concernait en rien.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises vos questionnements sur la filiation, pour justifier votre hostilité de départ à la Loi Taubira. Quelle est votre position sur l’adoption par les couples homosexuels ?

N’interprétez pas mon propos comme une reculade, un souci de me défausser. Mais l’expérience que je retiens de ces deux années, est l’extrême complexité des questions de filiation, adoption comprise. Une complexité qui, du coup, se prête à toutes les récupérations ou à tous les soupçons d’idéologie. Je crois que l’opinion publique, dans notre pays, a bien perçu instinctivement cette complexité, en se montrant avec constance, dans les sondages, toujours plus ouverte sur la question de la conjugalité homosexuelle que sur la filiation. Je me sens plus proche de ce ressenti citoyen, que d’une réelle expertise.

CONCU ET MIS AU MONDE «POUR» ETRE ADOPTE… 

Je m’en tiendrai donc à poser quelques convictions, laissant à d’autres le soin d’argumenter. La première de ces convictions est que je peux comprendre le désir de famille de couples homosexuels. Je le dis d’autant plus volontiers que c’est sans doute un point sur lequel, personnellement, j’ai évolué. Dans le même esprit, je ne conteste pas à des couples de même sexe la capacité d’aimer et d’éduquer des enfants. Mais en même temps j’observe que si la Déclaration universelle des Droits de l’homme reconnaît à tout homme et à toute femme « le droit de se marier et de fonder une famille» (1), aucun texte ne pose le principe d’un «droit à l’enfant», pas plus pour un couple hétérosexuel qu’homosexuel.

Il me semble que ce principe vaut aussi bien pour l’adoption que pour le recours aux techniques de procréation médicalement assistée. Concernant l’adoption, il existe une différence entre : adopter l’enfant de son conjoint, né d’une précédente union hétérosexuelle, adopter un enfant dont les parents biologiques ne peuvent assumer la charge… ou adopter un enfant volontairement conçu et mis au monde «pour» être adopté. Je crois, là encore, exprimer l’opinion commune en disant que dans l’adoption le droit de l’enfant à trouver des parents adoptifs prime sur le droit des adultes à obtenir un enfant à adopter. Et que, sauf impossibilité, cette paternité ou maternité adoptive ne doit pas gommer, pour l’enfant, la réalité de sa filiation biologique qui, pour moi demeure première.

Vous vous retrouvez donc dans ce combat pour la prééminence de la filiation biologique.

Oui, et je le dis en toute humilité sachant combien certains parmi mes proches, qui sont pères et mères adoptifs, ont pu percevoir, dans ce débat, un jugement de valeur sur leur propre capacité à aimer et élever des enfants. Ce qui, bien évidemment, n’était pas en cause. Simplement, même si la question reste en débat, j’estime qu’on ne peut pas, sans risque, couper un enfant de sa filiation biologique, ni la lui rendre opaque ou complexe à l’excès, par le simple jeu des possibilités de la science.

Je l’ai dit plus haut : si j’ai, dès le départ, été hostile à toute idée de mariage pour tous, c’est parce que le mariage ouvre légalement à la filiation et que j’étais inquiet des conditions de la mise en œuvre de ce droit. Des conditions qui auraient justifié un plus large examen et un vrai débat de société, comme cela a été demandé ultérieurement – sans succès – au Conseil économique, social et environnemental, avant de trancher entre mariage pour tous et contrat d’union civile. On retrouve tous les attendus de cette question dans le remarquable document de l’Union nationale des associations familiales.

J’ai été accusé – avec d’autres – de ramener injustement dans le débat les «risques» liés à la PMA et à la GPA qui, me disait-on, n’étaient pas inscrites dans la loi Taubira. Ce qui n’était pas totalement exact puisque l’élargissement du droit à la PMA aux couples de femmes figurait bien dans la première mouture du texte. Mais il était évident qu’à partir du moment où l’accès au mariage ouvre à la filiation les couples homosexuels allaient demander à en bénéficier. Or, on le sait, le nombre d’enfants à adopter ne correspond en rien à la demande. Très peu d’enfants en France, et de moins en moins à l’étranger où la pauvreté a reculé et où l’on se montre soucieux que les enfants considérés comme adoptables puissent, de manière préférentielle, être élevés dans le contexte culturel qui est le leur.

Dès lors, il semblait évident qu’au final ces désirs de paternité et de maternité ne pourraient être satisfaits que par recours à la PMA, puis à la GPA et demain à l’utérus artificiel.  Autant de techniques qui posent des questions éthiques redoutables, au-delà la simple notion, non négligeable, d’égalité des droits pour tout enfant à naître d’un père et d’une mère. Rappelons ici que la Convention internationale des droits de l’enfant, leur garantit : «le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.» (2) sauf accident de parcours.

Certains ont voulu interpréter cette irruption de la PMA-GPA dans le débat comme une marque explicite d’homophobie, au motif qu’on aurait attendu la loi Taubira pour s’alarmer à leur sujet, alors que ces techniques, indépendamment de leur caractère légal ou illégal sur notre territoire national, peuvent tout aussi bien être utilisées dans le cadre d’unions hétérosexuelles. Alors pourquoi un tel débat précisément au moment où le Parlement doit se prononcer sur le mariage pour tous ? Mais est-ce être homophobe d’observer que les couples hétérosexuels ont généralement les moyens naturels d’accéder à la procréation ce qui n’est pas le cas des couples de même sexe ? Et donc que c’est bien l’accès de ces derniers au mariage qui, soudain, donne à la question une toute autre ampleur.

PMA-GPA : L’ ENGRENAGE

Quant à considérer qu’évoquer, à propos de la loi Taubira, les risques de la PMA-GPA tenait du seul fantasme, de la mauvaise foi et du procès d’intention… l’actualité est là, hélas, pour nous prouver le contraire. Fin juin 2015, le Défenseur des droits (anciennement Médiateur de la République) et le Haut Conseil à l’égalité se prononçaient, sans surprise, pour l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, au nom «de l’égalité des droits». (3) Trois jours plus tard, la Cour de Cassation se prononçait pour l’inscription sur les registres d’état civil, de deux enfants de père français, nés en Russie de mères porteuses, dans le cadre d’une gestation pour autrui interdite dans l’hexagone. Ce faisant, elle prenait acte de la condamnation de la France prononcée un an auparavant par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans deux affaires similaires où l’inscription à l’état civil avait été refusée. Elle entérinait, dans la foulée, le souhait exprimé par Christiane Taubira, Garde des Sceaux, de ne pas demander à des enfants «de répondre de leur mode de conception». 

Encore une fois, je ne suis ni pédopsychiatre ni juriste mais le citoyen en moi se révolte à l’idée que des ressortissants français puissent recourir à l’étranger à une pratique, la GPA, interdite en France, revenir sur le territoire national sans risquer la moindre poursuite, et obtenir ultérieurement des tribunaux la reconnaissance automatique de ces enfants. Pardonnez-moi, mais il y a là quelque chose qui me choque profondément, indépendamment de mes convictions religieuses. Certes, j’admets que les enfants nés de GPA, à leur corps défendant, sont porteurs de droits que nous devons honorer. Pour autant, nous sommes là dans un conflit juridique majeur entre un pays qui se refuse à reconnaître la légalité de la GPA comme les institutions européennes l’y autorisent, et les plus hautes instances judiciaires de cette même Europe qui lui font obligation d’en légaliser les conséquences pratiques. Je ne suis pas sûr, pour reprendre une terminologie à la mode, qu’il n’y ait pas là une contradiction de nature profondément civilisationnelle, lourde de conséquence. Car il y va d’une certaine conception de la dignité humaine et de notre liberté d’en débattre dans un espace démocratique. Et je me réjouis de voir monter dans l’opinion, en France comme à l’étranger, à travers «Stop Surrogacy Now», la revendication d’une interdiction mondiale de la GPA à laquelle se sont associées, récemment, des personnalités a priori aussi peu réactionnaires que Sylviane Agacinski, Michel Onfray ou José Bové, pour m’en tenir à des personnalités de gauche.

 

(Prochain article 5/5 : Et maintenant, que vais-je faire ?)

  1. Art.16
  2. Convention Internationale des Droits de l’Enfant, 20 novembre 1989, art.7.
  3. La Croix du 2 juillet 2015, p.6.

 

© Editions Salvator – René Poujol

 

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(J’invite le lecteur de ce blogue à poursuivre la réflexion sur un débat emblématique, bien loin d’être clos, en se reportant au livre de Virginie Tellenne : L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) qui contient une dizaine de contributions.)